Les sols pour l’ingénieur
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Les sols très variés présents sur notre terre requièrent la compétence d’un ingénieur spécialisé pour mener à bien les projets de génie civil, en liaison avec d’autres spécialistes. Ce spécialiste met en lumière les propriétés des sols à prendre en compte, et les caractérise par des essais adéquats, de manière à ce que les fondations des ouvrages de génie civil soient suffisamment stables, avec une réserve de sécurité. Une attention particulière est portée aux outils de conception, modélisant l’interaction sol-structure durant la vie d’un ouvrage. L’auscultation du site environnant fournit un témoin permanent de l’état et des mouvements éventuels du sol support d’une construction durant toute sa vie. Aujourd’hui, au prix de travaux d’amélioration et de renforcement des sols, on parvient à implanter de très grands ouvrages sur des zones autrefois réputées impropres à toute implantation. Les méthodes actuelles de construction, de moins en moins perturbatrices en milieu urbain notamment, permettent de repousser les limites du possible au-delà de ce qui était autrefois imaginable.
1. Pourquoi les sols requièrent de l’attention
Un ingénieur spécialisé (l’ingénieur géotechnicien et plus souvent une équipe de géotechniciens) est en charge de l’interaction entre sol et ouvrage (interaction sol-structure). Il est bien entendu en étroite relation avec l’équipe responsable de l’ouvrage lui-même. Dans la suite de ce texte consacré aux sols, nous utiliserons par facilité le terme ingénieur pour désigner l’ingénieur géotechnicien.
Lorsque germe l’idée d’un grand ouvrage de génie civil, utile en principe, une partie de l’avant projet consiste à examiner de près tout l’environnement qu’il subira et qu’il modifiera. On doit ainsi consulter les annales des phénomènes naturels locaux susceptibles d’affecter les déformations et la stabilité de la construction au cours du temps (pluie, neige, sécheresse, inondation, tempête, gel-dégel, séisme, explosion,…). Mais une large étude d’impact (physique, hydraulique, écologique, socio-économique,…) est également indispensable pour évaluer les répercussions de l’ouvrage sur le site proche et lointain. L’intérêt des particuliers et l’intérêt général sont alors souvent en conflit. Par exemple, l’installation des barrages d’Assouan a complètement modifié les conditions de l’agriculture en Égypte : effets bénéfiques dans la haute vallée du Nil (irrigation), mais désastreux sur la basse vallée (salinisation des terres, absence d’alluvions annuelles fertiles).
Donc, si rien ne s’oppose fondamentalement à la construction, on entre dans la phase du projet (la conception précise de l’ouvrage et de son interaction avec le sol).
2. Les propriétés importantes des sols et leur caractérisation
L’outil essentiel de l’ingénieur en charge du sol dans un projet de génie civil est la mécanique. Dès lors, ses propriétés les plus examinées sont ses propriétés mécaniques et hydrauliques, à savoir sa rigidité (module d’élasticité), sa résistance (cohésion et angle de frottement), sa tendance dilatante ou contractante à la rupture, sa perméabilité, et sa réaction à l’hydratation/déshydratation. L’anisotropie de ces propriétés est toujours considérée. La pression interstitielle dans un sol amène l’ingénieur à considérer les contraintes totales et les contraintes effectives, les secondes étant celles réellement supportées par le squelette du sol.
Les essais de laboratoire fournissent directement des données hydro-mécaniques. Par contre, les essais in situ ne sont interprétables que par des corrélations avec les paramètres hydro-mécaniques, le tout avec une certaine incertitude. Les sondages, le pénétromètre, le pressiomètre fournissent des informations locales (selon une verticale), tandis que la sismique bien conduite renseigne sur le sol dans sa masse, mettant ses hétérogénéités en évidence. Bien d’autres techniques sont disponibles pour caractériser les couches du sous-sol : conductivité électrique, gravimétrie, radar, qui concourent en outre à déceler les cavités et les discontinuités –failles, fractures-.
3. Les outils de conception concernant le sol
Classiquement, on parle de la structure en projet (le pont, le barrage, la centrale,…), et du sol devant la supporter ou même la constituer (barrage en terre, par exemple). Au cours de la vie de l’ouvrage, l’interaction sol-structure est permanente.
Muni des caractéristiques du sol local (§ 2), l’ingénieur évalue les charges de service et exceptionnelles de l’ouvrage sur le sol. Puis le projet se précise et l’on dimensionne complètement l’ouvrage en lui assurant un ou des coefficients de sécurité, obtenus en estimant des scenarii de rupture par majoration des charges, ou par minoration des caractéristiques du sol. Des normes nationales et internationales (notamment les eurocodes, l’eurocode 7 en ce qui concerne les sols) ont été élaborées, et progressivement affinées pour apprécier la sécurité, compte tenu des désordres et accidents historiques dûment enregistrés et médités. Mais les déformations réelles du sol et de l’ouvrage, avant toute rupture, sont également pertinentes en termes de santé de l’ouvrage.
