Surfaces plissées : quand la technologie imite la nature

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A l’échelle atomique, seuls les cristaux parfaits ont des surfaces planes. La nature privilégie généralement les paysages texturés. Des reliefs montagneux aux rides de la peau, des ondulations apparaissent universellement à la surface de systèmes physiques et biologiques. Même les matériaux bidimensionnels atomiquement minces développent des rides sous l’effet des fluctuations thermiques. Ces processus spontanés ont des conséquences contrastées : les rides chaotiques nuisent généralement aux performances des matériaux, alors que des motifs conçus avec précision peuvent être sources de fonctions nouvelles. Les rides ordonnées à l’échelle micro/nanométrique offrent en effet des propriétés ajustables, très recherchées dans l’électronique flexible, l’optique adaptative et les revêtements intelligents. Cette dualité est à l’origine des efforts déployés à l’échelle mondiale pour transformer les plis aléatoires en architectures contrôlées. Les chercheurs utilisent désormais des techniques innovantes pour plisser les matériaux de façon contrôlée, transformant ainsi un phénomène naturel en outil de fabrication. Cet article explore ces méthodes de fabrication et leurs applications émergentes qui ouvrent de nouvelles perspectives dans la science des matériaux.

1. Plis et rides dans la nature

En géologie, un pli fait référence à la courbure des strates rocheuses déformées par les forces tectoniques. Cette structure géologique est le produit de la déformation plastique des roches associée aux mouvements de la croûte terrestre. Les rides et dunes de sable ont une origine différente. Elles sont dues à une modulation spontanée du transport de sable par le vent, de façon semblable à la formation de vagues sur l’océan.

De façon remarquable, les mécanismes de plissement présentent des propriétés universelles à toutes les échelles : de la croute terrestre aux membranes cellulaires microscopiques, en passant par les surfaces moléculaires et même les arrangements atomiques, les ondulations et plis à différentes échelles ont des rôles fonctionnels uniques au sein de leurs systèmes physiques respectifs [1]. Cette propriété soulève une question profonde : une surface absolument plane existe-t-elle vraiment dans la nature ? Théoriquement, une telle surface parfaitement plane est impossible. Bien que nous puissions définir la « planéité » à une échelle donnée, telles que les surfaces cristallines atomiquement lisses, une observation plus attentive révèle que même ces surfaces « plates » présentent de subtiles ondulations dans leurs arrangements atomiques.

1.1 Plis et rides dans les roches

Figure 1. Morphologie des plis de la croûte terrestre – Shanshenmiao Wrinkle, situé dans le district de Mentougou, Pékin, Chine, connu sous le nom de « manuel de géologie vivante » ou de « musée géologique naturel ». [DR, Source : https://www.peopleweekly.cn/html/2020/guojiagongyuan_0601/32034.html]
Les plis ou rides sont parmi les formes structurelles les plus fondamentales de la croûte terrestre (Figure 1). Dans les roches sédimentaires, les plans de litage initialement plats se déforment sous l’effet du mouvement tectonique pour produire de grands plis. Dans les roches métamorphiques comme le gneiss, les effets de haute pression entraînent un clivage et une foliation qui peuvent se déformer localement pour former des rides. Les roches magmatiques présentent également des ondulations ayant figé les remous des coulées de lave dont elles résultent. Les plis, rides ou ondulations se présentent ainsi sur une gamme remarquable d’échelles. Certains sont minuscules, tandis que d’autres sont si étendus qu’ils peuvent rivaliser avec la grandeur des montagnes.

