De la variole au Mpox : une menace renouvelée
PDFLa variole : brève histoire d’un fléau maîtrisé. De toutes les plaies qui ont affecté l’humanité, la variole humaine est sans aucun doute l’une des plus terrifiantes. Maladie virale très contagieuse, durant des siècles l’humanité été soumise à ce fléau, et notamment depuis 3000 à 4000 ans. La maladie, transmise par contact rapproché, était favorisée par l’augmentation de la densité humaine, l’urbanisation croissante, les guerres, les colonisations, les déplacements de population. Décimant les populations durant des millénaires, laissant des cicatrices cutanées indélébiles chez les survivants, il était d’usage de ne compter ses enfants qu’après qu’ils aient contracté la maladie : la variole pouvait atteindre plus de 90 % de la population, un tiers des personnes infectées en mouraient, et en particulier les enfants (taux de létalité 30%) [1].
Plus grande réussite en santé publique de l’Organisation Mondiale de la Santé à ce jour, l’éradication de la variole a finalement été achevée en 1980 après une longue campagne de lutte contre la maladie, grâce à la vaccination de masse et à une surveillance épidémiologique renforcée dans toutes les régions du globe (Figure 1). Cette éradication a été possible car le virus responsable de la maladie, à l’origine zoonotique, s’était adapté à l’homme depuis plusieurs millénaires et ne se transmettait plus que de façon interhumaine, sans réservoir animal.
Risque biologique. Même éradiquée, la variole est restée néanmoins toujours un danger potentiel, et fait partie des menaces bioterroristes. C’est pourquoi de nombreuses doses de vaccin antivariolique sont toujours conservés, notamment par les militaires, et que la recherche vaccinale contre les différentes formes de variole n’a jamais été interrompue. Il existe actuellement trois vaccins antivarioliques (MVA-BN, LC16, OrthopoxVac), très efficaces. Ces vaccins sont également efficaces contre d’autres poxvirus, d’origine animale.
Les poxvirus du monde animal. Contrairement à la « variole » qui ne touchaient que les humains, d’autres virus du même genre (Orthopoxvirus) sont présents et répandus dans le monde animal, comme la variole bovine, la variole des camélidés, la variole aviaire ou la variole du singe. Ces virus, qui ont tous un ancêtre commun avec le virus de la variole humaine, peuvent également infecter de façon occasionnelle les humains mais sans provoquer de formes graves ni de transmission interhumaine soutenue.
Le virus Mpox ou virus de la variole du singe (Monkeypox) appartient au même genre des Orthopoxvirus que le virus de la variole humaine. Il a été isolé pour la première fois en 1958, au sein d’un groupe de singes importés à Copenhague, au Danemark, d’où son nom. On distingue à ce jour deux principaux types du virus Mpox : le clade 1, présent dans le bassin du fleuve Congo en Afrique centrale, et le clade 2, présent en Afrique de l’Ouest (Tableau). Il circule localement à l’état naturel dans certains pays d’Afrique où il infecte principalement des rongeurs (rats, écureuils…), et se transmet occasionnellement à d’autres espèces. C’est ainsi que des infections sporadiques de Mpox ont été constatées depuis plusieurs décennies chez les humains, essentiellement en Afrique, mais sans provoquer d’épidémies ni a fortiori de pandémies, selon le schéma classique d’une zoonose sans transmission interhumaine directe efficace. En 2022, ce schéma classique change, avec l’émergence d’un variant (Clade 2b) qui se transmet plus facilement entre humains, qui sort du continent africain et provoque des flambées épidémiques un avec une létalité faible mais significative (de l’ordre de 0,2 % en Europe) : nous sommes face à l’émergence d’une zoonose à transmission interhumaine directe, potentiellement redoutable, et qui pourrait faire craindre à terme une résurgence de la variole.
Tableau. Les différents types de Mpox (d’après des données de la littérature). Les clades désignent les variations d’un même virus qui ont divergé au gré des mutations génétiques.
