| Focus 2/2 | Les glaciers des hautes montagnes d’Asie face au changement climatique

Le bilan de masse des glaciers

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Le bilan de masse est la différence entre la neige qui s’est accumulée (accumulation) et la neige et la glace qui ont fondu ou disparu au cours d’une année (ablation). Un glacier en équilibre avec le climat a un bilan de masse nul en moyenne, et un glacier en déséquilibre avec le climat a un bilan de masse d’autant plus éloigné de zéro qu’il est loin de son état d’équilibre.

1. Comment mesure-t-on le bilan de masse des glaciers ?

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Figure 1. Installation d’une balise d’ablation en bambou à l’aide d’une sonde à vapeur dans la zone d’ablation du glacier West Changri Nup, sur fond d’Everest. [Source : © Patrick Wagnon]
Le bilan de masse d’un glacier entre deux périodes peut être mesuré de deux façons : soit en faisant la somme de l’ablation et de l’accumulation (méthode glaciologique), soit en mesurant son changement de volume (méthode géodésique). Ces deux types de mesure sont très complémentaires.

Le bilan de masse du glacier est l’intégrale de tous les flux de masse à travers le contour du glacier. Le bilan de masse ΔM, exprimé en kg ou en m3 équivalent eau (e.e.), se définit comme suit [36] :

A (m2) est la surface de vue cartographique du glacier, bs, be et bb sont les bilans de masse de surface, en glaciaire et basal, exprimés en kg m-2. Pour la plupart des glaciers, le terme dominant de l’intégrale est le bilan de masse de surface, et donc le bilan de masse à l’échelle du glacier peut s’écrire :

mesure bilan masse glacier mera Everest
Figure 2. Mesure du bilan de masse ponctuel à l’aide d’un carottier doublé de mesures de densité dans la zone d’accumulation du glacier Mera à 6350 m d’altitude, sur fond d’Everest. [Source : © Bruno Jourdain].
La méthode glaciologique consiste en une mesure directe de bs, à une fréquence annuelle ou infra-annuelle, si possible. Dans la zone d’ablation, le bilan de masse est mesuré par suivi de l’émergence de jalons insérés dans la glace (Figure 1). Dans la zone d’accumulation, le bilan de masse est mesuré par carottage (Figure 2). ΔM est donc la moyenne pondérée par la surface des mesures ponctuelles extrapolées sur l’ensemble du glacier, cette extrapolation ajoute une certaine incertitude.

La méthode géodésique vise à mesurer le changement de volume total du glacier par des relevés répétés de sa topographie de surface. La méthode la plus fréquente consiste à différencier deux modèles numériques de terrain (MNT) obtenus soit par photogrammétrie aéroportée, soit par des missions topographiques par satellite. Dans ce cas, le changement de volume total du glacier (ΔV en m3) est exprimé comme suit :

où r2 est la surface d’un pixel (en m2), K le nombre de pixels sur la zone du glacier et Δhk (en m) le changement d’épaisseur de chaque pixel. Le changement de volume est ensuite converti en changement de masse en faisant une hypothèse sur la masse volumique, qui introduit une incertitude d’environ 10 %.

Figure 3. Exemple du suivi du glacier du Mera (région de l’Everest, Népal). Le panneau b est une photo du glacier prise en octobre 2010 (© P. Wagnon). La carte (panneau a) montre les changements d’épaisseurs sur la période 2012-2018 (dégradés de bleu à rouge) obtenus par différence de MNT, ainsi que le réseau de balises d’ablation (points noirs) et des sites des mesures d’accumulation (carrés bleus). Le graphique (panneau c) montre le bilan de masse annuel pour la période 2007-2021 (histogrammes bleus), ainsi que le bilan de masse cumulé avant (ligne noire et points verts) et après (ligne noire et points bleus) ajustement sur le bilan géodésique 2012-2018. [Source : adapté de Wagnon et al. [37] , article distribué sous licence Creative Commons (CC BY 4.0).]
Ces deux méthodes mesurent des quantités différentes, car la méthode géodésique intègre également be et bb. Parfois, ces deux termes sont des contributeurs non négligeables au bilan de masse à l’échelle du glacier, et peuvent conduire à des divergences entre les bilans de masse géodésiques et glaciologiques. Les bilans de masse à l’échelle des glaciers mesurés avec la méthode glaciologique peuvent être biaisés et doivent être calibrés avec des mesures géodésiques [37].

2. L’exemple du glacier Mera

Pour illustrer le propos, prenons l’exemple du glacier Mera, situé à environ 30 km au sud du Mont-Everest au Népal et qui fait l’objet d’un suivi de son bilan de masse depuis 2007. La figure 3 montre le réseau d’observations déployé sur le glacier du Mera, au Népal, qui s’écoule depuis le sommet du même nom à 6500 m d’altitude jusqu’à son front à 4900 m.

Le bilan de masse est déterminé deux fois par an à partir de mesures d’émergences de balises d’ablation régulièrement réparties dans la partie basse du glacier en dessous de 5600 m, ainsi que de mesures d’accumulation par carottage à diverses altitudes, jusqu’en haut du glacier. La moyenne pondérée par les surfaces de chaque tranche d’altitude du bilan de masse obtenu ponctuellement à chaque balise ou site de carottage donne accès au bilan de masse total. Entre 2007 et 2021, le glacier du Mera a perdu de la masse, -0.37 ± 0.22 m e.e./an en moyenne, mais avec une forte variabilité interannuelle. L’année 2017-18 a affiché le bilan de masse le plus négatif de la série avec -0.92 ± 0.16 m e.e./an, en relation avec un déficit marqué de précipitations, alors que 4 années ont vu le glacier légèrement gagner de la masse, parfois grâce à des précipitations records comme cela a été le cas lors du passage du typhon Phailin entre le 13 et 15 octobre 2013 [37] .

 


Notes et références

Image de couverture. [Source : © Bruno Jourdain]

[36] Cuffey, K. M., and Paterson, W. S. B.: The physics of glaciers, Fourth ed., Academic Press Inc, Amsterdam, 2010

[37] Wagnon P, F Brun, A Khadka, E Berthier, D Shrestha, C Vincent, Y Arnaud, D Six, A Dehecq, M Ménégoz, V Jomelli. Reanalysing the 2007-19 glaciological mass balance series of Mera Glacier (Nepal, Central Himalaya) using geodetic mass balance, J. Glaciol, 67(261), 117–125. https://doi.org/10.1017/jog.2020.88, 2021