Traînée subie par les corps en mouvement

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Pourquoi un nageur a-t-il autant de difficultés à avancer dans l’eau ? Pourquoi les grands navires consomment-ils tant d’énergie pour vaincre la résistance de l’eau ? Et dans l’air si léger, comment les oiseaux, les cyclistes, les automobiles et les avions peuvent-ils vaincre cette résistance à l’avancement nommée traînée. C’est également cette résistance due à la viscosité de l’air environnant qui empêche les gouttes de brouillard et autres petites particules de tomber (on parle alors de traînée visqueuse). Pour les véhicules ou autres objets de grande taille, la traînée est dite turbulente : elle est liée à la perte d’énergie due à la mise en mouvement du fluide déplacé. Quant aux navires de surface, ils perdent aussi de l’énergie par un autre mécanisme, lié à la gravité cette fois, puisque des vagues sont engendrées par l’étrave qui soulève l’eau dont le navire prend la place.

1. Traînée visqueuse : exemples du brouillard et de la pluie

1.1. Le frottement visqueux

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Figure 1. Le miel est un fluide beaucoup plus visqueux que l’eau. Il s’écoule lentement en régime laminaire c’est à dire sans aucune fluctuation turbulente.

Imaginons un objet plat, aussi mince qu’une lame de rasoir, mis en mouvement dans son plan au sein d’un fluide visqueux comme du miel ou de l’huile (Figure 1). Même à faible vitesse, un effort doit être fourni pour faire avancer cette plaque contre une résistance due au frottement du fluide. Localement, chaque unité de surface de cette plaque est en effet soumise à une force tangentielle qui s’oppose au mouvement. Cette force de frottement (ou friction) est proportionnelle à la viscosité du fluide (lire l’article Fluides et solides) et au gradient de vitesse présent au voisinage immédiat de la paroi.

A l’échelle de la plaque toute entière, c’est la résultante de ces forces locales qui constitue la force de résistance à l’avancement, ou traînée, que l’on peut qualifier de visqueuse tant que d’autres contributions au frottement ne viennent pas masquer cet effet. C’est le cas d’une cuillère qui tombe dans le miel, ou d’une carène de bateau lisse et effilée en mouvement lent. L’écoulement est alors dit laminaire, ce qui signifie que chaque particule fluide suit sa propre ligne de courant, sans empiéter sur celles des voisines. Ce comportement se distingue du régime turbulent que nous discuterons plus loin.

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Figure 2. Écoulement laminaire (de gauche à droite) autour d’une petite sphère, visualisé par les trajectoires de très petites particules éclairées transversalement du haut vers le bas. La partie sombre située sous la sphère est son ombre. Les forces tangentielles de viscosité et les forces normales de pression dynamique agissant sur la sphère sont schématisées. Leur résultante constitue la traînée visqueuse. [Source : Album of Fluid Motion]
L’écoulement lent autour d’une sphère (Figure 2) est l’un des mieux connus en raison de la simplicité de cette géométrie et parce que cette forme est celle qu’acquièrent les petites gouttes ou bulles sous l’effet de la tension superficielle (capillarité). Selon une pratique courante, l’observation se fait dans un repère lié à la sphère : plutôt qu’un objet se déplaçant dans un fluide au repos, on considère l’écoulement autour d’un objet fixe.

La traînée visqueuse d’une petite sphère est donnée par la formule de Stokes [1] selon laquelle la traînée F est proportionnelle au diamètre d de la sphère et à sa vitesse U par rapport au fluide environnant, F = 3πµdU. La même loi s’applique ainsi pour le miel, l’eau, l’air, ou tout autre fluide ordinaire (dit newtonien) en prenant en compte sa viscosité dynamique µ. Le même type de formule s’applique en fait à tout objet petit en mouvement lent, le coefficient 3π étant le seul élément spécifique à la forme sphérique. Comme on l’attend pour un frottement, la traînée est toujours une force alignée avec la vitesse de l’objet, et de sens opposé.

1.2. La vitesse limite d’un petit objet en chute libre

Dans le vide, sous l’effet de la gravité, tout objet, plomb ou plume, chute avec le même mouvement uniformément accéléré (lire l’article Les lois de la dynamique). Dans un fluide comme l’eau ou l’air, il est aussi soumis à la poussée d’Archimède, qui n’est autre que la résultante des forces de pression hydrostatique (lire l’article Poussée d’Archimède et portance). Cette force est égale et opposée au poids du fluide déplacé, de sorte que l’objet tombera avec une accélération réduite, ou s’élèvera, selon qu’il est plus lourd ou plus léger que le fluide ambiant.