Nous venons d’évoquer la modélisation numérique (éléments finis) comme bon outil prédictif pour l’ingénieur. Mais la prédiction ne peut être satisfaisante que si les données hydro-mécaniques qui l’alimentent sont représentatives. Or la caractérisation initiale des sols (§ 4), au moment du projet, est toujours approximative, du fait simplement de l’hétérogénéité du sous-sol. Par exemple, les mineurs creusant un tunnel ou une galerie vous disent qu’ils ne connaissent vraiment le sol traversé que lorsqu’ils l’excavent, à l’avancement. C’est là que la puissance de la modélisation numérique par éléments finis peut être mise à profit. On simule le phasage des travaux (les étapes successives de la construction), dont on compare les résultats aux mesures sur site pendant ces travaux, depuis l’origine (le site vierge), des modifications des variables hydro-mécaniques du sol (déplacements, contraintes, pressions interstitielles,…). On a ainsi les bases d’une analyse inverse, permettant de corriger les paramètres de projet du sol, au fur et à mesure du déroulement de la construction. D’où une simulation définitive plus réaliste du comportement de l’ouvrage en service, et sous chargement exceptionnel. Cette méthode dite observationnelle permet aussi de repenser le projet initial, au cas où il aurait été trop audacieux, au point de ne plus remplir les critères de sécurité.
4. L’auscultation des ouvrages et des sols
Les mesures accompagnant la construction de l’ouvrage, sur le sol et l’ouvrage lui-même, viennent d’être évoquées (§ 3). Mais un ouvrage et son site ont une vie très longue, après construction. Pour les grands ouvrages, ainsi que pour les situations à risques en cours (glissement de terrain, éboulement rocheux,…) et identifiées, des mesures programmées des variables hydro-mécaniques de site sont courantes, constituant l’auscultation. Pour être utile, cette démarche nécessite une interprétation et une diffusion rapides, en temps réel. Ainsi, sur un glissement, une accélération des mouvements sans modification des charges signifie une évolution rapide vers la rupture brutale, et doit déclencher l’alerte des populations menacées. Les ouvrages (et leur site) couramment auscultés sont les barrages (et les versants de leur vallée), les centrales de production d’énergie, les ponts et viaducs (pour lesquels on redoute les tassements différentiels), les tunnels et galeries (pour lesquels on veille à une convergence limitée, résultant du mouvement des failles traversées, ou de l’altération de la roche encaissante. Les appareils installés sont des extensomètres, des inclinomètres, des tassomètres, des capteurs de pression interstitielle et de niveau de nappe phréatique, des outils de relevé topographique,…
Autrefois (à l’échelle du/des siècle(s)), l’ingénieur disposait d’instruments frustes de mesure (théodolite pour les déplacements, niveau pour les inclinaisons,…). Nous sommes aujourd’hui loin de ces technologies de mesure, qui ont toutefois fait leurs preuves. Les nouvelles technologies ont une place de choix en géotechnique. Les mesures topographiques de mouvements sont aujourd’hui menées rapidement, automatiquement, et précisément grâce au GPS. Les mesures extensomètriques et inclinométriques font appel à la fibre optique. En tunnels ou galeries, tous les guidages et mesures de convergence reposent sur des techniques laser. Des drones et la technique d’analyse d’images sont utilisés pour le suivi de l’état des parements de grandes dimensions (barrages, ponts,…). Et bien d’autres nouvelles technologies sont appelées à figurer au panel des outils d’auscultation.
5. L’amélioration et le renforcement des sols
La technique le plus utilisée, dans le monde entier, pour pallier les tassements différentiels est l’injection de coulis de ciment sous les zones de fondations connaissant un excès de tassement. Mais une autre technique originale s’est développée récemment. L’inclinaison préoccupante et croissante de la Tour de Pise et de la cathédrale de Mexico, construites sur une épaisse couche d’argile, a été traitée, en partie, par sous-excavation, ou extraction d’argile sous la zone de fondation la plus haute. Le redressement de ces édifices n’était pas visé, mais plutôt la stabilisation de leur inclinaison (outre prudence technique, la manne touristique doit être protégée…).
6. Tendances et performances actuelles
Les pieux sont des modes de fondation privilégiés en terrain meuble, forés ou battus, atteignant couramment plusieurs mètres de diamètre et la centaine de mètres de longueur en off-shore. Les chargements cycliques font l’objet de recherches actives, en raison du phénomène dit de dégradation cyclique. Dans la mesure où la capacité des fondations est presque sans limite, pourvu qu’on y mette le prix, les ouvrages eux-mêmes changent de nature. Par exemple, les ponts et viaducs à haubans, auto-stables (Millau, Rion-Antirion,…), prennent le pas sur les ponts suspendus
On expérimente aujourd’hui, à terre, les pieux géothermiques, à fonction double, fondation et échangeur de chaleur.
Bien d’autres innovations sont à venir, qui mobiliseront les nouvelles générations…
Références et notes
Image de couverture : Le barrage de Grand’Maison par Douchet Quentin [GFDL ou CC BY-SA 3.0], via Wikimedia Commons
L’Encyclopédie de l’environnement est publiée par l’Association des Encyclopédies de l’Environnement et de l’Énergie (www.a3e.fr), contractuellement liée à l’université Grenoble Alpes et à Grenoble INP, et parrainée par l’Académie des sciences.
Pour citer cet article : BOULON Marc (30 octobre 2018), Les sols pour l’ingénieur, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 26 septembre 2023 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/sol/les-sols-pour-lingenieur/.
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