Pourquoi les séismes déclenchent-ils des glissements de terrain catastrophiques ?

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Tous les séismes peuvent-ils déclencher des mouvements de terrain? Chaque année, les séismes sont responsables de pertes de vies humaines et de dommages aux constructions et aux infrastructures. Longtemps considérés comme un effet secondaire des séismes, les mouvements de terrain déclenchés par les séismes, essentiellement des chutes de blocs, des glissements de masses de sols ou de roches, des coulées boueuses et des avalanches rocheuses, peuvent être responsables d’une part importante des dégâts associés aux séismes [1]. Dans le courant du vingtième siècle, près de 80 séismes sont à l’origine de 100 000 à 1 000 000 de mouvements de terrain qui ont coûté la vie à plusieurs dizaines de milliers de personnes [2].

1. Tous les séismes peuvent-ils déclencher des mouvements de terrain ?

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Figure 1. Corrélation entre la magnitude d’un séisme (axe horizontal) et la distance entre l’épicentre du séisme (projection à la surface de la terre du foyer du séisme) et le mouvement de terrain le plus lointain déclenché par ce séisme (axe vertical). Plus la magnitude du séisme est forte, plus il est capable de déclencher des mouvements de terrain à grande distance de l’épicentre. La courbe noire est « la courbe enveloppe » qui englobe tous les mouvements de terrain déclenchés par des séismes. [Schéma reproduit de Domej et al. (2017), référence 5]
Pour répondre à cette question, Keefer a recensé et analysé tous les mouvements de terrain déclenchés par des séismes à travers le monde entre 1811 et 1980. Il a ainsi pu définir des corrélations entre les caractéristiques des séismes qui génèrent des mouvements de terrain et celles des mouvements de terrain induits :

  • 1ère observation : la plupart des instabilités sont déclenchées par des séismes de magnitude [3] modérée à élevée, typiquement supérieure à 5 (Figure 1). Cette notion de « magnitude minimale » ou seuil de magnitude est toutefois à considérer avec prudence car elle ne tient pas compte de l’état de stabilité du versant avant le séisme. Cet état, souvent mal connu, résulte de toute l’histoire des « chargements » (séismes, fortes précipitations) subis par le versant au cours des jours voire des années qui ont précédé le séisme. Dans un versant en limite de stabilité, un séisme, même de magnitude modérée, peut suffire à déclencher une instabilité [4].
  • 2ème observation : la plupart de ces mouvements de terrain ne se produisent pas au-delà d’une certaine distance à la source du séisme qui dépend de la magnitude du séisme considéré. Plus la magnitude d’un séisme est forte, plus il est capable de déclencher des mouvements de terrain à grande distance de l’épicentre (Figure 1) [5].

2. Quelles sont les caractéristiques de ces mouvements de terrain ?

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Figure 2. Distribution de la densité de mouvements de terrain en Haïti. a : densité de mouvements de terrain recensés avant le séisme du 12 janvier 2010. b : densité de mouvements de terrain déclenchés par le séisme de 2010. c : densité de mouvements de terrain réactivés par le séisme de 2010. Ces figures montrent que le séisme de 2010 a réactivé de nombreux mouvements de terrain anciens. [Schéma reproduit de Gorum et al., 2013, référence 8]
Les séismes déclenchent généralement des mouvements de terrain superficiels. Toutefois, le volume des instabilités peut parfois atteindre plusieurs millions de m3 comme ce fut le cas lors du séisme du 31 Mai 1970 au Pérou : l’avalanche rocheuse du Nevado Huascaran [6], d’un volume estimé à  50 million de mètres cubes de roches, de glace et de neige, a parcouru une distance exceptionnelle de plus de 16,5 km, à une vitesse estimée à 210-280 km/h. Cette avalanche rocheuse a fait 20 000 victimes dans les villages de Ranrahirca et de Yungay situés dans la vallée [7].

« L’intensité » des mouvements de terrain déclenchés par les séismes peut être caractérisée par :

  • Le volume de matériaux déplacés par le mouvement ;
  • la mobilité de ces matériaux lors du mouvement ;
  • l’aire recouverte par les matériaux après l’arrêt du mouvement.

Les travaux de Keefer (1984) ont montré que cette « intensité » dépend de la magnitude du séisme considéré : plus la magnitude du séisme est forte, plus « l’intensité » des mouvements de terrain qu’il déclenche peut être grande.