1.2 Rides cutanées des organismes vivants

Figure 2. Rides sur la peau de l’animal – nez flexible d’éléphant d’Afrique. [DR, Source : https://baijiahao.baidu.com/s?id=1794901805955107675&wfr=spider&for=pc]
Des rides sont présentes à la surface de toutes les peaux d’organismes vivants. Prenons l’exemple de la trompe de l’éléphant d’Afrique. D’une longueur de 1,7 m à 2 m, elle est densément garnie de 100 000 muscles et recouverte de rides cutanées circulaires (Figure 2). Celles-ci augmentent la friction de la peau et permettent à la trompe de se plier et de s’étirer, ce qui en fait la partie la plus flexible du corps de l’éléphant. Bien que la trompe puisse sembler souple et mou, telle une sangsue géante, elle est incroyablement fonctionnelle. Elle permet non seulement aux éléphants d’atteindre les bananes en haut des arbres, mais elle les aide aussi à boire de l’eau.

La peau humaine présente également une adaptabilité biologique remarquable conduisant à différentes particularités, telles que les plis dermiques au niveau des articulations et les empreintes digitales. Les plis dermiques au niveau des coudes, genoux et autres zones articulaires répartissent efficacement les contraintes mécaniques causées par les mouvements articulaires. Ils maintiennent ainsi l’intégrité et la flexibilité de la peau lors de flexions et d’étirements intensifs. Les empreintes digitales sont façonnées à la fois par des facteurs génétiques et par les conditions physico-chimiques du développement embryonnaire. Leurs structures en crêtes et sillons améliorent la sensibilité des récepteurs tactiles.

Différents types de rides de surface peuvent également être observés sur les fruits. Ils sont principalement attribués à deux mécanismes clés : l’évaporation de l’eau et la respiration, terme désignant la décomposition de la matière organique par sa combinaison avec l’oxygène. Pour les fruits tels que les pommes qui sont stockés sur de longues périodes, la respiration est le mécanisme principal. Ce processus est concomitant à une perte d’eau importante, qui exacerbe encore la formation de rides de surface par un mécanisme de rétraction discuté plus en détail en section 2.

Figure 3. Rides sur la peau des fruits – motifs entrelacés à la surface du melon. [DR, Source : https://mbd.baidu.com/newspage/data/dtlandingsuper?nid=dt_5725911397665589724]
En revanche, les motifs caractéristiques sur les melons résultent d’une dynamique de croissance particulière. La chair interne se dilate en effet à un rythme plus rapide que la peau externe pendant le développement du fruit, ce qui produit une tension produisant la fissuration de la peau. Au fil du temps, ces fissures subissent un processus naturel de guérison, formant finalement les motifs observés en surface (Figure 3).

Pour les piments, leur forme complexe est influencée par les variations de la courbure de leur structure noyau-enveloppe. Au cours de la croissance, ces différences de courbure induisent un stress mécanique, ce qui contribue au développement de motifs de rides complexes.

1.3 Ondulations à l’échelle nanométrique sur la surface des matériaux

Figure 4. Représentation des rides de surface du graphène. [DR, Source : laboratoire MOST de l’Université nationale de technologie de défense]
Le graphène, une feuille de carbone épaisse d’un seul atome, forme une structure remarquable en nid d’abeille (Figure 4). Les fluctuations thermiques peuvent conduire à la formation spontanée d’ondulations. L’amplitude de ces ondulations varie généralement entre 0,7 et 30 nm, avec une hauteur moyenne d’environ 8 nm (un nanomètre, noté « nm », est un milliardième de mètre). Alors que la longueur idéale de la liaison carbone-carbone (C-C) est théoriquement de 0,142 nm, les mesures expérimentales révèlent une plage de 0,130 à 0,154 nm, reflétant divers degrés de compression et de tension au sein du réseau.

Le phénomène de plissement sur les surfaces en graphène peut être attribué à son architecture atomique monocouche, qui introduit intrinsèquement une instabilité le long de la direction perpendiculaire à la surface. Il est intéressant de noter que ces ondulations de surface jouent un rôle essentiel dans la robustesse et la stabilité du graphène [2]. Ils lui permettent en effet de conserver son intégrité sous contrainte mécanique et thermique en se déformant souplement face aux perturbations externes.

