Tsunamis : les connaître pour mieux les prévoir

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Très connus dans le Pacifique depuis des siècles, les tsunamis [1] ont été révélés mondialement à la suite des tsunamis catastrophiques de 2004 (Sumatra) et 2011 (Japon). En dehors du Pacifique, et au cours de l’histoire, des événements similaires sont également bien connus. Ainsi en 1755, le tsunami de Lisbonne a provoqué des dégâts majeurs dans de nombreux pays européens (principalement Portugal, Espagne, mais aussi Irlande, Grande Bretagne..), africains (Maroc), ainsi qu’aux Antilles. Plus récemment, les tsunamis en 2018 à Palu ou au Krakatau (Indonésie) remettent au premier plan ces phénomènes, et amènent aux questions récurrentes : a-t-on progressé sur la compréhension des tsunamis, pour mieux les prévenir, voire pour envisager leur prévision ? Quelle que soit leur origine (séisme majeur ou effondrement gravitaire), les effets côtiers des tsunamis se traduisent par des inondations à plusieurs kilomètres à l’intérieur des terres, des altitudes atteintes de plusieurs mètres à dizaines de mètres, des courants forts dans les ports, entraînant souvent des destructions considérables. Certains tsunamis peuvent être prévus/prévenus par un système d’alerte.

1. Qu’est-ce qu’un tsunami ?

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Figure 1. Déclenchement d’un tsunami par un séisme sous-marin, ici sur une coupe de zone de subduction. Au moment de la rupture la croûte près de la fosse se soulève alors que vers la côte, elle s’affaisse, comme montré par les flèches bleues. [Source : auteur]
Provoquant des dégâts considérables à la côte, sur des zones très vulnérables de par leurs activités humaines, économiques et touristiques, les tsunamis de 2004 et 2011 ont été très médiatisés. Ils ont également favorisé un renouveau scientifique visant à mieux comprendre et prévenir ces phénomènes. La cause des tsunamis est liée aux grands processus géologiques que sont les séismes, les volcans, les instabilités gravitaires. Leurs dommages sont aujourd’hui d’autant plus accentués que la vulnérabilité côtière croît très rapidement.

Tout mouvement déformant la surface de la croûte terrestre, et capable d’affecter les couches d’eau environnantes (océan, mer, fjord, baie, lac..), en y induisant un mouvement vertical, est susceptible de déclencher un tsunami. Le retour à l’équilibre de la couche d’eau par le jeu des forces de gravité induit la formation, puis la propagation d’un train d’ondes de gravité. Par un phénomène d’amplification en arrivant à la côte, le tsunami peut affecter toutes les côtes de bassins maritimes ou océaniques.

1.1. Déclenchement par un séisme

Les zones de subduction océanique, lieu où s’enfonce une plaque océanique sous une autre plaque tectonique, et qui sont associées aux chaînes volcaniques les plus actives (exemple, Indonésie, Antilles, Japon, Chili, Pérou..), produisent des mouvements dits de convergence. Elles donnent les plus grands séismes connus (p. ex : 365 en Grèce, 1843 aux Antilles, 1957 aux Aléoutiennes, 1960 au Chili..), généralement déclencheurs de tsunamis, entre cinq et dix fois par siècle.

Les tsunamis des 2004 et 2011 ont ainsi été déclenchés par de tels séismes de subduction dont la magnitude [2] dépassait 9. Le relâchement rapide, en quelques minutes, des contraintes élastiques accumulées pendant des dizaines d’années, voire des siècles, au cours de la subduction (Figure 1) génère un mouvement vertical de la couche d’eau, et initie le tsunami.

Le déplacement de la couche d’eau sus-jacente a une amplitude de l’ordre de un à plusieurs mètres en dimension verticale. Elle s’étend sur des dimensions horizontales de quelques dizaines à centaines de kilomètres dans le sens de la subduction, jusqu’à parfois mille kilomètres et plus le long de la fosse. Cette dernière longueur est généralement corrélée à la magnitude, avec des ordres de grandeur de 50 km (magnitude ~ 7,5), 200 km (magnitude ~ 8), 500 km (magnitude ~ 8,5) à 1000 km et plus (magnitude ~ 9).

