La production d’eau potable, un enjeu majeur de santé publique

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L’alimentation en eau potable est un enjeu primordial de santé publique. Des progrès considérables ont été réalisés depuis la fin du 19e siècle, de la découverte de la microbiologie à l’analyse d’ultra-traces chimiques. C’est une des causes principales de l’amélioration de la santé publique. Chaque Français consomme en moyenne 150 litres d’eau potable par jour, mais le volume prélevé à la source est  50 % plus élevé. Après une section consacrée aux techniques de production de l’eau potable, la réglementation est résumée ainsi que les risques encourus, malgré des contrôles assez poussés mais toutefois incomplets au plan microbiologique (e.g. cryptosporydium, cyanotoxines, … ) et chimique (e.g. métabolites de pesticides, résidus pharmaceutiques, …). Les impacts prévus du changement climatique, déjà observés pour certains, concluent cet article. Il s’agit notamment des difficultés futures de disposer de ressources (diminution des débits des rivières et des taux de recherche des aquifères) de qualité suffisantes (remobilisation des polluants, effets de moindre dilution).

L’eau destinée à la consommation humaine, appelée encore eau potable, est définie réglementairement comme « une eau devant ne pas contenir un nombre ou une concentration de micro-organismes, de parasites ou de toutes autres substances constituant un danger potentiel pour la santé des personnes et être conforme à un certain nombre de limites et de références de qualité ». C’est donc une eau généralement de très bonne qualité que chaque français, en secteur résidentiel, consomme quotidiennement à raison de 150 litres en moyenne, dont seulement 10 % pour la boisson et la cuisine. Les prélèvements correspondants en eau souterraine et de surface représentent 18 % du total des besoins nationaux, soit près de 42 % si on exclut les prélèvements pour la production d’énergie électrique. Les enjeux dans ce domaine sont donc très importants et préoccupants, compte tenu des impacts prévus du changement climatique sur la disponibilité des ressources mais également sur leur qualité.

1. L’alimentation en eau potable : un enjeu primordial de santé publique

1.1. La découverte des germes pathogènes

La prise de conscience du risque sanitaire lié à l’eau fait suite à l’établissement de la relation entre les grandes épidémies européennes de choléra et fièvre typhoïde et la pollution des eaux d’égouts. En France, ces constats aboutissent en 1900 à la 1ère circulaire ministérielle qui annonce qu’une analyse chimique (très simplifiée à l’époque) ne suffit pas pour apprécier la salubrité de l’eau mais qu’une analyse microbiologique est nécessaire, sans toutefois en préciser les méthodes. La première élaboration d’une réglementation aboutira en 1962 à une exigence essentielle mais difficilement vérifiable : « l’absence de tout germe pathogène ». En termes de contrôle, c’est l’absence de certains germes dits « tests » qui a été considérée comme représentative d’un très faible risque de la présence redoutée de pathogènes notoires, comme Salmonella et Shigella.

Cet objectif sanitaire « d’absence de germes tests » a aujourd’hui montré son efficacité. On lui doit sans doute une partie des énormes progrès dans le domaine de l’hygiène publique au 20e siècle. C’est en effet le bénéfice de la filtration de l’eau qui est mis en évidence dès la fin du 19e siècle, au moment des grandes épidémies. C’est dans le premier quart du 20e siècle que se développent les procédés de filtration lente, de désinfection (javellisation, ozonation, iodation), puis de clarification utilisant la ccoagulationconsiste à mélanger rapidement l’eau à traiter avec un (ou plusieurs) réactif(s) chimique(s) pour déstabiliser les particules colloïdales (très fines) de l’eau, pour ensuite les agglomérer sous agitation lente (floculation), afin de les décanter (ou les filtrer) plus facilement.. Dans les années 60-70, le traitement de l’eau pour la production d’eau potable demeure toujours très simplifié. Les eaux souterraines sont simplement pompées et chlorées (ou « javellisées ») et le traitement des eaux superficielles est conçu suivant le schéma classique « préchloration fréquente, puis clarification (coagulation, floculation, décantation, filtration sur sable) et enfin désinfection par chloration ».