1.4 Ondulations à l’échelle atomique sur les surfaces cristallines

Figure 5. La « barrière quantique » formée par la manipulation des atomes de Fe à la surface du cristal de Cu (111), observée au microscope à effet tunnel [Source : DR, https://wuli.wiki/CirISW/comments]
L’avènement de la microscopie en champ proche représente un énorme bond en avant dans la science des surfaces. Elle a complètement changé la façon dont nous explorons et contrôlons la matière à l’échelle nanométrique, agissant comme un super microscope. Les scientifiques peuvent désormais « voir » les détails atomiques à la surface des matériaux et même déplacer les atomes un par un (Figure 5). Cette technique analyse la surface en la balayant avec une micro-aiguille maintenue à très faible distance. La microscopie à force atomique cartographie les modulations de la force d’attraction entre cette aiguille et le substrat. Une approche alternative, appelée microscopie à effet tunnel, repose plutôt sur les modulations du courant électrique circulant de l’aiguille au substrat.

La figure 5 est un excellent exemple de ce que la microscopie à effet tunnel peut produire. Elle montre un anneau d’atomes de fer sur une surface de cuivre. Un motif d’ondes circulaires concentriques peut aussi être observé à l’intérieur de cet anneau. Il s’agit de la visualisation fascinante d’une onde quantique décrivant les électrons piégés dans l’anneau d’atomes de fer [3], un peu comme les ondulations à la surface d’un seau d’eau circulaire en vibration.

2. Principes fondamentaux et implications des phénomènes de plissement de surface

2.1 Plissement des surfaces planes

Figure 6. Rides de surface sinusoïdales formées sur un film à double couche. [Source : Laboratoire MOST de l’Université nationale de technologie de défense]
Le plissement des surfaces planes se produit principalement dans les systèmes bicouches ou multicouches. Les rides produites par une contrainte de compression sur un film mince sont illustrées sur la figure 6 [4]. La rétraction de la surface molle produit une contrainte de compression sur le film supérieur. Lorsque cette contrainte atteint un niveau critique, elle est relâchée par le plissement de la surface, ce qui permet au système d’atteindre un nouvel état d’équilibre.

En fonction des propriétés du matériau et de l’éventuel état pré-étiré du support, diverses morphologies de plis de surface peuvent résulter, notamment des rides, des plis, des crêtes, etc. La longueur d’onde critique (λ) des rides de surface est déterminée par le rapport d’élasticité entre le film et le substrat et par l’épaisseur du film : les films durs sur des substrats plus mous ont tendance à former des rides de plus grande longueur d’onde. De même, l’amplitude de pli (A) est généralement proportionnelle à l’épaisseur du film de surface rigide. Elle dépend aussi du rapport du module d’élasticité entre le film et le substrat.

2.2 Plissement des surfaces courbes

Figure 7. Diverses rides de surface incurvées formées sur les surfaces cylindriques ou sphériques [Source : Laboratoire MOST de l’Université nationale de technologie de défense]
Les surfaces initialement courbées apportent des paramètres supplémentaires. Les cas typiques sont les surfaces cylindriques et sphériques enveloppant un substrat. Pour les surfaces cylindriques, il existe deux modes d’instabilité primaire, comme le montre la figure 7 (voir réf. [4]). Le retrait axial produit des rides annulaires de section circulaire, tandis que le retrait radial produit des rides invariantes le long de l’axe du cylindre. Pour les surfaces sphériques, les motifs de plis qui en résultent sont généralement complexes, tels que des configurations hexagonales ou en forme de labyrinthe. L’analyse mécanique montre que, tant pour les cylindres que pour les sphères, le plissement de la surface dépend principalement du rapport du module d’élasticité entre substrat et enveloppe, ainsi que de sa courbure.

Diverses morphologies de rides peuvent ainsi être observées à la surface de nombreuses plantes sphériques avec des structures noyau-coquille, telles que le cantaloup coréen, le melon, la citrouille, les grains de pollen déshydratés et les pois déshydratés.

