| Focus 1/1 | Résistance des plantes aux stress : rôle de la respiration ?

Thermogenèse et pollinisation chez les Aracées

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1. Crise respiratoire chez les Aracées

Figure 1. Photo d’une inflorescence d’Arum maculatum. L’insert à droite montre l’intérieur de la chambre florale observé après une coupe longitudinale. [Schéma : montage de l’auteur à partir des photos © Laurent Francini, reproduites avec la permission de l’auteur]
Chez les AracéesFamille (environ 3500 espèces) de plantes monocotylédones, arbustes ou plantes herbacées, parfois arborescentes des régions subtropicales, tropicales, et, en nombre réduit, des régions tempérées. Appartient à cette famille l’arum titan (Amorphophallus titanum), originaire de Sumatra, la plus grosse inflorescence de cette famille. On peut citer en France le gouet tacheté (Arum maculatum)., au cours du développement des inflorescences (appelées spadices), une forte augmentation de la respiration (crise respiratoire) est observée, couplée à une forte augmentation de température. Ce phénomène de surchauffe, appelé thermogenèse, a été découvert par Lamarck en 1778 et la relation entre une augmentation de la consommation respiratoire d’oxygène et l’émission de chaleur a été mise en évidence par Garreau en 1851 [1]. La Figure 1 présente un plant d’Arum maculatum (arum tacheté ou gouet tacheté) avec ses fleurs cachées dans la chambre florale surmontées d’une massue stérile. Cette inflorescence est cachée à l’intérieur d’une feuille particulière, appelée spathe, qui s’enroule sur elle-même. Une coupe dans la paroi de la chambre florale permet de distinguer les divers types de fleurs groupés et leur organisation. L’inflorescence grandit régulièrement au cours de stades de développement successifs (dénommés a, puis α à ζ) décrits par James et Beevers [2] (Figure 2) [3].

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Figure 2. Représentation des divers stades de développement de l’Arum maculatum. C’est au cours du stade d (encadré) que se déroule la crise respiratoire et la production de chaleur associée. (Schéma de l’auteur adapté d’après James et Beevers [2] et Lance [3]).ema ar
La crise respiratoire du spadice et, plus particulièrement de la massue, a communément lieu peu de temps après l’ouverture de la spathe, dès le stade δ. Elle utilise l’amidon stocké au cours du développement et dure quelques heures au cours desquelles l’intensité respiratoire et la température du spadice suivent une évolution parallèle [4] (Figure 3). La température du spadice peut ainsi atteindre 30°C et se situer à près de 20°C au-dessus de la température de l’air.

2. Une respiration insensible au cyanure couplée à la production de chaleur

La résistance au cyanure de la respiration des Aracées, particulièrement importante au moment de la crise respiratoire, a été observée dès le début des années 1950 [2]. Les mitochondries isolées des spadices présentent un transport d’électrons utilisant à la fois la voie cytochromique classique sensible au cyanure, terminée par le complexe de la cytochrome oxydaseLa cytochrome c oxydase, ou complexe IV de la chaîne respiratoire aérobie, est une oxydoréductase membranaire qui catalyse la réaction de réduction du dioxygène. Cette enzyme est située dans la membrane plasmique de nombreuses bactéries et dans la membrane mitochondriale interne chez les eucaryotes aérobies., et une voie résistante au cyanure, non phosphorylante et non cytochromique, cette dernière étant particulièrement active lors de la crise respiratoire [5].

Figure 3. Évolutions de l’intensité respiratoire et de la température du spadice au moment de la crise respiratoire [Source : Schéma de l’auteur, adapté de ap Rees et al. [4])]
La Figure 3 présente l’évolution de l’oxydation mitochondriale du malate (acide organique à l’origine du NADH réoxydé par la chaîne respiratoire, voir Figure 10 de l’article principal) et de la phosphorylation associée au cours des stades de développement du spadice d’Arum maculatum [6]. L’oxydation du malate présente un pic au moment de la crise respiratoire, ce qui correspond à l’augmentation de la respiration. Parallèlement, l’efficacité de la phosphorylation oxydative (P/O), qui correspond à la production d’ATP, déjà peu élevée dans les premiers stades de développement, décroît brusquement lors de la crise respiratoire, ce qui dénote une participation importante de la voie de transport d’électrons non phosphorylante [6]. L’implication de l’AOX, oxydase terminale de cette voie, a été ensuite démontrée [7].

La faible phosphorylation oxydative traduit une émission du trop-plein d’énergie, issue de la forte respiration, sous forme de chaleur.

3. Production de chaleur et pollinisation chez l’Arum

Figure 4. Évolution, au cours des stades de développement, de l’oxydation du malate et de la phosphorylation oxydative chez des mitochondries de massues d’Arum maculatum (Schéma de l’auteur, adapté de Chauveau et Lance [6]).
Les fleurs femelles d’Arum maculatum deviennent fonctionnelles (c’est-à-dire susceptibles d’être pollinisées) lorsque l’inflorescence commence à s’ouvrir. Au sein du spadice, la thermogenèse s’est mise en route : elle favorise (i) l’activité d’enzymes catalysant la synthèse de composés aminés volatils et (ii) l’émission de ces molécules à proximité des plants d’Arum. Leur odeur d’excréments et d’urine attire les insectes pollinisateurs.

