L’âge du silicium
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Le silicium est un élément chimique discret, mais omniprésent et essentiel à notre quotidien. Présent dans la croûte terrestre sous forme de silice ou de silicates, il entre dans la composition des roches, du sable, du verre, mais aussi des composants électroniques les plus avancés. Son importance dans des secteurs clés comme l’électronique, l’énergie solaire, la construction ou la santé est souvent méconnue du grand public. Pourtant, sans lui, pas de téléphones portables, d’ordinateurs ni de panneaux solaires. Grâce à ses propriétés exceptionnelles de semi-conducteur, il a permis le développement de la microélectronique et donc de l’ère numérique. Ce texte propose un voyage scientifique et technologique à travers les multiples facettes du silicium, de ses origines cosmiques à ses applications de pointe.
- 1. Le silicium, un élément discret mais omniprésent
- 2. L’usage du silicium, une longue histoire
- 3. L’origine et l’abondance naturelle du silicium
- 4. Les propriétés physiques et chimiques du silicium
- 5. L’élaboration du silicium, de la silice aux microprocesseurs
- 6. Enjeux économiques et écologiques
- 7. Avenir et perspectives du silicium
- 8. Messages à retenir
1. Le silicium, un élément discret mais omniprésent
Parmi les éléments chimiques présents dans la nature, le silicium occupe une place discrète et pourtant centrale dans l’histoire de la science et de l’industrie moderne (Figure 1). Découvert sous sa forme élémentaire en 1824 par le chimiste suédois Jöns Jacob Berzelius, le silicium (symbole chimique Si) est aujourd’hui reconnu non seulement pour son abondance, mais aussi pour son rôle fondamental dans des domaines aussi variés que l’électronique, l’énergie, la construction et même la biologie.

Toutefois, grâce aux avancées scientifiques du XIXᵉ et XXᵉ siècle, les chercheurs ont su développer des méthodes sophistiquées de purification, permettant d’obtenir du silicium ultra-pur, indispensable à la fabrication des semi-conducteurs. Ainsi, ce matériau est devenu l’ossature du développement des technologies de l’information, à tel point que la Silicon Valley près de San Francisco, berceau de l’innovation numérique, doit son nom à cet élément. Au-delà des seuls composants électroniques, le silicium est utilisé dans les capteurs MEMS, systèmes électromécaniques miniatures intégrant capteurs et actionneurs sur puce. Ces capteurs sont utilisés notamment dans les airbags, les smartphones ou les dispositifs médicaux.
Mais l’importance du silicium ne se limite pas au seul monde de la technologique électronique. Dans l’industrie du bâtiment, la silice est utilisée depuis l’Antiquité dans la fabrication du ciment, du verre et des céramiques. Dans le domaine de la santé, les silicones, des polymères à base de silicium, trouvent leur place dans les dispositifs médicaux, les prothèses, et les cosmétiques. En biologie, même si le silicium n’est pas un élément essentiel pour tous les organismes, certaines espèces, telles que les diatomées ou certaines plantes comme les prêles, utilisent cet élément pour renforcer leurs structures cellulaires.
En définitive, le silicium est bien plus qu’un simple élément chimique : il est devenu un pilier du progrès scientifique et économique, un vecteur de la modernité et un symbole de l’innovation humaine. Comprendre sa nature, ses applications, ses enjeux et ses perspectives est donc essentiel pour saisir les dynamiques du monde contemporain et anticiper les transformations futures de nos sociétés technologiques.
2. L’usage du silicium, une longue histoire
2.1 Premières utilisations
Le silicium est omniprésent dans la nature. Sous forme de dioxyde de silicium (SiO₂) ou de silicates, il constitue près de 28 % de la croûte terrestre, faisant de lui le deuxième élément le plus abondant après l’oxygène.
L’utilisation du silex se confond avec l’histoire de l’humanité. Le terme « silicium » dérive de ce mot latin. L’argile est également utilisée depuis l’origine de l’humanité (Lire Les argiles : un nanomatériau naturel et surprenant). Sa transformation en terre cuite et céramique remonte au moins à 20 000 ans. Les Égyptiens et les Romains fabriquaient déjà du verre à partir de sable (principalement du dioxyde de silicium) en le chauffant avec de la soude et de la chaux à une température de l’ordre de 1 000°C (Lire Le verre : un matériau éternel)
2.2 L’isolement du silicium
En 1824, le chimiste suédois Jöns Jacob Berzelius réussit à isoler pour la première fois du silicium pur. Il chauffa du fluorosilicate de potassium (K₂SiF₆) avec du potassium métallique, produisant ainsi un silicium amorphe brun. Son travail fut fondamental pour le développement ultérieur de la chimie minérale.