2.3 Inconvénients des rides

Figure 8. Changements dans l’apparence des vêtements froissés avant et après le repassage. [DR, Source : https://weibo.com/ttarticle/p/show?id=2309404670857304736025]
Certains vêtements, tels que les jupes plissées, utilisent des plis pour créer un attrait esthétique. Dans la plupart des cas, cependant, les vêtements froissés doivent être repassés avant d’être portés (Figure 8). De même, les matériaux constitués d’une couche mince, appelés matériaux bidimensionnels (2D), sont très sujets au froissement. Les plaquettes de silicium au cœur des dispositifs micro-électroniques en sont des exemples. Un mauvais contrôle de ces plis peut gravement nuire aux performances des dispositifs optoélectroniques. La préparation de la surface des plaquettes (wafers) constituant les puces informatiques nécessite en effet un contrôle strict des rides et ondulations indésirables, au niveau nanométrique. L’irrégularité de la surface de la plaquette doit en effet se situer dans la plage de focale étroite du faisceau ultraviolet des machines lithographiques utilisées pour graver les circuits.

2.4 Avantages des rides

Figure 9. Rides de la muqueuse intestinale. [Source : DR, https://news.sohu.com/a/542508764_121118802]
Les rides superficielles des tissus biologiques jouent un rôle important dans le filtrage et l’absorption des nutriments (Figure 9). La paroi de l’estomac est composée de muqueuse, de sous-muqueuse, de couche musculaire et de séreuse. Les rides naturelles de la muqueuse gastrique aident l’estomac à se dilater. L’intestin grêle d’un adulte mesure 5 à 7 m de long et contient de nombreuses rides à l’intérieur, appelées « villosités ». Ces villosités, qui ressemblent à de minuscules doigts, augmentent considérablement la surface d’absorption des nutriments. Le gros intestin, d’environ 1,5 m de long, a des rides circulaires mais n’a pas les projections en forme de villosités, fournissant un habitat à des milliards de bactéries intestinales (lire Les microbiotes humains : des alliés pour notre santé).

Dans les matériaux 2D, la contrainte mécanique peut fortement perturber la façon dont les électrons se propagent. Ceci permet un ajustement efficace de leurs propriétés optiques, électriques et mécaniques. Les structures de plis conduisent ainsi à de nouvelles propriétés physiques et chimiques qui sont complètement différentes de celles à l’état naturel. Cela favorisera leur application dans les domaines des surfaces intelligentes, des appareils portables et de la surveillance de la santé. Elle offre de nouvelles opportunités pour explorer les fonctions émergeant d’une telle déformation hétérogène.

3. Méthodes de construction des plissements

3.1 Méthode d’étirement et libération sur un plan élastique

Figure 10. Assemblage de motifs de plis ordonnés à l’aide de la méthode de pré-étirement et de relâchement sur une surface plane. [Source : Laboratoire MOST de l’Université nationale de technologie de défense]
Conformément au principe de « suivre la voie de la nature » (appelé biomimétisme), les scientifiques ont proposé une série de méthodes de micro-construction basées sur le plissement de surface, offrant une approche universelle de leur structuration. Le plissement est initié par des stimuli externes tels que l’étirement, le chauffage, l’exposition à la lumière, le mouillage par un solvant, etc. La contrainte ainsi produite est ensuite relâchée par une déformation spontanée de la surface qui rééquilibre la distribution des contraintes.

A cet égard, la méthode de pré-étirement et de relâchement sur des surfaces planes est l’approche la plus couramment utilisée (Figure 10, voir réf. [4]). Dans ce processus, un substrat polymère élastique est d’abord pré-étiré à une certaine longueur. Un film mince est ensuite déposé sur ce substrat élastique pré-étiré pour obtenir des couches de peau avec différents modules élastiques. Ensuite, la contrainte est relâchée pour obtenir un motif de rides planes. Lorsque le matériau est étiré dans une seule direction, puis contracté dans la même direction, un motif d’onde sinusoïdale plane est produit. Si l’étirement se fait dans deux directions et que la contrainte est relâchée de manière séquentielle, un motif en zigzag se forme. Lorsque les deux directions sont étirées et que la contrainte est relâchée simultanément de différentes manières, on obtient un motif labyrinthique plus complexe.