Certains séismes peuvent même réactiver d’anciens mouvements de terrain comme ce fut le cas lors du séisme du 12 Janvier 2010 en Haïti : ce séisme a déclenché environ 4500 mouvements de terrain jusqu’à une distance de 46 km de l’épicentre. Sur les 1273 mouvements de terrain recensés comme actifs avant le séisme de 2010, 572 ont été réactivés par le séisme de 2010 (Figure 2) [8].

3. Quel est l’impact de ces mouvements de terrain sur les hommes et sur les territoires ?

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Figure 3. Mouvement de terrain de Las Colinas déclenché par le séisme du 13/01/2001 au Salvador. Ce mouvement de terrain a coûté la vie à plus de 500 personnes [Photo © U.S. Geological Survey, Department of the Interior/USGS, Domaine public]
Les mouvements de terrain déclenchés par les séismes ont longtemps été considérés comme un effet secondaire des séismes par opposition aux vibrations des sols. De nombreux exemples à travers le monde ont cependant montré que leur potentiel destructeur pouvait être très important. Lors du séisme du 13 Janvier 2001 au Salvador par exemple, le mouvement de terrain de Las Colinas (Figure 3) a coûté la vie à plus de 500 personnes soit près des 2/3 des victimes associées à ce séisme. Petley et al. (2006) [9] ont estimé que lors du séisme du 08  Octobre 2005 au Pakistan, 30% du nombre total de victimes soit 26 500 personnes ont été tuées par des mouvements de terrain. Le séisme du 12  Mai 2008 en Chine a déclenché plus de 15 000 mouvements de terrain qui à eux-seuls ont coûté la vie à près de 20 000 personnes soit près d’un tiers des victimes associées à ce séisme [10].

Les mouvements de terrain déclenchés par les séismes peuvent avoir deux types d’effets :

  • des effets directs: décès consécutifs à l’ensevelissement de constructions ou à l’écrasement de véhicules par des débris de mouvements de terrain, endommagement / destruction de bâtiments, de réseaux de communication, etc.
  • des effets indirects: la dégradation ou l’obstruction des routes par des débris de mouvements de terrain peut gêner l’acheminement de l’aide aux victimes ou leur évacuation vers des centres de soin.

Parfois les débris des mouvements de terrain viennent bloquer le lit de cours d’eau et former des barrages naturels. Cela entraîne la formation de lacs de barrages en amont des mouvements de terrain. Ce type de phénomène s’est produit en grand nombre (plusieurs centaines) lors du séisme du 12 Mai 2008 en Chine. Cette animation [11] montre un versant avant et après le déclenchement d’un mouvement de terrain par le séisme de 2008.

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Figure 4. Barrage naturel et lac de barrage formés par obstruction du lit de la rivière Ote Makura par les débris d’un mouvement de terrain déclenché par le séisme du 14/11/2016 en Nouvelle-Zélande [Photo © GNS Science (CC BY 3.0 NZ)]
Des phénomènes comparables se sont également produits lors du séisme du 14  Novembre 2016 en Nouvelle-Zélande comme le montre la Figure 4. Selon le centre d’étude des aléas géologiques de la Nouvelle-Zélande [12] le séisme du 14 Novembre 2016 et ses répliques ont déclenché entre 80 000 et 100 000 mouvements de terrain et conduit à la formation d’environ 150 barrages naturels. La durée de vie de ces barrages étant très variable (de quelques minutes à plusieurs centaines d’années), les organismes en charge de la prévention contre les catastrophes naturelles doivent répondre à deux questions majeures :

  • Comment peut-on garantir la bonne tenue de ces barrages naturels dans le temps et éviter ainsi une rupture qui pourrait entraîner des inondations catastrophiques des zones urbanisées situées à proximité des sites ?
  • Comment vont évoluer les lacs formés en amont des barrages, en particulier si de fortes précipitations viennent augmenter le niveau d’eau dans les retenues ?

Peu d’études scientifiques à ce jour permettent d’anticiper ce qui pourrait se produire dans de telles circonstances.

