| Focus 3/3 | Comment les plantes supportent-elles un régime salé ?

Biotechnologie et tolérance à la salinité des plantes cultivées

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Cultiver les plantes d’intérêt agronomique irriguées avec de l’eau de mer tout en espérant un fort rendement semble totalement illusoire à l’heure actuelle. L’objectif de la communauté scientifique est d’offrir des solutions biotechnologiques à un problème majeur de sécurité alimentaire :

  • « Vidéo 1» :

Depuis plusieurs années, des recherches ont été menées pour améliorer la tolérance à la salinité des plantes. Par exemple, l’ingénierie de l’expression et de l’accumulation de solutés compatibles a été expérimentée avec certains succès dans l’amélioration de l’adaptation des plantes au stress salin. Cependant, ces résultats réalisés dans des conditions très restreintes ou à des stades de développement limités rendent cette approche marginale.

Une autre piste d’ingénierie repose sur la manipulation génétique de l’expression des aquaporines pour augmenter la tolérance au stress salin. Systèmes de transport impliqués dans l’entrée d’eau au travers de la membrane plasmique, les aquaporines devraient jouer un rôle majeur dans ce contexte :

  • « Vidéo 2 » :

Malheureusement, plusieurs tentatives n’ont pas donné de résultats concluants. Par exemple, si une aquaporine de la membrane plasmique est exprimée à un niveau élevé dans des plantes transgéniques de riz, ces dernières se sont révélées sensibles au stress salin, alors que celles qui expriment la même aquaporine à des niveaux moyens à faibles se révèlent plus tolérantes.

Ce résultat suggère qu’une expression des aquaporines régulée finement dans les tissus et dans le temps serait sans doute plus pertinente pour l’ingénierie de la tolérance au stress salin. Par ailleurs, les capacités intrinsèques de transport d’eau par les racines sont fortement altérées dans les étapes précoces du stress salin chez plusieurs espèces de cultures, comme l’orge, le riz, mais aussi chez Arabidopsis [1]. Cette altération serait liée à l’inhibition de l’activité de transport d’eau des aquaporines minimisant le contre-flux, c’est-à-dire la perte d’eau du milieu intracellulaire vers l’extérieur (le sol). Il ne fait pas de doute que les aquaporines jouent un rôle dans la réponse au stress salin mais celui-ci doit encore être précisé.

Les approches génomiques qui ont déjà permis de grandes découvertes doivent être poursuivies. En particulier, les études d’association pangénomique [2] semblent les plus prometteuses, lorsqu’on peut compter sur une grande variation naturelle du caractère tolérance/sensibilité au stress salin chez la plante d’intérêt agronomique. Pour cela, le phénotypage de grandes collections préalablement constituées permet d’isoler de la variation allélique naturelle à un locus donné et responsable de traits morphologiques ou fonctionnels contrôlant l’adaptation à la salinité pour un environnement donné.

Les agronomes sont ainsi en quête d’idéotypes [3], des cultivars adaptés à la salinité dans leur environnement (météorologique, pédologique, …). Les allèles particulièrement intéressants pour la tolérance à la salinité découverts dans une variété à faible rendement peuvent ensuite être introgressés [4] dans des cultivars élites pour combiner le caractère de tolérance et un fort rendement ou d’autres qualités. De nombreux programmes d’introgression du locus Saltol sont ainsi en cours [5].

Une meilleure connaissance des mécanismes permettant aux halophytes de croître en milieux riches en sels devrait aussi pouvoir améliorer la tolérance à la salinité chez les glycophytes. La recherche translationnelle dont l’objectif est de traduire les connaissances fondamentales en botanique, par exemple, en application concrètes en recherche appliquée peut se baser sur des mécanismes variés alliant :

  • les adaptations anatomiques (barrières apoplastiques renforcées faites de subérine empêchant le sel de pénétrer à l’intérieur de la racine, glandes excrétant du sel hors des tissus foliaires, …) ;
  • la compartimentation tissulaire du sel (accumulation de Na+ dans la gaine foliaire protégeant la photosynthèse qui a lieu dans le limbe) ;
  • le confinement vacuolaire de Na+ et son exclusion/recirculation efficace par l’action de systèmes de transport.

Enfin, il est nécessaire d’intégrer les interactions bénéfiques qu’entretiennent les plantes avec les micro-organismes du sol, en particulier les bactéries de la rhizosphère et les champignons mycorhiziens (Figure 1) (Lire Symbiose et parasitisme). Ces derniers permettent entre autres une meilleure nutrition des nutriments et de l’eau. De plus, de plus en plus d’études documentent l’effet bénéfique de micro-organismes sur la tolérance au stress salin dans les cultures d’intérêt agronomique.

Symbiose riz Rhizophagus irregularis
Figure 1. Symbiose mutualiste entre le riz et Rhizophagus irregularis, un champignon mycorhizien à arbuscules. Le champignon prélève du sol de façon optimale de l’eau et des nutriments tels que des composés azotés comme l’ion ammonium, et phosphate, la forme inorganique du phosphore, pour les transférer à la plante ; cette dernière fournit au champignon des hydrates de carbone et des lipides. Les racines de riz ont été colorées à l’aide du bleu de Trypan qui met en évidence les parois. A gauche, une racine de riz non-inoculée. La colonisation des racines par R. irregularis est révélée par ses hyphes et ses vésicules (au centre) et ses arbuscules qui occupent presque la totalité du volume cellulaire (à droite). [Source : © Pierre-Alexandre Audebert]

 


Notes et références

Image de couverture. Symbiose mutualiste entre le riz et Rhizophagus irregularis, un champignon mycorhizien à arbuscules [Source : © Pierre-Alexandre Audebert]

[1] Boursiac Y., Chen S., Luu D.-T., Sorieul M., van den Drie N. & Maurel C. 2005. Early Effects of Salinity on Water Transport in Arabidopsis Roots. Molecular and Cellular Features of Aquaporin Expression. Plant Physiology 139, 790–804 – DOI: https://doi.org/10.1104/pp.105.065029

[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tude_d%27association_pang%C3%A9nomique

[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Idéotype

[4] https://fr.wikipedia.org/wiki/Introgression

[5] http://www.knowledgebank.irri.org/ricebreedingcourse/Breeding_for_salt_tolerance.htm