La météorologie de l’espace et ses conséquences sur Terre

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Encyclopédie environnement - Environnement spatial Terre et météorologie de l'espace -

Notre Soleil est garant de la vie sur Terre. On sait depuis les années 1980 qu’il est aussi  responsable d’un tas de perturbations électriques, magnétiques, thermiques affectant de nombreuses technologies aussi courantes que nos téléphones portables, aussi importantes que les satellites. Ces perturbations se produisent dans l’environnement spatial de la Terre, au-delà de 70 km du sol. Elles peuvent évoluer très rapidement. Pour comprendre ces phénomènes et mieux les appréhender, une discipline est née : la météorologie de l’espace. Voyage dans un univers particulièrement agité.

Depuis le milieu du vingtième siècle, nous avons compris les grandes lignes de la structure interne du Soleil ; depuis les années 90 et le lancement du satellite SOHO, nous savons qu’il est un astre bien moins placide que nous ne le pensions auparavant. Le Soleil est responsable d’un rayonnement électromagnétique, d’un rayonnement cosmique et d’un vent solaire permanent ou issu de phénomènes éruptifs, autant de sources d’énergie qui interagissent avec l’environnement spatial de la Terre.

Le rayonnement électromagnétique solaire balaye une large gamme de longueurs d’ondes, depuis le rayonnement gamma, en passant par l’ultraviolet et le visible, jusqu’aux ondes radio (lire Les couleurs du ciel et Le rayonnement thermique du corps noir). Le tableau 1 récapitule ces longueurs d’onde et les énergies associées. Le Soleil est également à l’origine d’un flux permanent de matière, essentiellement des électrons et des protons, particules élémentaires chargées électriquement (lire Les énergies solaires) : c’est le vent solaire, dont la vitesse est de 400 à 800 kilomètres par seconde (km/s) en période calme, mais peut atteindre plus de 2000 km/s lors de périodes très actives (lire Les énergies solaires). Ce vent acquiert très épisodiquement une vitesse proche de celle de la lumière : ses particules prennent alors le nom de rayonnement cosmique, avec des énergies de plusieurs millions d’électronvolts, dont une seconde source se trouve dans les étoiles de la Galaxie. Le nom de rayonnement cosmique prête à confusion et est une survivance historique. Il ne s’agit en effet pas de rayonnement, mais bien de particules.

Tableau 1. Le rayonnement solaire : des infrarouges aux rayons gamma

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Vent solaire et rayonnement solaire ont des amplitudes variables. Cette variabilité s’appelle l’activité solaire. Des périodes très calmes succèdent à des périodes actives avec un cycle de 10 à 13 ans bien identifié, qu’on appelle « cycle de Schwabe », ou simplement « cycle solaire ».

Le rayonnement électromagnétique, le rayonnement cosmique et le vent solaire permanent ou issu de phénomènes éruptifs représentent des sources d’énergie qui interagissent avec l’environnement spatial de la Terre …

1. L’effet du rayonnement

Dans la haute atmosphère terrestre, typiquement en dessous de 105 km du sol , les principaux composants sont l’oxygène et l’azote moléculaires. Au-dessus de 200 km et jusque vers 600 km, ils sont supplantés par l’oxygène atomique, les gaz minoritaires étant l’hydrogène, l’hélium, l’argon et l’azote atomique. Vers 400 km, la concentration totale de particules est de l’ordre d’un milliard de milliards (1018) par mètre cube et la température est d’environ 750°C : c’est la thermosphère (lire La haute atmosphère). Cette température élevée est due au rayonnement solaire le plus énergétique, au-delà de l’ultraviolet (UV). Les énergies de ce rayonnement (lire Le rayonnement  thermique du corps noir)  sont telles qu’elles sont susceptibles également d’exciter, de casser des molécules ou d’ioniser l’atmosphère, c’est-à-dire d’arracher au moins un électron aux particules cibles.

Tous ces photons, si énergiques qu’ils empêcheraient la vie d’apparaître s’ils arrivaient au niveau de la basse atmosphère ou du sol, sont arrêtés par divers phénomènes qui prennent place dans la thermosphère et absorbent leur énergie. Ainsi, nous avons au-dessus de nos têtes un bouclier contre ce rayonnement solaire.

La partie de l’atmosphère composée d’ions et d’électrons est appelée ionosphère. La température des électrons est à peu près de 1100 °C autour de  400 km alors que la température des ions atteint « seulement » 800 °C à la même altitude en période solaire calme. En fait, ce milieu est partiellement ionisé, c’est à dire qu’il est composé d’un mélange de gaz neutre – essentiellement azote moléculaire, oxygène moléculaire ou atomique – d’ions et d’électrons. Il constitue un état bien particulier de la matière appelé plasma, un mélange d’un fluide « neutre » et d’un fluide « chargé électriquement » en interaction.