4. Comment explique-t-on ces instabilités ?

Pour se prononcer sur l’état de stabilité ou non d’un versant, on doit comparer :

  • les forces motrices qui tendent à déstabiliser le versant. Ces forces sont causées par un séisme, de fortes précipitations.
  • les forces résistantes qui s’opposent au mouvement. Ces forces sont apportées par les caractéristiques intrinsèques des matériaux, notamment leur cohésion et leur angle de frottement interne, deux paramètres qui traduisent le comportement des sols à la rupture selon la loi de Mohr Coulomb [13].

Lors d’un séisme, plusieurs phénomènes peuvent se produire et contribuer au déclenchement d’une instabilité.

4.1. Les effets de site

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Figure 5. Illustration schématique des phénomènes affectant la propagation des ondes sismiques depuis la source jusqu’au site. Le mouvement sismique enregistré en surface dépend du type de Source, du trajet des ondes depuis la source (Path) et de la réponse locale du site ou “effet de site” (Site effect) [Schéma © MaxWyss (CC BY-SA 3.0), via Wikimedia Commons]
La Figure 5 ci-dessous montre qu’en un point donné de la surface de la terre, les mouvements enregistrés lors d’un séisme dépendent de trois paramètres :

  • Un paramètre lié à la source du séisme. Ce paramètre traduit la nature du séisme : mécanisme de rupture au foyer du séisme, longueur de la faille, etc.
  • Un paramètre lié à la propagation des ondes sismiques entre la source du séisme en profondeur et les capteurs où sont enregistrés les mouvements en surface: au cours de ce trajet, les ondes de volume émises au niveau de la source vont subir de multiples transformations qui dépendent des propriétés des milieux traversés.
  • seisme michoacan mexique 1985
    Figure 6. Mouvements sismiques enregistrés lors du séisme de Michoacan de 1985 au Mexique. Les effets de site entraînent une variabilité des mouvements sismiques enregistrés en différents points de la surface. Ainsi, lors du séisme de 1985 à Mexico, les mouvements enregistrés dans la ville de Mexico (capteur SCT) avaient une plus forte amplitude et une plus grande durée que ceux enregistrés à proximité de la source du séisme (capteur Campos), et ce malgré la grande distance parcourue par les ondes entre la source et le capteur [Schéma © Jean-François Semblat (CC BY-SA 3.0), via Wikimedia Commons].
    Un paramètre lié à l’effet des conditions géologiques et topographiques locales (i.e. type de matériau sous et à proximité du capteur, morphologie des terrains) sur la propagation des ondes sismiques et les mouvements enregistrés en surface. Ce paramètre porte le nom d’effet de site. En raison des effets de site, les mouvements sismiques varient d’un point à un autre à la surface d’un versant. Quand on les compare au mouvement sismique de référence mesuré à proximité du versant sur un site rocheux (station Campos sur la Figure 6), on observe que les mouvements enregistrés dans les bassins sédimentaires (station SCT sur la figure 6) ou au sommet des versants ont généralement de plus fortes amplitudes et une plus longue durée. Les observations de terrain [14] et les résultats de modélisations numériques [15] montrent que les effets de site contribuent très certainement au déclenchement de mouvements de terrain.

4.2. La diminution des caractéristiques mécaniques des matériaux

Les séismes répétés subis par un versant conduisent à une déformation des matériaux constituant le versant. Celle-ci peut entraîner une diminution des caractéristiques intrinsèques des matériaux qui tendent à s’opposer au mouvement et ainsi faciliter le développement d’une rupture globale dans le versant.

4.3. L’augmentation des pressions interstitielles

Quand les ondes de compression émises par les séismes se propagent dans les sols peu compacts, elles ont tendance à comprimer les sols. Lorsque ces sols sont saturés en eau, l’eau occupe la totalité des pores (ou interstices) entre les grains de sols.  En réponse à la compression des sols, la pression de l’eau contenue dans les pores des sols augmente et l’eau cherche à s’échapper des sols généralement vers la surface. Cependant lorsque le séisme est rapide, suffisamment grand ou répété dans le temps devant le temps nécessaire au drainage des sols, l’eau ne parvient pas à s’échapper des sols. Plus la pression d’eau augmente dans les sols, plus la résistance mécanique des sols diminue et plus la rupture du versant est probable.