3.2 Méthode d’étirement et libération sur une fibre élastique

Figure 11. Assemblage de motifs de plis de surface ordonnés à l’aide de la méthode de pré-étirement et de libération sur une fibre élastique. [Source : laboratoire MOST de l’Université nationale de technologie de défense]
Des plis circulaires sur des surfaces cylindriques peuvent être construits à l’aide de fibres élastiques pré-étirées. Dans cette méthode, des fibres élastomères hautement élastiques sont pré-étirées, puis recouvertes de feuilles de nanotubes de carbone. Une gaine conductrice recouvre ainsi l’âme en polymère. Lors de la libération de la contrainte, la gaine se plisse, formant des rides concentriques de courte période (Figure 11).

Des structures élastiques complexes peuvent être obtenues en enroulant ces nanotubes sur un noyau de caoutchouc lui-même étiré dans le sens transversal aux fibres. On obtient ainsi une structure plissée selon des orientations croisées [5]. Ceci permet de réaliser des électrodes en forme de treillis souple (voir section 4.4). Certaines fibres polymères, telles que les fibres de polyacrylonitrile, peuvent également former des plis similaires sous traitement thermique.

3.3 Méthode de gonflage et dégonflage d’un ballon élastique

Figure 12. Assemblage de motifs de plis de surface ordonnés à l’aide de la méthode de gonflage et de dégonflage sur un ballon élastique. [Source: laboratoire MOST de l’Université nationale de technologie de la défense]
L’utilisation de ballons gonflables est une méthode plus pratique à réaliser, qui ne nécessite pas l’utilisation de dispositifs pour pré-étirer le substrat (Figure 12). Les ballons peuvent être choisis avec différentes formes, par exemple sphériques ou cylindriques. Une fois le ballon gonflé, un revêtement tel que de l’oxyde de graphène est appliqué à la surface du ballon. Ensuite, il est séché à température ambiante pour former un film mince uniforme. Le ballon rétrécit si on le dégonfle, produisant une contrainte de compression sur le revêtement. Lorsque cette contrainte dépasse une valeur critique, des rides d’oxyde de graphène se forment de façon très marquée. Les rides causées par le dégonflement augmentent l’absorption de la lumière, renforçant considérablement la couleur.

En raison du rétrécissement simultané des trois dimensions pendant le processus de dégonflement, la morphologie résultante peut progressivement passer d’une forme hexagonale à un motif de labyrinthe fortement entrelacé, en fonction du taux de rétrécissement.

3.4 Plissement dynamique à l’aide d’un stimulus environnemental

Figure 13. Motifs de rides effaçables basés sur la réaction réversible de Diels-Alder. [Source : laboratoire MOST de l’Université nationale de technologie de défense]
En plus de la méthode de pré-étirement et de libération mentionnée ci-dessus, les plis peuvent également être générées par le chauffage, l’exposition à la lumière, le mouillage des solvants et d’autres stimuli. Des plissements multi-échelles peuvent ainsi être produits de façon dynamique en réaction à ces stimuli. Ceci peut permettre de réguler les propriétés des matériaux de manière autonome. De larges perspectives d’applications sont envisagées dans des domaines tels que l’autonettoyage, l’adhérence, l’anti-interférence, le camouflage et l’ingénierie tissulaire.

Par conséquent, les chercheurs ont tenté de contrôler les structures de rides dans les systèmes de plissement bicouches par des interactions physiques dynamiques ou des réactions chimiques classiques. Par exemple, des structures de rides dynamiques peuvent être construites à l’aide de réactions de Diels-Alder thermiquement réversibles (Figure 13), de la dimérisation photoréversible et du mouillage par solvant [6].