La maladie Mpox (ou la variole du singe). Depuis la découverte chez l’humain en 1970 de cette maladie virale en République Démocratique du Congo (RDC), on a observé de petites flambées épidémiques localisées dans certains pays d’Afrique centrale et de l’Ouest : en RDC, au Congo, au Libéria, en Sierra Leone, au Nigeria, en Côte d’Ivoire, au Soudan du Sud… La maladie reste rare et ne se diffuse pas dans la population humaine, mais la fréquence des flambées épidémiques augmente régulièrement. De 2017 à 2019, on a recensé plus de 3000 cas au Nigeria, en RDC, et en Centrafrique.
Un tableau clinique sévère. Après incubation de 7 à 14 jours, les personnes infectées développent une fièvre accompagnée d’une éruption cutanée caractéristique et évolutive : macules, papules, vésicules, et pustules, avant de former des croûtes (Figure 2 [2]). Les symptômes persistent en moyenne de 2 à 4 semaines avec un taux de létalité variable selon les types de virus (de 0.1 à 4 %). Les séquelles du Mpox peuvent inclure des cicatrices cutanées permanentes, des complications respiratoires, des troubles neurologiques, des modifications de la pigmentation de la peau et des douleurs chroniques. Le virus se transmet principalement par contact direct avec les fluides corporels ou les lésions d’un individu ou d’un animal infecté, ainsi que par le contact avec des surfaces contaminées.
Premières escapades de la Mpox hors Afrique. Jusqu’en 2022, la maladie n’est détectée que très sporadiquement hors d’Afrique, et toujours lors d’infections importées d’Afrique, sans être suivies de transmission interhumaine. En 2003, le virus s’est propagé une première fois aux Etats-Unis à partir du Ghana via des rongeurs importés dans une animalerie. 47 cas ont été biologiquement confirmés, mais aucune transmission interhumaine ni aucun décès n’a été signalé. A partir de 2018, quelques cas importés liés à des voyageurs en provenance du Nigéria sont apparus au Royaume-Uni, en Israël, aux États-Unis et à Singapour, signalant une transmission continue en Afrique de l’Ouest et des signes précoces de propagation internationale.
2022, un début de pandémie inattendue. En mai 2022, les cas de variole du singe ont augmenté considérablement dans des régions jusque-là épargnées, avec une transmission interhumaine inédite. En réponse, l’OMS a déclaré en juillet une urgence de santé publique de portée internationale et des mesures sanitaires mondiales ont été lancées, avec notamment des campagnes de surveillance et de vaccination des populations à risque. L’urgence a été levée en mai 2023 après une baisse mondiale soutenue des cas. En aout 2024, on dénombrait près de 100 000 cas confirmés dans 113 pays, et plus de 200 décès (létalité de 0.2 %). Le virus responsable de la transmission mondiale (clade 2b) s’est transmis entre humains par contact rapproché, en particulier chez les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH). En dehors de l’Afrique, plus de 99 % des cas sont survenus chez des hommes. Le virus (clade 2b) circule toujours à bas bruit (de 12 à 26 cas mensuels en France entre janvier et juin 2024, Figure 3).
2024, une épidémie grandissante. En 2023 en RDC, une hausse significative des cas de Mpox à partir d’une nouvelle souche du virus (clade 1b) a été enregistrée, avec plus de 18 000 cas et plus de 500 décès (létalité à 3,4 %). Cette propagation touche principalement les hommes. Entre-temps, le clade 1 a refait surface dans plusieurs pays africains, avec plus de 2000 cas et des taux de létalité également plus élevés (1,4 % à 11 %), en particulier chez les enfants. La propagation internationale semble inévitable, et l’OMS a de nouveau lancé une urgence sanitaire mondiale en aout 2024.