Cependant, le silicium cristallin qui représente la forme que nous utilisons pour les semi-conducteurs, ne fut produit que bien plus tard. Il fallut attendre les progrès de la métallurgie et de la chimie pour obtenir des cristaux purs et structurés de silicium.
2.3 Avancées industrielles
Au cours du XIXe siècle et du début du XXe siècle, le silicium servit principalement dans la fabrication de l’acier et de certains alliages, améliorant leur résistance et leur durabilité.
C’est dans la première moitié du XXe siècle que les chercheurs commencèrent à explorer ses propriétés électriques particulières. Dans les années 1940, le développement du premier transistor utilisait du germanium (un autre semi-conducteur), car il était plus facile à purifier. Mais les scientifiques réalisèrent vite que le silicium, en raison de son abondance et de ses meilleures propriétés thermiques, constituait un choix plus prometteur. Sa bonne conductivité thermique permet en effet d’évacuer la chaleur, et sa faible dilatation limite les contraintes mécaniques.
2.4 La révolution électronique

En 1958, Jack Kilby développa le tout premier circuit intégré, amorçant l’ère des microprocesseurs. Le silicium s’imposa alors comme matériau de base de la microélectronique, notamment grâce à des techniques comme la croissance épitaxialeProcessus de fabrication qui consiste à produire un monocristal, empilement périodique d’atomes ou molécules, en se calant sur un substrat monocristallin préexistant. L’épitaxie par jets moléculaires est utilisée pour la fabrication de couches monocristallines de semi-conducteurs sur une plaquette de silicium. La technique consiste à y projeter une vapeur produite par évaporation sous vide. Sous des conditions appropriées de débit gazeux et température, les atomes se déposent progressivement sur le substrat monocristallin et se calent sur le motif périodique des atomes de silicium, formant une couche cristalline à l’image du substrat. et la photolithographieEnsemble des opérations permettant de graver un substrat en reproduisant une image, une technique permettant la fabrication de circuits intégrés électroniques. Dans une première étape, une résine sensible à la lumière (photorésine) est déposée sous forme d’un film mince sur la surface d’un substrat, par exemple une plaquette de silicium. Elle est ensuite exposée à une radiation lumineuse en projetant un masque formé de zones opaques et transparentes, dessiné selon le motif que l’on souhaite reproduire. La résine irradiée est sensible à la dissolution par un solvant, ou au contraire rendue résistante (selon le type de résine choisi), ce qui permet de graver des circuits à l’image du masque projeté.. Ces techniques produisent des cristaux par évaporation sous vide de couches minces sur le substrat de silicium, combinée à des attaques chimiques sélectives dessinant des circuits.
Le silicium se prêta particulièrement bien à ces processus industriels : il pouvait être transformé en monocristaux d’une pureté exceptionnelle grâce à la méthode Czochralski (voir section 5), permettant de produire des tranches (wafers) de silicium (Figure 2) parfaitement adaptées à l’industrie des semi-conducteurs.
2.5 Le silicium aujourd’hui
Aujourd’hui, la quasi-totalité des microprocesseurs, puces électroniques, et panneaux solaires sont ainsi fabriqués à partir de silicium. Ses propriétés électroniques, notamment la facilité avec laquelle on peut modifier sa conductivité par dopage (ajout d’impuretés comme le bore ou le phosphore), en font un matériau irremplaçable pour fabriquer diodes, transistors, cellules photovoltaïques et circuits intégrés.
Sur le plan industriel, le silicium entre dans la composition de nombreux alliages, notamment les alliages aluminium-silicium utilisés dans l’automobile et l’aéronautique pour leur légèreté et leur résistance. En chimie, il est à la base de la fabrication des silicones, polymères synthétiques souples et résistants utilisés dans les cosmétiques, les dispositifs médicaux, l’étanchéité et la construction.