4. Applications typiques des motifs de plis

4.1 Application à la manipulation de gouttelettes

Figure 14. Plissez hiérarchiquement les motifs d’oxyde de graphène pour la manipulation des gouttelettes. [Source : laboratoire MOST de l’Université nationale de technologie de défense]
Une surface solide a tendance à repousser l’eau si son énergie de surface est faible et sa rugosité élevée. L’introduction de plis augmente généralement cette hydrophobie par rapport aux structures planes. Cependant, si une structure froissée est construite à l’aide d’un matériau intrinsèquement hydrophile tel que l’oxyde de graphène, elle permet aux gouttelettes d’être suspendues à la surface, comme cela se produit sur les pétales de rose et sur différents types de feuilles (lire Entre protection et défense : la cuticule des plantes).

Cet effet appelé « lotus » ou « pétale de rose » peut être utilisé pour la manipulation des gouttelettes (Figure 14) [7]. Cela peut être appliqué par exemple à la microfluidique numérique, visant à contrôler des réactions chimiques sur des puces micro-électroniques. Une telle manipulation des gouttelettes pourrait également être appliquée à la collecte d’eau douce ou au transfert de chaleur.

4.2 Application au camouflage adaptatif

Figure 15. Camouflage adaptatif basé sur des rides de surface dynamiques induites par la lumière. [Source : Laboratoire MOST de l’Université nationale de technologie de défense]
Le camouflage se rencontre couramment dans la nature, l’ingénierie et les applications militaires. Les plis de surface dynamiques permettent aux matériaux de contrôler la longueur d’onde de la réflexion, offrant un potentiel de camouflage adaptatif. Par exemple, un système bicouche de camouflage adaptatif a été constitué en combinant un copolymère d’anthracène (PAN) et un pigment contenant du polydiméthylsiloxane (p-PDMS) (Figure 15) [8]. Dans ce système, l’échauffement dû à un éclairage intense produit une dilatation thermique du p-PDMS éliminant les rides. La surface est alors transparente et se confond avec son environnement. Lorsque l’éclairage faiblit, le substrat se refroidit et se contracte. Les rides ainsi produites diffusent fortement la lumière, avec une couleur sélectionnée par l’épaisseur des plis sous l’effet d’interférences optiques. Cette stratégie de camouflage adaptatif est simple à configurer et facile à utiliser.

4.3 Application dans le domaine de la surveillance médicale

Figure 16. Capteurs résistifs détectant les mouvements du corps en fonction des structures plissées. [Source : Laboratoire MOST de l’Université nationale de technologie de défense].
Les capteurs résistifs peuvent mesurer les changements de forme en surveillant leur résistance électrique et sont largement utilisés dans les appareils portables de surveillance de la santé. Dans un capteur résistif basé sur les plis, les rides créent de nombreux points de contact qui peuvent être considérés comme d’innombrables interrupteurs. Lorsqu’une contrainte externe est appliquée, les plis se dilatent ou se rétrécissent avec l’allongement du substrat élastique. Ceci entraîne des changements de résistance par modification du nombre de contacts. Ce type de capteur est capable de détecter non seulement des mouvements à grande échelle tels que ceux des membres, mais aussi des déformations subtiles liées à la respiration et au pouls (Figure 16).

4.4 Applications aux dispositifs électroniques flexibles

Figure 17. Nanogénérateur triboélectrique (TENG) basé sur des structures plissées. [Source : Laboratoire MOST de l’Université nationale de technologie de défense].
Les électrodes extensibles ont attiré beaucoup d’attention en raison de leurs applications potentielles dans divers dispositifs électroniques portables et souples. Elles sont formées par des structures en plis, grilles, serpents, entailles, etc. La structure en plis est relativement simple et contrôlable. C’est ainsi l’une des techniques les plus couramment utilisées.