1.2. Des avancées continuelles dans la détection de molécules toxiques

Lors de ces dernières décennies, de nombreuses molécules chimiques sont détectées et quantifiées dans les eaux naturelles et les avancées en toxicologie et en épidémiologie permettent d’évaluer leurs effets sur la santé. La plupart de ces nouvelles substances sont issues de l’augmentation de la production et de l’utilisation de composés naturels dérivés (engrais, métaux, …), ainsi que de  nouvelles molécules de synthèse (pesticides, produits pharmaceutiques, cosmétiques, …). Certains de ces polluants ont existé depuis longtemps dans les eaux destinées à la consommation humaine, à des concentrations parfois plus élevées qu’aujourd’hui. Cependant ils n’ont pas toujours été pris en compte par la réglementation passée, soit parce que jugés sans risques car de toxicité mal connue, soit, pour beaucoup, non analysables aux concentrations présentes (e.g. Trihalométhanes (THM): sous-produits de désinfection par le chlore gazeux ou l’eau de javel, résultant de réactions chimiques entre l’oxydant « chlore » et la matière organique dissoutes présentes (naturellement ou pas) dans l’eau., bromates, monomères de matériaux, hormones naturelles, etc.). Pour la plupart d’entre eux, le risque est surtout à long terme et les réglementations sont aujourd’hui établies dans ce sens avec la notion de concentration maximale admissible à respecter.

En absence de prévention très efficace et comme le risque n’est jamais nul, les filières de traitement doivent aujourd’hui être adaptées, dès leur conception ou lors de leur réhabilitation. Les premières filières simples, citées ci-dessus, ne suffisent plus depuis longtemps et intègrent dorénavant des traitement spécifiqueprocédé qui permet d’éliminer spécifiquement une substance chimique présente dans l’eau (fer, manganèse, nitrates …). (plutôt pour les eaux d’origine souterraine) et/ou des traitements d’affinage (généralement pour les eaux de surface) pour éliminer la pollution présente ou accidentelle.

C’est ainsi que de nombreux procédés avancés ont vu le jour ces dernières décennies (cf. § 3). Ceux utilisant des membranes, initiés dans les années 80, constituent certainement le saut technologique le plus important dans le domaine de la production d’eau potable. Permettra-t-il d’atteindre le concept « d’eau sans chlore », recherché depuis les années 90 ? C’est encore inimaginable aujourd’hui dans la très grande majorité des cas, compte tenu de la nécessité de distribuer l’eau dans des réseaux qui demeurent toujours très sensibles au développement d’une pollution microbiologique.

2. Quels besoins en eau potable et à partir de quelles ressources ?

Environ 10 % (0,7 milliard) des habitants de la planète n’ont pas accès à une eau de boisson de qualité suffisante (ils étaient plus de 3 milliards fin des années 90). La demande en eau potable dans le monde sera de plus en plus importante avec l’augmentation de la population et le réchauffement de la planète, enjeu considérable notamment pour les pays disposant de moins de 1 000 m3 par habitant d’eau douce renouvelable[1] (lire Risquons-nous d’avoir une pénurie d’eau ?). La France dispose quant à elle de 2 600 m3 par habitant d’eau douce renouvelable, avec de fortes disparités géographiques et saisonnières. Cela correspond au total à 170 à 175 milliards de m3, sur lesquels 5, 4 milliards de m3 (5,4 km3) sont prélevés pour la consommation humaine, un peu moins des 2/3 en eau souterraine, le reste en eau de surface.

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Figure 1. (Barrage de la Touche Poupard (79) le 21/08/2016). C’est à partir des eaux de retenue que la production d’eau potable est la plus délicate. [Source : © Pauline Nouzille – Observatoire Régional de l’Environnement Poitou-Charentes]
Ce prélèvement de 5, 4 km3 pour produire de l’eau potable destinée à 67 millions d’habitants correspond à une moyenne de 80,6 m3 par habitant et par an (ou 221 litres par jour). En 2012, la consommation moyenne est de 54 m3/hab./an. Elle est plus élevée en milieu urbain qu’en milieu rural. Supérieure dans un passé récent, cette consommation moyenne a diminué progressivement à partir des années 1990, notamment par souci de réduction de la facture d’eau, mais aussi par changement de comportement. La différence entre le prélèvement dans la ressource et la consommation domestique (au robinet du consommateur) a plusieurs origines. La perte d’eau en réseau de distributionensemble d’éléments (conduites, réservoirs, …) permettant de distribuer l’eau potable entre la sortie de l’usine (eau refoulée) et le robinet du consommateur (eau distribuée)., relativement constante depuis une quinzaine d’années, est estimée à environ 15,6 m3 par habitant et par an. Les autres pertes (en usine de production), les consommations par le secteur tertiaire, le secteur public et le secteur industriel (consommant de l’eau potable) expliquent la différence restante.

