Les eaux minérales naturelles
PDFL’eau minérale naturelle est une eau exclusivement d’origine souterraine, captée soit à une source, soit par forage. Définie en tant que telle par la réglementation, elle est utilisée pour l’embouteillage et/ou le thermalisme. Pure, protégée géologiquement et présentant une composition minérale parfaitement stable, elle ne fait l’objet d’aucun traitement chimique ni désinfection avant son embouteillage ou son utilisation thermale. Ces eaux appartiennent, par définition, à des aquifères à forte inertie, en général profonds, carbogazeux dans certains cas. Bien protégés des contaminations superficielles par leur couverture géologique et, le cas échéant, également par des politiques de protection dédiées, ces aquifères se situent en général dans des régions peu soumises aux pressions anthropiques (agriculture intensive, industrie, urbanisation…). Ils y contribuent de manière notable au développement économique local.
1. Des eaux qui viennent de loin
Depuis les temps préhistoriques, et au moins dès la plus haute antiquité, les eaux minérales et les eaux thermales (des eaux de source plus chaudes que les eaux de source communément trouvées dans une région donnée) ont été reconnues et recherchées par l’homme. Elles font depuis longtemps partie de sa pharmacopée (AFSSA, 2008 [1]). Cinq siècles avant notre ère, dans la Grèce antique, des médecins recommandaient déjà la consommation des « eaux minérales naturelles » (EMN) et leur usage en cure car ils leur attribuaient des vertus thérapeutiques. Cette tradition se poursuit avec les civilisations romaine et arabe qui buvaient l’eau sur place (Figure 1) ou l’utilisaient en bains. Ce sont ainsi les romains qui construisirent en Occident les premiers centres thermaux perpétrant ainsi le culte de l’eau guérisseuse.
1.1. Une longue histoire en France
En France, l’intérêt pour les eaux thermales a perduré au Moyen-Âge. Toutes les sources thermales ont même été transformées en propriété de l’État en 1549 avec les lettres patentes signées par Henri II [1]. En 1605, Henri IV instaure les premiers contrôles de l’État sur les eaux thermales et médicinales du royaume en créant la Surintendance des eaux minérales. Cette propriété de l’État étant peu respectée par de nombreux propriétaires fonciers qui exploitent, à titre privé, les eaux jaillissant sur leurs terres, Louis XV, tout en confirmant ce droit en 1772, reconnait néanmoins celui des propriétaires des terrains sur lesquels jaillissent des sources. Ce problème est définitivement réglé en 1781 par un arrêt du Conseil d’Etat qui distingue d’une part les sources appartenant à l’État et, d’autre part, celles présentes sur les propriétés des particuliers que ces derniers peuvent exploiter après autorisation de la Société royale de médecine et sous réserve du respect de la réglementation en vigueur.
La législation française en matière de police et de surveillance des eaux minérales naturelles ne se met réellement en place qu’au début du XIXe siècle. Les mesures prises alors visent d’une part à contrôler la qualité des eaux, à protéger leurs propriétés physiques et thérapeutiques, et d’autre part à assurer l’implantation harmonieuse des établissements thermaux afin de gérer au mieux un capital à fort potentiel économique. Du fait du développement de captages par forage et devant la multiplication des « guerres des sources » (le captage d’une même ressource en eau minérale ou thermale au moyen de puits différents, appartenant à différents propriétaires), dès 1856, la loi donne aussi la possibilité de créer un périmètre de protection autour de chaque source pour protéger son débit. Ce périmètre est assorti d’une déclaration d’intérêt public (DIP) obligatoire.
L’utilisation des eaux minérales naturelles à d’autres fins que le thermalisme est apparue en France au XVIe siècle [1], avec la pratique de l’embouteillage d’eaux destinées aux Ducs de Lorraine. En 1632, un édit de Louis XIII autorise le transport de l’eau minérale naturelle en bouteilles cachetées de cire. En 1709 est institué un monopole pour le transport et la vente des eaux minérales naturelles embouteillées par les personnes autorisées par le surintendant général. Après plusieurs autres modifications, c’est en 1957 qu’un décret soumet à autorisation ministérielle les opérations de transport, de traitement et d’embouteillage des eaux minérales naturelles. Enfin, les bases législatives applicables aux eaux minérales naturelles apparaissent avec la loi N°2004-806 du 9 août 2004, codifiée sous les articles L. et R. 1322-1 et suivants du Code de la Santé Publique. Cette loi est refondue en 2007.
