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De nouveaux écocatalyseurs

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1. Ecocatalyseurs : les premiers catalyseurs métalliques biosourcés pour une chimie écologique [1]

Une particularité cruciale des catalyseurs écologiques est leur composition pluri-métallique résultant de la combinaison d’éléments de transition à des concentrations très élevées (par exemple Zn2+, Ni2+, Mn2+, Cu2+, Pd2+, Ce2+) avec des éléments classiques généralement nécessaires au développement des plantes (par exemple Na+, K+, Ca2+, Mg2+, Fe3+). La présence simultanée d’une combinaison de sites actifs bien définis résulte de cette variété d’espèces métalliques. Dès lors, des séquences d’étapes réactionnelles originales permettent d’aboutir à des sélectivités uniques. En effet, un catalyseur classique peut se limiter à influencer seulement une ou certaines des étapes d’un processus réactionnel, limitant ainsi les opportunités en synthèse organique. Ici, la richesse des différentes interactions entre les espèces chimiques présentes conduit à des interactions métal/ligand multiples et inhabituelles en solution.

Cette particularité de composition a été mise à profit dans des réactions multi-composantes et en cascade conduisant à la préparation directe de composés hétérocycliques complexes d’intérêt pharmaceutique aux noms un peu barbares, tels que 2-H-chromènes, 1-H-1,5-benzodiazépines, cannabinoïdes, pyridines tétrasubstituées, furanes chiraux polyhydroxylés, pyrazoles et 1,2,3-triazoles substitués.

2. Des matériaux innovants, complexes et biosourcés

2.1. Des compositions et microstructures inédites

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Figure 1. Une approche interdisciplinaire en chimie couplant des approches de chimie des matériaux et de synthèse organique en chimie verte et durable. [Source : © C. Grison]
Il a été possible d’identifier, de comprendre et contrôler les interactions polymétallique-molécule jusqu’à l’acte catalytique, par une approche globale de chimie des matériaux et de modélisation moléculaire (Figure 1). Les écocatalyseurs possèdent des compositions et microstructures inédites résultant d’une empreinte végétale. Ces sels, souvent encore inconnus en catalyse, font l’objet d’études spécifiques (catalyse bio-inspirée).

 

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Figure 2. Eco-Mn dérivé de Grevillea exul rubiginosa : une structure originale et une empreinte végétale. [Source : © C. Grison]
Ainsi, par exemple, un Eco-Mn (écocatalyseur à manganèse) issu de Grevillea exul rubuginosa (Figure 2) est constitué de sels uniques, tels que K3NaMnCl6, KMnCl3 dont l’intérêt en catalyse a été récemment démontré par des calculs complexes. Trois générations successives d’Eco-Mn récemment élaborées et étudiées ont montré des résultatsprometteurs (sélectionnés comme publication pour fêter l’anniversaire du Journal of Green Chemistry). Une revue sur l’ensemble de ces résultats complète cette publication. Elle regroupe les nombreux résultats accumulés dans le domaine de l’époxydation, de la coupure oxydante, des oxydations d’alcools activés, et du premier exemple de la littérature où l’Eco-Mn est le catalyseur d’une réaction de réduction. Il s’agit de l’amino-réduction bio-inspirée de dérivés carbonylés (y compris les cétones).

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Figure 3. Spectre de Diffraction aux Rayons X (DRX) d’un Eco-Ni(0) et ses propriétés physicochimiques. [Source : © C. Grison]
Au-delà de leur composition originale, les écocatalyseurs ne sont pas de simples outils catalytiques pour la synthèse de molécules, mais des matériaux à part entière, innovants, complexes et biosourcés (leurs morphologie et microstructure en témoignent). Un Eco-Ni préparé par décomposition thermique contrôlée d’un formiate de Nickel dérivé d’une plante hyper-accumulatrice de Nickel, possède une morphologie digne de la très réactive argile montmorillonite K10, en termes de surface spécifique et de porosité (Figure 3). Il présente une composition originale (FeNi3) qui explique sans doute son comportement inhabituel pour du Nickel métallique.