Que deviendra cette consommation dans les décennies à venir ? C’est difficile à prédire tant que les plans d’adaptation au changement climatique ne seront pas définis et mis en place. Certaines études[2] prévoient une augmentation de la consommation de l’ordre de 1,5 % à 2 % par degré d’élévation de la température moyenne de la France sous l’effet du changement climatique. Ces chiffres semblent toutefois faibles par rapport aux augmentations de consommation enregistrées lors de la « canicule » de juin 2017, par exemple en Nouvelle-Aquitaine. Les mesures d’adaptation devraient permettre de limiter de telles augmentations.

La qualité des ressources destinées à la production d’eau potable est très variable selon les types de substances présentes (naturelles et d’origine anthropique ; cf. tableau). On peut en effet y trouver :

  • des impuretés biologiques, comme les bactéries, les virus, les protozoaires parasites et le phytoplancton ;
  • des impuretés minérales sans effet appréciable sur la santé ou avec un effet indirect, comme la turbidité, la couleur, la minéralisation, certains métaux de transition, l’ammonium et certains gaz dissous ;
  • des impuretés minérales avec effet appréciable sur la santé, comme les métaux lourds, les formes oxydées de l’azote, l’antimoine, l’arsenic, le baryum, le bore, le fluor et le sélénium ;
  • des impuretés organiques mesurées par les paramètres globaux (carbone organique totalmesure la totalité des matières organiques carbonées présentes dans une eau, par oxydation thermique ou photochimique., Indice permanganate (oxydabilité au permanganate de potassium)mesure une grande partie des matières organiques carbonées présentes dans une eau, par oxydation chimique à chaud.),
  • des micropolluants organiques avérés (pesticides, solvants chlorés, hydrocarbures, polychloro-biphényles, détergents) et des micropolluants émergents (perturbateurs endocriniens, résidus pharmaceutiques, cométiques …) ;
  • des impuretés de nature radioactive.

 De plus, de nouvelles impuretés sont introduites par le traitement et la distribution, comme les résiduels de réactifs de traitement (aluminium, fer), les Sous-produits de désinfectionproduits des réactions chimiques entre un désinfectant chimique introduit dans l’eau (chlore gazeux, eau de Javel, ozone …) et des substances naturellement présentes dans les eaux (matière organique naturelle, bromure, …). (trihalométhanes, bromates, chlorites), le plomb et les monomères de matériaux au contact de l’eau. La présence de ces impuretés induira différentes problématiques à résoudre lors du traitement de l’eau.

Les principaux problèmes rencontrés lors du traitement d’eau, dus directement ou indirectement à la qualité de la ressource :

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3. La production et la distribution de l’eau potable en France

En France, on estime le nombre de captages à environ 30 000 (dont de l’ordre de 95 % en eau souterraine), mais 90 % de ces captages ne produisent que 21 % des volumes. Le volume total capté représente en moyenne 15 millions de m3 par jour (5,4 km3 par an), dont 2/3 en eau souterraine et 1/3 en eau superficielle (lire Le karst, ressource en eau renouvelable dans les roches calcaires). De l’ordre de 80 % des ressources en eaux superficielles pour l’alimentation en eau potable sont des eaux courantes (rivières, canaux) et 20 % des eaux stagnantes (dont 13 % de barrages et réservoirs). En termes d’ouvrages, l’alimentation en eau potable en France compte environ 3 000 usines et stations, plusieurs centaines de milliers de km de canalisations et plus de 10 millions de m3 de capacité de réservoirs, soit une journée de consommation moyenne.