Des séismes sous-marins hors contexte de subduction produisent également des tsunamis, dès lors que la déformation verticale impliquée est significative :

  • par exemple, le 21 mai 2003, un séisme de magnitude 6,8 s’est produit au large de l’Algérie, dans la région de Boumerdès. Cette région de convergence tectonique active produit régulièrement des séismes côtiers et/ou sous-marins importants [3] ; les plans de faille [4] en jeu, assez raides, favorisent des déformations verticales suffisantes dès les magnitudes 6,0 environ ;
  • de même, le séisme de novembre 2004 aux Saintes (Antilles), de magnitude 6,3, a impliqué une faille en extension, ou en ouverture (faille dite normale) suffisamment raide pour produire de la déformation verticale plus tsunamigénique ;
  • enfin, les séismes impliquant des mouvements horizontaux majoritaires (faille décrochante), avec peu de déformation verticale, induisent cependant parfois un tsunami. Celui-ci est en effet accentué par les mouvements horizontaux de reliefs sous-marins raides près des côtes, et/ou par des avalanches rocheuses sous-marines déclenchées par les secousses sismiques (p. ex. à Izmit, Turquie, en août 1999, à Haïti en janvier 2010, à Palu en septembre 2018) [5].

1.2. Déclenchement par une source gravitaire

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Figure 2. Déclenchement d’un tsunami par un effondrement gravitaire. Le volume se déplaçant dans le sens de la pente crée une dépression à la surface de l’eau et un creux en arrière, vers le haut de la pente. [Source : auteur]
Pour un effondrement gravitaire, ou avalanche rocheuse (Figure 2), le volume est de quelques dizaines à centaines de milliers de mètres cube, voire plusieurs kilomètres cube à l’extrême. Ces effondrements s’écoulent en quelques minutes à dizaines de minutes suivant la configuration et les matériaux mis en jeu. Les dimensions en jeu sont moins étendues horizontalement, généralement de l’ordre de quelques centaines de mètres à quelques kilomètres. En revanche, la déformation verticale induite est généralement de l’ordre du mètre à plusieurs dizaines de mètres.

Les tsunamis provoqués par les effondrements volcaniques ont été très marquants dans l’histoire, comme lors de l’éruption du Santorin en Grèce (vers 1600 av. JC), lors de l’explosion du volcan Krakatoa (Indonésie) en 1883 (plus de 30 m de tsunami dans le détroit de la Sonde), et lors de l’explosion de la montagne Pelée (Martinique, 1902) [6]

Les avalanches rocheuses, complètement ou partiellement sous-marines, ont également produit des événements remarquables, comme en mer du Nord (Storegga, il y a environ 8000 ans), dans le lac de Genève en 563, à l’aéroport de Nice en 1979. Les très nombreux exemples montrent aussi l’occurrence de tels tsunamis d’origine gravitaire suite à des secousses sismiques fortes, comme en 1958 dans la baie de Lituya (Alaska). Les déstabilisations rocheuses se produisent aujourd’hui plus fréquemment suite au réchauffement climatique, comme au Groenland (en 2000, 2017) [7].

1.3. Physique de la propagation

L’excitation due à une modification soudaine du fond de la mer provoque des soulèvements et affaissements du plan d’eau, ce qui engendre la propagation d’ondes de gravité dans toutes les directions.

Plusieurs situations peuvent être distinguées suivant le type de source :

– Dans le cas des séismes, les longueurs d’ondes λ sont généralement bien supérieures à la profondeur de la couche d’eau, qui est de quelques centaines à quelques milliers de mètres. Cette approximation dite en « eau peu profonde », ou « couche mince », permet d’exprimer la vitesse de propagation au premier ordre simplement comme √gh , où g est la constante de gravité, et h la profondeur d’eau (voir valeurs sur Figure 3).

La simplicité de cette expression de la vitesse permet de calculer, quelques secondes après un séisme sous-marin, les heures des premières arrivées du tsunami.

