Figure 1. Planche illustrant le mimétisme batésien entre des papillons comestibles de la famille des Pieridae (sous-famille Dismorphiinae, première et troisième rangées) et des papillons de la famille des Nymphalidae (tribu Ithomiini, deuxième et quatrième rangées), défendus par des alcaloïdes (Source : Bates 1962). Ces deux familles ont divergé il y a plus de 90 millions d’années. L’espèce au milieu de la première rangée, Pseudopieris nehemia (Dismorphiinae), non mimétique, est probablement proche de la forme ancestrale à partir de laquelle les Dismorphiinae mimétiques des Ithomiini ont évolué. [Source Illustration Henry Walter Bates, Public domain, via Wikimedia Commons]Lorsque les naturalistes britanniques Henry Walter Bates et Alfred Russell Wallace, en quête d’exemples illustrant le processus de sélection naturelle (Lire Théorie de l’évolution : incompréhensions et résistances), arrivent en Amazonie en 1848, ils sont frappés par l’étonnante ressemblance des motifs colorés d’espèces de papillons qui appartiennent à des lignées très différentes (Figure 1). Constatant que certaines de ces espèces ne sont pas comestibles alors que d’autres, qui leur ressemblent, le sont, Bates émet l’hypothèse que les papillons comestibles sont confondus par les prédateurs avec les papillons toxiques, et bénéficient ainsi d’une protection contre la prédation. Ce mimétisme, tel que le nomme Bates (mimicry), et aujourd’hui connu sous le nom de mimétisme batésien, désigne la ressemblance entre des individus appartenant à une espèce comestible et des individus appartenant à une autre espèce présentant des défenses chimiques, leurs conférant un gout désagréable, voire une toxicité. Le mimétisme batésien, est un cas remarquable d’évolution par sélection naturelle, pour lequel on connait précisément quels variants sont avantageux : dans l’espèce comestible, toute variation augmentant la ressemblance avec les individus de l’espèce toxique sera avantagée, car plus susceptible d’être évitée par les prédateurs.
Depuis l’observation de Bates, de nombreux cas d’espèces comestibles mimétiques d’espèces toxiques ont été rapportés chez les papillons, comme chez d’autres animaux. Chez les papillons du genre Papilio, on observe en particulier des motifs mimétiques chez les femelles tandis que les mâles disposent d’autres motifs. Une des hypothèses pouvant expliquer ce dimorphisme sexuel étant la plus forte pression de prédation exercée sur les femelles, qui ont un vol plus lent et un comportement plus prévisible, du fait de leur propension à voler autour de leur plante-hôte.
Cependant, Bates peine à expliquer les cas où les espèces qui se ressemblent ont toutes des défenses, et sont donc toutes non-comestibles (Figure 2) : pour un papillon aposématique , signalant sa toxicité et ainsi protégé de la prédation, quel avantage y aurait-il à mimer les motifs d’une autre espèce toxique ?
Figure 3. Note de bas de page de l’article original de Fritz Müller publié en 1979 dans les Transactions of the Entomological Society of London , dans laquelle il présente son modèle d’évolution du mimétisme.
En pratique, dans une même localité, on peut trouver plusieurs espèces, parfois plus de dix, qui partagent le même motif coloré. Certaines de ces espèces ont des défenses chimiques, et sont donc des mimes mullériens les unes des autres, et d’autres sont comestibles, et sont des mimes batésiens des premières. On appelle cercle mimétique l’ensemble des espèces qui partagent le même motif (Figure 4).
Les mimétismes batésien et mullérien ont été décrits en premier lieu chez les papillons, et abondamment documentés dans ce groupe. On trouve cependant de multiples exemples chez d’autres organismes, notamment chez les nombreuses espèces d’abeilles, bourdons et guêpes, toutes défendues par la capacité d’infliger une piqûre venimeuse (mimétisme mullérien), qui sont par ailleurs mimées par d’inoffensifs papillons de la famille Sesiidae et mouches de la famille Syrphidae (mimétisme batésien). Le mimétisme est également présent chez d’autres arthropodes (coléoptères, araignées…) ainsi que chez des vertébrés (grenouilles, poissons, serpents…).
Bates, H.W. (1862). Contributions to an Insect Fauna of the Amazon Valley. Lepidoptera: Heliconidae. Transactions of the Linnean Society. 23 (3): 495–566.
Darwin, C. (1859). On the Origin of Species by Means of Natural Selection, or the Preservation of Favoured Races in the Struggle for Life (1st ed.). London: John Murray. ISBN 978-1-4353-9386-8.
Müller, F. (1879). Ituna and Thyridia; a remarkable case of mimicry in butterflies. (R. Meldola translation). Transactions of the Entomological Society of London. 1879: 20–29.