L’établissement d’une filière (ou usine) de traitement pour la production d’eau potable consiste à assembler un certain nombre de procédés (ou opérations unitaires) de traitement des eaux, dans un ordre déterminé, destinés à produire une eau agréable, désinfectée et conforme aux exigences réglementaires (cf. section 4), tout en minimisant la formation de sous-produits de traitement. Plusieurs difficultés techniques sont rencontrées : ressources très rarement d’excellente qualité, impact du réseau sur la qualité de l’eau distribuée, procédés disponibles de plus en plus variés, etc.. Une autre difficulté à surmonter est l’exigence de plus en plus grande du consommateur sur le goût de l’eau, mais aussi sa méfiance envers la qualité de l’eau du robinet comparativement aux eaux embouteillées qu’il consomme sans crainte. Cette méfiance est d’ailleurs entretenue par les médias de plus en plus prolifiques sur le sujet, avec des sources parfois erronées.

Le traiteur d’eau doit produire une eau sans saveur et spécialement sans goût de chlore, bien que le respect de la réglementation impose que l’eau soit désinfectée avant et pendant sa distribution. La minimisation du goût de chlore ne peut alors être obtenue que par application de faibles doses de ce réactif ou de ses dérivés, donc sur des eaux d’excellente qualité, ce qui impose un traitement efficace avant la désinfection finale.

Une filière de traitement des eaux destinées à la consommation humaine doit inclure en priorité une excellente désinfection précédée de trois groupes d’étapes de traitement possibles schématisées sur la figure 2: prétraitements physiques et chimiques, clarification, traitements d’affinage.

Les prétraitements sont très fréquents en traitement des eaux superficielles. Ils peuvent être physiques à la prise d’eau ou sur l’usine (dégrillage, dessablage, débourbage, déshuilage, microtamisage) et chimiques (pré-oxydation par ozonationprocédé de désinfection de l’eau et d’oxydation des polluants qui consiste à injecter un mélange d’oxygène et d’ozone (fabriqué in situ) dans l’eau à traiter., Reminéralisationconsiste à redonner à l’eau une minéralisation suffisante (pour éviter notamment la corrosion) en injectant du calcium et des carbonates. partielle pour les eaux très douces).  A partir d’eau souterraine, le prétraitement, quand il existe, est dépendant des caractéristiques particulières de l’eau. Ce peut être par exemple une oxydation (élimination du fer, du manganèse, de l’azote ammoniacal) ou une simple aération (pour les mêmes applications et pour le dégazage).

Le groupe d’étapes qui suit les prétraitements est généralement mis en œuvre pour les eaux de surface. Il s’agit d’une clarification complète, avec coagulation, floculation, décantation (ou flottation) et filtration. Pour certaines eaux peu turbides (lac, nappe alluviale, eau souterraine d’origine karstique), une simple (ou double) filtration avec coagulation sur filtre ou encore une filtration sur membranefeuillets ou tubes, minérales ou organiques, retenant physiquement les particules et les micro-organismes par filtration directe (microfiltration, ultrafiltrationprocédé utilisant des membranes capables de retenir, par filtration directe, des particules de l’ordre de plusieurs dizaines de nanomètres (cf. membranes)., nanofiltrationprocédé utilisant des membranes capables de retenir, par filtration directe, des particules et espèces dissoutes de l’ordre de quelques nanomètres (cf. membranes).) ou séparant par phénomène osmotique les espèces dissoutes (osmose inverseprocédé utilisant des membranes capables de retenir, par phénomène osmotique (inversé) sous haute (ou basse) pression, toutes (ou presque) les substances dissoutes d’une eau (cf. membranes).). d’ultrafiltration peuvent suffire.

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Figure 2. Deux filières extrêmes pour la production d’eau potable à partir d’eau de surface, de très bonne qualité (« Eaux peu turbides » dans figure) et de qualité moyenne ou médiocre (« Eaux turbides ») [Source : © Photothèque Veolia Water Technologies ]
Les étapes d’affinage ont longtemps consisté en une filtration sur charbon actifsolide sous formes de granulés ou de poudre, issus de la calcination de matériaux carbonés (bois, houille, noix de coco, …), présentant des propriétés d’adsorption importantes notamment vis à vis des micropolluants organiques (pesticides par exemple). en grains souvent précédée d’une ozonation. Bien qu’également utilisée en eau souterraine, notamment lors d’une dénitrification ou de l’élimination de pesticides, ce traitement d’affinageconsiste à ajouter en fin de filière classique de traitement d’eau, un ou plusieurs procédés supplémentaires qui vont affiner la qualité de l’eau traitée sur certains paramètres chimiques (matière organique naturelles, micropolluants, …) et microbiologiques (virus, parasites, …).est plutôt réservé aux eaux de surface. Les unités traditionnelles de traitement d’eau de surface se sont progressivement modifiées ces dernières années, à ce niveau, par l’insertion de nouvelles technologies couplant l’injection de charbon actif en poudre (CAP) et un procédé de séparation liquide/solide (ultrafiltration ou décanteur performant) ou encore par la nanofiltration, voire l’osmose inverse basse pression.