Mais l’objet n’accélère pas indéfiniment car la traînée augmente avec sa vitesse, jusqu’à compenser exactement la force motrice, résultante de son poids et de la poussée d’Archimède. La force totale subie par cet objet  est alors nulle, ainsi que son accélération conformément à la loi de la dynamique. La  vitesse devenue constante est appelée la vitesse limite de chute. Elle est très vite atteinte pour un objet petit et léger que nous considérons ici. Notons qu’elle peut aller vers le haut pour un objet plus léger que le fluide ambiant, comme une bulle ou une goutte d’huile dans l’eau.

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Figure 3. Équilibre des forces pour une petite sphère de diamètre d à sa vitesse limite de chute U.

On peut facilement calculer la vitesse limite de chute grâce à la formule de Stokes donnée plus haut. Le poids est le produit de l’accélération de la gravité g ≃ 9,81 m.s-2 par le volume de la sphère, (1/6)πd3, et par la masse volumique ρc  du corps. La poussée d’Archimède est donnée par la même formule, en utilisant la masse volumique de l’objet  ρf  du fluide au lieu de celle du corps. En annulant la somme des trois forces (voir Figure 3), on en déduit que la vitesse limite de chute est égale à (1/18)g(ρcf)d2/µ. Elle est d’autant plus faible que la viscosité µ est grande, et elle augmente comme le carré du diamètre d. C’est pourquoi les petits objets restent longtemps en suspension (voir le Focus Le monde des petits objets en suspension).

1.3. Pas de brouillard sans traînée

A titre d’exemple, considérons une gouttelette de brouillard, qui possède un diamètre de l’ordre de 20 µm (0,02 mm). Tenant compte de la masse volumique de l’eau (1000 kg.m-3) et de la viscosité de l’air (µ = 2 10-5 kg.s-1 .m-1), la vitesse limite de chute de cette gouttelette est de l’ordre de 1 cm.s-1. Or le moindre souffle de l’air environnant possède une vitesse bien supérieure. Dans ces conditions, la gouttelette reste donc en suspension et se déplace au gré du vent. Il en est de même des grains de pollen et de toutes les particules de taille inférieure à une vingtaine de microns. Ceci explique la longue durée des pics de pollution dans l’air calme d’un bel anticyclone.

Le mécanisme qui provoque la disparition du brouillard, quand elle se produit, n’est donc pas sa chute sur le sol, mais son évaporation consécutive à l’ensoleillement, laquelle peut s’accompagner d’une condensation sur le sol demeuré froid, sous forme de rosée ou de givre.

1.4. Du brouillard à la pluie

Dans un nuage suffisamment chargé en eau, la coalescence des gouttelettes produit des gouttes de plus en plus grosses. Lorsque leur diamètre devient de l’ordre du millimètre, elles tombent en formant la pluie. Si l’écoulement de l’air demeurait laminaire une goutte de diamètre d = 2 mm, 100 fois plus grosse qu’une fine gouttelette de brouillard, aurait une vitesse de chute 10 000 fois plus grande et pourrait atteindre 100 m.s-1 (360 km/h). En réalité, comme nous le verrons plus loin, la traînée devient alors turbulente, ce qui augmente la friction et diminue la vitesse de chute libre.

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Figure 4. Quelle est la forme d’une goutte de pluie en chute libre ? A : la forme en poire observée lorsqu’une goutte se détache d’un support évolue rapidement vers une sphère sous l’effet de la tension superficielle. B : les gouttes de diamètre inférieur à 2 mm ont une forme sphérique. C et D : au delà de 2 mm de diamètre, l’écart par rapport à la sphère devient de plus en important, mais la goutte ne se rompt pas. E : à partir de 5 mm de diamètre, la déformation de la goutte devient capable de la rompre en reformant des gouttelettes de 2 à 3 mm. [Source : Par Pbroks13 (Travail personnel) [CC BY 3.0 (http://creativecommons.org/licenses/by/3.0)], via Wikimedia Commons Par Pbroks13 (Travail personnel) [CC BY 3.0 (http://creativecommons.org/licenses/by/3.0)], via Wikimedia Commons]
De plus, aux échelles millimétriques, la tension superficielle n’est plus assez forte pour maintenir sphérique la forme de  la goutte. Comme le montre la Figure 4, la goutte se déforme sous l’effet des forces de pression induites par l’écoulement. Au-delà d’une taille de l’ordre de 5 mm (colonne de droite sur la Figure 4), des instabilités se développent et sont capables de rompre la goutte en reformant des gouttelettes d’environ 2 mm, ce qui permet au processus B, C, D, E de se renouveler, jusqu’à la chute de cette goutte.