Les techniques de fibres de plissement de type gaine-âme présentées en section 3.2 [5] sont particulièrement prometteuses. La variation de leur résistance électrique reste inférieure à 5 % sous une contrainte de traction variant d’un facteur 10. De plus, la structure en plis améliore la résistance au frottement et présente un grand potentiel dans le domaine des électrodes flexibles pour nanogénérateur triboélectrique (TENG). La triboélectricité est la production de courant par frottement, ce qui peut permettre d’alimenter des capteurs de façon autonome. (Figure 17).

4.5 Application au blindage et à l’absorption des ondes électromagnétiques

Figure 18. Matériaux de blindage électromagnétique flexibles et extensibles à base de rides de nanotubes de carbone. [Source : Nano Micro Lett. (2024) 16:243, Laboratoire MOST de l’Université nationale de technologie de défense]
Les couches de plis de nanotubes de carbone sur un substrat en caoutchouc présentent d’excellentes propriétés de blindage électromagnétique, notamment en condition d’étirement (Figure 18) [9]. Lorsque la direction d’étirement est parallèle à la direction du champ électrique, l’effet de blindage électromagnétique peut être encore amélioré.

L’effet de blindage ne se limite pas à la réflexion des ondes, mais peut-être associé à une absorption des micro-ondes. Cet effet d’absorption peut être obtenu par des sphères polymères couvertes de rides de nanotubes de carbone [10]. Les plis structurés améliorent les performances d’absorption des micro-ondes par rapport aux sphères lisses. C’est l’équivalent électromagnétique des rugosités utilisées pour l’absorption acoustique. Pour une bonne efficacité d’absorption, ces rugosités doivent avoir une taille comparable à la longue d’onde. On parle alors techniquement d’une « bonne adaptation d’impédance ».

5. Messages à retenir

  • Les plis ou rides font référence à des ondulations des roches stratifiées à différentes échelles. Ils sont les résultats de déformations plastiques causées par des mouvements tectoniques.
  • Les rides désordonnées et incontrôlables peuvent affecter négativement les propriétés des matériaux, mais elles peuvent être organisées et contrôlées pour fournir des propriétés physiques et chimiques ajustables.
  • Les stimuli externes, tels que l’étirement, le chauffage, l’exposition à la lumière et le mouillage des solvants, provoquent un déséquilibre des contraintes mécaniques dans le système bicouche, entraînant ainsi la formation de rides. Celles-ci peuvent être contrôlés dynamiquement pour diverses applications.
  • Selon le substrat, le froissement peut se produire sous forme de plis planaires ou de plis courbes, tous deux dépendant du rapport du module d’élasticité entre le film et le substrat.
  • Les matériaux 2D présentent intrinsèquement des ondulations, ce qui est le résultat inévitable des fluctuations thermiques. Un ajustement efficace de leurs propriétés optiques, électriques et mécaniques peut être effectué par déformation mécanique.
  • Les motifs de plissement ordonnés et contrôlables ont un potentiel important pour des applications variées : manipulation des gouttelettes, camouflage adaptatif, surveillance médicale, dispositifs électroniques flexibles, blindage électromagnétique et absorption des micro-ondes.

 

L’auteur remercie sincèrement toutes les personnes et les organisations pour leur aide et leurs contributions. Un remerciement particulier au professeur Wang Xiaodong et au personnel concerné de l’Université de l’Académie des sciences de Chine pour leurs précieux conseils, leurs images de haute qualité et leurs textes, qui ont considérablement amélioré la richesse et le professionnalisme de cet article. Un grand merci aux étudiants de l’équipe pour leur participation et leurs contributions exceptionnelles dans les premières étapes de ce travail.


Notes et références

Image de couverture. Kakis avant et après la déshydratation : la déshydratation développe des rides de surface. [Source : Image de gauche : DR ; Image de droite : Fumikas Sagisavas, CC0, via Wikimedia Commons]

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Pour citer cet article : CHU Zengyong (26 juin 2025), Surfaces plissées : quand la technologie imite la nature, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 8 juillet 2025 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/physique/surfaces-plis-technologie-imite-nature/.

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