C’est en fait au XIXe siècle et au début du XXe siècle que se développe le marché des eaux embouteillées. Cela commence avec les curistes qui prennent l’habitude, en fin de cure, de ramener chez eux de l’eau minérale naturelle utilisée pour leurs soins [1]. En France, les grandes sociétés d’embouteillage apparaissent ainsi peu avant la seconde guerre mondiale et le marché se développe par la suite.
Aujourd’hui, 88 eaux minérales naturelles sont reconnues en tant que telles et figurent sur la liste officielle européenne [2]. Plusieurs eaux pouvant être embouteillées sur un même site, il existe environ 60 sites de production (figure 2).
En 2014, la production d’eau conditionnée en France est de l’ordre de 12 milliards de litres [3] dont approximativement 7 milliards de litres d’EMN et 5 milliards de litres d’eau de source. La France, bien que n’étant pas le premier marché européen pour la vente d’eau embouteillée, est le premier exportateur mondial d’eaux minérales naturelles, avec plus d’un tiers de la production exportée [4]. Cette industrie des eaux embouteillées génère de nombreux emplois sur l’ensemble du territoire national et le plus souvent dans des zones rurales [4] :
- 10 000 emplois directs liés à l’industrie des eaux en bouteille.
- 30 000 emplois indirects, sans considérer l’activité thermale.
La plupart de ces emplois ne sont pas délocalisables. Par essence, ils sont attachés aux sources, l’eau minérale naturelle ne pouvant être transportée avant son conditionnement. Ils participent au dynamisme de régions souvent isolées où l’exploitation d’une source constitue souvent la seule activité industrielle.
A Volvic (63) par exemple, les deux usines d’embouteillage emploient près de 900 salariés pour une commune qui compte un peu plus de 4 000 habitants. Il en est de même pour la commune de Vergèze (30) qui compte 3 700 habitants et où la société Nestlé Waters Sud qui produit Perrier emploie plus de 1 000 personnes.
L’industrie de l’embouteillage n’a pas rompu ses liens avec le thermalisme et, dans de nombreux sites, les mêmes sources alimentent les deux types d’activité. C’est le cas notamment de Contrexéville, Evian, Thonon-les-Bains, Vichy, Vittel. Le thermalisme génère ainsi encore 10 000 emplois directs selon les spécialistes, autour de 50 000 emplois indirects (hébergement, restauration, etc.) et autant d’emplois induits (commerce, loisir, tourisme, etc.). Le thermalisme reste fortement tributaire de la vitalité des marques d’eaux minérales naturelles (CSEM, 2014).
1.2. Une réglementation stricte
Actuellement, l’eau minérale naturelle est réglementairement définie, en France, par la transposition, dans le Code de la Santé Publique et dans la réglementation [5], de la réglementation européenne [6] (EFBW, 2017). Le décret de 2007 est complété par 5 arrêtés de 2007, 2010 et 2013 [4] relatifs à la constitution des dossiers de demande de déclaration d’intérêt public, d’assignation d’un périmètre de protection, à la constitution du dossier de demande d’autorisation, aux critères de qualité des eaux, aux analyses de contrôle sanitaire et de surveillance des eaux, etc.
Dans ce cadre, l’article R. 1322-2 du Code de la Santé Publique transpose ainsi la définition communautaire de l’EMN :
« Une EMN est une eau microbiologiquement saine… provenant d’une nappe ou d’un gisement souterrains exploité à partir d’une ou plusieurs émergences naturelles ou forées constituant la source. Elle témoigne, dans le cadre des fluctuations naturelles connues, d’une stabilité de ses caractéristiques essentielles, notamment de sa composition et de sa température à l’émergence, qui n’est pas affectée par le débit de l’eau prélevée.