2. Traînée turbulente

2.1. Le nombre de Reynolds

Lorsqu’un corps de taille assez grande se déplace dans un fluide aussi peu visqueux que l’air ou l’eau, l’écoulement  devient instable. Cette instabilité est à l’origine du mouvement erratique d’une feuille morte. A plus grande vitesse, un sillage de tourbillons désordonnés se forme à l’aval de l’objet, comme on peut le voir à l’arrière d’un bateau : c’est le sillage turbulent (voir le Focus Le sillage turbulent).

C’est au physicien et ingénieur Irlandais Osborne Reynolds [2] qu’est due la première caractérisation scientifique du concept de turbulence. Son nom est attribué à l’un des rapports les plus importants en mécanique des fluides, appelé nombre de Reynolds. Ce nombre, noté Re, est égal au rapport du temps d’action de la viscosité (que l’on peut estimer à d2, où ν est la viscosité cinématique [3]) au temps de transit du fluide près de l’obstacle (voisin de d/U). Son expression est donc Re = Ud/ν. La turbulence apparaît lorsque ce nombre de Reynolds dépasse une valeur critique, toujours très supérieure à l’unité, qui dépend de l’écoulement considéré.

Bien que la turbulence soit un phénomène très complexe, dont la modélisation reste problématique, le nombre de Reynolds a le grand mérite de fournir des règles de similitude entre des écoulements autour d’objets de formes géométriques identiques mais de différentes tailles, et avec des fluides de différentes viscosités. On peut par exemple prédire que dans un même fluide, le sillage d’un objet agrandi d’un facteur 10 deviendra turbulent pour une vitesse 10 fois plus petite. En pratique, les sillages d’objets assez grands, comme les ballons, les voitures ou les bateaux, sont toujours turbulents.

2.2. Le coefficient de traînée

Cette similitude de Reynolds permet notamment d’exprimer la traînée turbulente selon l’expression F = (1/2)CX S ρf U2, où CX est appelé coefficient de traînée. Cette force est proportionnelle à l’aire S de la section transverse maximale balayée par le corps, appelée aussi maître couple [4], ainsi qu’aux grandeurs déjà rencontrées ρf  et U. Le coefficient de trainée CX dépend de la forme de l’objet, mais aussi du nombre de Reynolds.

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Figure 5. Évolution du coefficient de traînée Cx en fonction du nombre de Reynolds pour un disque (courbe rouge) et pour une sphère lisse (courbe bleue). Le cas limite d’un écoulement laminaire, ainsi que le cas asymptotique d’un écoulement complètement turbulent, sont indiqués en pointillé. [Source : www.roymech.co.uk]
Pour une sphère dans un écoulement laminaire la formule de Stokes présentée plus haut  conduit ainsi à CX = 24/Re.  En revanche, aux grands nombres de Reynolds, CX tend vers une constante qui ne dépend que de la forme de l’objet, ce qui confère un grand intérêt à cette quantité. La Figure 5 montre les variations de CX  en fonction de Re pour un disque transverse et une sphère. La transition entre les régimes laminaire et turbulent apparaît entre les valeurs 100 et 1000 de Re et, lorsque Re devient très grand, CX tend vers une constante, différente pour les deux formes. La sphère étant la mieux profilée des deux : son CX est inférieur.

On peut comprendre ce comportement en estimant  l’énergie à dépenser pour mettre en mouvement la colonne de fluide que le corps balaye dans son mouvement [5]. Une mise en mouvement de toute la section balayée correspond ainsi à Cx ≃ 1, c’est le cas du disque transverse. Un objet mieux profilé écarte le fluide de façon moins violente, réduisant la section du sillage turbulent. Les voitures de série les plus performantes atteignent Cx ≃ 0,25. C’est en fait le produit CXS qui contrôle la traînée,  que l’on calcule alors facilement  en multipliant cette aire effective par la masse volumique du fluide et le carré de la vitesse.

2.3. Une puissance dissipée proportionnelle au cube de la vitesse

La présence d’une traînée impose une perte d’énergie, égale au travail de cette force. La puissance correspondante, ou énergie perdue par unité de temps, s’obtient en multipliant la traînée par la vitesse de déplacement. Puisque la force est proportionnelle à U2, la puissance consommée est proportionnelle à U3. Elle augmente donc considérablement avec la vitesse.

Cette puissance est convertie en énergie cinétique du fluide (celle de l’ensemble des fluctuations turbulentes) et finit par se dissiper en chaleur par l’action de la viscosité. L’élévation de température qui en résulte est en général imperceptible car la chaleur se dilue dans une grande masse de fluide. Cependant pour une météorite ou un vaisseau spatial entrant dans l’atmosphère à très grande vitesse,  l’échauffement devient tel qu’il peut porter la température externe de l’objet à des milliers de degrés et conduire à sa destruction.

