Perturbateurs endocriniens et santé humaine

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Ces dernières années, l’impact des perturbateurs endocriniens sur la santé a suscité un intérêt croissant de la part des médecins, des chercheurs ou des citoyens. Ces substances interagissent avec le système endocrinien et peuvent engendrer des effets néfastes sur le développement, la santé reproductive ou encore favoriser le développement de certaines maladies comme certains cancers. Les perturbateurs endocriniens sont largement présents dans l’environnement et l’alimentation. Ainsi, la population française y est largement exposée. Néanmoins, il reste difficile aujourd’hui encore d’estimer précisément l’impact de ces molécules sur notre santé. Quelles sont les données disponibles pour estimer les conséquences de l’exposition aux perturbateurs endocriniens de la population française et quels sont les leviers d’action possible pour protéger la population de l’exposition à ces molécules ?

1. Reconnaissance du concept de perturbateur endocrinien

Le système endocrinien est constitué d’un ensemble d’organes (hypothalamus, hypophyse, thyroïde, glandes surrénales, …) qui secrètent des substances chimiques appelées hormones. Il est essentiel à la vie car ces hormones régulent de nombreuses fonctions essentielles de l’organisme comme la croissance, le comportement, la reproduction ou encore le développement embryonnaire. Certaines substances chimiques présentes dans notre environnement ont la capacité d’interagir avec le système endocrinien et ce faisant, viendront perturber son fonctionnement, conduisant à large panel d’effets potentiels indésirables pour l’organisme. Ces substances sont qualifiées de perturbateurs endocriniens et peuvent ainsi perturber l’ensemble des fonctions endocrines :

  • Fonctions reproductrices
  • Fonctions thyroïdiennes
  • Fonctions surrénaliennes
  • Métabolisme
  • Neuro-développement, etc.

Via ces effets, ils sont suspectés de contribuer à de nombreuses pathologies chroniques ou développementales : troubles hormonaux et leurs conséquences (infertilité, puberté précoce, obésité, maladie thyroïdienne…), mais aussi malformations congénitales, cancers hormono-dépendants, et même troubles de l’immunité.

En 1991, une vingtaine de scientifiques a abouti au consensus de Wingspread qui a conceptualisé la notion de perturbateurs endocriniens. La déclaration mentionne notamment que « Des altérations de la santé et du développement embryonnaire résultent de produits chimiques libérés dans l’environnement qui agissent sur le système endocrinien »[1]. La définition communément admise depuis est celle de l’Organisation mondiale de la santé, proposée en 2002, mise à jour en 2012 : « un PE est une substance ou un mélange de substances, qui altère les fonctions du système endocrinien et de ce fait induit des effets néfastes dans un organisme intact, chez sa progéniture ou au sein de (sous)-populations. ».

En 2019, l’union européenne a adopté une définition réglementaire des perturbateurs endocriniens. Ainsi, pour qu’une substance soit identifiée comme un perturbateur endocrinien, les données disponibles sur cette substance doivent permettre l’identification d’un effet néfaste sur un organisme intègre, d’un mode d’action de type «  perturbateurs endocriniens » et d’un lien de plausibilité biologique entre les deux. Il faut aussi démontrer la pertinence pour l’Homme ou sur une population en fonction du niveau de preuve des effets observés sur des modèles animaux ou cellulaires. Les enjeux de ce concept pour la gestion des risques et sa traduction dans les méthodologies et les tests expérimentaux amenant à la classification des substances dans les réglementations européennes tiennent notamment à la multiplicité des substances susceptibles d’être des perturbateurs endocriniens (une douzaine officiellement reconnue dans l’Union européenne, plusieurs centaines de substances candidates) [2].

D’origine naturelle ou de synthèse, on retrouve les perturbateurs endocriniens dans de nombreux objets et produits de la vie courante (produits ménagers, détergents, produits de traitement des cultures, cosmétiques, produits alimentaires, etc.) (Figure 1). Ils sont également présents dans l’environnement du fait d’une contamination des différents milieux (eaux, sédiments, sols, air, etc.). Le programme national de biosurveillance a montré une exposition généralisée de la population [3], notamment des enfants, par certains de ces perturbateurs endocriniens (phtalates bisphénols, pesticides, PCB…).