Elle se distingue des autres eaux destinées à ma consommation humaine :
- Par sa nature, caractérisée par sa teneur en minéraux, oligoéléments et autres constituants
- Par sa pureté originelle, l’une et l’autre caractéristiques ayant été conservées intactes en raison de l’origine souterraine de cette eau qui a été tenue à l’abri de tout risque de pollution. »
De par la réglementation, l’EMN peut être utilisée conditionnée (en bouteille), distribuée en buvette publique (figure 1) ou utilisée à des fins thérapeutiques dans un établissement thermal (figure 3).
Jusqu’au début des années 1980, la réglementation imposait, notamment en France, que les propriétés thérapeutiques de l’EMN soient démontrées (par l’Académie de Médecine). Ce n’est plus une obligation de par le cadre réglementaire européen actuel. Pour autant, les EMN homologuées avant cette évolution réglementaire ont toutes nécessairement fait l’objet de cette reconnaissance de leur vertu thérapeutique.
Dans le monde, certains pays ne présentent pas une réglementation spécifique ; la définition de l’EMN se fonde alors sur les standards du Codex Alimentarius (Codex Standard 108-1981) ou « Code alimentaire ». Le Codex Alimentarius a été créé par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture FAO et l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) en 1963 afin de mettre au point des normes alimentaires internationales harmonisées destinées à protéger la santé des consommateurs et à promouvoir des pratiques loyales en matière de commerce international des denrées alimentaires [7].
2. Souterraines, saines et stables
Dans la pratique, une eau minérale naturelle est donc souterraine, saine et stable.
2.1. Souterraine
Elle est exclusivement d’origine souterraine, captée soit à une source (une sortie naturelle d’eau souterraine ; figure 4), soit par forage (un puits, en général vertical, permettant d’atteindre la roche contenant l’eau souterraine – l’aquifère – et de l’y pomper). Ainsi, une eau de surface (eau captée dans une rivière ou un lac par exemple) ne peut pas être embouteillée en tant qu’eau minérale naturelle (ni en tant qu’eau de source ; elle ne peut l’être en France que sous la dénomination d’« eau rendue potable par traitement ») ;
2.2. Saine
Elle doit être microbiologiquement saine, c’est-à-dire ne pas abriter de micro-organismes pathogènes, notamment liés à des contaminations humaines ou animales. Comme l’EMN ne doit pas faire l’objet de traitement de stérilisation et/ou de conservation (telle que l’adjonction de chlore, très fréquemment utilisé pour l’eau du robinet), ou de tout autre traitement chimique, elle n’est pas stérile et renferme donc une flore naturelle. Celle-ci est néanmoins peu abondante du fait de la faible quantité de nutriments présents dans les eaux souterraines, notamment dans les eaux souterraines profondes.
Cette absence de stérilisation/conservation a des conséquences opérationnelles pour l’exploitant d’eau minérale naturelle : les installations de captage (source, forages…) doivent être réalisées en matériaux répondant aux normes alimentaires et résistant aux nettoyages (en acier inoxydable par exemple). Elles sont dotées de dispositifs (filtres à air par exemple, cimentation, anti-intrusion…) empêchant toute contamination, notamment par la flore atmosphérique, les eaux superficielles, ou par l’homme. Les installations doivent aussi pouvoir être (et sont) régulièrement entretenues (sanitations) pour éviter tout développement en leur sein, de la flore naturelle de l’aquifère. Ces précautions constituent une différence majeure par exemple par rapport à l’exploitation des eaux souterraines destinées à l’eau de distribution publique.