Enfin, dans les sciences des matériaux et la recherche fondamentale, le silicium est un modèle d’étude pour comprendre les structures cristallines, les interactions électroniques, et le comportement des matériaux à l’échelle nanométrique. A cette échelle, les effets de mécanique quantique entrent en jeu, ce qui permet d’envisager la mise au point d’ordinateurs quantiques [1] fonctionnant sur des principes complètement nouveaux.
La polyvalence du silicium, alliée à son abondance naturelle, en fait ainsi l’un des éléments les plus stratégiques de l’ère technologique actuelle.
3. L’origine et l’abondance naturelle du silicium
Le silicium est l’un des éléments les plus fondamentaux de l’univers, aussi bien par son abondance que par son rôle dans la composition des planètes rocheuses comme la Terre. Sa genèse cosmique, son abondance dans la croûte terrestre et ses multiples formes naturelles en font un acteur central de la chimie et de la géologie planétaires.
3.1 Origine cosmique
Le silicium trouve ses racines dans les processus nucléaires les plus spectaculaires de l’univers : les réactions de fusion stellaire. À l’intérieur des étoiles massives, au cours des dernières étapes de leur vie, des noyaux d’oxygène (8 protons) et de carbone (6 protons) fusionnent sous des températures et pressions extrêmes pour former du silicium (14 protons). Cette phase précède souvent l’effondrement final de l’étoile sous forme de supernova.
Lors d’une explosion de supernova, des quantités massives de silicium, ainsi que d’autres éléments lourds, sont dispersées dans l’espace interstellaire. Ces matériaux enrichissent les nébuleuses de gaz et de poussières, servant de matière première à la formation de nouvelles étoiles, de planètes et de corps célestes. Ainsi, tout le silicium présent sur Terre, (comme la plupart des éléments), est littéralement un héritage des étoiles mortes.
3.2 Abondance sur Terre et dans l’Univers
Le silicium est le huitième élément le plus abondant dans l’univers en termes de masse, après l’hydrogène, l’hélium, l’oxygène, le carbone, le néon, le fer et l’azote. Sa grande stabilité nucléaire et son rôle dans les processus de nucléosynthèse expliquent cette abondance cosmique.
Le silicium est ainsi un élément essentiel de toutes les planètes rocheuses. On le retrouve dans les météorites appelées chondrites, sous forme combinée avec de l’oxygène, du magnésium et du fer.
Le silicium est ainsi le deuxième élément le plus abondant de la croûte terrestre, sous forme de minéraux silicatés. Il représente 27,7 % de sa masse, juste derrière l’oxygène (46,6 %). Plus profondément le Manteau Terrestre est également composé principalement de silicates, notamment sous forme d’olivine et de pyroxènes. Le Noyau terrestre est quant à lui un alliage métallique à base de fer. Cependant il pourrait aussi contenir du silicium, mais en proportion bien moindre comparée aux couches supérieures.
Notons que malgré son abondance à la surface, le silicium est quasiment absent de l’atmosphère terrestre. Sa présence est presque exclusivement limitée aux fines poussières minérales en suspension. Ces particules minérales peuvent avoir des effets nuisibles sur la santé respiratoire humaine. C’est le cas notoire de l’amiante, une forme de silicate fibreux extrait de roches.
3.3. Principales formes minérales
A l’état naturel, le silicium n’existe presque jamais sous forme élémentaire libre. Il est trouvé principalement sous la forme de dioxyde de silicium (SiO₂) et de silicates complexes. Ses principales formes minérales sont :
- Le quartz (SiO₂, Figure 3A) : minéral très répandu et constituant principal du sable et de nombreuses roches. Il en existe plusieurs variétés microcristallines comme la calcédoine, la jaspe, ou l’agate.
- Le feldspaths (ex : orthose, albite, Figure 3B) : silicates d’aluminium, de potassium, de sodium ou de calcium.
- Les micas, pyroxènes, amphiboles : autres groupes minéraux silicatés présents dans les roches ignées, métamorphiques et sédimentaires.
- Les roches ignées comme le granite (Figure 3C) sont riches en quartz et en feldspaths.
- Les sables, les argiles et d’autres sédiments sont en grande partie constitués de grains de quartz.