5. Quelles méthodes permettent d’évaluer la stabilité des versants lors de séismes ?

Quand on s’intéresse à la stabilité des versants lors de séismes, on doit chercher à répondre à deux questions en particulier :

  • le versant peut-il subir une rupture lors d’un séisme de caractéristiques données ?
  • si oui, quelles sont les caractéristiques de cette rupture, en particulier jusqu’où la masse glissée peut-elle se propager et à quelle vitesse ?

Peu d’études scientifiques à ce jour portent sur la caractérisation de l’instabilité en termes de vitesse et de distance de propagation tant les phénomènes en jeu sont complexes.

5.1. Caractérisation des versants

Figure 7. Exemple de reconstruction de la structure géologique du versant de Büyükçekmece (Turquie) avec mise en évidence des matériaux et des différentes phases de réactivation du mouvement de terrain. La figure du haut montre une image du site avec les contours en plan de la zone en mouvement. Plusieurs coupes bi-dimensionnelles (traits noirs) ont été définies sur cette image pour reconstruire la structure géologique du versant. A titre d’illustration, la figure du bas représente la coupe longitudinale construite dans la direction du mouvement pour analyser les causes à l’origine de la réactivation de ce mouvement de terrain. Sur cette coupe, les différents matériaux sont représentés par des couleurs : les dépôts argileux en marron, les sables et les graviers en rouge, les arénites calcaires en bleu et les argiles silteuses en jaune. Les traits rouges représentent les surfaces de glissement identifiées sur ce site et témoignent des différentes phases de réactivation du mouvement de terrain : au cours de son histoire, l’instabilité, qui a commencé à se développer en pied de pente, s’est étendue vers la crête du versant. [Schéma © Salvatore Martino, avec permission ; voir référence 16]
Quelle que soit la cause à l’origine du déclenchement d’une instabilité, l’étude de la stabilité d’un versant passe par plusieurs étapes :

  • une étude géologique approfondie dont l’objectif est de définir la géométrie, la stratigraphie, l’histoire géologique du site (Figure 7 [16]).
  • une étude hydrogéologique visant à caractériser les circulations d’eau dans les sols au moyen par exemple de piézomètres qui mesurent les variations du niveau des nappes en forages, l’eau étant en effet très souvent le moteur des mouvements.
  • la caractérisation du comportement mécanique des matériaux constituant les versants au moyen d’essais mécaniques réalisés le plus souvent en laboratoire, l’objectif étant en particulier de définir leur résistance au cisaillement caractérisée par la cohésion et l’angle de frottement interne.

A partir des paramètres ci-dessus, des logiciels de calculs permettent de dire si un versant est stable ou instable, en comparant les forces motrices qui tendent à déstabiliser le versant aux forces résistantes qui s’opposent au mouvement. On définit ainsi le coefficient de sécurité statique du versant. Lorsque ce coefficient est supérieur à 1 (cas d’un versant dans lequel les forces résistantes sont supérieures aux forces motrices), le versant est stable. Lorsqu’il est inférieur à 1, le versant est instable. Plus ce coefficient est proche de 1 (ex : cas d’un versant qui aurait subi de nombreux séismes par le passé), plus un séisme, même de magnitude modérée, peut déclencher une rupture dans le versant.

Pour analyser la stabilité d’un versant lors d’un séisme, il faut également caractériser le ou les séisme(s) potentiel(s) : c’est sur cette caractérisation que reposent les différentes méthodes utilisées pour évaluer la stabilité d’un versant lors d’un séisme.

5.2. Méthodes d’analyse de la stabilité des versants lors de séismes

On distingue trois types de méthodes.

methode terzaghi 1950 - methode pseudo statique terzaghi
Figure 8. Illustration de la méthode pseudo-statique de Terzaghi (1950). [Schéma © Céline Bourdeau]
La plus simple d’entre elles, la méthode pseudo-statique de Terzaghi [17], consiste à calculer le coefficient de sécurité pseudo-statique du versant. Dans cette méthode, le séisme est représenté par une force de volume constante et unique, de module proportionnel au poids du bloc instable. Cette force notée F se décompose en une composante horizontale Fh et une composante verticale Fv (Figure 8). Dans la pratique, Fv est souvent négligée car les efforts les plus dommageables pour la stabilité des versants sont les efforts horizontaux ou efforts de cisaillement. Cette méthode permet de dire si la pente est stable (coefficient de sécurité pseudo-statique supérieur à 1) ou instable (coefficient de sécurité pseudo-statique inférieur à 1) lors du séisme.