Face à la menace. Les vaccins antivarioliques (MVA-BN, LC16, OrthopoxVac), qu’ils soient atténués ou inactivés, protègent efficacement (jusqu’à 85 %) contre d’autres poxvirus, dont les différents clades du virus Mpox. La vaccination contre la variole a été interrompue en 1980 lorsque la variole a été déclarée éradiquée : les moins de 45 ans n’ont donc pas de protection immunitaire contre la Mpox. Les plus de 45 ans, en principe vaccinés contre la variole, devraient bénéficier a priori d’une protection immunitaire contre le Mpox, mais les données scientifiques sont encore incertaines sur la persistance à long terme de l’immunité induite contre la Mpox par le vaccin de la variole.
Comme il est impossible d’agir sur les facteurs d’émergence (rongeurs sauvages) et difficile d’agir sur les facteurs de diffusion (contacts et comportements à risque), la vaccination des populations vulnérables est l’arme privilégiée pour contenir l’épidémie actuelle de Mpox. Au vu du mode de transmission et de l’épidémiologie de la maladie (qui touche essentiellement les HSH), une vaccination généralisée de la population n’est pas actuellement envisagée.
La préparation et la lutte contre l’épidémie se focalise sur les populations les plus vulnérables : les foyers endémiques en Afrique et les communautés HSH, notamment hors d’Afrique. La stratégie de lutte face à la menace est d’agir sur la vulnérabilité des populations exposées (vaccination, maîtrise des comportements et hygiène), et de surveiller la présence de la menace pour réduire la transmission (détection des cas, traçage des contacts, diagnostics rapides).
Des stocks de vaccins sont partout constitués afin de préparer à l’éventualité d’une vaccination de masse si la transmission interhumaine venait à se généraliser.
Un futur incertain. Face à l’émergence d’une zoonose contagieuse par proximité ou par simple contact entre humains, la plus grande vigilance doit être de mise et l’OMS n’a pas tardé à déclencher une alerte mondiale dans ce sens [3, 4]. Mais contrairement à d’autres pathogènes lors de leur émergence (Ebolavirus, coronavirus, grippes…), l’humanité dispose déjà de solutions vaccinales efficaces contre la Mpox. Si la production et la distribution de ces vaccins est assurée dans de bonnes conditions, si les mesures d’hygiène et de comportements sont respectées, si la surveillance et la détection rapide des cas sont efficaces et transparentes, la maitrise de l’épidémie de Mpox devrait être assurée et la maladie rapidement contenue, comme ce fut le cas en 2022. Mais ce virus nous l’aura montré par deux fois dans son histoire récente : les souches naturelles sauvages persistent au cœur de la forêt tropicale, évoluent, infectent des hôtes variés, se transmettent à l’homme, peuvent s’y adapter et, du hasard ou de la nécessité augmenter leur pouvoir pathogène. L’ombre de la variole persiste…
Notes et références
Vignette. Mpox Virus (famille des poxviridae). Micrographie électronique à transmission colorisée de particules de virus mpox (rouge) trouvées dans une cellule infectée (bleu), cultivée en laboratoire. NIAID Integrated Research Facility (IRF) in Fort Detrick, Maryland, USA. [Source: NIAID, CC BY 2.0, via Wikimedia Commons]
[1] Thèves C. Crubézy E. Biagini P. 2016. History of Smallpox and Its Spread in Human Populations. Microbiol Spectr 4:10.1128/microbiolspec.poh-0004-2014. https://doi.org/10.1128/microbiolspec.poh-0004-2014
[2] Sourav Saha, Trina Chakraborty, Rejwan Bin Sulaiman, Tithi Paul A Comparative Analysis of CNN-Based Pretrained Models for the Detection and Prediction of Monkeypox
[3] https://www.lemonde.fr/planete/article/2024/08/15/pourquoi-l-oms-a-classe-l-epidemie-de-mpox-en-afrique-urgence-de-sante-publique-de-portee-internationale_6281426_3244.html
[4] https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/08/21/mpox-clade-zoonose-le-lexique-pour-comprendre-les-mots-qui-circulent-avec-ce-virus_6289426_4355770.html