Dans les sols, le silicium participe à la composition des minéraux argileux, essentiels pour la fertilité des terres. En effet un sol argileux retient bien l’eau et les minéraux nécessaires à la croissance des plantes (un excès d’argile peut conduire cependant à des tassements néfastes).
3.4 Cycle du silicium

Bien que le silicium ne soit pas un élément aussi vital que le carbone ou l’azote pour les formes de vie terrestres, il joue un rôle important dans certaines structures biologiques. Outre les diatomées, des plantes comme les graminées accumulent du silicium dans leurs tissus pour renforcer leur structure contre les attaques des herbivores et les stress environnementaux [3]. Ce silicium est ensuite restitué au sol et dissout dans les rivières, apportant une contribution terrestre au cycle du silicium [4].
4. Les propriétés physiques et chimiques du silicium
Les propriétés physiques et chimiques singulières du silicium expliquent son importance dans l’industrie électronique, photovoltaïque et même dans la construction. Explorons ses caractéristiques fondamentales.
4.1 L’élément silicium
Le silicium est l’élément chimique de numéro atomique 14, c’est-à-dire que son noyau est composé de 14 protons, associés à 14 électrons dans l’atome neutre. Le noyau contient aussi des neutrons, au nombre de 14 dans la forme dominante, de sorte que le nombre de masse est 28, ce qui est noté 28Si. Les isotopes 29S et 30S, contenant un ou deux neutrons en plus, sont également présents en faible proportion (5 et 3 % respectivement).
Comme dans tout atome, les électrons s’organisent en couches concentriques. La première couche est complète avec ses deux électrons, de même que la deuxième couche avec 8 électrons. Les 4 électrons restant sont situés sur une couche extérieure incomplète et peuvent ainsi s’apparier avec ceux des atomes voisins pour former 4 liaisons chimiques. Les propriétés chimiques approchent ainsi celles du carbone, qui possède également 4 électrons périphériques (sur un total de 6).

Sous cette forme de cristal pur, le silicium possède une masse volumique de 2,33 g/cm³, ce qui le rend plus léger que les métaux comme le fer ou le cuivre, mais plus dense que de la plupart des matériaux organiques. Ceci résulte de la valeur intermédiaire de sa masse atomique. La densité des roches silicatés est également proche de 2,5 g/cm³.
4.2 Propriétés thermiques et électriques
Le silicium fond à 1 414 °C et bout à 3 265 °C. Il possède une bonne conductivité thermique : 150 W/m·K pour le silicium monocristallin, soit presque moitié de celle du cuivre. Ceci aide à dissiper la chaleur dans les dispositifs électroniques. Sa dilatation thermique est faible, un avantage pour les applications nécessitant une stabilité dimensionnelle.

Ces propriétés optiques sont en lien avec les propriétés électriques. Le silicium est un semi-conducteur intrinsèque. Cela signifie qu’à l’état pur, il conduit partiellement l’électricité, surtout lorsqu’il est exposé à la chaleur ou à la lumière. Sous l’effet de l’agitation thermique, les électrons extérieurs ont une petite probabilité de s’échapper et de parcourir librement le cristal, ce qui permet la conduction électrique. On dit que ces électrons « sautent la bande interdite ». A une température de 300 degrés Kelvin (27 °C), cette bande interdite est de 1,12 eV (électronvolts), soit l’énergie cinétique que doit posséder un électron pour franchir une différence de potentiel de 1,12 Volts.
Cette barrière énergétique est environ dix fois plus grande que l’énergie moyenne des électrons associée à l’agitation thermique à température ordinaire, de sorte que la probabilité de franchissement spontanée est infime. La conductivité reste ainsi très faible dans le silicium pur (un milliard de fois moindre que celle du cuivre). La conductivité du silicium peut être cependant modifiée par dopage, en introduisant des impuretés comme le phosphore ou le bore. Le premier introduit des électrons de conduction, charges négatives (dopage n) tandis que le second absorbe les électrons (dopage p). Cela permet de produire une diode, qui conduit les électrons de la zone dopée n à la zone dopée p, mais pas dans le sens inverse. Dans un transistor, ce courant est de plus contrôlé par une troisième électrode, qui agit donc comme un interrupteur électrique. Ceci est à la base de tous les systèmes électroniques et informatiques. Dans les cellules photovoltaïques, l’énergie de libération est apportée par les photons lumineux, possédant une énergie environ 2 eV pour la lumière visible. C’est ce qui permet la conversion efficace de l’énergie lumineuse en énergie électrique.