Inconvénient de la méthode : Cette méthode ne renseigne pas sur la probabilité de rupture du versant ni sur « l’intensité » des mouvements induits par le séisme. On conseille donc de limiter son usage à une analyse préliminaire de la stabilité d’un versant lors d’un séisme, dans une zone où les enjeux humains ou matériels sont peu nombreux.

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Figure 9. Illustration de la méthode de Newmark (1965) permettant d’évaluer les déplacements induits par un séisme dans un mouvement de terrain représenté par un bloc rigide glissant sur une pente (cf. figure du haut). Les trois signaux de la figure du bas représentent respectivement : l’accélération A(t) à laquelle est soumise la pente (courbe noire en trait plein), la vitesse relative du bloc instable par rapport au sol support (courbe bleue) et le déplacement cumulé du bloc instable par rapport à la pente (courbe rouge). Le bloc instable se met en mouvement dès lors que l’accélération A(t) du sol support dépasse la valeur d’accélération critique (courbe noire en pointillés) définie comme l’accélération conduisant à un coefficient de sécurité pseudo-statique égal à 1. [Schéma © Céline Bourdeau]
Le deuxième type de méthode est la « méthode de calcul des déplacements permanents » introduite par Newmark en 1965 [18] (Figure 9). Elle consiste à évaluer les déplacements susceptibles de se produire dans un mouvement de terrain représenté par un bloc rigide glissant sur un sol support sous l’effet d’un séisme représenté par un accélérogramme [19]. Le déplacement du bloc instable s’obtient par une opération mathématique : on intègre deux fois dans le temps tous les pics d’accélération qui dépassent une valeur  « d’accélération critique » définie comme l’accélération conduisant à un coefficient de sécurité pseudo-statique égal à 1 (Figure 9). Une fois ce déplacement calculé, un jugement d’expert permet de dire si le matériau constitutif du versant peut supporter ou non un tel déplacement sans qu’il y ait rupture totale du versant.

Inconvénients de la méthode :

  • Cette méthode ne prend pas en compte les déformations internes de la masse instable lors du séisme (paragraphe 4.2.). Son usage est donc réservé à l’étude des mouvements de terrain relativement superficiels dans des matériaux rigides peu susceptibles de se déformer lors du séisme.
  • Cette méthode ne tient pas compte des pressions interstitielles qui peuvent se développer dans les sols sous l’effet des séismes (paragraphe 4.3.).
  • Cette méthode ne tient pas compte des effets de site (paragraphe 4.1.).

glissements terrain - seismes
Figure 10. Simulation des déplacements induits par une série de séismes (EQ1, EQ2, EQ3, … EQ15, de caractéristiques données : M = magnitude et D0 = distance au site) dans un versant au moyen du logiciel par éléments discrets UDEC[20],[21] (pour une définition des éléments discrets, se référer à http://www.encyclopedie-environnement.org/physique/comment-matiere-deforme-fluides-solides/: Comment la matière se déforme : des fluides et des solides). Les déplacements sont représentés par une échelle de couleurs qui va du bleu (faibles déplacements) au rouge (déplacements atteignant 100m). Les traits noirs au sein du bloc potentiellement instable délimité par une surface de glissement plane représentent les fractures qui se créent dans le versant sous l’effet des séismes répétés. La rupture catastrophique du versant intervient après l’application du dernier séisme EQ15. [Schéma reproduit de Gishig et al, 2016, voir référence 4, avec permission]
Le troisième type de méthode regroupe les méthodes de calcul en contraintes – déformations dont l’utilisation est fortement recommandée pour les études de sites spécifiques où les enjeux humains et/ou matériels sont importants et où la qualité des données est suffisante. Ces méthodes consistent à évaluer les déplacements induits par un séisme donné dans un versant au moyen de logiciels de calculs en deux ou en trois dimensions qui intègrent toute la complexité des sites (présence de différents matériaux, morphologie des terrains, etc) et des séismes. La figure 10 ci-dessous montre un exemple de simulation numérique de la rupture progressive d’un versant sous l’effet d’un chargement répété par plusieurs séismes au cours du temps.