2. De l’exposition aux perturbateurs endocriniens à l’effet en santé humaine : principes de la surveillance

2.1. Des effets sanitaires complexes à mettre en évidence

Les perturbateurs endocriniens sont susceptibles d’être à l’origine d’un panel large d’effets sur la santé. La capacité d’une substance à perturber l’activité endocrinienne dépend de la concentration dans le système biologique. Au niveau intracellulaire, les perturbateurs endocriniens peuvent interférer avec les récepteurs nucléaires, les récepteurs membranaires, les voies de signalisation intracellulaires et moduler l’expression génique. Le lien entre l’exposition à des perturbateurs endocriniens et les effets sur la santé reste difficile à quantifier précisément pour trois raisons principales :

  • La première raison est liée à la caractérisation de la toxicité des perturbateurs endocriniens : les relations dose-réponse peuvent échapper à la linéarité contrairement aux propriétés usuelles de toxicité des xénobiotiques ou induire des effets épigénétiques qui se transmettent aux générations futures.
  • La deuxième raison a trait à la période de latence entre l’exposition et l’apparition d’effets sanitaires : en particulier les expositions lors de la période des  « 1000 premiers jours » qui s’étend du développement prénatal à la petite enfance, et la période pubertaire est particulièrement critique car plusieurs systèmes périphériques ou centraux (système reproducteur, axe hypothalamo-hypophysaire…) achèvent leur maturation pendant cette période sous l’influence des hormones stéroïdiennes sexuelles [4]
  • La troisième raison est la diversité des sources de perturbateurs endocriniens et des déterminants à l’origine des effets de santé relevés dans la littérature et distincts des expositions à des perturbateurs endocriniens.

L’ensemble de ces spécificités explique, en partie, la contradiction des résultats des différentes études et la difficulté de vérifier la plausibilité des relations dose-réponse ou de définir un seuil d’exposition sans risque.

2.2. Des indicateurs de santé néanmoins disponibles pour orienter la décision

Mesurer l’impact sanitaire de ces substances n’est pas simple et la surveillance s’appuie dès lors sur la collecte, la construction, l’analyse, l’interprétation et la diffusion d’indicateurs qui englobent à la fois les expositions et les effets sanitaires potentiellement associés. L’objectif recherché à travers la construction ou l’analyse d’indicateurs est la représentation simplifiée d’un ou plusieurs phénomène(s) sur une échelle relative à partir d’informations chiffrées conformément à un ou plusieurs critère(s) d’appréciation [5]. Les indicateurs sont ainsi des métriques utiles pour la définition, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques publiques ou la communication d’informations scientifiques et techniques aux parties prenantes. Les indicateurs en santé-environnement sont développés pour faciliter le suivi et la surveillance à long terme en santé-environnement, pour orienter les décisions relatives à la santé ou à l’environnement ou pour évaluer les impacts de façon globale des décisions en matière de gestion des risques environnementaux [6]. Les indicateurs reposent sur l’accessibilité de données représentatives de qualité. L’existence d’un système de production de données structuré constitue bien souvent le levier pour une évaluation fiable du phénomène à caractériser.

En surveillance, trois types de données sont généralement utilisées pour construire les indicateurs d’objectivisation de l’impact sanitaire :

  • Les données environnementales, produites dans le cadre des politiques de protection de l’environnement, reflètent la contamination des milieux environnementaux et d’exposition (cette dimension ne sera pas traitée dans le cadre de cet article),
  • Les données de biosurveillance humaine qui fournissent une mesure directe de l’exposition agrégée d’un individu aux contaminants de l’environnement,
  • Les données de santé (cliniques, biologiques, …) capables de renseigner, directement ou indirectement, des tendances et/ou des phénomènes temporels et/ou spatiaux relatifs à un événement de santé d’intérêt.

L’analyse croisée de ces données permet une meilleure vision globale de l’estimation des impacts sanitaires et potentiellement d’examiner les relations possibles entre santé et environnement. En surveillance, cette démarche s’inscrit dans la discipline scientifique récente, l’Environmental Public Health Tracking, décrite par McKone et Ozkaynak [7].

2.3. Les indicateurs de santé développés à l’échelle de la France

2.3.1. Indicateurs d’exposition aux perturbateurs endocriniens

Figure 1. Quelques formules chimiques de perturbateurs endocriniens utilisés en cosmétique.