Une source de type sismique impose des oscillations (ou périodes) du plan d’eau toutes les 10 à 60 min environ, selon l’extension de la source et la profondeur d’eau sus-jacente. Ces périodes restent dominantes au premier ordre lors de la propagation du train d’ondes.

– Pour les effondrements gravitaires, les longueurs d’onde sont plus courtes par rapport à l’épaisseur de la couche d’eau, et les oscillations (périodes) sont plus rapprochées les unes des autres (entre 1 à 10 min environ). Dans ce cas la vitesse de propagation dépend aussi de la longueur d’onde : les ondes plus courtes se propagent plus lentement que les ondes plus longues. L’étalement des différentes longueurs d’onde conduit à une atténuation plus marquée des amplitudes : très élevées à la source, elles diminuent rapidement avec la distance.

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Figure 3. Ordre de grandeur des vitesses de propagation et longueurs d’onde d’un tsunami. Le schéma montre en particulier comment l’amplification est marquée à la côte du fait de la diminution de vitesse d’un facteur 10 à 20. La période du tsunami est définie au départ par les caractéristiques de la source (dimensions, profondeur d’eau sus-jacente). Elle reste similaire au premier ordre lors de la propagation. [Source : auteur]
En pratique, la complexité de la source du tsunami (géométrie 3D de la faille ou de l’effondrement, dynamique de la rupture), donne un spectre composé de multiples longueurs d’onde, et la dispersion fréquentielle est observée quasi systématiquement. Certaines périodes dans ce spectre complexe peuvent être sur-amplifiées dans les sites côtiers, donnant lieu à des phénomènes de résonance.

Le tsunami a donc une cause géologique. Cependant il existe aussi des tsunamis d’origine atmosphérique. C’est le cas lorsqu’un gradient de pression significatif, assez étendu spatialement et associé à des perturbations météorologiques, se déplace à la surface de l’eau à une vitesse proche de la vitesse de propagation des ondes à faible profondeur (inférieure à 200 m). Une résonance (dite de Proudman) peut alors engendrer la propagation d’un train d’ondes de type tsunami, que l’on appelle météotsunami, dont les périodes de 5 à 15 minutes sont similaires à celles d’un tsunami. Ces phénomènes sont fréquemment observés dans des régions où le fond marin est peu profond (mer Adriatique, les rissaga des Baléares, mer du Japon..). Leurs effets peuvent être destructeurs.

D’une façon générale, un tsunami est donc constitué d’un train d’ondes, plus ou moins grandes par rapport à la profondeur de la couche d’eau. A proximité de la source son amplitude peut être de quelques mètres, mais l’atténuation lors de la propagation conduit à des amplitudes au large à quelques centimètres à dizaines de centimètres. Puis à l’approche de la côte (Figure 3) l’influence de la remontée du fond devient considérable. Une pente raide a tendance à réfléchir les vagues. En revanche un fond peu incliné freine les vagues d’un facteur 5 à 20, et donc resserre le train d’ondes. Ceci a pour conséquence d’augmenter d’autant l’amplitude des vagues : le tsunami est amplifié à la côte, où il envahit alors potentiellement le rivage.

1.4. Effets à la côte

L’impact du tsunami à la côte se traduit par une succession de flux et reflux de la mer, d’amplitude variable au cours du temps. Ces mouvements de la mer peuvent conduire successivement à des inondations du rivage et à des découvertes de l’estran, au-delà des niveaux usuels de marée basse dans le cas des tsunamis majeurs. Des phénomènes similaires aux mascarets dans les rivières ou canaux sont fréquemment observés suite à la montée des eaux. D’autre part, quoique non systématique, l’arrivée d’un tsunami peut démarrer par un reflux de l’eau initialement au repos, ce qui est un signal d’alerte majeur, d’autant plus marquant dans des zones à faible marée, et surtout si une secousse a été ressentie.

Les périodes atteignent, suivant les cas, quelques minutes à parfois 60 minutes environ, et le phénomène à la côte dure pendant plusieurs heures. Généralement les vagues les plus hautes sont observées pendant les deux premières heures, mais il arrive que des arrivées tardives, plusieurs heures après, produisent à nouveau des effets significatifs, et le retour à l’état initial intervient généralement au moins 24 h après la première arrivée.