4. La réglementation et les contrôles sont-ils à la hauteur ? Quels sont les risques ?

Les recommandations en matière d’eau destinée à la consommation humaine (ou eau potable) sont généralement établies au niveau mondial par l’Organisation mondiale de la santé, puis reprises au niveau européen, sous forme de directives, avant d’être traduites et parfois durcies au niveau national par décrets et arrêtés. Elles sont mises en application par les préfets et les agences régionales de santé (ARS) et in fine par les personnes responsables de la production et de la distribution de l’eau (PRPDEpersonnes responsables de la production et de la distribution de l’eau) et les maires. Les objectifs sous-jacents sont, bien évidemment une mortalité nulle, une morbidité la plus faible possible et une contribution à la santé publique par la qualité de l’eau. C’est parfois sur la base d’études épidémiologiques et toxicologiques et, plus souvent, d’expérimentations sur animal avec extrapolations à l’homme, que les « normes » sont établies, le tout avec le souci de délivrer une eau agréable à consommer.

4.1. Une réglementation imposée par l’Union Européenne

La réglementation moderne en France repose sur des décrets datant des années 1989 à 1991 (issus de la première directive européenne de juillet 1980), qui ont fixé, au-delà des indicateurs microbiologiques (« germes tests »), des concentrations maximales admissibles pour de nombreux paramètres chimiques. Ils ont également prescrit des contenus analytiques associés à des fréquences de prélèvements tenant compte de la nature des eaux et de la population desservie par le réseau.

Aujourd’hui (en 2017), c’est la dernière directive européenne de décembre 1998 qui est en vigueur, sous sa forme transposée en droit français en 2001, puis son introduction dans le code de santé publique en 2003, complété par plusieurs décrets et arrêtés régulièrement publiés. Les champs d’application de cette réglementation sont toutes les eaux qui, soit en l’état, soit après traitement, sont destinées à la boisson, à la cuisson, à la préparation d’aliments ou autres usages domestiques, quelle que soit leur distribution, y compris les « eaux de source », mais à l’exception des « eaux minérales ».

Comme déjà précisé en introduction, la réglementation définit une eau destinée à la consommation humaine comme devant « ne pas contenir un nombre ou une concentration de micro-organismes, de parasites ou de toutes autres substances constituant un danger potentiel pour la santé des personnes et être conforme à un certain nombre de limites et de références de qualité définies par le décret ». Pour respecter cet objectif, une liste d’exigences de qualité de l’eau au robinet du consommateur est précisée. Elle inclut une soixantaine de paramètres, la moitié sous forme de « limites de qualité », paramètres susceptibles d’avoir des effets immédiats ou à plus long terme sur la santé des consommateurs, et l’autre moitié en « références de qualité », substances sans incidence directe sur la santé aux concentrations habituellement rencontrées dans les eaux mais qui peuvent indiquer une dérive de la qualité de l’eau et/ou un dysfonctionnement des installations.

Notons que cette liste de paramètres à analyser et de concentrations à respecter est insuffisamment complète pour assurer à elle seule une garantie totale d’absence de risques chimiques et d’absence de microorganismes pathogènes. La réglementation fixe d’autres types d’obligations, comme par exemple les règles techniques de protection et prévention, les procédures administratives, les modalités de contrôle de qualité, les dispositions d’information des autorités et des consommateurs, les dispositions de gestion de crise, etc.

4.2. Au-delà de la réglementation, un contrôle interne de l’eau distribuée

Un contrôle interne doit être assuré par les personnes responsables de la production et de la distribution de l’eau (PRPDE), sur les performances et la qualité de l ‘ensemble « ressource, traitement, distribution ». Un des principaux éléments à prendre en compte dans la définition d’un programme de contrôle est la qualité (et son évolution) des eaux brute et traitée sortie usine et, évidemment, de l’eau distribuée. S’ajoutent l’examen des installations au niveau de l’usine et des réseaux d’eau, la mise en œuvre de mesures correctives, la réalisation d’enquêtes et d’études et l’information. Ce contrôle interne est doublé d’un contrôle effectué par un laboratoire officiel dans les conditions fixées par la réglementation.