En France, c’est la loi issue du Grenelle de l’environnement (n° 2009-967 du 3 août 2009) qui a conduit à l’élaboration d’un programme national de biosurveillance pour estimer l’exposition de la population à diverses substances de l’environnement et pour améliorer la compréhension des déterminants de l’exposition. Inscrit dans le plan national santé environnement 2 puis 3, le programme comporte deux volets :

  • Une étude transversale en population générale continentale : l’étude Esteban (Étude de SanTé sur l’Environnement, la Biosurveillance, l’Activité physique et la Nutrition),
  • La cohorte Elfe (Étude longitudinale française depuis l’enfance).

Dans ce programme, plus d’une centaine de biomarqueurs ont été priorisés pour être mesurés dans le sang, les urines ou les cheveux des participants en raison notamment de leur toxicité avérée ou présumée. Parmi eux, figuraient de nombreuses substances chimiques suspectées d’avoir des propriétés de perturbation endocrinienne telles que les bisphénols, les phtalates, les parabènes, les composés bromés, les perfluorés [8]… Les objectifs de ce programme sont de décrire l’exposition de la population à ces substances, d’en étudier les déterminants et de comparer les résultats obtenus à ceux issus de programmes étrangers.

Une étude précédente, l’étude nationale nutrition santé (ENNS) avait permis de mesurer l’exposition à certains métaux et pesticides chez les adultes âgés de 18 à 74 ans et le mercure chez les enfants âgés de 6 à 17 ans (Tableau 1).

Tableau 1. Groupes chimiques de biomarqueurs mesurés en fonction des différentes études de biosurveillance.groupes chimiques biomarqueurs - biosurveillance

2.3.2. Indicateurs d’effets sanitaires

De nombreuses études décrivent un lien probable entre l’exposition à certains de ces perturbateurs endocriniens et les troubles de la fertilité et de la reproduction. C’est la raison pour laquelle le Ministre en charge de la santé a saisi en 2011 Santé publique France sur les indicateurs de santé reproductive du syndrome de dysgénésie testiculaire : cancer du testicule, malformations urogénitales et qualité du sperme.

A partir de ces premiers travaux, une démarche générale d’analyse a été établie :

  • L’identification et la priorisation des effets sanitaires à partir de la littérature scientifique et sur la base de consultation d’experts,
  • L’analyse croisée des sources de données disponibles et l’élaboration des méthodes de construction d’indicateurs sanitaires en s’appuyant notamment sur l’expertise externe de cliniciens spécialisés dans la prise en charge des pathologies,
  • L’estimation des incidences et l’analyse des tendances spatio-temporelles du risque sur l’ensemble du territoire.

La surveillance s’est élargie, suite à une priorisation des indicateurs clés pour la santé reproductive, basée sur le poids des poids des preuves, réalisée dans le cadre du réseau international Hurgent en 2016 [9].

3. Que montrent les données sur la surveillance des expositions et des effets des perturbateurs endocriniens sur la santé humaine ?

3.1. Le programme national de biosurveillance

programme national biosurveillance
Figure 2. Illustration des résultats du programme national de biosurveillance pour 5 familles de substances. [Source : DR Santé publique France, Résultats du programme national de biosurveillance]
Dans le cadre du programme de biosurveillance, le volet périnatal a permis de décrire pour la première fois l’imprégnation des femmes enceintes françaises par certains polluants organiques de l’environnement et de quantifier, lorsque cela était possible, les déterminants de ces niveaux d’imprégnation [10]. Les résultats ont montré que le bisphénol A, les phtalates, les pyréthrinoïdes, les dioxines, les furanes, les polychlorobiphényles, les retardateurs de flamme et les composés perfluorés étaient mesurés à des niveaux de concentrations quantifiables chez près de la totalité des femmes ayant accouché en 2011.

Concernant le second volet du programme national de biosurveillance, la population cible de l’étude Esteban était constituée de l’ensemble des personnes résidant en France continentale âgées de 6 à 74 ans sur la période d’étude 2014-2016 [11]. Les bisphénols, les phtalates, les retardateurs de flamme bromés, les perfluorés, les éthers de glycol et les parabènes étaient mesurés pour la première fois en France chez des enfants et des adultes, auprès d’un large échantillon. Les résultats ont montré des expositions généralisées et des niveaux d’imprégnation généralement plus élevés chez les enfants, sauf dans le cas des perfluorés, ce qui pourraient s’expliquer par : des contacts cutanés et de type « main bouche » plus fréquents pour des produits du quotidien (jouets, peintures…) ; des expositions plus importantes aux poussières domestiques et un poids corporel plus faible par rapport à leurs apports alimentaires pour la plupart des substances mesurées.