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Figure 4. (a) arrivée du tsunami de 2011 dans la baie de Miyako, et débordement du mur de protection (source : Flickr) (b) immeuble de trois étages renversé par le tsunami à Onagawa (source : International Tsunami Information Center ) (c) Impact du tsunami de 2011 dans la baie de Taipivai à Nuku-Hiva aux îles Marquises (Polynésie Française), le tsunami a élargi le lit de la rivière en creusant les berges jusqu’à une hauteur d’environ 3 m. [Source : © CEA]
Ces observations côtières des tsunamis ont des dénominations particulières dans plusieurs langues : le tsunami japonais (littéralement : vague dans le port) est ainsi le même phénomène que le maremoto en italien ou espagnol, tremblement de mer, ou que le tai toko (grande vague) aux Marquises. En français, le terme raz-de-marée est souvent avancé comme décrivant un tsunami, mais il se réfère à une inondation exceptionnelle d’origine météorologique, dite aussi surcote, et ne présente pas de retrait précurseur (physiquement, un tsunami pourrait être vu comme une succession de plusieurs raz de marée, généralement complétés par des retraits significatifs).

Les phénomènes côtiers se traduisent par des effets hydrauliques complexes. Même sans inondation, dans des cas relativement modérés, des tsunamis d’amplitude inférieure à 1 m créent des surcotes et des courants forts dans les ports ou les baies, avec parfois des tourbillons au bout des digues, autant de perturbations potentielles pour la navigation et pour les infrastructures portuaires. A terre, pour les tsunamis produisant des inondations, on peut retenir que des vagues de hauteur aussi faible que 50 cm au-dessus du sol peuvent détruire des installations, et sont capables de déplacer des véhicules légers et de déstabiliser des personnes debout. De nombreux débris sont potentiellement charriés, et le pouvoir destructeur s’accroît au fur et à mesure. Les tsunamis extrêmes détruisent pratiquement toutes les constructions, parfois jusqu’à plusieurs kilomètres à l’intérieur des terres.

La Figure 4 montre comment le plan d’eau de la baie de Miyako (préfecture d’Iwate, Japon) est en crue au moment de l’arrivée du tsunami de 2011, 30 à 40 minutes après le séisme : le tsunami n’est pas une vague isolée, mais une montée du niveau d’eau pendant plusieurs minutes, capable de déborder et de détruire les murs et digues de protection. La puissance des crues et décrues (flux et reflux) de la mer provoque de nombreuses destructions, et est capable de renverser les constructions mal ancrées dans le sol (Figure 4, droite).

2. Comment observer et étudier un tsunami

2.1. Mesures du niveau de la mer, du large vers la côte

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Figure 5. Mesure d’un tsunami via une bouée DART, située à 1h30 de propagation de l’épicentre du séisme de 2011 (emplacement de la bouée sur la croix rouge dans l’insert). La première vague de ce tsunami exceptionnel a atteint 1 m d’amplitude sur ce site, et l’enregistrement montre la série temporelle des ondulations qui suivent, d’amplitude moyenne de 5 à 10 cm, ici pendant environ 15 h [Source : Wikipedia, GNU Free License]
Au large, les amplitudes et longueurs d’onde des tsunamis les rendent imperceptibles par les bateaux. Ce n’est que depuis la fin du XXe siècle que des instruments ont su les mesurer, via la variation de la pression hydrostatique due au passage de l’onde. Depuis les années 1990, des capteurs de pression sont déployés au fond des océans, transmettant les données par voie acoustique vers une bouée de surface, transmettant elle-même les données à distance par satellite (voir aussi Focus 1) (Figure 5).