2.4. Le rôle de la pression dynamique : traînée et portance

Tandis que la traînée d’un objet lent est contrôlée par la viscosité, celle d’un objet rapide est due principalement à la force de pression induite par l’écoulement, appelée pression dynamique. Comme nous l’avons vu, cette pression permet d’évacuer latéralement le fluide environnant de l’amont vers l’aval, pour que le corps en mouvement puisse prendre sa place. Cette différence de pression engendre une poussée globale sur le corps, qui s’oppose à son mouvement.

A grande vitesse l’effet de la viscosité devient négligeable, et  cette surpression au point d’arrêt peut être estimée  à ρfU2/2 en utilisant la relation de Bernouilli [6]. En multipliant cette surpression par l’aire  transverse S, on obtient la loi de traînée turbulente énoncée plus haut. En réalité, c’est l’aire transverse du sillage turbulent, de l’ordre de CxS plutôt que l’aire S de l’objet lui-même, qui contrôle la traînée.

Dans le cas d’un corps asymétrique, comme une aile d’avion ou une voile, une autre force de pression dynamique apparaît, perpendiculaire à la vitesse, que l’on appelle portance (lire l’article Poussée d’Archimède et portance). Elle s’ajoute à la traînée qui, elle, est alignée avec la vitesse et de sens opposé. Ces deux forces sont proportionnelles à la masse volumique du fluide et au carré de la vitesse, et leur rapport est donc constant. Comme nous le verrons plus loin celui-ci caractérise la capacité d’un avion à planer : c’est ce qu’on appelle sa finesse.

2.5. Quelques exemples de vitesse limite de chute libre

Dans le cas du brouillard et de la pluie, il est facile d’estimer le nombre de Reynolds, connaissant la viscosité cinématique de l’air, ν = 1,5 10-5 m2s-1.  Pour la gouttelette de brouillard, avec d = 20×10-6 m (ou 0,02 mm) et U = 10-2 m.s-1, on trouve Re ≃ 10-2, très clairement dans le régime laminaire. En revanche pour la goutte de diamètre d = 2 mm avec U = 100 m.s-1, on obtient Re = 13 000, dans le régime turbulent. Mais cette vitesse limite de chute est surestimée puisqu’elle ne tient pas compte de la friction turbulente. Le poids de la goutte est (1/6)πfd3 = 4 10-5 N, en l’égalisant avec la traînée turbulente basée sur CX = 0,5, on parvient à une vitesse de 6 m.s-1, ce qui donne Re ≃ 800, au début du régime turbulent.

Dans le cas d’un homme en chute libre, de masse M = 80 kg, soit un poids de 800 N, la traînée peut être estimée avec une section CXS = 1 m2, ce qui donne une vitesse de 50 m.s-1, soit 180 km/h. Il faut environ 5 s pour atteindre cette vitesse limite, ce qui représente une hauteur de chute (1/2)gt2 ≃ 125 m. La vitesse limite est ainsi rapidement atteinte. Le sauteur appuie alors son poids sur l’air et ne ressent plus d’accélération. Une fois le parachute déployé, la vitesse limite est fortement réduite en raison de sa grande aire transverse CX S qui augmente considérablement la traînée, d’un facteur 100 environ. La même traînée est ainsi obtenue pour une vitesse 10 fois plus faible (car proportionnelle à U2),  conduisant à une vitesse limite 10 fois plus faible, de l’ordre de 5 m.s-1.

2.6. L’importance de la densité du fluide

Nous avons vu que la traînée turbulente est proportionnelle à la masse volumique du fluide. A une altitude de 34 000 m, la masse volumique ρf de l’air est 100 fois plus faible que près du sol ; la même traînée est alors obtenue pour une vitesse 10 fois plus grande.  La vitesse limite de chute, pour laquelle la traînée équilibre le poids, est donc 10 fois plus grande, soit 500 m.s-1. Lors de son saut en chute libre de 2012, depuis l’altitude 39 000 m, le parachutiste Félix Baumgartner a en effet approché cette vitesse [7] , atteignant 372 m.s-1 (1 340 km/h), après 45 s de chute, à une altitude voisine de 30 000 m.

A l’opposé, la traînée est beaucoup plus grande dans l’eau, 800 fois plus dense que l’air à basse altitude, ce qui explique qu’un objet solide tombe beaucoup plus lentement que dans l’air (la poussée d’Archimède ralentit aussi la chute, et l’annule même pour un objet qui flotte, mais elle joue un rôle plus limité que la traînée pour un objet dense tel qu’une pierre).