Les niveaux d’exposition mesurés dans Esteban pour les six familles de polluants citées auparavant étaient comparables à ceux observés dans les programmes à l’étranger, notamment aux États-Unis et au Canada à l’exception des retardateurs de flamme bromés, des bisphénols S et F et des parabènes qui étaient moins retrouvés en France. Ces différences pouvaient être dues à des réglementations qui ne sont pas identiques entre les pays (par exemple, la réglementation européenne est plus contraignante vis-à-vis de l’usage des parabènes dans l’alimentation) mais également à des comportements qui varient d’un pays à l’autre (Figure 2).

De telles analyses sur des échantillons représentatifs sont lourdes, couteuses et techniquement difficiles pour caractériser l’exposition à des résolutions spatiales fines et à l’échelle de larges territoires. Par ailleurs, les études de biosurveillance telles que construites aujourd’hui produisent des résultats d’exposition par substances ou par familles de substances et sont limitées pour étudier la multiexposition, plus proche de la situation réelle de l’exposition humaine.

3.2. Le programme de surveillance des pathologies en lien avec les perturbateurs endocriniens

Un premier bilan a récemment été publié, avec une analyse combinée des 4 indicateurs du syndrome de dysgénésie testiculaire [12] (Tableau 2), présentant une altération progressive de la santé reproductive masculine en France, et ce probablement depuis les années 70 en ce qui concerne la qualité du sperme (Figure 3) [12].

Tableau 2. Chiffres clés de la surveillance santé reproductive. * Cas et incidences estimés à partir des cas traités ou opérés, enregistrés dans le SNDS. Ils ne représentent pas l’exhaustivité des cas rencontrés dans la population générale. [Source : © Le Moal et al, 2018 ref. [12], DR Santé publique France |

influence perturbateurs endocriniens sperme
Figure 3. Concentration spermatique chez les hommes de 35 ans, France, 1989-2005. [Source Le Moal et al, 2018 ref. [12], DR Santé publique France]
La dégradation des indicateurs suivis semble globalement en adéquation avec celle constatée au niveau international mais peut être soit le témoin d’une augmentation de l’incidence des pathologies, soit de la sensibilisation des populations voire des médecins à certaines maladies (meilleures prises en charge, détections ou connaissances des pathologies), ou une combinaison de chacune de ses hypothèses.

Les résultats obtenus en France ne montrent pas de convergences spatiales évidentes entre les indicateurs en métropole. Les régions affichant une détérioration plus marquée de la qualité du sperme sur la période 1989-2005 sont différentes de celles où l’on observe des sur-incidences de cancer du testicule (Figure 4), de cryptorchidie (Figure 5) [13] et d’hypospadias en 2014.

Différentes causes sont possibles ou peuvent être intriquées avec des hypothèses environnementales, comme le tabagisme chez les femmes enceintes qui est un facteur de risque suspecté pour les cryptorchidies comme pour la qualité du sperme, des facteurs nutritionnels ou métaboliques, la pollution atmosphérique ou des modifications de mode de vie (sédentarité, stress, chaleur, sommeil) pour la qualité du sperme [14]. À ce stade, les résultats ne permettent pas d’argumenter un rôle éventuel d’expositions géographiquement déterminées dans l’association particulière des composantes du TDS, peut-être du fait des limites des données disponibles.

Figure 4. (A) Taux brut d’incidence de cancers du testicule traités chirurgicalement, entre 1998 et 2014, France entière. (B) taux prédit d’incidence de cancer du testicule traité chirurgicalement en France entière, 2014. [Source : © Le Moal et al, 2018 ref. [12], DR Santé publique France]
Les premiers résultats de la surveillance de l’endométriose et du fibrome utérin à partir des données de prise en charge médicale en France ont été publiés en 2022 [15],[16] (Figure 3). Un indicateur reflétant les cas incidents d’endométrioses diagnostiquées à l’hôpital a été construit, permettant d’estimer un taux d’incidence annuel à 9,85/10 000 personnes-années chez les femmes de 10 ans et plus de 2011 à 2017. Pour les fibromes utérins, un indicateur reflétant les cas incidents traités par médicament et/ou hospitalisés avec un acte chirurgical associé a été construit, permettant d’estimer l’incidence à 11,7/10 000 personnes-années chez les femmes de 10 ans et plus de 2013 à 2017.