Afin de garantir cette pureté microbiologique, et d’éviter les contaminations d’origine humaine, microbiologiques ou autres, les aquifères à partir desquels est produite une eau minérale naturelle doivent être bien protégés des infiltrations en provenance de la surface. C’est le cas grâce à leur protection géologique naturelle. A Evian-les-Bains (Haute-Savoie) par exemple, cette protection est assurée par des roches imperméables (une moraine de fond d’origine glaciaire) présente sur plusieurs dizaines de mètres d’épaisseur sous la surface du sol ;
2.3. Stable
La « stabilité de ses caractéristiques essentielles » (température, minéralisation…) constitue un des éléments clés de la définition d’une eau minérale naturelle, qui la distingue aussi des « eaux de source », autre type d’eau embouteillé pour lequel cette stabilité n’est pas requise. Dans la pratique, cela veut dire que seuls des aquifères à forte inertie, montrant des circulations lentes, le plus souvent de durée plus que pluriannuelle, peuvent prétendre à une reconnaissance du statut d’EMN. Ce n’est pas le cas des aquifères superficiels, régulièrement « dilués » par la recharge par les eaux de pluie ; des aquifères karstiques des roches calcaires, aux écoulements rapides ; ou des eaux des alluvions, en interaction avec un cours d’eau.
L’acquisition de la minéralisation (les sels minéraux naturellement dissous dans l’eau) se fait par l’interaction entre l’eau et la roche au cours du parcours souterrain de l’eau : l’eau dissout lentement la roche au sein de laquelle elle circule et atteint un équilibre avec elle à son contact. Dans le cas des eaux naturellement gazeuses (voir § 3), la présence de gaz carbonique dans le sous-sol accroît ces interactions eau-roche et favorise la dissolution des minéraux. Il en est de même des températures élevées atteintes par l’eau en profondeur. Ce sont principalement ces minéraux dissous qui confèrent à l’eau minérale naturelle ses propriétés thérapeutiques. Ainsi, pour quelques EMN, certains de ces minéraux dissous peuvent même excéder les normes de potabilité. En tout état de cause, cette minéralisation est exclusivement d’origine naturelle ; une EMN ne peut pas faire l’objet d’adjonction artificielle de minéraux.
Le maintien à long terme de la pureté et de la stabilité d’une EMN peut requérir la mise en œuvre d’actions de protection en surface, dans la zone d’alimentation, ou bassin versant, de l’aquifère minéral (voir section 5).
Même si certaines eaux minérales naturelles sont caractérisées par des circulations très lentes et ont donc de ce fait, à la source ou au forage, un âge ancien (plusieurs dizaines voire plusieurs milliers d’années), elles font partie intégrante du cycle naturel de l’eau. Elle doivent donc être gérées de manière durable, en s’assurant notamment de ne pas prélever plus, à la source ou par les forages, que la quantité d’eau rechargée naturellement par les précipitations (pluie, fonte de neige, etc.) sur le bassin versant d’alimentation de l’aquifère minéral.
3. Plus ou moins minéralisées
La composition minérale, ou le « faciès hydrochimique », d’une eau minérale naturelle reflète la nature des roches qu’elle a traversées (donc leur composition minéralogique) et, pour certains éléments minéraux, tels que la silice ou le magnésium par exemple, la durée des écoulements souterrains. A l’exception de certaines caractéristiques isotopiques de la molécule d’eau qui sont par exemples liées à l’altitude à laquelle les pluies ou les eaux de fonte de neige se sont infiltrées, la composition de la pluie est totalement masquée par cette acquisition ultérieure de minéralisation.
Ainsi, les eaux circulant dans des roches calcaires comportent en général une teneur en calcium significative, voire en magnésium si les calcaires sont dolomitiques. Les sulfates sont souvent liés à la présence d’évaporites (gypse par exemple), ou à la lixiviation de sulfures. Le sodium, lorsqu’il n’est pas évaporitique (et alors corrélé au chlorure), traduit souvent de longues interactions eau-roche, en profondeur, en contexte de roches granitiques ou métamorphiques. La silice est plus présente dans les eaux des roches granitiques et métamorphiques ou volcaniques que dans celles des roches sédimentaires. La discipline scientifique qui vise à caractériser le parcours des eaux souterraines à partir de leur composition minérale s’appelle l’hydrogéochimie.