Notons que ces propriétés électroniques sont très sensibles à la pureté initiale et à la qualité du cristal. Sous exposition à de hautes doses de radiation (par exemple dans les satellites ou les réacteurs nucléaires), le silicium peut développer des défauts dans sa structure cristalline, altérant ses propriétés électroniques. Des recherches intensives sont menées pour comprendre et limiter ces effets.
4.3 Réactivité chimique
À l’état pur, le silicium est relativement inerte à température ambiante. Il ne réagit ni avec l’air ni avec l’eau froide. Cela s’explique par la formation d’une fine couche d’oxyde de silicium (SiO₂) à sa surface, qui protège le matériau sous-jacent d’une oxydation plus poussée, un comportement analogue à la passivation de l’aluminium.
À partir d’environ 700 °C, le silicium réagit avec l’oxygène pour former du dioxyde de silicium (SiO₂) Le silicium réagit également avec les halogènes (fluor, chlore, brome, iode) à température modérée pour former des halogénures de silicium comme SiCl₄, très utiles dans l’industrie chimique.
Le silicium est résistant à la plupart des acides (même concentrés), à l’exception de l’acide fluorhydrique (HF) qui attaque la couche de SiO₂ pour former des complexes solubles. Le silicium réagit avec des bases fortes concentrées chaudes (comme la soude NaOH) pour former des silicates solubles et libérer de l’hydrogène gazeux.
Le silicium forme une vaste gamme de composés :
- Silicates : combinaison de silicium, oxygène et métaux comme l’aluminium, magnésium, calcium, sodium ou potassium. Ce sont les principaux constituants des roches.
- Carbure de silicium (SiC) : extrêmement dur et résistant, utilisé dans les abrasifs et les semi-conducteurs de puissance.
- Polysilanes : polymères contenant des chaînes Si-Si, ayant des applications en électronique avancée. Ils sont analogues à des polymères organiques, les atomes de silicium y jouant le rôle du carbone.
- Silicones : polymères à base de chaines …Si-O-Si-O…
En résumé, le silicium est un matériau doté d’une combinaison unique de propriétés physiques (semi-conductivité contrôlable, stabilité thermique, résistance mécanique) et chimiques (réactivité modulée, formation d’oxydes protecteurs) qui en font un pilier de l’industrie moderne. Sa capacité à s’adapter à différents environnements chimiques et physiques lui assure un avenir encore brillant dans de nombreuses applications émergentes.
5. L’élaboration du silicium, de la silice aux microprocesseurs
L’élaboration du silicium est un processus complexe qui transforme un matériau abondant dans la nature, la silice (dioxyde de silicium, SiO₂), en un matériau ultra-pur indispensable à l’électronique moderne. La silice est très abondante comme composant principal du sable mais l’industrie l’extrait plutôt de mines de quartz pour une meilleure pureté [5]. Le procédé débute par la réduction chimique du dioxyde de silicium. En pratique, on chauffe la silice à très haute température (2 000 °C) en présence de carbone (sous forme de coke) dans des fours électriques pour obtenir du silicium métallurgique, selon la réaction SiO₂ + 2C → Si + 2CO.

Pour obtenir un monocristal, indispensable aux composants électroniques, on utilise le procédé Czochralski, schématisé sur la Figure 7 : une graine cristalline est plongée dans du silicium fondu et lentement retirée en rotation, formant un long cylindre (lingot, Figure 8) monocristallin appelé « boule ». Ce lingot est ensuite découpé en fines tranches, appelées wafers, d’épaisseur millimétrique (Figure 8). Ces wafers sont ensuite polis et traités pour servir de substrats aux circuits intégrés (voir Figure 7) [6].

Par ailleurs, l’élaboration du silicium photovoltaïque suit des étapes similaires, mais tolère une pureté légèrement inférieure, tout en mettant l’accent sur la production de silicium multicristallin pour des raisons de coût. Aujourd’hui, l’industrie explore des techniques alternatives comme la coulée dirigée ou la fabrication de feuilles fines directement à partir du bain fondu pour réduire les pertes de matière et améliorer l’efficacité énergétique. En somme, l’élaboration du silicium représente l’alliance parfaite entre chimie industrielle, métallurgie de précision et maîtrise des procédés cristallographiques.