Le programme de surveillance a pu montrer l’augmentation de l’incidence des maladies chroniques plausiblement attribuées, au moins en partie, aux perturbateurs endocriniens (même si l’état actuel des connaissances de telles études descriptives ne peuvent être évidemment que génératrices d’hypothèses). A ce stade, attribuer une part des incidences à une exposition aux perturbateurs endocriniens, même qualitativement, par ces approches reste compliqué. Hormis pour la qualité du sperme, les indicateurs sont construits à partir des données disponibles dans la base de données du Système national des données de santé (SNDS), seules données produites en continu et couvrant tout le territoire. Ces indicateurs ne reflètent que les cas pris en charge, en sous-estimant de façon importante le problème de santé publique car le nombre de patients souffrant de ces pathologies peut être plus important.

cryptorchidie france - perturbateurs endocriniens
Figure 5. Estimation des risques relatifs de la cryptorchidie opérée sur la période 2002-2014. [Source : © Le Moal et al, 2018 ref. [13], DR Santé publique France]
Plusieurs limites liées à la méthode de repérage des cas via le SNDS peuvent également être listées : variations de codage, diversité des pratiques médicales, de diagnostic ou de prise en charge. Les résultats en termes de valeurs et de tendances temporelles sur la qualité du sperme sont relativement robustes et en cohérence avec la littérature. Pour le cancer du testicule, les résultats sont également robustes, car les pratiques diagnostiques et de prise en charge n’ont pas varié au cours du temps, et ils sont en cohérence avec la littérature.

Les autres indicateurs ne reflètent que les cas pris en charge, en sous-estimant de façon importante le problème de santé publique car le nombre de patients souffrant de ces pathologies est bien plus important. Plusieurs limites liées à la méthode de repérage des cas via le SNDS peuvent également être listées : variations de codage, diversité des pratiques médicales, de diagnostic ou de prise en charge… Les analyses spatio-temporelles à une résolution infra-départementale (commune, code postal, canton), facilitent l’identification d’hypothèses sur les potentiels facteurs de risque (réduction du biais dit écologique mais augmentation de l’incertitude sur l’estimation des indicateurs), sur les limites des données mobilisées ou sur l’impact des disparités territoriales de prise en charge médicale. L’intégration d’autres sources de données complémentaires (cohortes, registres, données locales de terrain, …) permettra, en réduisant l’incertitude associée, d’améliorer la robustesse et la représentativité des indicateurs.

4. Informer et prévenir pour protéger la santé de tous

Les effets sanitaires potentiels des perturbateurs endocriniens ont initialement été mis en évidence par le dysfonctionnement de la sphère reproductive, mais s’étendent aujourd’hui à de nombreux autres organes et fonctions de l’organisme (altération du système immunitaire, troubles de la thyroïde, cancers hormonaux-dépendants, etc.). Des atteintes neurologiques comme l’autisme, la baisse de quotient intellectuel ou des troubles métaboliques comme le diabète ou l’obésité sont également suspectés d’être associés à une exposition aux perturbateurs endocriniens. Afin d’intégrer les nouvelles connaissances scientifiques, l’agence souhaite définir une nouvelle stratégie de surveillance des effets des perturbateurs endocriniens (Élargir la surveillance à d’autres pathologies en lien avec les perturbateurs endocriniens : Action 46 de la SNPE 2) en se basant sur des effets préalablement priorisés et sur une consultation large d’experts et de parties prenantes du champ des perturbateurs endocriniens via la méthode de consensus Delphi [17].

