| Focus 1/1 | Les huîtres : ces architectes méconnus des milieux côtiers  

Une leçon d’histoire

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Dans le monde, il existe plus d’une trentaine d’espèces d’huîtres, mais toutes ne font pas l’objet d’élevage ostréicole. En France, actuellement, c’est l’huître creuse, Crassostrea gigas qui assure la quasi-totalité de la production nationale (80 000 tonnes par an). Les fins connaisseurs savent qu’une autre huître, l’huître plate, Ostrea edulis, appelée localement Belon, Gravette ou Pied de Cheval, mérite une attention particulière. Ne représentant plus que 2000 tonnes par an dans la production française actuelle, l’huître plate est l’espèce native de nos côtes européennes et c’est elle qui par le passé, depuis l’époque gallo-romaine, a fait vivre bon nombre de familles de marins, de pêcheurs puis d’ostréiculteurs. Surexploités par la pêche depuis le 18e siècle, de nombreux bancs d’huître plate autrefois dominants sur tout le littoral européen et notamment sur les côtes bretonnes, ont disparu au 19e siècle (cf Figure 1, [1]), ce qui a valu le terme de « Déforestation sous-marine » dénoncée par Möbius, en 1877, l’un des pères de l’écologie moderne.

Au 20e siècle, l’essor de l’ostréiculture moderne ne suffira pas à sauver l’espèce, affaiblie par l’émergence d’une première maladie dans les années 1920, un probable virus mal identifié. Les élevages et la filière sont finalement terrassés par un premier parasite (Marteilia) puis un deuxième (Bonamia) apparus successivement à partir des années 1970. Ces parasites se sont aussi répandus comme une trainée de poudre au sein des derniers bancs sauvages. Désormais l’huître plate, vieille de 200 millions d’années, est sur la liste européenne de la convention OSPAR des espèces et des habitats à protéger. Depuis 2012, différents pays européens dont la France, regroupés au sein d’une alliance (NORA) depuis 2018, ont commencé à engager des démarches de restauration et ré-introduction pour favoriser son retour sur les côtes européennes. Mais l’histoire mouvementée de l’huître en France ne s’arrête pas là.

extrait bulletins naturaliste Louis Joubin
Figure 1. Extrait des bulletins du naturaliste Louis Joubin du Muséum d’Histoire Naturelle (1908). Les huîtrières apparaissent en rouge sur la cartographie de la baie de Quiberon, elles ont quasiment toutes disparues un siècle plus tard. Carte de Joubin-Guérin Etel © Ifremer

Sa cousine, l’huître creuse actuelle, Crassostrea gigas, a été importée du Japon à la fin des années 1960 pour remplacer une autre huître creuse Crassostrea angulata, originaire, quant à elle, du Portugal ! En effet, au 19e siècle, pour subvenir aux besoins du marché et face à la surexploitation de l’huître plate native, on importait régulièrement de l’huître creuse du Portugal. Soit dit en passant, des études montrent que cette huître portugaise est en fait originaire d’Asie, plus précisément de Taïwan, introduite probablement par les premiers navires marchands au cours du 16e siècle [2].

Mais revenons-en à notre histoire française. En 1867, le Morlaisien, un bateau en provenance de Lisbonne, chargé d’huîtres creuses « portugaises », fut contraint par une tempête de jeter sa cargaison dans l’estuaire de la Gironde. Quelques années plus tard, la cargaison avait fait de nombreux petits, de la Vendée au bassin d’Arcachon ! En 1920, la « creuse du Portugal » commençait même à supplanter la plate native dans les bassins du Sud-Ouest. La production de cette dernière atteindra rapidement les 60 000 tonnes, avant de brutalement s’effondrer dans les années 1960, elle aussi, décimée par un virus [3].

L’huître creuse du Pacifique, Crassostrea gigas, remplaça cette dernière au pied levé et la production française atteignit très rapidement les 120 000 tonnes. Introduite depuis le Japon dans les bassins du Sud-Ouest, elle était supposée ne pas franchir la Loire pour des raisons de préférence thermique (il lui faut des eaux à plus 18°C pour se reproduire), mais c’était sans compter sur le réchauffement climatique. Petit à petit, à chaque été chaud et avec les transferts ostréicoles, l’espèce a ainsi conquis un nouvel écosystème plus septentrional à chaque fois, et les canicules successives lui permettent désormais de se reproduire en Norvège.

Mais depuis 2008, c’est au tour de l’huître creuse d’être frappée par des crises de mortalités sans précédent, causées par un virus de type herpès et des bactéries [4]. L’histoire est un éternel recommencement et cette nouvelle espèce que l’on croyait invincible semble suivre inexorablement le chemin de ces aïeules. Nouvelles victimes de nos erreurs répétées, amnésiques que nous sommes ! A tel point, que certains professionnels envisagent de réintroduire à nouveau sa cousine, la « portugaise » en misant sur la possibilité que l’iridovirus, son tueur du passé, ait eu la politesse de disparaître de nos côtes après 50 ans.

 


Notes et Références

[1]  Carte de Joubin-Guerin -Etel https://sextant.ifremer.fr/Donnees/Catalogue#/map et texte de Louis Joubin, Notes sur les gisements de mollusques comestibles des Cotes de France. La région d’Auray (Morbihan), extrait du Bulletin de l’Institut océanographique de Monaco (n° 89, 15 janvier 1907).

[2] Huvet, A. et al. (2000). Variable Microsatellites in the Pacific Cupped Oyster Crassostrea gigas and Other Cupped Oyster Species. Animal Genetics 31, 71-7

[3] Grizel, H. & Heral, M. (1991) Introduction into France of the Japanese oyster (Crassostrea gigas). Journal du Conseil International de l’Exploration de la Mer, 47, 399–403.

[4] Petton, B. et al. (2021). The Pacific Oyster Mortality Syndrome, a Polymicrobial and Multifactorial Disease: State of Knowledge and Future Directions. Frontiers in Immunology, 12, 630343 (10p.).