| Focus 3/3 | Les lichens, de surprenants organismes pionniers

Lichens et applications thérapeutiques

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Les lichens sont utilisés comme médicaments depuis l’Antiquité. Il faut rappeler qu’à partir du XVIe siècle, l’homme a cherché dans les remèdes possibles une certaine identité avec un organe malade ou les symptômes de maladies (théorie des signatures).[1] Dans le cas des lichens, on pensait que les Usnées pouvaient faire pousser les cheveux et qu’elles pouvaient guérir des maladies neurologiques, que Xanthoria parietina, par sa couleur jaune, guérissait les jaunisses. Peltigera canina était préconisé pour guérir de la rage, maladie transmise par les morsures de chiens enragés.

lichens - Cetraria islandica
Figure 1. Cetraria islandica (à gauche ; source photo © C. Remy) est utilisé pour la production de pastilles contre la toux [Source : © J.Asta]. A droite : Lobaria pulmonaria fertile [Source : © J. Asta]
Le lichen le plus utilisé en pharmacopée est Cetraria islandica, [2] fréquent en montagne dans les étages subalpin et alpin, dont les propriétés calmantes sont appliquées à la fabrication de bonbons pour soulager les maux de gorge et vendus dans le commerce sous le nom impropre de « mousse d’Islande » (Figure 1). Cette espèce a fait l’objet de nombreuses recherches pour ses activités antitumorales, immunomodulatrices et anti-inflammatoires. Il a été démontré que ce lichen avait des vertus gastro-protectrices et qu’il était actif contre Helicobacter pilori, bactérie mise en cause dans les ulcères gastriques. De même, Lobaria pulmonaria entre dans la constitution de sirops pour combattre la toux.

usnees sur tronc
Figure 2. Usnées sur tronc [Source : © J. Asta] ; Stereocaulon evolutum : à droite [Source : Dessin J. Asta. ap : apothécie. S : squamule (ou phylloclade) ; P : pseudopodétion) ; en bas Photo © J.P. Gavériaux).
Les premiers explorateurs de l’Amérique furent intrigués en constatant que les Indiens soignaient les plaies en y appliquant des Usnées. Dans les années 40, on découvrit les propriétés antimicrobiennes de ces lichens. La mise en évidence a été faite par l’observation des effets destructifs de lichen. Mais là aussi, cette filière a été remplacée par l’utilisation des champignons dont la croissance est beaucoup plus rapide, puis par la synthèse artificielle des molécules. Cependant, l’acide usnique, métabolite majeur des usnées présente des propriétés (antimicrobienne, anti-inflammatoire, antiparasitaire, antivirale, antitumorale, etc.) qui ont été exploitées pour divers usages cosmétiques et thérapeutiques. [3]

A l’heure actuelle, les diverses propriétés des métabolites lichéniques et leurs applications font l’objet de nombreux travaux dans le monde. Des chercheurs spécialisés en pharmacognosie ont mis en évidence des propriétés photo-protectrices des lichens grâce à la présence de mycosporines à visée anticancéreuse pour lutter contre les mélanomes. [4] Cinq nouveaux composés extraits du lichen Parmotrema tsavoense ont montré des activités cytotoxiques sur les lignées cellulaires du carcinome hépatocellulaire du foie, du cancer du poumon, du cancer du sein. [5] Ces scientifiques ont également montré que l’atranorine, important métabolite de Stereocaulon evolutum, et certains analogues, interféraient à la fois sur l’entrée du virus de l’hépatite C dans la cellule humaine et sur la réplication du virus. [6] Même si les mécanismes d’action de ces substances antivirales restent encore à élucider, cela ouvre la voie vers la découverte de nouveaux traitements issus d’une ressource naturelle peu onéreuse. [7] (Figure 2)

 


Notes et références

[1] La théorie des signatures est un mode de compréhension du monde dans lequel l’apparence des créatures, principalement des végétaux, est censée révéler leur usage et leur fonction. Elle s’applique surtout aux plantes médicinales, en vertu de leurs pouvoirs thérapeutiques (Paracelse formule le principe similia similibus curantur « les semblables soignent les semblables »). Développée dans l’Occident médiéval et pendant la Renaissance, cette théorie disparaît du monde savant à partir du XVIIIe siècle.

[2] Cetraria islandica figure sur la liste officielle des plantes médicinales inscrites à la pharmacopée et que les pharmaciens ont l’autorisation de vendre (décret du 22 août 2008).

[3] Cocchietto, M., Skert, N. & Nimis, P.L. 2002- A review on usnic acid, an interesting natural compound. Die Naturwissenschaften, 89, 137-146.

[4] Roullier, C., Chollet-Krugler, M., Pferschy-Wenzig, E.M., Maillard, A., Rechberger, G.N., Legouin-Gargadennec, B., Bauer, R. & Boustie, J. 2011 – Characterization and identification of mycosporines-like compounds in cyanolichens. Isolation of mycosporine hydroxyglutamicol from Nephroma laevigatum Ach. Phytochemistry, 72, 1348–1357.

[5] Duong, T.H., chavasiri, W., Boustié, J. & Nguyen, N. 2015 – New meta-depsidones and diphenyl ethers from the lichen Parmotrema tsavoense (Krog & Swinscow), Parmeliaceae. Tetrahedron, 71, 52, 9684-9691.

[6] Vu, T.H. Le Lamer, A-C. , Lalli, C. Boustie, J. , Samson, M. , Lohézic-Le Dévéhat, F. & Le Seyec, J. 2015 – Depsides, lichen metabolites active against Hepatitis C virus, PLoS One, 10(3), 1-14.

[7] Plusieurs espèces de lichens (divers Parmelia, Evernia prunastri) peuvent entrainer des allergies de contact avec formation d’eczéma de la main à cause des acides évernique, fumarprotocétrarique etc. qu’ils contiennent. D’autres comme Letharia vulpina, espèce très riche en soralies, peut provoquer des éternuements et parfois même des saignements de nez.