Du fait de cette relation intime entre nature du sous-sol et spécificité de chaque eau minérale naturelle, le terme de « terroir » est aussi souvent utilisé pour les eaux minérales naturelles.
On différencie trois catégories d’eaux minérales naturelles (Directive 2009/54/EC du 18 Juin 2009 [8]), en fonction de la teneur en sels minéraux (calculée comme résidu après évaporation de l’eau à 180°C) :
- « très faiblement minéralisée » : la teneur en sels minéraux est inférieure à 50 mg/L (ex : EMN de Montcalm, Mont Roucous…) ;
- « faiblement minéralisée ou oligominérale » : la teneur en sels minéraux est inférieure à 500 mg/L (ex : EMN d’Aizac, Chantemerle, Ventadour, Perrier, Luchon, Sail-les-Bains, Ogeu, Esource du Roy, Aix-les-Bains, Evian, …)
- « riche en sels minéraux » : la teneur en sels minéraux est supérieure à 1 500 mg/L (ex : EMN de La Ferrugineuse Incomparable, La Reine des Basaltes, Vals-Vivaraise, Quézac, Hydroxydase, Rozana, Saint-Diéry, Sainte-Marguerite, Saint-Antonin, Hépar, Contrex, Cilaos, …).
Compte tenu de la spécificité de certaines eaux minérales naturelles, des indications ou, au contraire, des contre-indications peuvent être proposées dans certains états physiologiques ou pathologies. Pour plus d’information, le rapport de l’Académie Nationale de Médecine relatif à la place des eaux minérales naturelles dans l’alimentation (Queneau et Hubert, 2006 [9]) peut être utilement consulté.
Le cas particulier des eaux naturellement gazeuses mérite d’être évoqué. L’exemple de la source Badoit (Loire), qui a fait l’objet d’une étude récente en analysant notamment la composition isotopique du gaz carbonique et de l’eau minérale, est représentatif des processus à leur origine. Dans cette partie du Massif central, la croûte terrestre est fracturée et amincie. Cet amincissement provoque une remontée du manteau terrestre jusqu’à une profondeur d’une quinzaine de kilomètres environ. Sa fusion partielle entraîne le dégazage de dioxyde de carbone (CO2) qui peut remonter sous forme gazeuse au sein des fractures de la croûte terrestre.
A une profondeur d’environ 2,5 à 3 km, ce dioxyde de carbone gazeux se dissout dans des eaux infiltrées depuis la surface et dont l’âge est d’au moins 20 000 ans. Ces eaux riches en CO2 dissous remontent ensuite, toujours par les fractures de la croûte. Elles acquièrent une forte minéralisation car le CO2 augmente les interactions eau-roche. Au cours de leur remontée, elles rencontrent deux types de fractures : certaines permettent la poursuite de la remontée ; d’autres, du fait de leurs propriétés (épaisseur de la fracture notamment), entraînent un dégazage des eaux en profondeur et la seule remontée du CO2, sous forme gazeuse.
Dans les dernières centaines de mètres de leur parcours en profondeur, ces eaux riches en CO2 et ce CO2 gazeux se mélangent et se disolvent respectivement avec des eaux moins minéralisées, dont l’âge est en majorité plus ancien que 100 ans, contenues dans des roches granitiques. C’est dans ces roches granitiques, entre 100 et 300 m de profondeur, que ce mélange naturel est capté par forage pour être embouteillé.
4. Plus ou moins chaudes
Dans l’exemple ci-dessus de la source Badoit, la remontée des eaux profondes se fait très lentement. L’eau minérale naturelle a donc le temps de se refroidir progressivement au cours de celle-ci ; en surface, elle ne présente donc pas une température significativement plus élevée que celle des autres sources, de surface elles, du secteur. Rappelons que la température augmente, en moyenne, de 3 °C par 100 m lorsque l’on s’enfonce dans le sous-sol.