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Figure 6. Exemple de l’enregistrement d’un tsunami, le 02 mai 2020 en Crète (site de Lerapetra), consécutif à un séisme de magnitude 6,6. De haut en bas : valeurs des périodes dominantes au cours de 24 h, montrant une période dominante de 10 min (en rouge) pouvant correspondre à une résonance locale pendant environ 6 heures, marégramme filtré de la marée, marégramme brut. Trait vert : temps origine du séisme (OT). Trait rouge : temps théorique de la 1ère arrivée du tsunami (ETA) [Source : © CEA]
A la côte, ce sont les marégraphes qui mesurent l’évolution temporelle du niveau de la mer enregistrée dans les ports (Focus 1), incluant le passage des tsunamis. Ce type d’enregistrement montre les paquets d’ondes successifs des tsunamis, ainsi que l’agitation de la baie entretenue sur une durée de 20 h et plus. Les effets de résonance propres à la baie [8], sont similaires à ceux qui se produisent lors des effets de site dus aux séismes, par exemple dans les vallées sédimentaires. Certaines baies sont plus amplificatrices que d’autres, suivant leurs géométries et leurs profondeurs moyennes. Les données disponibles et de bonne qualité permettent de mesurer les amplitudes et périodes dominantes du signal au cours du temps (Figure 6).

La marégraphie portuaire a été significativement modernisée depuis le tsunami de 2004, qui a conduit au déploiement de systèmes d’alerte nécessitant ce type de mesures correctement échantillonnées pour suivre la propagation des tsunamis. Disposer d’instruments correctement spécifiés pour les mesures des tsunamis reste encore un besoin dans certaines régions, et notamment pour tous les événements de courte période (sources gravitaires).

2.2. Mesures complémentaires

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Figure 7. Mesures sur le terrain de l’impact d’un tsunami à la côte. [Source : auteur]
Tous les ports et baies ne sont pas équipés de marégraphes et les tsunamis doivent aussi être caractérisés, après leur passage. Des missions de terrain vont rapidement mesurer les traces laissées, et évaluent les hauteurs du tsunami lors de l’inondation, ainsi que l’altitude maximum atteinte (dite run-up), la longueur horizontale maximale de l’inondation (Figure 7). Ces mesures donnent peu d’indications sur la forme d’ondes du tsunami. Mais elles sont aujourd’hui fréquemment complétées par des analyses numériques des vidéos des témoins, qui permettent de reconstruire des marégrammes équivalents, ou donnent accès à l’étendue du retrait initial de la mer.

D’autres mesures physiques apportent des informations : capteurs GPS déployés sur des bouées, données satellitaires, analyse du contenu électronique total de l’ionosphère [9] (voir Focus 1).

3. Se préparer à un tsunami

3.1. Catalogues et statistiques

tsunamis monde - carte tsunamis monde
Figure 8. Sources de tsunamis avérés de -2000 à 2011 selon la base américaine de données mondiales de la National Ocean and Atmosphere Administration (NOAA) [Source : [10]]
Selon les régions, les catalogues historiques sont très hétérogènes, et généralement avant la moitié du XXème siècle, seuls les tsunamis extrêmes sont répertoriés. Il est possible de les corréler aux catalogues de sismicité, ce qui confirme que les sources des tsunamis connus sont majoritairement situées sur les grandes zones actives, notamment sur les zones de subduction (Figure 8). Les territoires français sont tous concernés, soit directement sur des zones de subduction (Antilles), soit plus à distance, exposées à des amplifications de tsunamis après propagation.

L’océan Pacifique est la région où se produisent majoritairement les tsunamis, et ce sont les séismes qui en sont essentiellement la cause. L’analyse dans le temps est biaisée du fait de la courte période disponible pour une analyse complète. Ainsi les événements très rares, dont on connaît l’occurrence dans le passé, ne sont pas représentés (p. ex. le grand tsunami de 365 dans l’ouest de la Crète), ainsi que des cas de tsunamis à des époques non facilement documentées historiquement (p. ex. Antilles avant le XVe siècle).

Ces statistiques sont un premier élément pour évaluer l’aléa dans une région donnée ; les séismes ne sont pas prévisibles mais se reproduisent toujours dans les zones actives, à des périodes de retour variables, les tsunamis associés s’y reproduisent donc.

