| Focus 1/1 | Risquons-nous d'avoir une pénurie d'eau ?

Conflits engendrés par des pénuries

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Les exemples les plus souvent cités sont l’Île de Pâques au 17e siècle et le génocide Rwandais de 1994, au cours duquel environ 800 000 personnes (11% de la population) ont été massacrées en un mois. Il est classique de dire que ce génocide a pour origine un conflit ethnique entre Hutus et Tutsis. Le premier à avoir mis en cause cette interprétation est Jared Diamond, géographe américain auteur de Effondrements paru en France en 2006, ouvrage qui analyse les cas de catastrophes des civilisations du passé faute d’avoir su gérer leur environnement.

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Figure 1. Rapa nuI, symbole de l’Ile de Pâques.

Il traite d’abord du cas bien connu de l’Île de Pâques, découverte en 1722 par les Hollandais ; cette civilisation totalement isolée, sans contact depuis plusieurs siècles avec le monde extérieur et se croyant seule au monde, a détruit entre le XVe et le XVIIe siècle son environnement en abattant tous ses arbres pour en faire des rondins pour déplacer ces immenses statues de pierre bien connues, les Moaï, qui servaient de symboles de domination aux prêtres ou aux puissants ; l’érosion des sols et la perte des moyens de production alimentaire qui en est résulté n’ont plus permis de maintenir une société estimée initialement entre 6 000 et 30 000 âmes ; en 1680 environ, des révoltes contre les élites, une guerre civile et des massacres incluant du cannibalisme ont réduit cette population à quelques 30% de sa population initiale.

Au Rwanda, selon Diamond, c’est la croissance démographique démesurée de ce pays, d’environ 3% l’an, et la réduction continue des moyens disponibles per capita pour produire la nourriture qui ont conduit au massacre. Toutes les terres cultivables étaient exploitées ; la population avait atteint la densité de 760 habitants par km², proche de celle de la Grande-Bretagne, et n’était plus en mesure de se nourrir compte tenu des méthodes agricoles utilisées. En 1985, la production alimentaire par habitant, après avoir crû de 1966 à 1981, était redescendue au niveau de 1960. C’est la pénurie qui aurait été la cause première des massacres, ce qui serait en partie confirmé par le massacre de Hutus par des Hutus, dans des zones où les Tutsis étaient minoritaires ou absents. Un conflit ethnique est bel et bien présent, il existe historiquement des conflits ancestraux entre les deux communautés, mais l’hypothèse de Diamond est que la cause première du conflit est la raréfaction de la ressource, et qu’ensuite seulement le conflit s’habille en conflit ethnique, religieux ou culturel, ou est délibérément orienté vers un tel conflit par la propagande. Au Rwanda, la raréfaction de la ressource n’était pas l’eau, c’est un pays très humide, mais la disponibilité de terres agricoles sur lesquelles cultiver pour se nourrir. Ce risque de pénurie avait été anticipé par des agronomes belges (Wils et al., 1986), sans qu’aucune action ne soit prise pour éviter la crise. Mais la même chose peut se produire pour les conflits liés à l’eau, laquelle peut bien souvent être la cause première de la raréfaction des ressources. Elle peut servir alors d’étincelle pour ranimer des conflits ancestraux liés à l’ethnie, au nomadisme, à la religion.

Un autre cas du même ordre peut être proposé : celui de la Côte d’Ivoire et du Burkina. La guerre civile qui a sévi en Côte d’Ivoire dans les années 2002-2011 est généralement attribuée à un conflit politique ou ethnique entre partisans du Président Gbagbo, se référant à son identité Ivoirienne, contre le candidat Ouattara, d’origine Burkinabé, immigré en Côte d’Ivoire avec un grand nombre de ses concitoyens. Il ne s’agit pas d’un conflit entre ces deux pays, mais pourquoi les Burkinabés sont-ils venus si massivement immigrer en Côte d’Ivoire ? Il est certain que la raréfaction des ressources au Burkina, pays Sahélien pauvre en eau, du fait de la croissance démographique, jouxtant un pays de la zone humide riche en eau et plus prospère, a certainement joué un rôle (même s’il n’est pas le seul) dans ces migrations de population, à vrai dire assez courantes en Afrique, en fonction des fluctuations du climat. Là encore on risque de se méprendre sur la cause première des conflits, en se limitant au caractère politique, ethnique ou xénophobe des affrontements.

Mais ce type de conflits n’est pas réservé à l’Afrique ; on peut citer par exemple le cas de l’immigration des Scandinaves et des Irlandais aux Etats-Unis au XIXe siècle, poussés hors de chez eux par les famines, qui a conduit indirectement au massacre des populations indigènes de l’Amérique du Nord. Que dire de l’actuel conflit à caractère confessionnel en Centre-Afrique ? Est-il seulement confessionnel, ou initié par une raréfaction des ressources ? Le conflit du Darfour serait aussi un conflit engendré par la pénurie, pour l’appropriation des moyens de production entre agriculteurs sédentaires et éleveurs nomades, l’appartenance ethnique ou religieuse n’étant que secondaire. Les conflits actuels au Sud Soudan, qui durent depuis 1955, sont-ils de même nature ? Ils ont été liés à deux périodes de sécheresse intense (1967–1973 et 1980–2000) qui ont causé des déplacements généralisés des populations pendant lesquels des milliers de personnes sont mortes de faim (Welzer, 2012). Que dire de l’actuelle guerre civile en Syrie ?  Une étude récente de Peter Gleick (2014) porte sur les sécheresses qui ont très durement frappé la Syrie de 2006 à 2011, peu avant le début de la guerre civile. Le manque d’eau a entraîné des récoltes catastrophiques et une immigration rurale venue gonfler le chômage dans les villes et serait à la base de la rébellion. L’auteur montre que le changement climatique n’est pas seul en cause : la construction de grandes infrastructures en amont par la Turquie aurait contribué à aggraver la situation.