6. Enjeux économiques et écologiques

La majorité du silicium est produite en Chine (plus de 60 %), suivie par la Russie, les États-Unis et la Norvège. Le raffinage, en particulier pour le silicium électronique (9N), est dominé par quelques acteurs industriels. Chaque étape, extraction minière, réduction, purification et cristallisation, engendre des impacts environnementaux. La production du silicium brut requiert une énergie de 11 kWh/kg, ce qui est proche de l’énergie nécessaire à la production de l’aluminium. Une énergie d’environ 150 kWh/kg est cependant nécessaire pour atteindre la pureté requise pour le silicium électronique [8], à laquelle il faut ajouter l’énergie pour la transformation en lingot monocristallin et la découpe. L’impact environnemental de cette consommation d’énergie, en particulier les émissions de CO2, dépend beaucoup du lieu de production.
Au-delà des ressources énergétiques, l’extraction du silicium génère des dégradations des paysages, des poussières fines et parfois des atteintes à la biodiversité locale. La purification du silicium, notamment pour obtenir du silicium de qualité électronique ou solaire, requiert de très hautes températures (jusqu’à 2 000 °C) et l’utilisation de réactifs chimiques (comme le trichlorosilane ou le chlore), sources de pollutions atmosphériques et aquatiques si les rejets sont mal contrôlés. Le nettoyage des wafers avant traitement nécessite de grandes quantités d’eau ultra-pure, typiquement 20 litres/cm2, mais cette eau est restituée à l’environnement sans contamination (et même purifiée).
Les principaux sites de transformation se situent en Chine (leader mondial), aux États-Unis, en Allemagne, au Japon et récemment au Vietnam ou en Malaisie. Une autre source d’impact environnemental est liée à la gestion des déchets électroniques, dans lesquels le silicium est présent en grande quantité. Le recyclage des composants reste insuffisant à l’échelle mondiale, en partie à cause de la complexité du démantèlement des circuits imprimés.
Enfin, les usines produisant des wafers ou des cellules solaires peuvent générer des effluents chimiques (acides, solvants) s’ils ne sont pas correctement traités. Ainsi, malgré ses usages bénéfiques (énergie solaire, numérique), l’industrie du silicium doit relever le défi de réduire son empreinte écologique, en développant des filières de production plus propres et en renforçant les capacités de recyclage à l’échelle mondiale. Celui-ci reste faible compte-tenu de l’abondance de la ressource, mais il progresse, notamment pour les panneaux solaires.

Les débouchés économiques du silicium s’étendent aussi à l’industrie chimique, via les silicones utilisés dans la construction, la santé, l’électronique, et même l’agroalimentaire. De plus, l’explosion de l’intelligence artificielle, de la 5G, des data centers et des technologies quantiques renforce la dépendance à des composants électroniques toujours plus performants, dont le silicium demeure aujourd’hui l’élément fondateur. Ainsi, la maîtrise de cette ressource stratégique devient un enjeu économique majeur, conditionnant non seulement la compétitivité industrielle des nations, mais aussi leur souveraineté technologique dans un monde de plus en plus numérisé.
7. Avenir et perspectives du silicium
L’avenir du silicium s’annonce à la fois prometteur et complexe, à la croisée des innovations technologiques, des impératifs énergétiques et des défis géopolitiques. Bien que son utilisation soit aujourd’hui largement dominante dans la microélectronique et les technologies photovoltaïques, de nouvelles perspectives émergent qui redéfinissent les contours de son exploitation.
Dans le domaine des semi-conducteurs, les avancées vers la miniaturisation extrême des composants électroniques, avec des gravures de moins de 3 nanomètres (millionièmes de mm), continuent de repousser les limites du silicium, même si des matériaux alternatifs comme le graphène, le nitrure de gallium (GaN) ou autres semi-conducteurs dits « à bande interdite large » commencent à être explorés pour des performances accrues. Pourtant, le silicium reste incontournable grâce à son abondance, sa maturité industrielle et son écosystème de production bien établi.