2. L’effet lointain des particules

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Figure 1. Cette illustration montre schématiquement la forme de l’environnement spatial. La zone bleue externe est la magnétopause à l’intérieur de laquelle on distingue plusieurs coquilles de couleur. Attention : il s’agit d’une représentation. Dans la réalité, il n’y a pas une séparation nette et visible. La zone de reconnexion, mal connue, se trouve en bas à droite de l’image. La coquille rose représente la ceinture de Van Allen. [© EDPS, « Sous les feux du Soleil », J. Lilensten et J. Bornarel, 2001]
La Terre et son champ magnétique constituent un obstacle que le vent solaire doit contourner.  En l’absence de vent solaire, l’influence du champ magnétique terrestre (ou champ géomagnétique) se ferait sentir symétriquement autour de la planète : l’est, l’ouest, le côté jour (coté Soleil) ou le côté nuit (opposé) seraient indiscernables d’un point de vue magnétique. L’action du vent solaire sur le champ géomagnétique forme  une onde de choc à 15 rayons terrestres environ en amont de la Terre et force les particules du vent solaire à épouser la forme du champ géomagnétique.  Peu de particules peuvent traverser la frontière – la magnétopause – sur laquelle la pression du champ magnétique compense celle du vent solaire. Cette frontière se situe typiquement à 10 rayons terrestres côté jour, valeur qui peut descendre en dessous de 6 à l’occasion d’événements solaires particulièrement intenses. L’intérieur de cette cavité, soumise au champ géomagnétique, s’appelle la magnétosphère (lire La magnétosphère : sous l’influence de la Terre et du Soleil). Elle est comprimée vers la Terre côté jour, et s’étend en une longue queue étirée par le vent solaire côté nuit, ce qui lui donne l’aspect d’une goutte d’eau (voir figure 1).

En longeant la magnétopause, une partie du vent solaire dérive et pénètre dans la cavité magnétosphérique, côté nuit. Une autre partie se recombine à une distance d’environ 30 rayons terrestres, dans la zone de reconnexion. Face au Soleil, des entrées directes du vent solaire sont possibles selon l’état magnétique du Soleil et du vent solaire. Plus les particules s’approchent de notre planète, plus l’intensité du champ géomagnétique est élevée. A quelques rayons terrestres (de 5 à 10), il devient si intense que les électrons et les ions ne peuvent continuer : ils sont contraints de  créer un anneau de courant électrique autour de la planète : la ceinture de Van Allen. Puis, au gré des collisions, ils s’en échappent et suivent une ligne du champ magnétique locale pour pénétrer enfin dans l’atmosphère. Au cours du transit dans et autour de la magnétosphère, ces particules ont été accélérées, pour atteindre des énergies de plusieurs centaines à plusieurs milliers d’électronvolts. Pour les nommer, on utilise le joli mot de « précipitations » (sous-entendu d’ions et d’électrons), par analogie bien sûr avec la météorologie classique.

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Figure 2. Cette photographie, prise par le satellite Dynamics Explorer montre le rayonnement de l’atmosphère de la Terre dans une longueur d’onde ultraviolette émise par l’oxygène atomique. Elle est vue au dessus d’un des pôles magnétiques (au centre de l’image). Le Soleil se trouve à gauche de l’image. L’atmosphère, éclairée, excitée par le rayonnement solaire, rayonne à son tour. Nous sommes dans la thermosphère. L’ovale auroral se détache nettement côté nuit de la planète. Le coté nocturne, en bas à gauche, n’est pas visible sur le fond du ciel. [© NASA]
En trois dimensions spatiales, on préfère représenter le champ géomagnétique par des coquilles que par des lignes : les particules ne remplissent pas la zone comprise entre deux lignes du champ magnétique, mais plutôt le volume entre deux coquilles. Le socle de ce volume trace sur la Terre deux couronnes appelées ovales auroraux, typiquement situées entre 65° et 75° de latitudes magnétiques nord et sud. Elles existent en permanence, car le vent solaire souffle de façon continue.

3. L’effet rapproché des particules

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Figure 3. Une aurore polaire se détache sur le fond étoilé du ciel scandinave [© P. Volcke, IPAG / OSUG]
Les précipitations pénètrent dans l’atmosphère entre 700 km et 70 km environ. Plus bas, l’air devient trop dense pour qu’elles poursuivent leur route. Elles vont heurter le gaz atmosphérique, le chauffant, l’excitant, l’ionisant. Le retour à l’état initial se produit souvent par l’émission d’ondes électromagnétiques parfois dans le domaine visible : c’est une aurore polaire (voir figure 3).