Cet effet de la masse volumique explique aussi qu’un cycliste puisse atteindre une vitesse de 40 km/h, alors que les bons nageurs dépassent rarement 4 km/h. Ce facteur 10 en vitesse se traduit par un facteur 1 000 en puissance dépensée (nous avons vu qu’elle augmente comme U3).  Ce facteur est à peu près compensé par le rapport des densités entre l’air et l’eau, si bien que la puissance dépensée est à peu près la même dans les deux cas.

3. La traînée gravitaire à la surface de l’eau

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Figure 6. Production des vagues par l’étrave du navire. Son profil est dessiné dans le but de minimiser la traînée gravitaire et l’énergie communiquée aux vagues.

Un autre effet vient freiner la nage ou la marche des navires, c’est la trainée d’onde, ou trainée gravitaire. La pression à la pointe de l’étrave exerce en effet une double action. Comme nous l’avons vu, elle écarte sur les côtés l’eau située à l’amont dont le navire va prendre la place. Mais une grande partie de cette eau est aussi soulevée au-dessus de la surface libre par l’étrave et retombe de part et d’autre du navire. L’énergie potentielle acquise lors du soulèvement (Figure 6) se transforme en énergie cinétique pendant sa chute, laquelle se prolonge au-dessous de la surface d’équilibre de l’eau. Ensuite, comme un pendule, cette eau oscille, montant et descendant, tout en s’écartant du navire. Ainsi sont engendrées les vagues que l’on voit sur les côtés des navires  aussi bien que sur ceux d’un cygne en mouvement lent sur l’eau calme d’un lac (Figure 7). Cette traînée gravitaire transfère aux vagues une partie de l’énergie consommée par le navire. Elle est contrôlée par la gravité.

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Figure 7. L’eau soulevée par le col du cygne retombe en s’écartant et en oscillant, à l’intérieur d’un dièdre de demi-angle au sommet α, tel que tan α = c/U, où c désigne la célérité des vagues et U la vitesse du cygne.

Nous avons vu que les traînées visqueuse et turbulente dépendent du nombre de Reynolds (Figure 5). La traînée gravitaire est quant à elle contrôlée par un autre paramètre, appelé nombre de Froude [8], qui s’exprime comme Fr = U /(gl)1/2 l est la longueur de l’objet en mouvement. L’expérience montre que cette traînée augmente considérablement lorsque le nombre de Froude approche  de l’unité. La longueur d’onde des vagues produites (distance entre deux crêtes successives) est alors proche de la longueur du bateau [9]. Celui-ci dépense une énergie considérable pour monter sur sa propre vague, au lieu de simplement soulever l’eau du voisinage.

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Figure 8. Sillage d’un bateau proche de la limite de Froude, pour laquelle la longueur d’onde des vagues est comparable à la longueur du bateau. [Source : By Edmont (Own work) [CC BY-SA 3.0 (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0) or GFDL (http://www.gnu.org/copyleft/fdl.html)], via Wikimedia Commons)]
La Figure 8 illustre cette situation nettement différente de celle de la Figure 7. Dépasser cette limite Fr = 1 devient  quasi-impossible pour un bateau de conception classique. Seul un bateau plus long pourra être plus rapide. Ce n’est qu’en utilisant la portance, par une coque adaptée (comme une planche à voile) ou des ailerons latéraux (foils), que l’on peut dépasser cette limite (lire l’article Poussée d’Archimède et portance).

4. Comment combattre la traînée ?

Aussi petite soit-elle, la traînée freine le mouvement. Celui-ci ne peut donc être entretenu que si une force motrice la compense. S’il existe une différence entre la force motrice et la traînée, le corps accélère ou ralentit, suivant que cette différence est positive ou négative. Ainsi dans le cas de la chute libre discuté plus haut, la gravité accélère le corps jusqu’à ce que la traînée  compense exactement le poids.

Tout mouvement horizontal est quant à lui régulièrement ralenti par la traînée en l’absence de force motrice. La vitesse horizontale des balles et ballons diminue ainsi le long de leur trajectoire. Leur valeur maximale est imposée par le choc initial (environ 260 km/h pour une balle de tennis ou un ballon de football) et la longueur de la trajectoire dépend alors  de la traînée. Ainsi, pour une balle de golf, le record de vitesse obtenu par le champion du monde Jason Zuback est de 320 km/h ; la longueur totale de la trajectoire fut alors de 400 m. Elle aurait pu atteindre le double en l’absence de traînée, pour un mouvement purement balistique soumis à la seule pesanteur.