3.2. Études d’aléa et modélisation des tsunamis

Depuis les années 1980, la simulation numérique a apporté un nombre croissant d’éléments quantitatifs pour évaluer l’aléa tsunami. Les modèles antérieurs, basés sur les tracés de rayon dans un milieu à célérité variable (l’océan), tiraient déjà parti de la bathymétrie mondiale, alors de mieux en mieux connue, pour calculer les temps de trajet en fonction de la profondeur d’eau (Figure 9).

À partir des années 1990, les méthodes de simulation, généralement sous la forme de méthodes numériques continues, ont permis d’intégrer le modèle de source (sismique, effondrement gravitaire) [11], couplé à un modèle de propagation des vagues, et enfin à un modèle d’impact côtier. Les étapes complexes à modéliser sont la source et l’effet côtier, deux domaines où les complexités physiques demandent soit des modèles très poussés, parfois en trois dimensions, soit des approximations dont il faut connaître les limites.

systeme alerte tsunami pacifiqueÀ la source, les déformations initiales dues à un séisme peuvent être modélisées grâce à des modèles élastiques dont la paramétrisation dépend des études sismologiques. Dans le cas d’un effondrement gravitaire, la paramétrisation est plus complexe et dépend des matériaux, de la géométrie et de la dynamique du glissement. Dans tous les cas, les données in situ sont rares et les modèles reposent sur l’interprétation et l’inversion des données sismiques ou géodésiques.

 

 

Figure 9. Couverture d’un ouvrage célébrant les 50 ans du Système d’alerte pour le Pacifique en 2015, et rappelant les premiers tracés de rais réalisés pour le séisme de 1960 dans le sud du Chili, permettant de tracer des isochrones depuis l’épicentre [Source : International Tsunami Information Center ITIC] – Vidéo Tsunami Chili 1960

Pendant la propagation, l’approximation en ondes longues décrite plus haut permet de simuler l’évolution du train d’ondes à l’aide des équations de la mécanique des fluides en deux dimensions horizontales.

A la côte, l’amplification non linéaire doit être résolue, et le rétrécissement des longueurs d’onde exigent de connaître la célérité, donc la bathymétrie, très finement. Typiquement, pour modéliser un tsunami à l’échelle portuaire, les « pixels » des modèles doivent être inférieurs à 20 m. Enfin, la modélisation à terre demande de bien connaître la topographie émergée aux mêmes résolutions, et les équations à résoudre peuvent prendre en compte l’interaction des flots avec le bâti, la végétation.

Si les données sont disponibles, un tsunami peut alors être reproduit numériquement, depuis sa source, sa propagation, jusqu’à l’effet à la côte (Figure 10). Ces approches permettent de mieux comprendre les processus physiques, d’expliquer les observations, et également de prévoir des effets pour certains scénarios possibles, contribuant ainsi à élaborer des études de prévention (voir par exemple [12]).

Simulation tsunamisFigure 10. (À gauche) Simulation du tsunami de 2011 à travers le Pacifique, montrant les temps de propagation et la focalisation des hauteurs maximales dans une direction préférentielle, proche de la Polynésie [Source : CEA]. (À droite) Simulation numérique du tsunami consécutif à l’effondrement du Krakatau en décembre 2018, environ 2 min après le déclenchement (nord dans la direction y) [Source : A. Paris, CEA] – Vidéo 2011 HMAX

3.3. Exposition des côtes et préparation du littoral

plan evacuation martinique tsunami
Figure 11. Exemple d’un plan d’évacuation en Martinique, établi sur une hypothèse d’altitude atteinte à 10 m [Source : [13]].
Grâce aux catalogues historiques et aux résultats de simulation, des plans de prévention des risques peuvent être établis. Les cartographies des zones exposées sont des outils importants pour aider à l’aménagement du littoral, à la sensibilisation des populations, à la planification des moyens d’évacuation (exemple Figure 11 et Figure 12) et d’intervention des secours, autant de moyens possibles pour préparer le littoral exposé à l’aléa tsunami.