6. Quels sont les challenges actuels de la recherche sur les mouvements de terrain déclenchés par les séismes ?

L’étude des mouvements de terrain déclenchés par les séismes fait aujourd’hui l’objet de nombreuses recherches qui visent à améliorer les connaissances relatives :

  • aux effets de l’eau. En l’état actuel des connaissances, le rôle de l’eau sur le déclenchement des mouvements de terrain lors de séismes est relativement mal connu.
  • aux effets tri-dimensionnels (ou effets 3D). En raison de la complexité des phénomènes, la stabilité des versants est souvent analysée de manière approchée au moyen de coupes bi-dimensionnelles (2D) souvent orientées dans le sens de propagation de l’instabilité. Cette approximation, justifiée dans le cas de talus anthropiques, est souvent peu réaliste pour des versants naturels. Représenter le versant dans toutes ses dimensions (3D) dans un code de calcul numérique permet de prendre en compte la direction de propagation des ondes sismiques et d’étudier son impact sur la stabilité du versant.
  • à la prévision des mouvements de terrain déclenchés par les séismes. Pour organiser la prévention contre les catastrophes naturelles, il faut pouvoir prévoir où et quand se produiront les prochains mouvements de terrain déclenchés par des séismes. Cela suppose de connaître à un instant donné l’état de stabilité des versants, état souvent mal connu qui résulte de toute l’histoire des « chargements » subis par les versants dans le passé. Cela suppose aussi de pouvoir prévoir quel type de séisme est susceptible d’affecter un site donné et quand il peut se produire. Cela suppose enfin de pouvoir quantifier « l’intensité » des phénomènes attendus, c’est-à-dire de caractériser à la fois le volume des instabilités ou la surface que pourraient recouvrir les dépôts de cette instabilité, la vitesse de propagation de la masse instable et sa distance de propagation. Il s’agit là de paramètres difficiles à évaluer tant les mouvements de terrain déclenchés par les séismes sont des phénomènes complexes et variables d’un séisme à l’autre.

Les observations de terrain ont par ailleurs montré que les séismes pouvaient également avoir des effets à long terme sur la stabilité des versants : dans les années qui ont suivi le séisme du 21 Septembre 1999 à Taïwan par exemple, on a noté une augmentation du nombre de mouvements de terrain déclenchés par les épisodes de moussons [22]. Cette dernière s’explique par le fait que le séisme a fragilisé les versants les rendant plus susceptibles de subir des instabilités lors des épisodes de fortes précipitations qui ont suivi.

7. Messages à retenir

  • Les séismes de magnitude supérieure à 5 sont susceptibles de déclencher des mouvements de terrain qui peuvent être responsables d’une part importante des victimes et des dégâts associés aux séismes.
  • Il existe une grande diversité de mouvements de terrain déclenchés par les séismes et ces phénomènes sont généralement très complexes.
  • La réduction du risque posé par ce type d’aléa passe par une meilleure compréhension des mécanismes à l’origine du déclenchement des mouvements de terrain d’une part et des mécanismes qui contrôlent la vitesse et la distance de propagation des matériaux d’autre part.

 


Références et notes

Image de couverture. Mouvement de terrain qui s’est produit dans la ville de Minamiaso au Japon suite aux séismes d’avril 2016. Photo © Kyodo/Reuters via Flickr, Domaine public.

[1] Bird J.J. & Bommer J.J. (2004). Earthquake losses due to ground failure. Engineering Geology, 75 (2), p. 147-179. <https://doi.org/10.1016/j.enggeo.2004.05.006>.

[2] Keefer D.K. (1984). Landslides caused by earthquakes. Bulletin of the seismological society of America, 95, p. 406-421.

[3] La magnitude est utilisée en sismologie pour représenter le moment sismique qui mesure l’énergie libérée par un séisme. Plus un séisme a libéré d’énergie, plus sa magnitude est élevée : un accroissement de magnitude de 1 correspond à une multiplication par 30 de l’énergie libérée par le séisme.

[4] Gishig V., Preisig G. & Eberhardt E. (2016). Numerical Investigation of Seismically Induced Rock Mass Fatigue as a Mechanism Contributing to the Progressive Failure of Deep-Seated Landslides. Rock Mechanics and Rock Engineering. 49: 2457. <https://doi.org/10.1007/s00603-015-0821-z>.