Au plan microbiologique, le respect des valeurs paramétriques de la réglementation (incluant seulement 2 germes tests « obligatoires » : Escherichia Coli et Entérocoques) ne peut à lui seul assurer une garantie totale d’absence de pathogènes. En effet, aucune obligation de résultats ne permet de témoigner de l’absence totale et permanente « de microorganismes, de parasites ou de toutes autres substances constituant un danger potentiel pour la santé des personnes », notamment en regard d’une augmentation de la proportion des populations à risque. De plus, le seuil de risque sanitaire microbiologique (annoncé comme étant de 10-4) est parfois inatteignable par le contrôle analytique. Pour certains paramètres. C’est le cas par exemple du parasite Cryptosporidium pour lequel le respect de ce risque nécessiterait l’analyse d’un échantillon de plusieurs dizaines de m3.

Au plan chimique, la présence de nouveaux risques émergents n’est pas encore prise en compte par le contrôle sanitaire (résidus pharmaceutiques, cosmétiques, nanoparticules, etc.). Le contrôle n’est pas toujours suffisamment fréquent, notamment pour les petites unités de distribution (moins de 5000 habitants) pour lesquelles la réglementation n’oblige qu’un nombre réduit de contrôles (moins de 1 fois par mois). Cela représente 16 millions d’habitants pour lesquels la distribution d’eau potable cumule près de 12 % de non conformités microbiologiques (contre 4 % de non conformités pour la totalité de la population française). En outre, pour toutes les unités, la vérification de la non conformité est préventive pour les volumes à venir mais seulement réactive pour les volumes passés. Quelle que soit sa rapidité, le « mal est fait ». Il faut donc compléter le contrôle sanitaire actuel fondé sur le produit fini et fourni par des méthodes de gestion préventive du risque sanitaire.

Il devient donc nécessaire de compléter les obligations réglementaires par des obligations de moyens assurant la protection des consommateurs dans les meilleures conditions connues à ce jour, par une analyse des risques sanitaires. Cette analyse doit passer par l’identification et la caractérisation du danger et l’évaluation de l’exposition, par une gestion des risques grâce à la mise en œuvre de moyens techniques et organisationnels permettant de les maîtriser (concept de la filière « multi-barrières »), par une communication vers les différents acteurs, accompagnée d’une analyse de l’éventuelle incompréhension et des solutions pouvant y remédier.

5. L’impact du changement climatique

5.1. Sur la quantité d’eau disponible

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Figure 3. (La Dive du Sud à Couhé (86), le 30/07/2015). Des assecs de plus en plus fréquents et longs sous l’impact du changement climatique [Source : © Amandine Ribreau – Observatoire Régional de l’Environnement Poitou-Charentes]
Les éléments scientifiques actuels[4] montrent que le changement climatique, d’ores et déjà à l’œuvre en France, aura des conséquences importantes sur les ressources et alarmantes pour certaines zones géographiques particulièrement impactées. C’est le cas, par exemple, du grand sud-ouest de la France pour lequel des projections sur 2050 prévoient une diminution moyenne des débits naturels des cours d’eau de 20 à 40 % et une diminution de la recharge des nappes phréatiques de 30 à 55 %. On peut donc envisager des raréfactions de la ressource disponible, notamment lors d’épisodes de fortes chaleur et sécheresse et, par suite, une augmentation des conflits d’usage et des surconsommations d’eau potable (cf. § 2).

5.2. Sur la qualité de la ressource

Une dégradation de la qualité de la ressource en eau de surface est également redoutée en période de sécheresse ou en période de forte et durable pluies. L’augmentation de la température, des nutriments et engrais, et la diminution corrélative de l’oxygène, les intrusions possibles de salinité, impacteront inévitablement la qualité microbiologique.  Le réchauffement conduire à une augmentation probable d’espèces invasives, souvent thermophiles et opportunistes et des risques liés aux endotoxines et aux parasites.

