La biodiversité n’est pas un luxe mais une nécessité

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Encyclopédie environnement - biodiversité - biodiversity

La biodiversité, contraction de l’expression « diversité biologique », fit son apparition dans la sphère publique à l’occasion du Sommet de la Terre (1992). Deux sens sont reconnus au mot. Le premier relève des sciences de la vie et concerne sa composante biologique tandis que le second relève des sciences de l’homme et de la société et se préoccupe de la manière dont la société la gère, y compris dans le respect de sa valeur intrinsèque. Les notions de fonctions et de services écosystémiques permettent d’établir des liens opérationnels entre la biologie des espèces et les besoins de la société. Plusieurs facteurs d’érosion de la biodiversité, réunis sous l’expression « changement global », sont de sérieux risques pour le bien-être des sociétés que de nouvelles formes de gouvernance écologique devraient atténuer.

1. Qu’est-ce que la biodiversité ?

Encyclopédie environnement - biodiversité - nombre d'espèces sur terre
Figure 1. Combien d’espèces y a-t-il sur la Terre ? Un peu moins de 2 millions d’espèces sont actuellement décrites mais le nombre réel est sans doute de l’ordre de 10 à 30 millions. Comme l’illustre cette figure, le nombre d’espèces décrites est très variable selon les groupes. Si les vertébrés sont assez bien connus encore qu’on décrive plusieurs espèces de mammifères et d’oiseaux chaque année, sans parler des amphibiens, des reptiles et des poissons, la diversité de groupes comme les champignons, les nématodes ou les insectes reste très mal connue au point qu’une grande partie des espèces appartenant à ces groupes seront éteintes avant même d’avoir été découvertes et décrites. Ce bilan ne tient pas compte des procaryotes (organismes sans noyau cellulaire) tels que les bactéries et les archées qui se comptent par dizaines de millions d’entités distinctes et dont le rôle fonctionnel est fondamental à la vie.

Le néologisme Biodiversité fut forgé lors d’un forum sur la diversité biologique organisé aux États-Unis en 1986 dans le contexte d’une prise de conscience par la communauté scientifique d’une érosion inquiétante de la diversité biologique un peu partout dans le monde. Mais c’est la conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement, plus connue sous le nom de Sommet de la Terre de Rio de Janeiro, en Juin 1992, qui popularisa le terme auprès du grand public et du monde médiatique. Défini au départ comme la diversité des écosystèmes, des espèces (figure 1) et des gènes dans l’espace et dans le temps, ainsi que de leurs interactions au sein et entre ces niveaux d’organisation, il est utilisé dans une gamme si étendue de situations qu’il n’est plus possible de lui donner une définition formelle et simple qui soit acceptée par tous.

On peut cependant reconnaître au mot biodiversité deux sens complémentaires.

  • Le premier est de considérer la biodiversité comme une hiérarchie d’entités objectives (gènes, individus, populations, espèces, écosystèmes) organisées en systèmes interactifs en perpétuelle évolution (dimension du temps), animées d’une dynamique (dimension de l’espace) et assurant des fonctions. Cette définition rend compte de trois notions essentielles, à savoir, les interactions entre éléments de la biodiversité, leur dynamique dans l’espace (ce qui relève de l’écologie) et leur trajectoire temporelle (ce qui relève de l’évolution) (lien vers Article Qu’est-ce que la biodiversité ?).
  • Le second est de considérer la biodiversité comme une construction sociale, économique, juridique et politique dont les enjeux relèvent de ses interactions avec les sociétés humaines: accès aux ressources, usages qui en sont faits, bénéfices qu’on en tire, partage, gestion, durabilité.

D’un point de vue opérationnel la biodiversité est donc une priorité scientifique ; il s’agit de comprendre sa genèse, son évolution, son organisation et ses fonctions au sein des écosystèmes et d’enrayer son érosion si cette dernière est avérée. C’est ce à quoi s’emploie la communauté scientifique relevant des Sciences de la Vie. Mais elle est aussi un enjeu économique et social par les ressources biologiques et génétiques qu’elle représente et qu’il convient de valoriser et de partager de façon équitable à l’échelle des individus et des États. Elle est enfin un enjeu éthique car elle soulève la question du droit à la vie des espèces qui peut être considéré comme imprescriptible, ce que défendent plusieurs courants philosophiques très actifs comme l’éthique de l’environnement.

