| Focus 3/3 | La diffusion, étape ultime d’un bon mélange

Diffusion et percolation dans les sols

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MOREAU René, Professeur émérite à Grenoble-INP, Laboratoire SIMaP (Science et Ingénierie des Matériaux et des Procédés), membre de l’Académie des sciences et de l’Académie des technologies.

VACHAUD Georges, Directeur de recherche émérite au CNRS, Laboratoire d’études des Transferts en Hydrologie et Environnement (LTHE), Université Grenoble Alpes.

 

Les sols sont des milieux poreux particulièrement complexes. Trois phases minérales sont présentes : les grains solides qui constituent le sol proprement dit et qui sont en général de natures et de granulométries différentes (cailloux, sable, argile), l’eau qui peut combler entièrement les interstices entre grains, notamment en profondeur, et l’air présent dans les couches supérieures, dites non-saturées. Les échanges entre ces trois phases minérales font intervenir de nombreux phénomènes physiques et chimiques, notamment des transports d’espèces chimiques essentielles à la croissance de la couverture végétale. Par ailleurs, une intense activité biologique est présente dans ces sols, divers organismes les habitent, s’en nourrissent et les transforment : des racines, des animaux, des champignons, de l’humus et un grand nombre de micro-organismes, comme des bactéries et des virus.

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Figure 1. La porosité d’un sol est déterminée par la taille des interstices entre les grains. Le débit d’eau qui circule dans la situation 1 est plus élevé que dans la situation 2, moins poreuse. Ces interstices peuvent être occupés à la fois par une phase liquide et par des bulles ou poches gazeuses. [ Source : By Lamiot [CC BY-SA 3.0 (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0)], from Wikimedia Commons]
Dans ce focus, omettons les organismes vivants, supposons la phase solide immobile, et désignons par « l’eau »  la phase liquide traitée comme un fluide homogène, bien que ce ne soit pas le cas puisque c’est en général une suspension de fines particules et une solution de substances physiso-chimiques dissoutes comme des colloïdes. Ces matières emportées par l’eau en affectent les propriétés, notamment la masse volumique et la viscosité. Même dans un sol sec, il reste en général une fine pellicule d’eau liée à chaque grain par les mécanismes d’adsorption[1]. L’importance de la de la quantité de fluide immobile contenue dans cette pellicule par rapport au volume de fluide mobile dépend de la surface de contact avec les grains (cette surface spécifique varie de plusieurs centaine de m2 par gramme de sol pour certaines argiles à quelques cm2 par gramme pour les sables) et de la charge ionique de ces grains (très forte pour les argiles, nulle pour les sables). La diffusion est le principal mécanisme d’échange entre cette pellicule et le liquide environnant. Elle exerce aussi une influence significative au sein de la phase mobile, par exemple lors du transport de substances chimiques en étalant un front de salinité.

A l’échelle des interstices schématisés sur la Figure 1, nettement plus grande que celle de la pellicule liée, la capillarité impose une ascension de l’eau depuis la nappe située en profondeur vers les couches supérieures ; ici ou là, des bulles ou poches d’air interrompent les colonnes liquides. Ce mouvement ascensionnel très lent alimente l’évaporation de surface. Par ailleurs, sous l’effet de différences de pression un écoulement à grande échelle, quasi-horizontal, peut être présent. Ces différences de pression peuvent provenir du relief, par exemple entre deux retenues situées à des altitudes différentes, ou être imposées, par exemple lorsque l’on puise de l’eau dans la nappe (voir Figure 2). C’est cet écoulement à travers le sol que l’on désigne par le mot percolation. Il se combine avec la diffusion pour engendrer le transport des diverses espèces véhiculées dans ce milieu, aussi bien les nutriments que les polluants.