4. Prévoir les effets d’un tsunami

4.1. Les systèmes d’alerte aux tsunamis

panneaux signalisation tsunami polynesie francaise
Figure 12. Signalisation en Polynésie française, pour, de gauche à droite, les zones exposées, un site refuge, et l’itinéraire d’évacuation [Source : © CEA].
Les systèmes d’alerte aux tsunamis reposent sur des centres opérationnels capables de 1/ utiliser des données sismiques, pour détecter et caractériser les séismes, et des données de mesure du niveau de la mer pour détecter et mesurer les vagues, puis de 2/ transmettre des messages d’alerte aux autorités de sécurité civile et aux destinataires étrangers.

Les premiers centres d’alerte nationaux ont été établis au milieu du XXe siècle par les Etats-Unis, puis le Japon, la Russie, le Chili et la France (en Polynésie française, voir Focus 2), suite à des tsunamis majeurs catastrophiques (Aléoutiennes 1946, Kamtchatka 1952, et Chili 1960). En 1965, consécutivement à la création à l’Unesco de la Commission océanographique intergouvernementale (COI), le groupe international de coordination (GIC) du système d’alerte aux tsunamis dans le Pacifique a été établi, afin d’alerter les états du Pacifique en cas de séisme majeur pouvant provoquer un tsunami.

Figure 13. Zones de responsabilité des quatre groupes régionaux intergouvernementaux de coordination, pour, de l’ouest vers l’est, le Pacifique, les Caraïbes, l’Atlantique nord-est et la Méditerranée, et l’Océan indien [Source : SAHAL, A. (2011)].
La dernière avancée majeure fut la réponse au tsunami majeur de l’Océan indien de décembre 2004. La COI a alors établi trois nouveaux GIC, pour couvrir l’Océan indien, les Antilles, l’Atlantique Nord-est, la Méditerranée et les mers adjacentes, ainsi qu’un groupe au niveau mondial.

Ces groupes ont la responsabilité de définir l’architecture et de coordonner la mise en place des systèmes d’alerte, et incitent tous les états membres à y contribuer et à participer aux activités. Les trois piliers des systèmes d’alerte sont : (i) l’évaluation de l’aléa et du risque ; (ii) la surveillance et l’alerte ; et (iii) la prévention et la mitigation.

Depuis 2012, les quatre bassins océaniques (Figure 13) sont surveillés et alertés par 11 centres fournisseurs d’alerte aux tsunamis.

4.2. La prévision opérationnelle des effets de tsunami

Figure 14. Exemple de deux cartes des hauteurs maximales estimées par la simulation multi-grille en condition d’alerte. (a) : pour la baie de Taiohae (l’étoile rouge indique l’emplacement du marégraphe de Nuku-Hiva). (b) : pour le port autonome de Tahiti à droite (l’étoile orange indique l’emplacement du marégraphe de Papeete). [Source : auteur]
Dans les centres d’alerte aux tsunamis (voir Focus 2 pour la France et la Polynésie française), les paramètres de la source sismique (localisation, profondeur de l’hypocentre, magnitude, durée de rupture, géométrie focale et dimensions de faille) sont évalués automatiquement en utilisant les données de stations sismiques reçues en temps réel.

Les paramètres de la source permettent de calculer les déformations cosismiques, puis de simuler la propagation du tsunami. Les heures d’arrivée sont calculées et les hauteurs du tsunami sont alors estimées sous forme de cartes d’inondation prévues. En Polynésie, les durées de propagation étant généralement supérieures à 7 à 8 h (sauf pour les sources du sud-ouest Pacifique), ces résultats de simulation permettent de préciser les hauteurs du tsunami attendu, jusqu’au niveau de détail côtier (Figure 14). Ces informations sont transmises à la Protection Civile pour décider ou non de la création d’une cellule de crise pour la gestion de l’alerte tsunami en cours.