Concernant la production d’indicateurs d’exposition, le programme de biosurveillance a fourni des premières mesures dans la population pour la plupart des perturbateurs endocriniens. La répétition d’enquêtes de biosurveillance permettra de mesurer les évolutions des expositions dans le temps et d’évaluer les politiques publiques. Il s’agira également de mieux prendre en compte la multi-exposition et d’obtenir des indicateurs infranationaux en organisant un dispositif d’enquêtes par cycles, plus flexible et permettant d’acquérir des données plus fréquentes. Couplé au concept de l’exposome (Lire Exposome et sciences sociales : la promesse d’une rencontre ?), le concept de perturbation endocrinienne a conduit au développement de design d’analyse plus intégré combinant épidémiologie, expologie et toxicologie, transdisciplinarité notamment promut dans le cadre des programmes de recherche européens (FP7, H2020, Greendeal). La déclinaison du concept d’exposome à la surveillance implique de combiner l’ensemble des données disponibles et différentes approches méthodologiques. L’émergence de nouvelles bases de données environnementales et toxicologiques permettra de mieux spatialiser la multiexposition des populations, mais nécessite une réflexion au préalable sur les besoins techniques pour l’exploitation de données massives, la construction d’indicateurs composites d’exposition et la mise en interopérabilité des outils et des données de sources et de types différents. Enfin, les méthodes d’évaluation du fardeau environnemental quantifiant l’impact sanitaire permettent d’utiliser conjointement les données d’exposition, d’incidence et des relations épidémiologiques pour traduire en coût économique les cas attribuables d’une pathologie aux différents facteurs de risque. Cette approche permet d’intégrer les différents outils et données développés sur la thématique des perturbateurs endocriniens.

Sans attendre les résultats issus de ces différentes perspectives, informer et prévenir les expositions de la population (en particulier les populations les plus vulnérables) aux perturbateurs endocriniens est d’ores et déjà essentiel. En effet, les programmes de surveillance présentés plus haut ont pu montrer l’augmentation de la prévalence ou de l’incidence de nombreuses maladies chroniques régulièrement attribuée, au moins en partie, aux perturbateurs endocriniens (même si l’état actuel des connaissances de telles études descriptives ne peuvent être évidemment que génératrices d’hypothèses) qui implique des actions de prévention. Pour cela, Santé publique France a mis en ligne le 15 septembre 2021 un site à destination des parents et futurs parents (1000 premiers jours). Ce site est construit pour répondre aux besoins d’information relatifs aux connaissances scientifiques sur la période des 1000 premiers jours et permettant aux futurs parents d’agir au quotidien pour aller vers une sobriété d’exposition chimique au regard des risques relatifs à cette exposition.

Les démarches d’évaluation de l’exposition et d’impact constituent deux approches complémentaires, avec leurs limites propres, pour l’appui aux politique publiques. L’articulation de ces différentes méthodologies et outils dans une démarche globale offre des perspectives intéressantes pour identifier in fine des stratégies et des actions de prévention efficaces dans un contexte d’incertitude et de connaissances lacunaires. Enfin, la dégradation de l’environnement et la contamination des denrées alimentaires (notamment animalières) impactent directement la santé humaine. Au-delà du constat de l’interdépendance étroite entre la santé humaine et les écosystèmes, le concept d’une seule santé et sa déclinaison dans des logiques d’aide à la décision impliquent le besoin de développer des approches intégrées pour caractériser ces interrelations.

5. Messages à retenir

  • Les effets sanitaires potentiels des perturbateurs endocriniens ont initialement été mis en évidence par le dysfonctionnement de la sphère reproductive, mais s’étendent aujourd’hui à de nombreux autres organes et fonctions de l’organisme.
  • Trois types de données sont généralement utilisées pour construire les indicateurs d’objectivisation de l’impact sanitaire : les données environnementales, de biosurveillance et de santé.
  • Les programmes nationaux ont montré une exposition généralisée de la population aux perturbateurs endocriniens et une augmentation de l’incidence des maladies chroniques plausiblement attribuées, au moins en partie, aux perturbateurs endocriniens.
  • Ainsi, et en dépit des incertitudes qui existent encore aujourd’hui pour estimer l’impact sanitaire des perturbateurs endocriniens, l’analyse combinée des résultats d’ores et déjà obtenus dans les programmes de surveillance offre des perspectives intéressantes pour identifier in fine des stratégies d’information et des actions de prévention pour protéger la santé de tous et notamment des populations les plus vulnérables.

 


Notes & références

Image de couverture. Larissa Sampaio, Pixabay

[1] Bern H., et al. « Statement from the work session on chemically-induced alterations in sexual development: The wildlife/human connection ». In: Colborn T., Clement C., (dir.). Chemically-Induced Alterations in Sexual and Functional Development: The Wildlife/Human Connection. États-Unis, New Jersey : Princeton Scientific Publishing Co, 1992, 1-8.

[2] Slama R. Perturbateurs endocriniens : enjeux de la réglementation européenne. Adsp, sept 2021, 115, 36-40.