2.2. Des catalyseurs économes en métaux de transition couteux

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Figure 4. Microstructure d’un Eco-Pd et ses applications en synthèse organique. [Source : © C. Grison]
La présence d’une matrice minérale constituée d’éléments cationiques physiologiques permet de disperser et stabiliser les nanoparticules (2-4nm) formées par les métaux de transition. Leur agrégation est ainsi évitée, et conduit à des réactions catalysées avec de très faibles quantités de catalyseur. Ceci est particulièrement avantageux dans le cas des platinoïdes très couteux (Figure 4).

Les réactions de couplage de Suzuki et Heck (Prix Nobel) sont réalisées sans ligands et sans additifs (avantage important en chimie verte pour former des liaisons carbone-carbone).

2.3. De nombreux mécanismes de la synthèse organique revisités

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Figure 5. De nombreux mécanismes de la synthèse organique revisités grâce aux écocatalyseurs. [Source : © C. Grison]
Les écocatalyseurs peuvent présenter des performances et des sélectivités très supérieures aux catalyseurs classiques. Ce nouveau concept a permis la préparation d’une large variété de catalyseurs écologiques performants, à réactivité modulable, tout en respectant les principes de la chimie durable. Les écocatalyseurs ont ainsi permis de revisiter tous les grands mécanismes de la synthèse organique (Figure 5) : catalyse acide de Lewis, réductions vertes, oxydations vertes, réactions de couplages croisés.

Les écocatalyseurs permettent la synthèse de biomolécules complexes à l’impact industriel et sociétal important. Ils permettent notamment la synthèse de molécules très recherchées telles que des antimitotiques, ADN et ARN, agents de biocontrôle, insecticides de nouvelle génération, cosmétiques et intermédiaires-clés de l’industrie chimique.

2.4. Les réactions écocatalysées peuvent être réalisées dans des solvants verts, y compris l’eau.

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Figure 6. Quelques exemples de réactions écocatalysées. [Source : © C. Grison]
Parmi les nombreux exemples possibles (Figure 6), on citera l’exemple avantageux de la réaction de Suzuki en série hétérocyclique réalisée dans un milieu glycérol/BuOH, des réductions réalisées dans l’isopropanol, des coupures oxydantes dans le butanol ou dans le mélange eau/acétone, ou encore la réaction de Garcia-Gonzalez effectuée dans un mélange eau/EtOH, voire sans solvant.

Grâce au processus de biosorption (rétention des métaux sur la biomasse), il est possible de recycler et réutiliser les écocatalyseurs, y compris en phase homogène. Cette possibilité inhabituelle a été éprouvée avec la cycloaddition alcynes-azides catalysée par du cuivre, les couplages de Suzuki et de Sonogashira.

3. Conclusion

Le concept d’écocatalyse permet aujourd’hui de se libérer de l’intégralité des limitations propres aux méthodes existantes grâce à une nouvelle génération de matériaux fonctionnels, écologiques, stables et recyclables. Ils présentent plusieurs interfaces réactives dont les propriétés peuvent être contrôlées à partir de l’intensité et de la nature de l’interaction métal/substrat recherchées. Celles-ci sont liées à la biodiversité des espèces végétales utilisées en restauration écologique et en biosorption. Les écocatalyseurs ne sont donc pas de simples substituts des catalyseurs issus de la métallurgie, mais bien de nouveaux outils qui intègrent une triple vision : chimie, écologie, environnement pour une chimie durable.


Notes et références

Image de couverture. L’écocatalyse, développée depuis 10 ans, représente une voie inédite de valorisation de la phytoextraction, de la rhizofiltration et d’autres phyto-technologies de dépollution. [Source : © C. Grison]

[1] Grison C., Y. Lock Toy Ki. Ecocatalysis, a new vision of Green and Sustainable Chemistry, Current Opinion in Green and Sustainable Chemistry, 2021, 29, 100461. https://doi.org/10.1016/j.cogsc.2021.100461.