4.1. Le coût énergétique de la vitesse

Un cycliste, même sur une route horizontale et sans vent contraire, doit ainsi pédaler pour vaincre la résistance à son avancement. L‘aire transverse de son sillage CXS est comprise entre 0,2 et 0,4 m2 selon sa position sur le vélo, plus ou moins redressée [10]. Ainsi pour une vitesse de 15 m/s (54 km/h), la traînée sera entre 27 et 54 N, et la puissance à fournir par le cycliste pour la combattre (obtenue en multipliant cette force par la vitesse) est de 400 à 800 W. Il faut ajouter à cela la puissance dépensée pour lutter contre les frottements mécaniques de sa machine, à peu près indépendants de la vitesse. Seuls des champions exceptionnels peuvent maintenir une puissance [11] de 400 W au-delà de quelques minutes (en comparaison la puissance moyenne fournie par un cheval est estimée à 735 W, valeur du cheval-vapeur). Ceci explique que le record de l’heure cycliste soit justement de 54 km (Bradley Wiggins en 2015). Limiter sa vitesse à 12 m/s (43 km/h) nécessite une puissance moitié, plus accessible.

Pour une voiture de série bien profilée, le produit CXS atteint une valeur d’environ 0,6 m2. A une vitesse de 28 m.s-1 (100 km/h), cela conduit à une traînée de 280 N, soit une puissance dépensée de 8 kW pour vaincre la seule traînée aérodynamique. Ceci demeure modeste pour  une voiture moyenne, de puissance typique 50 kW. En revanche, atteindre 200 km/h nécessite de combattre une traînée 4 fois plus forte. L’énergie à dépenser pour un parcours donné, égale au produit de la force par le déplacement, est donc 4 fois plus grande. Puisque le déplacement se fait alors deux fois plus vite, la puissance nécessaire (soit l’énergie dépensée par unité de temps), est 8 fois plus grande, soit 64 kW au lieu de 8 kW pour compenser la seule traînée aérodynamique. Ceci n’est accessible qu’aux voitures de forte puissance.

4.2. Différents modes de propulsion

Le rameur de l’image de couverture, tout en repoussant l’eau vers l’arrière avec ses pagaies, lâche des tourbillons dont la trace sur la surface libre est clairement visible. Ici, c’est une force de traînée qui s’exerce sur les rames et pousse le bateau vers l’avant. Il en est de même sur les pédalos et les anciens bateaux à roue.

Dans le cas d’un avion, ce sont les hélices ou les réacteurs qui fournissent la force de propulsion. Chaque pale d’hélice est profilée comme une aile d’avion et est donc soumise à une portance dirigée perpendiculairement à sa vitesse de rotation. Elle est dessinée avec une torsion supplémentaire de façon à orienter vers l’avant, de façon efficace, la poussée de l’hélice. Dans le cas des réacteurs, c’est un grand nombre d’hélices logées dans un carénage qui permet d’optimiser leur fonctionnement.

Dans le cas des oiseaux en vol battu, c’est l’effort de leurs muscles qui engendre un battement d’ailes et fournit à la fois la portance et la propulsion recherchées, grâce au lâcher d’un tourbillon à chaque battement ( Lire l’article Poussée d’Archimède et portance). Les battements de pieds des nageurs, avec ou sans palmes, lâchent aussi des tourbillons dans leur sillage ; c’est ce mécanisme qui explique leur propulsion. C’est encore une forme de portance perpendiculaire au mouvement des palmes ou des ailes en battement.

4.3. Le vol plané

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Figure 9. Vol plané d’un aigle pêcheur au-dessus du lac Baringo, Kenya. [Source : Jacques Joyard]
Le cas du planeur est plus original : le pilote avisé recherche des courants ascendants, comme ceux des vents thermiques, vers lesquels il guide son appareil pour le faire remonter dans les airs. Dans ce cas, la traînée, dirigée dans le sens du vent, peut avoir une composante vers le haut, qui s’ajoute à la portance et participe ainsi à l’ascension du planeur. Les oiseaux planeurs, comme les oiseaux marins et les rapaces (Figure 9), utilisent largement ces méthodes pour minimiser leurs efforts.

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Figure 10. Composition des forces en vol plané dans un air au repos. Le poids Mg se projette en une composante perpendiculaire à la trajectoire, Mg cosα, équilibrée par la portance, et en une composante motrice le long de la trajectoire, Mg sinα, équilibrée par la traînée. Ainsi la pente de descente tanα est le rapport de la traînée à la portance, l’inverse de la finesse.