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Figure 2. Illustration des débits d’eau à grande échelle dans un sol, avec les contributions de divers milieux : nappe, aquifère, zone non-saturée, retenues, forage et couverture végétale. [Source : By Lamiot [CC BY-SA 3.0 (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0)], from Wikimedia Commons]
Limitons nous ici à rappeler la loi qui régit l’écoulement de l’eau dans un tel sol, sous l’effet de différences de pression, dans une situation comme celle de la Figure 2. Et limitons nous aussi aux plus grandes échelles, nettement supérieures à l’épaisseur de la couche non saturée. Le principal paramètre est la perméabilité K du milieu poreux constitué par ce sol, introduite par Darcy[2] et définie de la façon suivante. On convient d’oublier la géométrie complexe des pores pour imaginer un écoulement fictif à travers toute la section S du milieu, qui comprend à la fois les grains et les pores. La vitesse que l’on introduit est  alors fictive, c’est le rapport du débit Q qui s’écoule réellement dans les pores à cette grande section S. Darcy a proposé d’exprimer ce débit Q par la relation Q=K S Δp /μ L, où μ désigne la viscosité dynamique de l’eau et Δp/L le gradient de pression. Cette loi est connue sous le nom de Loi  de Darcy[3]. La grandeur K, souvent dénommée la perméabilité intrinsèque, est essentiellement utilisée en génie pétrolier. C’est une représentation très globale de la porosité du sol. Elle a la dimension du carré d’une longueur et est souvent exprimée en (μm)2, grandeur encore dénommée le darcy.

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Figure 3. La conductivité hydraulique d’un sol peut varier de 10-2 à 103 mm/heure, suivant le type de sol. Les courbes montrées correspondent à 5 exemples de sites allant d’un sol très sableux (Tattori, Japon) à un sol argileux (Bouaké, Cote d’Ivoire); les symboles correspondent à des valeurs mesurées in situ, les lignes à des variations calculées) [Source : © EDP Sciences, Autorisation de reproduction reçue par G Vachaud.]
L’usage courant en hydrologie consiste à écrire la loi de Darcy sous la forme Q/S= k gradH, où k est la conductivité hydraulique en (m.s-1) et H (m) la charge hydraulique. A titre d’exemple, dans une terre agricole la conductivité hydraulique k vaut entre 0,1 et 1 μm.s-1, et dans un sable de granulométrie plus homogène elle atteint 10 à 100 μm.s-1. Ainsi, la vitesse fictive Q/S engendrée par une différence de pression de 1 atmosphère (105 Pa ou une hauteur de 10 m d’eau) étalée sur 100 m, est de l’ordre de 0,1 à 1 μm.s-1 dans une terre agricole. Elle peut atteindre des valeurs 100 fois plus grandes dans le sable.

Il faut enfin noter que dans la zone non saturée de la figure 2, qui est le siège des processus d’infiltration, de remontée capillaire et d’évaporation, la valeur de ce paramètre dépend très fortement du taux de saturation du milieu. On trouvera des valeurs caractéristiques de la conductivité hydraulique obtenue sur différents types de sols[4] (des sols agricoles argileux jusqu’à des sols sableux) sur la figure 3.

Finalement, on remarquera l’analogie formelle entre cette expression du débit dans les sols, proportionnel au gradient de pression, et les lois de Fick, Fourier et Newton, où le flux est proportionnel au gradient de la grandeur transportée.

 


Références et notes

Image de couverture. Coupe d’un sol permettant d’analyser sa porosité, sa teneur en eau, son évolution et son activité biologique. [Source : By HolgerK at English Wikipedia (Transferred from en.wikipedia to Commons.) [Public domain], via Wikimedia Commons]

[1] L’adsorption est un phénomène de surface basé sur des interactions atomiques dipolaires ou sur des liaisons chimiques, qui permet à une surface solide de fixer des atomes, des ions ou des molécules du fluide voisin.

[2] Henry Philibert Gaspard Darcy (1803-1858), ingénieur général des Ponts et Chaussées, a conçu et réalisé les système d’adduction d’eau de la ville de Dijon en drainant d’anciens marécages, ce qui lui a permis de construire un réseau de distribution d’eau potable.

[3] H. Darcy, Les fontaines publiques de la ville de Dijon : détermination des lois d’écoulement de l’eau à travers le sable, V. Dalmont, Paris,1856.

[4] M. Vauclin et G. Vachaud, Caractérisation hydrodynamique des sols…, Agronomie, EDP Sciences, 1987, 7 (9), 647-655, <hal-00885038>