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Entre protection et défense : la cuticule des plantes

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JOYARD Jacques, Directeur de recherche CNRS honoraire, Laboratoire de Physiologie Cellulaire & Végétale, Université Grenoble Alpes

Il y a environ 450 millions d’années, au milieu du Paléozoïque, les premières plantes à coloniser la terre ont dû relever un ensemble de défis liés à cet environnement a priori hostile. En passant d’un mode de vie aquatique à un mode de vie terrestre, les plantes ont dû faire face aux risques de dessiccation, aux températures extrêmes, à la gravité, à l’exposition accrue aux rayons UV, etc. Elles ont mis en place de nouvelles caractéristiques morphologiques et physiologiques permettant leur vie dans ce nouvel environnement. Par exemple, le développement de parois cellulaires complexes permettant le soutien biomécanique et la protection structurale des cellules caractérise les plantes terrestres modernes.

Cependant, le trait adaptatif le plus critique pour la survie de ces organismes hors de l’eau est très certainement la capacité à éviter la dessiccation, c’est-à-dire retenir l’eau à l’intérieur des cellules et des tissus. Par conséquent, la capacité à former et maintenir une couche de surface hydrophobe, ou cuticule, sur les surfaces des organes aériens est sans doute l’une des innovations les plus importantes dans l’histoire de l’évolution des plantes terrestres. Cette idée est confirmée par les preuves fossiles et l’omniprésence des cuticules parmi toutes les plantes terrestres existantes, des mousses aux plantes à fleurs [1].

Figure 1. Surface des feuilles observées à l’aide d’un Microscope à Balayage. A, Image de la surface supérieure d’une feuille de tabac ailé (Nicotiana alata) montrant des trichomes et quelques stomates ; Photo Louisa Howard (Dartmouth electron microscope facility) [Public domain], via Wikimedia Commons ; B, Image de la surface inférieure d’une feuille d’Arabidopsis thaliana montrant des trichomes et quelques stomates ; Photo Louisa Howard & M.L. Guerinot (Dartmouth electron microscope facility) [Public domain], via Wikimedia Commons. C, Image d’un stomate d’une feuille de Haemanthus albiflos ; Photo Judyta Dulnik (Own work) [CC BY-SA 4.0], via Wikimedia Commons. D, Image d’un stomate et de cires épicuticulaires à la surface d’une feuille de Rose ; Photo Plantsurfer [Public domain], via Wikimedia Common. E, Schéma représentant une partie de la cuticule d’une feuille recouvrant une cellule épidermique (zone sans stomate ni trichome). Pour avoir une idée de l’échelle, la partie de la cuticule représentée sur le schéma correspond approximativement aux zones identifiées sur les images par des rectangles blancs (longueur 20mm).
Observée au microscope électronique à balayage (Figure 1A-D), la surface externe des feuilles est plus ou moins lisse. Elle présente souvent de petites structures ovoïdes, les stomates. Ils permettent les échanges gazeux entre la plante et l’atmosphère essentiels à la photosynthèse et la respiration. Des poils d’allure variée (ou trichomes) émergent largement de la surface. Structures d’adaptation aux conditions environnementales, les trichomes contiennent des terpènes, des composés phénoliques, des alcaloïdes ou d’autres substances répulsives qui jouent un rôle important dans les réactions de défense de la plante face aux insectes ou autres prédateurs.

La surface plus ou moins lisse qui recouvre la feuille est en fait la partie externe de la cuticule végétale. C’est une couche hydrophobe extracellulaire qui recouvre l’épiderme aérien de toutes les plantes terrestres. La cuticule (Figure 1E) est divisée en deux domaines sur la base de sa composition chimique :

  • à la base, recouvrant les cellules épidermiques, un domaine appelé couche cuticulaire. Composé de cutine, il est riche en polysaccharides.
  • au-dessus, la cutine [2] proprement dite, enrichie en cires [3] (qui sont hydrophobes, c’est-à-dire qui repoussent l’eau). Les cires déposées à l’intérieur de la matrice de cutine sont dites intracuticulaires. En surface, la cutine est recouverte d’un film et de cristaux de cires épicuticulaires qui confèrent à la feuille des aspects plus ou moins brillants.

Grâce à ses propriétés hydrophobes, la cuticule offre à la feuille une protection contre la dessiccation et les contraintes environnementales externes. Ainsi armés d’une peau protectrice et de toute une gamme de stratégies d’adaptation pour l’acquisition et la conservation de l’eau, les plantes terrestres se sont développées dans de nombreux environnements desséchants.

Figure 2. Gouttes d’eau à la surface d’une feuille d’alchémille. [Source : Photo © Jacques Joyard.]
De nombreuses feuilles présentent une caractéristique particulière : l’eau a tendance à perler en gouttes à la surface de leurs feuilles (Figure 2), nettoyant ainsi la surface des particules et débris qui s’y trouvent. C’est la superhydrophobie. L’efficacité de ce mécanisme autonettoyant, appelé « effet lotus« , variable selon les espèces, a été corrélée avec l’abondance de cristaux de cire épicuticulaire [4]. Cette observation est à l’origine du développement de matériaux techniques biomimétiques efficaces [5], comme des peintures ou des vitres autonettoyantes.

Alors que la cuticule offre une barrière très efficace contre les UV-B qui altèrent les structures cellulaires (ADN en particulier), elle laisse largement passer les longueurs d’ondes actives pour la photosynthèse. Cependant, les cristaux de cires épicuticulaires favorisent la réflexion de la lumière par la surface foliaire : les surfaces brillantes réfléchissant plus la lumière que les autres.

La cuticule de la plante présente enfin une barrière physique aux agents pathogènes (champignons, par exemple), du moins contre ceux qui n’entrent pas dans la feuille via  les stomates ou les blessures. Certains agents pathogènes peuvent hydrolyser le polymère de cutine en monomères  qui agissent alors comme éliciteurs de réponses de défense de la plante. Les cires épicuticulaires jouent aussi un rôle important dans la pathogénicité de certains champignons ou dans les interactions plantes insectes [1].

Vidéos sur l’effet Lotus :


Références et notes

Photo de couverture. [Source : © Jacques Joyard]

[1] Yeats T.H. & Rose J.K.C. (2013) The Formation and Function of Plant Cuticles. Plant Physiol. 163, 5-20.

[2] La dernière décennie a vu des progrès considérables dans la compréhension des voies de biosynthèse (et des gènes codant les enzymes qui en sont responsables) des deux composants majeurs de la cuticule, cutine et cires cuticulaires.

[3] Insolubles dans l’eau, les cires sont solubles dans des solvants organiques. Ce sont des lipides.

[4] Barthlott W. & Neinhuis C. (1997) Purity of the sacred lotus, or escape from contamination in biological surfaces. Planta 202, 1-8.

[5] Bhushan B. (2012) Bioinspired structured surfaces. Langmuir 28, 1698–1714.