La pollinisation de la fleur d’Arum maculatum est réalisée par de petits moucherons de 2 à 3 mm connus sous le nom de psychodes (Psychoda phalaenoides) [8] et aussi surnommés « moucheron des éviers » ou « mouches papillons » (Figure 5). Ces insectes sont très communs dans les lieux humides (conduits d’évacuation des eaux usées, par exemple).

la hulotte journal
Figure 5. Le journal « le plus lu dans les terriers », La Hulotte, a décrit en détail le processus qui se déroule au cœur de l’inflorescence de l’Arum tacheté et qui attire une espèce d’insectes, Psychoda phalaenoides (ou Psykoda), participant ainsi involontairement la pollinisation de l’Arum. [Source : Reproduit du numéro 26 (1985) de la Hulotte (DR)]
De plus, la température élevée (15 à 20°C au-dessus de la température ambiante) que l’on trouve au sein de la spathe convient très bien à ce petit insecte. Psychoda se pose sur le cornet, glisse, car les parois sont très lisses, et passe sans encombre à travers les fleurs stériles. Ces dernières sont ainsi faites qu’elles piègent Psychoda dans la chambre florale : des filaments dirigés vers le bas (voir Figure 1) empêchent l’insecte de remonter et ressortir. Il se retrouve alors emprisonné dans la partie inférieure de l’inflorescence (Figure 5) [9]. De nombreux autres insectes Psychoda viendront le rejoindre et resteront piégés eux aussi : l’inflorescence d’Arum est un véritable piège à insectes (Figure 6) [10] !

Mais les choses finissent par s’arranger pour Psychoda : au bout de 2 jours, les fleurs mâles arrivent à maturité, s’ouvrent et laissent échapper du pollen qui saupoudre les moucherons, les fleurs stériles se fanent et ouvrent la chambre florale … Les moucherons emprisonnés peuvent alors s’évader…Ils s’envolent alors vers d’autres Arums qu’ils vont ainsi pouvoir aller féconder, moyennant un nouvel épisode d’emprisonnement !

chambre florale fleur
Figure 6. Lors de la crise respiratoire, un grand nombre d’insectes pollinisateurs (moucheron Psychoda phalaenoides) sont retenus prisonniers dans la chambre florale (cette dernière a été découpée afin de faire apparaître son contenu). [Source : Photo © Laurent Francini, avec la permission de l’auteur]
L’Arum maculatum et, plus globalement, les Aracées, ne sont pas les seules espèces capables de thermogenèse et un article récent propose un modèle général de thermorégulation qui donne un rôle central à l’AOX [11].


Image de couverture. Arum Maculatum. Libre de droits.

Remerciements. Nous remercions très vivement M. Laurent Francini (Association La Chanterelle de Ville-la-Grand, Haute-Savoie) pour les photos qui ont permis d’illustrer ce focus sur la pollinisation d’Arum maculatum par le moucheron Psychoda phalaenoides.

[1] L. Garreau, 1851. De la respiration chez les plantes, Mémoire sur les relations qui existent entre l’oxygène, consommé par le spadice de l’ »Arum italicum » en état de paroxysme, et la chaleur qui se produit, Ann. Sci. Nat. Ser. III, 15, 5–36.

[2] W.O. James & H. Beevers, 1950. The respiration of Arum spadix. A rapid respiration, resistant to cyanide, New Phytol. 49, 353–374. https://doi.org/10.1111/ j.1469-8137.1950.tb05160.x.

[3] Lance C 1972. La respiration de l’Arum maculatum au cours du développement de l’inflorescence. Annales des Sciences naturelles. Botanique 12e série, Tome XIII, 477-495.

[4] ap Rees T, Wright BW & Fuller WA (1977). Measurements of starch breakdown as estimates of glycolysis by the spadix of Arum maculatum L. Planta, 134, 53- 56. https://doi.org/10.1007/BF00390094.

[5] James WO, & Elliott DC (1955). Cyanide-resistant mitochondria from the spadix of an arum. Nature, 175, 89. 10.1038/175089a0

[6] Chauveau M & Lance C (1982). Respiration et thermogenèse chez les Aracées. Bulletin de la Société Botanique de France. Actualités Botaniques. 129, 123-134. https://doi.org/10.1080/01811789.1982.10826566

[7] Grant NM, Miller RE, Watling JR & Robinson SA (2008). Synchronicity of thermogenic activity, alternative pathway respiratory flux, AOX protein content, and carbohydrates in receptacle tissues of sacred lotus during floral development. Journal of Experimental Botany, 59, 705-714.

[8] https://www.francini-mycologie.fr/BOTANIQUE/Arum_maculatum.html

[9] Libérez Psikoda ! Journal La Hulotte N° 26, 1 janvier 1985 ; https://www.lahulotte.fr/

[10] https://www.francini-mycologie.fr/BOTANIQUE/Arum_maculatum.html

[11] Wagner AM, Krab K, Wagner MJ & Moore AL (2008). Regulation of thermogenesis in flowering Araceae: the role of the alternative oxidase. Biochimica Biophysica Acta, 1777, 993-1000. https://doi.org/10.1016/j.bbabio.2008.04.001