L’éthique de l’environnement soulève la question de la légitimité de l’anthropocentrisme occidental dans la construction des normes d’exploitation et de gestion des espèces et des systèmes naturels. Selon une vision non-anthropocentrique, tout être vivant est un « centre téléologique de vie » et doit, à ce titre, être considéré comme une fin en soi, condition nécessaire et suffisante pour qu’on lui reconnaisse une valeur intrinsèque qui fait de lui un sujet de considération morale. C’est dans ce contexte qu’est apparu un clivage philosophique entre plusieurs postures, notamment entre le « biocentrisme » qui défend le vivant, tout le vivant, à l’échelle de l’individu et « l’écocentrisme » qui plaide pour l’intégrité de la communauté biotique, système écologique complexe qui comprend la totalité des organismes qui le composent, y compris les humains. L’écocentrisme est actuellement une option privilégiée pour penser les relations entre sociétés humaines et systèmes naturels.

La biodiversité relève donc aussi explicitement des Sciences de l’Homme et de la Société.

2. Fonctions et services et valeurs

Longtemps cloisonnées, les recherches sur la biodiversité tendent aujourd’hui à intégrer ces deux composantes, notamment à la suite des travaux de l’Évaluation des Écosystèmes pour le Millénaire (Millenium Ecosystem Assessment) préparés à l’initiative de l’ONU pour la Convention sur la Diversité Biologique (CDB). Ce traité international, adopté lors du sommet de la Terre à Rio de Janeiro en 1992, a pour buts (i) la conservation de la biodiversité, (ii) l’utilisation durable de ses éléments et (iii) le partage juste et équitable des avantages découlant de l’exploitation des ressources génétiques. La CDB est un document clé pour un développement durable dont la biodiversité est considérée comme un enjeu essentiel. Depuis 2012, la Plate-forme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), lancée par le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), rassemble un groupe d’experts sur le modèle du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC).

Encyclopédie environnement - biodiversité - biodiversité et sciences humaines
Figure 2. Relations entre biodiversité, fonctions, services et société humaines. Des pressions excessives peuvent entraîner plusieurs types de dégradations (changement global).

La logique des relations entre biodiversité et sociétés humaines repose sur les notions de fonctions et de services écosystémiques (figure 2) : les fonctions sont les processus de base qui font vivre les écosystèmes tels que pollinisation, productivité primaire, relations entre niveaux trophiquesRang occupé par un être vivant au sein d’une chaîne alimentaire. Le niveau de base de ce réseau est celui de la production primaire autotrophe, au-dessus de ce niveau, chaque maillon d’une chaîne alimentaire correspond à un niveau trophique. Le réseau trophique décrit certaines relations entre espèces (relations prédateur-proie notamment), les cycles et flux d’énergie et de nutriments au sein des écosystèmes entre producteurs, consommateurs et décomposeurs., recyclage de la matière organique, régulation des populations etc. Les services, quant à eux, sont les bénéfices que les humains tirent de ces fonctions, à savoir tout ce dont ils ont besoin pour se nourrir, se vêtir ou se soigner, mais aussi une multitude de services tels que la régulation du climat, l’épuration de l’eau, la séquestration du carbone, le contrôle des agents pathogènes etc. Lorsque les pressions sur les écosystèmes sont excessives, ils se dégradent par perte d’espèces, ruptures d’interactions, donc altération des fonctions puis appauvrissement des services. L’érosion de la biodiversité est aujourd’hui un sujet majeur de préoccupation. Si l’on déplore avec raison la disparition d’espèces à un rythme jamais égalé dans l’histoire humaine, l’effet le plus inquiétant et le plus pernicieux de cette érosion est l’éclatement dans l’espace, l’appauvrissement génétique et la disparition des populations locales à l’échelle des paysages, sorte d’effilochage du tissu de la vie qui porte atteinte au fonctionnement des écosystèmes.

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Figure 3. Les différents types de valeurs reconnues à la biodiversité. D’après Chevassus-au-Louis et al. (2009).