Lorsque la remontée est plus rapide, l’eau minérale chauffée en profondeur n’a pas le temps de se refroidir autant. Elle arrive chaude à la surface. On la qualifie alors d’eau thermale. Une eau est considérée comme thermale lorsque sa température est supérieure à celles des eaux des sources ou aquifères de faible profondeur d’une région donnée (soit la température moyenne annuelle de l’air en ce lieu). A Chaudes-Aigues par exemple, dans le Cantal, la température des sources thermales atteint 82 °C ; cette ressource est captée pour chauffer les habitations au moins depuis le XIIe siècle (figure 5). A Bouillante, en Guadeloupe, la température de l’eau est proche de 100 °C en surface. Elle atteint plus de 250 °C à 1 000 m de profondeur. Elle y est captée par forage afin d’actionner, sous forme de vapeur, une turbine qui produit de l’électricité. On parle alors de géothermie (lire Géothermie: une source significative d’énergie?).
Certains éléments chimiques, tels que la silice par exemple, sont des indicateurs de la température que l’eau a subit en profondeur, donc de la profondeur qu’elle a atteinte, même si l’eau minérale s’est ensuite partiellement ou totalement refroidie lors de sa remontée vers la surface. On appelle ces éléments chimiques des « géothermomètres ». C’est par exemple grâce à ces géothermomètres que la profondeur d’infltration de l’eau de Badoit (2.5 à 3 km) a pu être déterminée.
5. Protégées et gérées dans la durée
Comme indiqué plus haut (§ 2), les eaux minérales naturelles font partie intégrante du cycle naturel de l’eau et doivent donc être gérées de manière durable afin de garantir la pérennité quantitative de la ressource en eau.
Afin de préserver à long terme la stabilité et la pureté de l’eau minérale naturelle, les embouteilleurs ont mis en place des « politiques de protection » des impluviums (ou bassins versants d’alimentation) de leurs sources. Le bassin versant est le territoire sur lequel la partie des eaux de pluie (et/ou de fonte de neige) précipitées qui s’infiltre dans le sous-sol, alimente l’aquifère minéral et contribue donc au renouvellement de la ressource. En d’autres termes, une goutte précipitée sur le territoire de l’impluvium peut rejoindre l’aquifère minéral ; une goutte d’eau précipitée en dehors de ce territoire pourra éventuellement alimenter d’autres eaux souterraines, mais en aucun cas l’aquifère minéral en question.
A Evian par exemple [10], le bassin versant a une superficie d’environ 35 km2 (figure 6). On évalue que 50 % des précipitations qui y tombent repartent vers l’atmosphère sous forme de vapeur d’eau du fait de l’évaporation et surtout de l’évapotranspiration due au métabolisme des plantes. Environ 35 % ruissellent en surface ou alimentent des nappes d’eau souterraine de faible profondeur, non minérales. Ainsi, seuls 15 % des eaux de pluie rechargent l’aquifère minéral.
Un modèle original a été mis en place, depuis près de 30 ans, pour assurer la protection de l’impluvium et la pérennité de la pureté de l’eau d’Evian, tout en favorisant le développement de ce territoire, le plateau de Gavot. L’Association pour la protection de l’impluvium des eaux minérales d’Evian (APIEME) [11], créée dès 1992 est un, véritable « parlement local de l’eau ». Il regroupe les maires des neuf communes situées sur l’impluvium, ceux des quatre communes disposant d’émergences d’eau minérale ainsi que la société d’embouteillage (SAEME). L’association a pour vocation de financer des projets utiles pour la protection efficace à long terme de la ressource en EMN. Parmi les projets mis en œuvre au cours des dernières décennies, citons : l’amélioration des réseaux et stations de traitement des eaux usées des villages ; l’aide au maintien de l’agriculture traditionnelle (avec notamment les AOC/AOP [12] des fromages Abondance, Reblochon, Tomme), active sur le territoire depuis des siècles et qui y a donc fait la preuve de son efficacité pour la protection de l’EMN ; la protection des zones humides du plateau, qui sont maintenant labellisées « zones humides d’importance internationale » au titre de la convention de RAMSAR [13], etc.
