| Focus 1/1 | Symbiose et évolution : à l’origine de la cellule eucaryote

Elysia chlorotica, la limace qui se prend pour une feuille

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Elysia chlorotica, une limace de mer capable de tirer son énergie de la photosynthèse !

La limace de mer Elysia chlorotica est un petit gastéropode marin de 5 cm de long. Elle vit en eaux peu profondes le long de la côte est de l’Amérique du Nord. Cette étrange limace ressemble à une feuille. Elle est verte ! Lorsque le soleil brille, elle s’étale, comme pour bien profiter du soleil. Comment est-ce possible ? Elysia chlorotica se nourrit d’algues filamenteuses comme Vaucheria littorea. Lors de la digestion, les cellules photosynthétiques de l’algue ne sont que partiellement détruites : leurs chloroplastes restent intacts et permettent à Elysia d’utiliser les produits de la photosynthèse pour se nourrir. C’est un exemple de symbiose chloroplastique ou kleptoplastie [1], autrement dit « vol de chloroplaste ». Ces chloroplastes renferment de la chlorophylle, pigment permettant la capture de la lumière lors de la photosynthèse, qui donne sa couleur verte à la limace de mer. Ils sont présents dans les cellules de son appareil digestif très ramifié. C’est pourquoi Elysia chlorotica ressemble à une feuille verte. Cette propriété semble être une particularité de cette famille, puisque plusieurs espèces voisines ont le même comportement. Mais de nombreux protistes se comportent de la même manière.

Encyclopédie environnement - Elysia chlorotica
[source : © Patrick J. Krug, licence Creative Commons CC BY-NC 3.0, via Wikimedia Commons]
En général, de nombreux organismes marins conservent des cellules chlorophylliennes absorbées de leurs proies : algues vertes, rouges ou brunes. Elles les intègrent ensuite dans leur système digestif et les utilisent à leur propre service. Leur durée de vie est en général limitée, mais la prédation permet de renouveler le stock. La relation la plus stable est observée lors de symbiose impliquant des organismes photosynthétiques. C’est le cas des coraux qui sont une colonie organisée d’individus, les polypes. Leurs tissus renferment de nombreuses zooxanthelles, microalgues photosynthétiques appartenant au genre Symbiodinium.

Mais pour la limace Elysia chlorotica, les choses sont très différentes. Le mollusque a acquis les chloroplastes au cours de son développement : lors du passage de la forme larvaire à la forme adulte. Les chloroplastes demeurent ensuite fonctionnels pendant toute la vie de la limace de mer. Ainsi, Elysia chlorotica semble ne se nourrir d’algues qu’au début de son existence, tirant ensuite son énergie exclusivement de la photosynthèse. Des expériences ont montré qu’effectivement, en présence de lumière et de CO2, Elysia chlorotica était capable d’incorporer le CO2 dans sa matière organique grâce à la photosynthèse. Mais le fait que la présence de chloroplastes soit essentielle à la vie des limaces de mer reste cependant controversé.

Chez les végétaux, le chloroplaste a besoin en permanence de l’import de protéines venant du cytoplasme. Le fait que les chloroplastes séquestrés dans l’appareil digestif de la limace de mer soient capables de réaliser la photosynthèse pendant des mois est donc problématique. Le séquençage des génomes de l’hôte -la limace- et du symbiote -l’algue- ont montré que des gènes essentiels à la photosynthèse avaient été acquis par l’animal par transfert horizontal de gènes provenant du noyau de l’algue. Les protéines ainsi codées étaient alors réorientées vers le plaste [2]. Ainsi, dans le cas de cette limace de mer, la prédation -c’est-à-dire la consommation d’une algue verte- a été accompagnée d’un transfert horizontal de gènes entre le noyau du symbiote et celui de l’hôte. Ce système est à l’origine d’une nouveauté métabolique, des « animaux verts », capables d’effectuer la photosynthèse pendant plusieurs mois, grâce à des chloroplastes restés fonctionnels au sein des tissus de l’hôte [1].

Comment et pourquoi les chloroplastes fonctionnels sont-ils conservés au sein des limaces de mer ? Comment la fonction des chloroplastes ainsi capturés est-elle maintenue sans le soutien du noyau de l’algue ? Le mystère de cette association remarquable a partiellement été levé dans un article récent de Cruz et Cartaxana [3].

 

Pour aller plus loin : Elysia chlorotica en action

 

Une conférence (en anglais) du Dr. Sidney Pierce à TEDx Tampa Bay (Floride, USA) sur Elysia


Références et notes

[1] Rumpho M.E., Dastoor F.P., Manhart J.R. & Lee J. (2006) The Kleptoplast. In: Advances in Photosynthesis and Respiration – The Structure and Function of Plastids. R.R. Wise & J.K. Hoober, eds, Springer Pub., Vol. 23, pp 451-473

[2] Rumpho M.E., Worful J.M., Lee J., Kannan K., Tyler M.S., Bhattacharya D., Moustafa A. & Manhart J.R. (2008) Horizontal gene transfer of the algal nuclear gene psbO to the photosynthetic sea slug Elysia chlorotica. PNAS USA 105, 17867-17871

[3] Cruz S, Cartaxana P (2022) Kleptoplasty: Getting away with stolen chloroplasts. PLoS Biol 20(11): e3001857. https://doi.org/10.1371/journal.pbio.3001857

Lectures complémentaires

  • Dabonneville C. (2013) Les animaux-plantes ou comment un animal peut-il être photosynthétique ? Espèces 9, 22-29.
  • Biofutur (2009) numéro spécial Endosymbioses, n°299.

 

 

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