Dans le secteur photovoltaïque, la demande mondiale croissante en électricité propre favorise une expansion rapide du marché du solaire, où les cellules à base de silicium cristallin conservent une efficacité et une fiabilité qui les rendent difficiles à concurrencer à grande échelle. Les recherches en cours sur les cellules photovoltaïques tandem, combinant silicium et pérovskites, ouvrent la voie à des rendements encore plus élevés [9].
L’essor de l’intelligence artificielle, du cloud computing, de l’électronique embarquée dans les véhicules autonomes ou encore des technologies spatiales contribue à accentuer encore la dépendance mondiale aux circuits intégrés en silicium. Cependant, cette dépendance entraîne également des tensions sur les chaînes d’approvisionnement, rendant stratégique le développement de filières locales de production et de recyclage du silicium.
Le silicium reste au cœur des technologies du futur, avec des perspectives d’évolution marquées par l’hybridation avec d’autres matériaux, l’optimisation des processus de fabrication, et une place centrale dans la transition écologique et numérique mondiale.
Dans les nouvelles technologies comme l’intelligence artificielle, les ordinateurs du futur (quantiques), ou les panneaux solaires très performants, les scientifiques améliorent encore le silicium, un matériau très utilisé, en changeant sa forme pour qu’il fonctionne encore mieux.
En résumé, l’histoire du silicium est celle d’un matériau ordinaire transformé en pierre angulaire de la civilisation moderne. Sa capacité à s’adapter aux évolutions technologiques en fait un élément majeur des révolutions industrielles contemporaines.
8. Messages à retenir
- Le silicium est, avec l’oxygène, le composant principal de la plupart des roches, donc en abondance considérable dans la croûte terrestre ;
- Grâce à ses propriétés exceptionnelles, le silicium est l’élément central de la révolution numérique, en rendant possible la fabrication des semi-conducteurs, véritable colonne vertébrale de nos systèmes électroniques et informatiques ;
- Il est également au cœur de la transition énergétique mondiale, en alimentant le développement des technologies photovoltaïques ;
- Le silicium entre aussi dans la composition de nombreux produits et matériaux innovant, comme les prothèses médicales.
- Le silicium s’impose ainsi comme un matériau aux fondements mêmes de l’économie, de l’industrie et de l’évolution technologique contemporaine.
- Cette dépendance accrue au silicium soulève des enjeux géopolitiques, environnementaux et économiques majeurs, appelant à une réflexion sur sa production durable, son approvisionnement sécurisé et son recyclage.
Notes et références
Image de couverture. Adapté du schéma introductif de À la découverte du silicium, l’élément chimique de base des ordinateurs. [Source © David Montavon, reproduit avec l’autorisation de l’auteur]
[1] Quantique sur silicium, CEA Leti, Dossier de presse, 2021
[2] Tréguer, P., Bowler, C., Moriceau, B. et al. (2018) Influence of diatom diversity on the ocean biological carbon pump. Nature Geosci. 11, 27–37. https://doi.org/10.1038/s41561-017-0028-x
[3] Les phytolithes sont des formes variées de concrétion de silice trouvées dans des plantes ou des restes de plantes, éventuellement fossiles.
[4] Meunier J.-D. (2003), Le rôle des plantes dans le transfert du silicium à la surface des continents. C. R. Geoscience 335, 1199-1206.
[5] Silicium, dans l’Elémentarium (Référentiel universel auquel peuvent être rapportés tous les types de comportements physique et chimique des éléments)
[6] Thèse de Doctorat de Simon Ilas, Univ. Pierre et Marie Curie, https://theses.hal.science/tel-01020851v1
[7] Chaîne de transformation et commerce du silicium métal, BRGM
[8] Le silicium : un élément chimique très abondant, un affinage stratégique, Minéral Info, Le portail français des ressources minérales non énergétiques
[9] Green, M. A., Dunlop, E. D., Hohl‐Ebinger, J., Yoshita, M., Kopidakis, N., & Hao, X. (2024). Solar cell efficiency tables (version 63). Progress in Photovoltaics: Research and Applications, 32(1), 3–22 DOI: 10.1002/pip.3709.
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Pour citer cet article : KADDECHE Slim (24 juillet 2025), L’âge du silicium, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 5 décembre 2025 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/physique/age-silicium/.
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