Comme nous l’avons vu la portance et la traînée sont proportionnelles au carré de la vitesse, et leur rapport, appelé la finesse, représente aussi l’inverse de la pente de descente dans un air au repos, comme le montre la Figure 10. C’est alors la composante du poids Mg projetée le long de la trajectoire qui pousse le planeur, tandis que sa composante transverse est compensée par la portance, comme si le planeur descendait sur un plan incliné. L’oiseau planeur le plus performant, l’albatros, possède une finesse de 20, performance approchée par les avions de lignes comme l’Airbus A320, avec une finesse de 17. Les  planeurs modernes font mieux, avec une finesse d’environ 50. Dans un air au repos, un tel planeur peut ainsi parcourir une distance horizontale de 100 km pour une perte d’altitude de seulement 2 000 m.

La vitesse d’un objet volant est ainsi imposée par la contrainte que la portance doit équilibrer le poids, avec toutefois une plage de réglage possible par l’angle d’incidence par rapport à la trajectoire. Un planeur léger et de grande envergure peut voler lentement et profiter de vents ascendants  pour s’élever. En revanche, pour aller plus vite un avion devra être conçu avec une moindre envergure, au prix d’une consommation d’énergie plus grande. Une autre stratégie consiste à voler plus haut : à une altitude de 10 000 m, la masse volumique de l’air est trois fois plus faible qu’au sol, de sorte que les mêmes forces de trainée et de portance, proportionnelles au carré de la vitesse, sont atteintes pour une vitesse multipliée par √3 ≃ 1,73.

5. Vers plus d’efficacité

5.1. S’inspirer des animaux

L’observation du monde animal montre des exemples  remarquables d’adaptation au vol ou à la nage, pour minimiser la traînée. Certains dauphins sont ainsi capables de maintenir une vitesse de 30  km/h, si bien que l’on a longtemps cherché des mécanismes mystérieux de suppression de la turbulence par la souplesse de leur peau. Mais les recherches plus récentes montrent que c’est essentiellement la forme optimale de leur corps, et leur puissance musculaire exceptionnelle [12] qui leur octroient ces impressionnantes capacités.

Quant aux oiseaux, ils savent fort bien réduire leur traînée en escamotant leurs pattes dans leur plumage et en s’allongeant au maximum dans la direction de leur trajectoire. Le majestueux vol plané de l’aigle pêcheur (Figure 9) illustre bien comment ces oiseaux ont développé leur savoir faire et leur anatomie pour minimiser leurs efforts.

5.2. Maîtriser la turbulence

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Figure 11. Dans une soufflerie, utilisation d’un gaz opaque pour visualiser l’influence de la forme de l’automobile sur l’écoulement et pour tester les possibilités de réduction du coefficient de trainée CX. [Source : By Ford Motor Company from USA (Flex Aerodynamics) [CC BY 2.0 (http://creativecommons.org/licenses/by/2.0) or CC BY 2.0 (http://creativecommons.org/licenses/by/2.0)], via Wikimedia Commons]
Si l’imitation de la nature reste une excellente source d’inspiration pour nos moyens de transport, les progrès scientifiques et techniques permettent de faire mieux. Pour minimiser la traînée et donc la quantité de carburant consommé, les constructeurs d’automobiles et d’avions emploient des moyens importants, aussi bien des simulations numériques de haute performance que des expériences en soufflerie. Celles-ci permettent d’optimiser le profil aérodynamique du véhicule et de tester l’influence de chaque détail, en visualisant l’écoulement grâce à des marqueurs comme la fumée utilisée sur la Figure 11.

Puisque la turbulence est un facteur essentiel contrôlant la traînée, des recherches approfondies sont effectuées, en vue de réduire ses effets. On peut utiliser pour cela des éléments passifs comme des rugosités ou des rayures, ou bien des éléments actifs visant à empêcher la croissance des perturbations turbulentes. Le développement de ces dispositifs se heurte cependant à des contraintes pratiques et économiques. Dans le cas des avions, une solution connue pour limiter la traînée consiste à faire recoller les filets d’air à l’arrière des ailes et du fuselage en les aspirant par une multitude de petits orifices ; mais elle n’est pas mise en œuvre en raison de problèmes d’entretien liés à l’obturation des trous. Dans les liquides, il est possible de réduire la traînée turbulente de façon remarquable grâce à l’ajout de polymères, même en concentration infime. Mais ceci est bien sûr limité à des applications industrielles en milieu clos, par exemple pour des pipelines.