Dans la logique de la notion de services et de capital attribué à la biodiversité, mais aussi, affirme-t-il, pour contribuer à la conserver, le monde économique s’est emparé du concept pour lui attribuer des valeurs, ce qui ne va pas sans soulever de nombreuses difficultés car les différents sens du mot valeur peuvent conduire à des pratiques contradictoires (figure 3). Quand on monétarise la valeur d’une entité de biodiversité par une transaction financière, la valeur qu’on lui attribue n’a rien à voir avec celle qu’on lui reconnaît en tant qu’entité vivante unique.

3. Changement global et biodiversité

On désigne par l’expression « changement global » l’ensemble des facteurs de dégradation dus à une pression excessive sur les écosystèmes, cette pression étant devenue telle qu’on désigne par le terme «AnthropocèneNéologisme associant les mots grecs « homme » et « récent », forgé par le météorologue et chimiste de l’atmosphère Paul Crutzen, prix Nobel de chimie en 1995, pour désigner une nouvelle époque géologique. L’anthropocène aurait débuté avec la révolution industrielle et succéderait ainsi à l’Holocène, l’époque géologique après la dernière glaciation et qui couvre les dix derniers millénaires. » cette nouvelle ère géologique marquée à jamais par une empreinte humaine dont les effets se font sentir sur l’ensemble de la planète. Le changement global se décline en six composantes principales : (i) altération et morcellement des habitats, (ii) pollutions (sous toutes leurs formes), (iii) intrants chimiques (pesticides, fertilisants), (iv) espèces envahissantes (y compris les OGM), (v) surexploitation des ressources, et (vi) dérèglements climatiques. Ces pressions entraînent une érosion de la biodiversité dont l’estimation est difficile mais que plusieurs métriquesUnités ou indicateurs de mesure utilisés pour juger de l’efficacité d’une activité. permettent d’évaluer. Cette érosion est telle qu’on parle d’une sixième crise d’extinction majeure, les cinq autres s’étant échelonnées entre le Dévonien (370 millions d’années avant le présent) et la dernière en date, celle de la fin du Crétacé (65 millions d’années). Cette dernière entraîna, entre autres, l’extinction des dinosaures mais favorisa l’épanouissement des oiseaux et des mammifères.

Pour de multiples raisons aujourd’hui bien connues, le bien-être des sociétés humaines repose sur leur insertion dans des systèmes écologiques aussi fonctionnels que possible, ce qui suppose des normes de gestion nouvelles plus respectueuses de l’environnement. Les sciences de la conservation contribuent à définir ces normes et apportent l’expertise nécessaire à la mise au point de politiques efficaces de gestion des espaces et des espèces. Au plan institutionnel, de nombreuses mesures sont prises ou en passe de l’être au niveau de l’Union Européenne. C’est par exemple le cas de la Directive Habitats de 1992 et son réseau de sites protégés Natura 2000 et la Directive Oiseaux de 2009. La France s’est engagée en, faveur de la biodiversité par de nombreuses initiatives, notamment par la loi de 1976 sur la protection de la nature puis par les lois du Grenelle de l’Environnement, en 2009 et 2010, et le projet de Trame verte et bleue lancé dès 2007. Plus récemment, la loi sur la Biodiversité en cours de discussion sera assortie de la création de l’Agence française pour la biodiversité, lieu d’expertise et de pilotage de la biodiversité qui contribuera à mettre en œuvre la Stratégie nationale pour la biodiversité. Un autre outil efficace de recherche et d’expertise est la Fondation française pour la biodiversité. Il faut souhaiter que toutes ces mesures portent leurs fruits, ce qui n’est pas encore le cas, les indicateurs de tendance ne manifestant pas encore, sauf exceptions locales, d’amélioration de l’état de la biodiversité.


Références et notes

[Photo de couverture : Les flamants roses, Douanier Rousseau (1907, collection privée)]

 


L’Encyclopédie de l’environnement est publiée par l’Association des Encyclopédies de l’Environnement et de l’Énergie (www.a3e.fr), contractuellement liée à l’université Grenoble Alpes et à Grenoble INP, et parrainée par l’Académie des sciences.

Pour citer cet article : BLONDEL Jacques (2 mars 2020), La biodiversité n’est pas un luxe mais une nécessité, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 19 mars 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/vivant/biodiversite-nest-luxe-necessite/.

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