[5] Dome J G., Bourdeau C., Lenti L., Martino S. & Pluta K. (2017). Mean landslide geometries inferred from a global database of earthquake- and non-earthquake-triggered landslides. Italian Journal of Engineering Geology and Environment, 2. https://doi.org/10.4408/IJEGE.2017-02.O-05.

[6] (https://www.ngdc.noaa.gov/hazardimages/picture/show/785)

[7] Lliboutry L. A. (1975). La catastrophe de Yungay (Pérou). Snow and Ice-Symposium-Neiges et Glaces. (Proceedings of the Moscow Symposium, August 1971 ;  Actes du Colloque de Moscou, août 1971): IAHS-AISH Publ. No. 104.

[8] Gorum T., van Westen C. J.,  Korup O., van der Meijde M.,  Fan X. & van der Meer F. D. (2013). Complex rupture mechanism and topography control symmetry of mass-wasting pattern, 2010 Haiti earthquake. Geomorphology. 184, p. 127-138. <https://doi.org/10.1016/j.geomorph.2012.11.027>.

[9] Petley D., Dunning S., Rosser N. & Kausar A.B. (2006). Incipient landslides in the Jhelum Valley, Pakistan following the 8th October 2005 earthquake. SAARC Workshop on Landslide Risk Management in South Asia.

[10] Yin, Y., Wang, F. & Sun, P. (2009). Landslide hazards triggered by the 2008 Wenchuan earthquake, Sichuan, China. Landslides 6, 139–151.

[11] Contains modified Copernicus Sentinel data {{{year}}} [CC BY 3.0 (https://creativecommons.org/licenses/by/3.0) or Attribution], via Wikimedia Commons

[12] GeoNet, Geological hazard information for New Zealand

[13] Loi de Mohr Coulomb : cette loi mathématique est utilisée en géotechnique pour décrire de manière approchée le comportement de la plupart des sols à long terme soumis à des contraintes de cisaillement (on parle de rupture en cisaillement). Cette loi est caractérisée par deux paramètres : la cohésion qui définit la résistance au cisaillement du sol sous contrainte normale nulle et l’angle de frottement interne qui correspond à l’angle formé naturellement par un sol mis en tas, par rapport à l’horizontale.

[14] Meunier P., Hovius N. & Haines J.A. (2008). Topographic site effects and the location of earthquake induced landslides. Earth and Planetary Science Letters. 275, 221–232.

[15] Bozzano F., Lenti L., Martino M., Paciello A. & Scarascia Mugnozza G. (2008). Self-excitation process due to local seismicamplification responsible for the reactivation of the Salcito landslide (Italy) on 31 October 2002. Journal of Geophysical Research 113, B10312. <https://doi.org/10.1029/2007JB005309>.

[16] Bourdeau C., Lenti L., Martino S., Oguz O., Yalcinkaya E., Bigarre P. & Coccia A S. (2017). Comprehensive analysis of the local seismic response in the complex Büyükçekmece landslide area (Turkey) by engineering-geological and numerical modelling.  Engineering Geology 218, 90–106. <http://dx.doi.org/10.1016/j.enggeo.2017.01.005>.

[17] Terzaghi K. (1950). Mechanism of Landslides. Geological Society of America, Harvard University Press, 41 p.

[18] Newmark N.M. (1965). Effects of earthquakes on dams and embankments. Geotechnique 15, 139–160.

[19] Accélérogramme : on appelle « accélérogramme » un signal donnant l’accélération du sol en fonction du temps.

[20] Cundall P.A. & HART R.D. (1992).  Numerical modelling of discontinua. Eng. Comp. 9:101–113

[21] Itasca. (2011). UDEC—Universal Distinct Element Code, Version 5.0. User’s Manual. Itasca Consulting Group, Inc., Minneapolis

[22] Hovius N., Meunier P., Lin C.-W., Hongey C., Chen Y.-G., Dadson S., Horng M.-J. & Lines M. (2011). Prolonged seismically induced erosion and the mass balance of a large earthquake. Earth and Planetary Science Letters 304, 347–355.


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Pour citer cet article : BOURDEAU Céline (30 octobre 2018), Pourquoi les séismes déclenchent-ils des glissements de terrain catastrophiques ?, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 25 avril 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/sol/seismes-glissements-terrain/.

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