4. La météorologie de l’espace

On a compris depuis le milieu du vingtième siècle que l’environnement spatial de la Terre était sensible à l’activité solaire [1]. Par exemple, la magnétosphère est le siège de nombreux courants électriques (lire La magnétosphère : sous l’influence de la Terre et du Soleil). A la surface de la planète, lorsque le sol est conducteur, ces courants  induisent d’autres courants qui se propagent sur de grandes distances. Ils sont lentement variables, quasi continus.  Les transformateurs électriques de nos usines électriques ne peuvent gérer que du courant alternatif : 50 hertz (Hz) en Europe, 60 Hz aux États-Unis par exemple. L’arrivée de courants continus les fait chauffer considérablement et engendre des pannes. Ils accélèrent également la corrosion des pipelines en augmentant la différence de potentiel avec le sol.

Autre perturbation : celle de l’environnement électromagnétique qui engendre des problèmes de communications à toutes les échelles, depuis les téléphones cellulaires jusqu’aux communications entre le sol et les satellites. Par ailleurs, le chauffage atmosphérique augmente la friction sur les satellites, modifiant leurs orbites. Il faut les corriger, ce qui réduit la vie des satellites.

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Figure 4. Vue d’artiste du système de positionnement européen Galileo. Cet ensemble de 24 satellites est intiment lié à la météorologie de l’espace, à la fois en tant qu’utilisateur pour prévoir l’impact de l’activité solaire sur l’atmosphère, et en tant que pourvoyeur de données ionosphériques. [© ESA]
Plus dangereuse peut-être est la perte de localisation des poussières interstellaires, météores, météorites, ou étages de fusées, de satellites défunts, de morceaux d’engins spatiaux divers. La dilatation de la haute atmosphère sous l’effet du chauffage entraine ces débris avec elle. Il est devenu nécessaire de les maintenir sous haute surveillance. Le risque de perte d’un satellite par collision avec un débris spatial est pour le moment de 0,01%, c’est à dire qu’un satellite sur 10 000 risque d’être perdu ainsi. Cette probabilité croît de façon exponentielle avec le temps. Or, en cas de forte perturbation solaire et de fort chauffage, les débris sont emportés par l’atmosphère, et il faut plusieurs heures pour en retrouver la trace.

Les satellites eux-mêmes sont exposés aux divers courants électriques de la magnétosphère, dont l’intensité varie avec l’activité solaire. Ces courants électriques  dégradent les panneaux solaires ou divers instruments essentiellement par ionisation des revêtements. Ils peuvent, en outre, corrompre la programmation des ordinateurs de bord, risquant d’engendrer la perte du satellite. Hors de la magnétosphère, les satellites sont exposés au vent solaire, généralement peu agressif, mais qui le devient lorsque le soleil expulse des protons de très haute énergie. Ainsi, en octobre 2003, on a compté une trentaine de pannes satellitaires dont trois définitives.

L’activité solaire peut également avoir des conséquences biologiques, à travers des modifications de l’ADN des spationautes comme des personnels aériens navigants. Par ailleurs, certains ont imputé aux variations de l’activité solaire l’origine du réchauffement climatique que nous connaissons depuis le milieu du 20ème siècle (lire La machine climatique et lien vers « Prédictions et projections climatiques »). En réalité, nous savons maintenant que l’activité solaire ne peut avoir que des effets régionaux sur le climat, et dans des proportions bien trop faibles pour expliquer le changement global [2].

On sait aussi que les télécommunications et le positionnement par satellite (GPS, Glonass, Galileo…)  sont affectés (voir figure 4). En outre, les assureurs, les banques ou les compagnies touristiques peuvent tirer bénéfice ou dommage de l’activité solaire en imposant des normes de protection aux satellites, ou en développant le tourisme auroral et bientôt spatial. L’activité solaire a donc des conséquences sur quasiment toute la population mondiale, et les intérêts que l’industrie trouve à la prévoir et à quantifier ses impacts se comptent, selon les études menées aux États-Unis comme en Europe, en milliards d’euros. La météorologie de l’espace [3], jeune  discipline dévolue à ces prévisions, a un bel avenir.

 


Références et notes

[1] J. Lilensten et P.L. Blelly, Du Soleil à la Terre, aéronomie et météorologie de l’espace, collection Grenoble Sciences, EDP Sciences, ISBN 2 86883 467 1, janvier 2000

[2] J. Lilensten, T. Dudok de Wit, K. Matthes, Earth’s climate response to a changing Sun, ISBN 978-2-7598-1849-5, DOI: 10.1051/978-2-7598-1733-7, EDPS Ed., 2015

[3] J. Lilensten et J. Bornarel, Sous les feux du Soleil : vers une météorologie de l’espace, collection Grenoble Sciences, EDP Sciences, ISBN 2 86883 540 6, novembre 2001


L’Encyclopédie de l’environnement est publiée par l’Association des Encyclopédies de l’Environnement et de l’Énergie (www.a3e.fr), contractuellement liée à l’université Grenoble Alpes et à Grenoble INP, et parrainée par l’Académie des sciences.

Pour citer cet article : LILENSTEN Jean (19 septembre 2018), La météorologie de l’espace et ses conséquences sur Terre, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 18 avril 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/air/environnement-spatial-de-la-terre-et-la-meteorologie-de-lespace/.

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