Dans le cas des bateaux de course, l’utilisation de la portance des foils a permis des progrès spectaculaires en s’affranchissant de la trainée gravitaire. L’application à des navires de transport est beaucoup plus problématique. La recherche de la vitesse représente toujours un coût important en énergie, difficilement compensable par les gains d’efficacité.


Références et notes

Image de couverture : La traînée subie par le canoë doit être compensée par l’effort du rameur. L’équilibre de ces forces détermine la vitesse du canoë [Source : pixabay].

[1] George Gabriel Stokes, physicien irlandais à l’origine de la formulation moderne des effets de viscosité (1819-1903).

[2] Osborne Reynolds, (18421912) était est un ingénieur et physicien irlandais à qui sont dues d’importantes contributions à la dynamique des fluides, notamment la mise en évidence des instabilités hydrodynamiques à l’aide d’un filet d’encre (Proc. Roy. Soc. London, 35, 84-99, Jan. 1883), dans une  expérience est encore citée de nos jours.

[3] La viscosité dynamique d’un fluide, souvent notée μ, est pertinente pour évaluer la force de frottement visqueux. Elle se compte en kg.m-1.s-1, unité parfois appelée  poiseuille, en hommage au médecin et physicien français du 19e siècle Jean-Louis Marie Poiseuille. Dans l’étude des effets de la viscosité sur l’écoulement, il est souvent préférable d’utiliser la viscosité cinématique du fluide ν=µ/ρf , rapport entre sa viscosité dynamique et sa masse volumique (lire l’article Diffusion et propagation dans l’air au repos). Celle-ci se compte en m2s-1.

[4] En toute rigueur, le mot « couple » désigne la section droite d’une carène, le « maître couple » étant la section la plus grande de toutes. C’est donc un mot du vocabulaire marin que nous empruntons ici pour désigner la grandeur équivalente à propos de tout corps ou véhicule mobile dans un fluide.

[5] En un temps dt, il balaie en effet un cylindre de longueur Udt et de section S, donc une masse ρfSUdt. Communiquer la vitesse U à cette masse nécessite l’apport d’une énergie cinétique  ½  ρfSU3dt, qui doit être le travail de la force de friction FUdt. Ceci conduit à la formule de la force de traînée avec Cx=1.

[6] Daniel Bernoulli (1700-1782), médecin, physicien, mathématicien et philosophe suisse, professeur à l’université de Bâle, s’est notamment intéressé à l’étude de l’écoulement des fluides. Le théorème de Bernoulli, publié en 1738 dans l’ouvrage Hydrodynamica, joue un rôle fondamental en mécanique des fluides. Il impose que p+ρfu2/2= p0 le long d’une ligne de courant, où p la pression locale et p0 sa valeur au point d’arrêt amont où la vitesse s’annule (on se place dans le repère lié au corps).

[7] Il a alors dépassé la vitesse du son, ce qui apporte une force de freinage supplémentaire : l’énergie de la chute n’est plus seulement utilisée pour écarter l’air autour du corps, mais pour le comprimer et émettre une onde de choc, onde sonore de forte amplitude, le fameux mur du son. Cette traînée d’onde est aussi bien connue  pour les bateaux, mais cette fois par l’émission de vagues, régie par la gravité.

[8] Ce nombre est ainsi nommé  en hommage à William Froude (18101879 ), ingénieur et  architecte naval britannique qui fut à l’origine des premières études scientifiques de la traînée gravitaire.

[9] Le nombre de Froude représente physiquement le rapport entre la vitesse U du bateau et la vitesse de propagation des vagues en eau profonde,  laquelle dépend de leur longueur d’onde l par c=(gl)1/2 . Les vagues du sillage suivent le bateau dans sa marche, et pour cela doivent se propager à la même vitesse que lui. La relation c≃U  conduit alors à une première estimation de la longueur d’onde du sillage, et celle-ci atteint la longueur du bateau lorsque le nombre de Froude est égal à 1.

[10] Voir http://sportech.online.fr/sptc_idx.php?pge=spfr_xfd.html

[11] Cette puissance mécanique fournie correspond à une puissance totale consommée par le corps d’environ 1,9 kW, le rendement étant d’environ 21%, cf http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/sports/article/puissance-et-performance-en-159520. Cette puissance consommée est  liée à la quantité d’oxygène captée par la respiration.

[12] F.E. Fisch et G.V. Lauder, 2006, Ann. Rev. Fluid Mech. , https://www.yumpu.com/en/document/view/46389631/passive-and-active-flow-control-by-swimming-fishes-and-mammals.


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Pour citer cet article : MOREAU René, SOMMERIA Joël (8 février 2021), Traînée subie par les corps en mouvement, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 19 avril 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/physique/trainee-corps-en-mouvement/.

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