Figure 15. Simulation des hauteurs maximales d’un tsunami à Antibes suite à un séisme de magnitude 7,1 dans l’est de l’Algérie. Le modèle est calculé en détail avec une méthode longue (à droite), et sert à une méthode rapide en contexte d’alerte (à gauche). [Source : auteur]
Au Cenalt [14], les simulations numériques de tsunami restent longues à réaliser à l’échelle des ports et baies, dans l’intervalle des 15 min suivant le séisme. Les estimations sont donc encore forfaitaires (matrice de décision). Les développements actuels portent sur des méthodes rapides, par exemple pour approximer la réponse d’une baie à partir de paramètres obtenus avec une famille de modèles détaillés (Figure 15) [15]. La finalité commune est toujours d’établir des estimations à la côte, suffisamment en avance de l’arrivée du tsunami, pour organiser les évacuations et mises à l’abri.

5. Les messages à retenir

Les tsunamis ont une cause géologique, et s’expriment à la côte où ils sont capables d’envahir le littoral et de causer des destructions majeures.

  • L’Océan Pacifique est la région la plus exposée du fait de son activité tectonique ;
  • Tous les bassins océaniques et maritimes peuvent cependant être touchés, en particulier dans les zones tectoniques et les zones volcaniques, plus ou moins souvent ;
  • Les données nécessaires pour étudier un tsunami sont les données sismiques et les mesures du niveau de la mer, du large à la côte ;
  • En dehors du Pacifique déjà équipé depuis les années 1960, les systèmes d’alerte se sont construits dans les autres bassins entre 2005 et 2012 ;
  • La simulation numérique permet de simuler un tsunami de son initiation à l’inondation côtière, et est d’autant plus performante si les outils numériques sont régulièrement comparés aux données sismiques et de niveau de la mer ;
  • Les systèmes d’alerte sont efficaces si les données sont nombreuses, transmises et analysées en temps réel, et comparables à des modèles numériques performants ;
  • Les messages d’alerte sont efficaces lorsque la conscience du risque est développée, basée sur une éducation du grand public et sur la formation des autorités : des exercices répétés sont nécessaires pour se préparer ;
  • Une meilleure éducation et compréhension des phénomènes est indispensable pour la prévention des populations exposées, et elle doit être doublée de décisions politiques pour un aménagement adapté du littoral (signalisation, constructibilité, évacuations..).

C’est sous ces conditions que les tsunamis parfois très rares, parfois surprenants, et encore oubliés ou sous-estimés dans de nombreuses régions, pourront être correctement prévenus et que leurs effets pourront être atténués lors de leur prochaine occurrence.

 

Cet article repose sur les contributions des deux auteurs principaux, ainsi que d’A. Gailler, P. Heinrich et A. Paris (CEA, DAM, DIF, Arpajon) ainsi que d’A. Jamelot, O. Hyvernaud et D. Reymond (Laboratoire de Géophysique de Pamatai, Polynésie française).


Notes et références

Image de couverture. Modélisation de la surface de l’océan Atlantique, pour un scénario similaire au tsunami issu du séisme de Lisbonne de 1755, extrait après 3 heures de propagation. 

[1] Propagation d’ondes dans un océan ou une mer, suite à un phénomène géologique sous-marin (séisme, effondrement ou explosion volcanique). Le tsunami est très amplifié à son arrivée aux côtes où il peut provoquer des inondations majeures.

[2] Grandeur sans dimension caractérisant l’énergie libérée par la source sismique. Une unité de magnitude correspond à une énergie multipliée par 30.

[3] ROGER, J. (2011). Tsunamis générés par des séismes au niveau de la zone de collision entre les plaques africaine et eurasienne : études de cas pour l’évaluation du risque tsunami en Méditerranée occidentale et Atlantique nord. Thèse de Doctorat, Université Pierre et Marie Curie, 347 p.

[4] Une faille est un plan de rupture qui divise un bloc rocheux en deux compartiments ou qui sépare deux plaques tectoniques

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[14] Le CENALT est le Centre National d’Alerte aux Tsunamis, pour les côtes françaises métropolitaines, et pour les sources de type sismique.

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Pour citer cet article : HEBERT Hélène, SCHINDELE Francois (14 décembre 2021), Tsunamis : les connaître pour mieux les prévoir, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 19 avril 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/sol/tsunamis-connaitre-prevoir/.

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