Carbone & biomasse des forêts
PDF1. Constantes et unités relatives au carbone
La concentration en CO2 atmosphérique est mesurée en parties par million (ppm). Une augmentation de la concentration en CO2 de 1 ppm, signifie que sur un million de molécules de l’atmosphère, il y a une molécule de CO2. À l’échelle de l’atmosphère entière, une augmentation de concentration de 1 ppm correspond à environ 2 milliards de tonnes de carbone en plus, soit 2 GtC. Notons par ailleurs qu’une gigatonne de carbone est égale à un pétagramme de carbone (autrement dit, 1 GtC = 109 tC = 1 PgC = 1015 gC). Ces deux unités sont couramment employées dans les publications scientifiques.
Pour convertir un nombre exprimé en GtC en Gt de CO2, il faut le multiplier par 3,666 (M(CO2)/M(C) = (12 + 2 × 16)/12 = 3,666). Enfin la masse de carbone d’un arbre est estimée en considérant que cette masse représente 50 % de la masse sèche (après passage à l’étuve). Autrement dit, le stock de carbone d’une forêt correspond environ à sa masse sèche divisée par deux.
2. Méthodes d’estimation de la biomasse des forêts
2.1. Inventaires in situ
L’estimation de la biomasse est basée sur des mesures au sein d’une placette de forêt (d’une surface généralement inférieure à 1 ha) représentative du peuplement forestier [1]. Les mesures concernent des caractéristiques des arbres (hauteur, diamètre moyen à 1,3 m, densité, etc.) qui sont utilisées en entrée de modèles de calcul de la biomasse [2]. Cette méthode a pour avantages d’être précise et de permettre d’estimer tous les compartiments de la biomasse (biomasse aérienne et souterraine). Par contre, elle est fastidieuse, donne des résultats locaux, et les inventaires in situ déjà réalisés ne couvrent pas le globe de manière homogène. Ainsi, d’immenses peuplements forestiers ne disposent que de très peu d’inventaires de ce type (Sibérie par exemple).
2.2. Télédétection optique
La télédétection optique permet de mesurer la réflectance (rapport entre le flux de rayonnement électromagnétique incident sur une surface et le flux réfléchi) de la végétation dans différents domaines de longueur d’onde. La combinaison de ces mesures permet de calculer fréquemment (à peu près tous les jours ou tous les mois selon les satellites) et sur l’ensemble du globe, des indices de végétation bien reliés à l’activité photosynthétique de la végétation (par exemple le normalized difference vegetation index, NDVI), le taux de couverture de la forêt, l’indice foliaire (surface totale des feuilles rapportée au m2), etc. Ces données servent d’entrées à des modèles (régressions statistiques ou machine learning), calibrés au préalable sur certains sites forestiers, qui permettent d’estimer la biomasse et son évolution à l’échelle de la planète [1],[3],[4]. L’inconvénient de la télédétection optique est qu’au-delà d’un certain niveau de biomasse (environ 50 t/ha), les capteurs saturent et les estimations deviennent donc imprécises.
2.3. Télédétection lidar
Les mesures lidar1 permettent d’estimer la hauteur des arbres avec une bonne précision. Cette mesure est généralement combinée avec d’autres mesures de télédétection (voir ci-dessus) pour estimer la biomasse des forêts. Cette méthode présente pour avantage de permettre des estimations assez précises, que ce soit au niveau régional (mesures depuis un avion) ou global (mesures par satellites). Cependant, les mesures peuvent saturer et les estimations faites par lidar sont généralement statiques, car il faut plusieurs années pour couvrir l’ensemble du globe par des mesures satellitaires. Exemple : le satellite NASA / GEDI (Figure 1) [5].