[3] Fillol C, Oleko A, Saoudi A, et al. Exposure of the French population to bisphenols, phthalates, parabens, glycol ethers, brominated flame retardants, and perfluorinated compounds in 2014- 2016: Results from the Esteban study. Environ Int 2021 ; 147 : 106340.

[4] Delpierre C., Lepeule J., Cordier S., et al. « DOHaD. Les apports récents de l’épidémiologie ». Médecine/sciences, janv. 2016, 1, 32, 21-26.

[5] Nardo M, Saisana M, Saltelli A, et al. Handbook on Constructing Composite Indicators. Methodology and User Guide. OECD Statistics Working Paper, 2008.

[6] World Health Organization. Environmental Health Indicators: Framework and Methodologies. Geneva : World Health Organization, 1999.

[7] McKone TE, Ozkaynak RP. Exposure information in environmental health research: current opportunities and future directions for particulate matter, ozone, and toxic air pollutants. J Expo Sci Environ Epidemiol 2009 ; 19 : 30-4.

[8] Fillol C, Garnier R, Mullot JU, et al. Prioritization of the biomarkers to be analyzed in the French biomonitoring program. Biomonitoring 2014; 1 : 95-104.

[9] Le Moal J, Sharpe RM, Jørgensen N, et al. Toward a multi-country monitoring system of reproductive health in the context of endocrine disrupting chemical exposure. Eur J Public Health. 2016; 26(1):76-83.

[10] Dereumeaux C, Saoudi A, Pecheux M, et al. Biomarkers of exposure to environmental contaminants in French pregnant women from the Elfe cohort in 2011. Environment international. 2016; 97:56-67.

[11] Balicco A, Oleko A, Szego E, Boschat L, Deschamps V, Saoudi A, Zeghnoun A, Fillol C: Protocole Esteban : une Étude transversale de santé sur l’environnement, la biosurveillance, l’activité physique et la nutrition (2014—2016). Toxicologie Analytique et Clinique 2017, 29: 517-537.

[12] Le Moal J et al. 2018. Analyse combinée des quatre indicateurs du syndrome de dysgénésie testiculaire en France, dans le contexte de l’exposition aux perturbateurs endocriniens : cryptorchidies, hypospadias, cancer du testicule et qualité du sperme.

[13] Le Moal J, Goria S., Guillet A, Rigou A, Chesneau J. Variations spatiotemporelles du risque de cryptorchidies opérées en France et hypothèses environnementales. Saint-Maurice : Santé publique France, 2021. 42 p. Disponible à partir de l’URL : www.santepubliquefrance.fr

[14] Skakkebaek NE, Rajpert-De Meyts E, Buck Louis GM, Toppari J, Andersson AM, Eisenberg ML, et al. Male reproductive disorders and fertility trends: Influences of environment and genetic susceptibility. Physiol Rev. 2016; 96(1):55-97.

[15] Le Moal J, Goria S, Chesneau J, Peyronnet A, Fauconnier A, Kvaskoff M, De Crouy-Chanel P, Kahn V, Daraï E, Canis M. Surveillance nationale des pathologies en lien possible avec les perturbateurs endocriniens : Epidémiologie de l’endométriose prise en charge à l’hôpital en France de 2011 à 2017. Saint-Maurice : Santé publique France, 2021. 49 p.

[16] Peyronnet A, Goria S, Chesneau J, Canis M, Kahn V, Kvaskoff M, Le Moal J. Surveillance nationale des pathologies en lien possible avec les perturbateurs endocriniens : Epidémiologie du fibrome utérin pris en charge médicalement en France de 2013 à 2017. Saint-Maurice : Santé publique France, 2021. 59 p. Disponible à partir de l’URL : www.santepubliquefrance.fr

[17] Le Barbier M, Ménard C, Peyronnet A. Etude PEPS’PE : Priorisation des effets sanitaires à surveiller dans le cadre du programme de surveillance en lien avec les perturbateurs endocriniens de Santé publique France – Rapport méthodologique. Saint-Maurice : Santé publique France, 2021. 29 p.


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Pour citer cet article : CAUDEVILLE Julien, FILLOL Clemence, DENYS Sebastien (6 février 2023), Perturbateurs endocriniens et santé humaine, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 26 avril 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/sante/perturbateurs-endocriniens/.

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