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Figure 4. (La Vienne à Lussac-les-Châteaux (86) le 15/08/2011). Un développement des espèces invasives de plus en plus importants et contraignant dans le seaux de surface, dû très probablement à l’augmentation de la température de l’eau et aux apports de nutriments. [Source : © Frédéric Montigny – Observatoire Régional de l’Environnement Poitou-Charentes]
Par ailleurs, à qualité et quantité constantes des rejets anthropiques, l’effet de moindre dilution de la pollution, couplée à une remobilisation probable des polluants déjà présents dans les sédiments, conduira à une augmentation de la micropollution organique et minérale. La question de la qualité de la ressource pour l’alimentation en eau potable à partir d’eau de surface se posera également surtout lorsque cette ressource est la seule disponible. Quelles barrières peut-on envisager pour satisfaire l’augmentation probable dans les « eaux brutes » de certains paramètres de qualité de type parasites, cyanotoxines, carbone organique naturel (précurseur de sous-produits de désinfection toxiques), micropolluants, etc. ? Le développement de technologies énergivores et le recours plus systématique à des réactifs chimiques pour le traitement de l’eau à « potabiliser » sont bien sûr des solutions curatives à ces problèmes d’eau brute dégradée, mais à quels coûts et avec quels effets ?

Quel sera l’impact du changement climatique sur la qualité des eaux souterraines sachant que les sols détiennent encore des proportions importantes d’engrais et de phytosanitaires (et leurs métabolites) destinés à « fuir » vers les eaux souterraines, plus encore sous l’effet de l’augmentation de la température et de phénomènes hydrologiques extrêmes ? Face à la baisse de la disponibilité en eau de surface, à l’augmentation importante de la population à proximité du littoral et à l’augmentation de la demande en eau potable par habitant, le report vers les eaux souterraines apparaitra comme une solution. Au plan de la qualité, les risques majeurs de surexploitation seront alors des transferts amplifiés de polluants vers les nappes profondes et, plus localement, des remontées probables du biseau salé (limite entre eau de mer et eau douce dans les aquifères côtiers).

5.3. Un plan d’adaptation indispensable

Que ce soit pour les eaux de surface ou pour les eaux souterraines, un plan d’adaptation au changement climatique est indispensable pour lutter contre la détérioration très probable de la qualité des eaux naturelles. Ce plan consistera principalement à augmenter le niveau de collecte et d’épuration des rejets, à limiter les pollutions diffuses et à optimiser les prélèvements pour compenser la baisse quantitative des ressources. Il doit être rapidement mis en œuvre sous risque de compliquer la production d’eau potable, ainsi que de nuire aux milieux naturels.

 


Références et notes

Image de couverture. Domaine public.

[1] UN WATER (2015). Water for a sustainable world, The United Nation Water Development Report 2015, 120 p.

[2] HERBET C., A. PICHON, B. JEUDI de GRISSAC, S. VAUZELLE, E. PARADES (2009). Enseignements de la canicule 2003 et des années 2007 et 2008 pour la prise en compte des changements climatiques dans l’estimation des besoins futurs en eau potable. Les enjeux pour le SAGE nappes profondes de Gironde. Colloque 193 SHF : «Etiages, Sécheresses, Canicules rares et leurs impacts sur les usages de l’eau », Lyon, 7-8 octobre 2009

[3] Extrait de LEGUBE B. (2015). La production d’eau potable – Filières et procédés de traitement. Dunod Editeurs, Paris, 414 p. et supplément numérique

[4] Exemples :

BOURAOUI F.,  G. VACHAUD, L.Z.X. LI, H. LE TREUT (1999) Evaluation of the impact of climate changes on water storage and groundwater recharge at the watershed scale, Climate Dynamics, 15, p. 153-161.

DAYON G. (2015). Evolution du cycle hydrologique continental en France au cours des prochaines décennies. Doctorat de l’Université de Toulouse Paul Sabatier.  Directeurs de thèse : J. Boé et E. Martin.

MEDDE (2016) Rapport finaux de EXPLORE 20170 http://www.gesteau.fr/document/bilan-du-projet-explore-2070-eau-et-changement-climatique


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Pour citer cet article : LEGUBE Bernard (27 juin 2018), La production d’eau potable, un enjeu majeur de santé publique, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 4 octobre 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/eau/eau-potable-enjeu-majeur-sante-publique/.

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