2.4. Télédétection micro-ondes
Ces observations sont faites avec des instruments qui mesurent l’émission naturelle (domaine passif) ou la rétrodiffusion (domaine actif ou radar) des couverts végétaux dans le domaine des micro-ondes. Ces mesures permettent d’estimer l’effet d’atténuation des radiations micro-ondes par le couvert végétal. Cette atténuation (associée au paramètre Vegetation Optical Depth, VOD) est bien reliée à la biomasse de la végétation. Par rapport aux mesures optiques, les mesures micro-ondes sont peu gênées par la couverture nuageuse et par les effets atmosphériques et elles saturent moins vite pour de fortes densités de la végétation forestière. En fonction des méthodes (instruments passifs ou actifs) et des longueurs d’ondes employées, la résolution spatiale obtenue (de quelques mètres à plusieurs kilomètres) et le seuil de saturation sont variables.
3. Le projet Biomass Carbon Monitor (suivi de la biomasse des forêts)
Le 29 octobre 2021 a lieu le lancement du Biomass Carbon Monitor, la première plateforme géospatiale capable de mesurer le rôle des forêts dans la séquestration carbone par l’observation des changements de la biomasse. Kayrros [6], en partenariat avec l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) et le laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE), a élaboré cet outil sur la base de 30 ans de recherches. Il est aujourd’hui rendu librement accessible à tous.
Le Biomass Carbon Monitor permet d’accéder librement à des cartes mondiales de changement des stocks de carbone contenus dans la biomasse aérienne. Les données permettent de quantifier les changements annuels de la biomasse et de déterminer le rôle que jouent les forêts dans la réduction de la quantité de carbone présent dans l’atmosphère.
Les données du Biomass Carbon Monitor sont issues de mesures systématiques de l’émission micro-ondes des surfaces terrestres par le satellite SMOS de l’Agence spatiale européenne (ESA), combinées à des algorithmes particulièrement évolués. Le résultat montre que certaines régions de l’hémisphère nord stockent le carbone, tandis que les régions tropicales touchées par la déforestation sont émettrices. À l’échelle mondiale, 760 millions de tonnes de carbone (Mt) ont été éliminées de l’atmosphère chaque année au cours de la dernière décennie [7] – compensant près de 8 % des émissions de CO2 associées à la consommation d’énergies fossiles et à la production de ciment au cours de cette période.
Notes et références
Image de couverture. Photo libre de droits via Pixabay
[1] Baccini, A. et al., Tropical forests are a net carbon source based on aboveground measurements of gain and loss. Science 358, 230–234 (2017), https://doi.org/10.1126/science.aam5962
[2] Chave, J. et al. Improved allometric models to estimate the aboveground biomass of tropical trees. Glob. Chang. Biol. 20, 3177–3190 (2014).
[3] Hansen, M. C. et al. High-resolution global maps of 21st-century forest cover change. Science 342, 850–853 (2013). https://doi.org/10.1126/science.1244693
[4] Harris, N.L., Gibbs, D.A., Baccini, A. et al. Global maps of twenty-first century forest carbon fluxes. Nat. Clim. Chang. 11, 234–240 (2021). https://doi.org/10.1038/s41558-020-00976-6
[5] Dubayah, R. et al. The Global Ecosystem Dynamics Investigation: high-resolution laser ranging of the Earth’s forests and topography. Sci. Remote Sens. 1, 100002 (2020), https://doi.org/10.1016/j.srs.2020.100002
[6] Boutaud, A.-S. Kayrros, le big data au service de la transition écologique. CNRS, le journal (15.06.2022). https://lejournal.cnrs.fr/nos-blogs/de-la-decouverte-a-linnovation/kayrros-le-big-data-au-service-de-la-transition-ecologique
[7] Cette valeur de 0,76 GtC/an estimée par le projet Biomass Carbon Monitor pour le puits de carbone dû à la photosynthèse continentale est plus faible que celle de 1,8 GtC/an du Global Carbon Project (voir Figure 2). Cela montre encore une fois qu’il existe beaucoup d’incertitudes sur les valeurs absolues des flux et stocks de carbone dans les forêts.