Le financement de l’APIEME est assuré aux deux tiers par la SAEME et pour un tiers par les communes jouissant de captages d’EMN évian. Ces dernières bénéficient, au titre du droit fiscal français, de ressources financières spécifiques (la surtaxe sur les eaux minérales naturelles). Notamment de par son fonctionnement, l’APIEME a conduit au développement d’une politique de redistribution économique, qui s’appuie sur des projets techniquement riches. Basés sur une connaissance précise du territoire, ils se doivent d’être gagnant-gagnant (pour la société des eaux, les communes d’émergence et les acteurs de l’impluvium). Les projets, multisectoriels (agriculture, urbanisme, assainissement, protection des espaces naturels, etc.), consistent exclusivement en des actions à vocation collective. Ils ne comprennent ainsi pas de subventionnement « à l’hectare », dans le domaine agricole par exemple. Ils ne donnent lieu à aucune politique d’acquisition foncière, notamment par la SAEME.
Ce « modèle de protection » a été appliqué aux autres sites d’embouteillage d’EMN du groupe Danone en France (Volvic [14], Badoit [15], La Salvetat [16]) et a aussi servi d’inspiration pour la protection d’autres sources du groupe Danone dans le monde. D’autres types de « modèles de protection », avec la même finalité de protection de la ressource en EMN, ont été développés par le groupe Nestlé, par exemple à Vittel [17].
Notes et références
Photo de couverture : Ancien établissement thermal d’Evian-les-Bains [Source : H. Schmelzle]
[1] Agence Française pour la Sécurité Sanitaire des Aliments (2008). Lignes directrices pour l’évaluation des eaux minérales naturelles au regard de la sécurité sanitaire. Rapport AFSSA, 92 p., https://www.anses.fr/fr/system/files/EAUX-Ra-EauxMinerales.pdf
[2] Liste des eaux minérales naturelles reconnues par les états membres (2013/C 95/03). http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:C:2013:095:0038:0108:FR:PDF. Last update : 18/09/15
[3] Direction Générale de la Santé (2016). La qualité des eaux conditionnées en France. Données 2014. Sur la base du contrôle sanitaire assuré par les Agences Régionales de Santé. http://social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/bilan_ec_2014__vf_.pdf
[4] Chambre Syndicale des Eaux Minérales (CSEM, 2014). Eau Minérale Naturelle. Disponible sur : https://eaumineralenaturelle.fr/
[5] Décret n°2007-49 du 11 janvier 2007 relatif à la sécurité sanitaire des eaux destinées à la consommation humaine
[6] Directive 2009/54/EC du 18 Juin 2009, relative à l’exploitation et à la mise dans le commerce des eaux minérales naturelles
[7] http://www.fao.org/fao-who-codexalimentarius/about-codex/fr/
[8] European Federation of Bottled Water (EFBW, 2017). Disponible sur : http://www.efbw.org/
[9] Queneau, P., Hubert, J. (2006). Place des eaux minérales dans l’alimentation (Mineral water as part of the daily diet). Bulletin de l’Académie Nationale de Médecine, Tome 190 – Décembre – No9, pp. 2013-2021. http://www.academie-medecine.fr/wp-content/uploads/2013/03/2006.9.pdf
[10] http://www.evian.fr/decouvrir_evian/creee_par_la_nature/une_source_nee_au_coeur_des_alpes.html
[11] http://www.apieme-evian.com/
[12] Appellation d’Origine Contrôlée/Appellation d’Origine Protégée
[13] http://www.ramsar.org/fr
[14] http://www.volvic.fr/protegee_par_lhomme/gerer_durablement_la_ressource.html
[16] http://www.lasalvetat.fr/creee_par_la_nature/la_salvetat_une_source_nee_dans_le_parc_naturel_du_haut_languedoc.html
[17] https://eaumineralenaturelle.fr/dev-durable/protection-de-la-ressource-en-eau
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Pour citer cet article : LACHASSAGNE Patrick (18 avril 2021), Les eaux minérales naturelles, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 9 décembre 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/eau/eaux-minerales-naturelles/.
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