Origine des premières cellules : le point de vue de l’ingénieur
PDFDans un scénario réaliste de l’origine de la vie, le métabolisme primitif commence dans l’eau à la surface de minéraux. Ceux-ci favorisent la polymérisation de quelques-unes des briques élémentaires, dont les ARN. Un monde de l’ARN-métabolisme se développe et conduit à la réplication de ces ARN, formant le monde de l’ARN-génomes qui utilise alors l’ARN comme matrice d’information (des gènes primitifs) plutôt que comme substrat direct du métabolisme. L’étape suivante repose sur l’invention de molécules permettant de séparer un milieu intérieur de l’extérieur, les lipides membranaires, et conduit à la formation des premières cellules réunissant deux compartiments où métabolisme et génome sont séparés : respectivement le cytoplasme et le noyau. Un variant de l’ARN, le célèbre ADN va permettre le regroupement des gènes au sein de chromosomes. Les lipides membranaires permettent aussi la phagocytose et ce sera l’origine de la cellule des eucaryotes, dont font partie les plantes et les animaux que nous sommes.
1. A l’origine de la vie : distinguer la reproduction de la réplication
Présentés comme scientifiques, bien des scénarios proposent de rendre compte de l’origine de la vie. Pourtant, de fait, ils ne sont que le reflet de l’opinion de leurs auteurs (lire L’origine de la vie vue par un géologue…). La présente réflexion n’échappe pas à la règle. Avant d’aller plus loin nous devons écarter un écueil classique, et décider si nous limitons nos scénarios à la Terre, ou si nous cherchons des origines ailleurs dans l’Univers. Une échappatoire courante est en effet de proposer qu’une vie extraterrestre soit source de notre vie terrestre. Or c’est une façon d’escamoter la question en déplaçant le problème de façon à rendre la question encore plus sujette à la fantaisie pure. Nous suivrons donc le rasoir d’Ockham [1] en cherchant si la vie est possible à partir de ce que nous savons de l’atmosphère et des milieux aquatiques passés de notre planète. Nous ferons aussi l’hypothèse que les organismes vivants ne sont pas des palimpsestesManuscrit constitué d’un parchemin déjà utilisé, dont on a fait disparaître les inscriptions pour pouvoir y écrire de nouveau. qui ont effacé toute mémoire, mais qu’on y trouve encore aujourd’hui des archives du passé. Et nous limiterons notre quête à l’atome de vie, la cellule.
Dans un petit livre peu connu, Origins of Life, le physicien Freeman Dyson [2] établit que l’information associée à la vie se propage selon deux axes bien différents :
1. la reproduction (production d’une copie similaire) d’un métabolismeEnsemble des réactions biochimiques qui se déroulent au sein d’un organisme, d’un organe ou d’une cellule pour permettre à l’organisme de se maintenir en vie, de se reproduire, de se développer et de répondre à son environnement. (flux de transformations chimiques de molécules) ;
2. la réplication d’un programme (production d’une copie identique, au moins au cours d’un temps assez long).
Mieux, il y démontre aussi que dans un scénario réaliste de l’origine de la vie, il faut que la reproduction d’un processus originel précède l’émergence d’un processus réplicatif puis les associe en un tout cohérent. Dans un monde chimique comme la surface terrestre, cela implique à la fois la reproduction de flux chimiques et l’émergence, à partir de ce métabolisme, d’entités qui se répliquent. En bref il faut au moins deux origines chimiquement distinctes pour expliquer l’origine de la vie.
2. L’utilisation des génomes pour un scénario d’origine des premières cellules
Ce scénario fonctionnel est très abstrait, et il nous faut le plonger dans la réalité physico-chimique de la Terre. L’analyse de la cellule montre que, quelle que soit son origine, elle est toujours formée de deux classes de molécules, toutes faites d’un nombre limité d’atomes (carbone, azote, oxygène, hydrogène, phosphore et soufre). La Figure 1 représente une partie des éléments chimiques disponibles sur Terre, dont un nombre limité se retrouvent dans les molécules du vivant.
On y trouve des molécules avec quelques atomes (« petites » molécules, métabolites) et des macromolécules, faites de millions, voire de milliards d’atomes. Deux classes sont à retenir ici, les protéines, faites d’enchaînements de vingt motifs de base, les acides aminés, et les acides nucléiques, faits de chaînes de quatre motifs distincts, les nucléotides. La séquence des macromolécules peut être déchiffrée à la manière d’un texte écrit avec un alphabet de vingt lettres pour les protéines, et quatre pour les acides nucléiques. Le métabolisme intermédiaire actuel (responsable de la synthèse des petites molécules) fabrique ainsi les « briques élémentaires » familières au vocabulaire journalistique : acides aminés des protéines, et nucléotides impliqués dans la synthèse des acides nucléiques : acide ribonucléique (ARNAcide ribonucléique, macromolécule constituée d’un enchaînement de ribonucléotides (adénine, cytosine, guanine, uracile) et exerçant de nombreuses fonctions au sein de la cellule.), et désoxyribonucléique (ADNAcide désoxyribonucléique, macromolécule qui renferme l’information génétique d’un être vivant. Fait de deux brins antiparallèles enroulés l’un autour de l’autre pour former une double hélice. Constitué de monomères nucléotidiques formés d’une base azotée (adénine, cytosine, guanine ou thymine) liée au désoxyribose, lui-même lié à un groupe phosphate.), avec des variants des nucléotides non discutés ici. Pour cela, il utilise plusieurs coenzymesMolécules servant de cofacteurs dans certaines réactions catalysées par des enzymes avec lesquelles ils sont structurellement liés au sein d’un complexe stable. essentiels pour la catalyseAction d’un élément qui accélère ou ralentit une réaction chimique. réalisée par une immense famille de protéines, les enzymes. Enfin, il est manifeste que le monde des petites molécules doit avoir précédé celui des macromolécules.
Tout scénario d’origine devrait donc proposer une explication à l’apparition de ces métabolites. Or, la très grande majorité fait l’impasse sur la plupart d’entre eux : alors que la chimie du carbone est banale dans l’univers, bien des auteurs s’extasient de la présence de quelques acides aminés (pas tous, loin de là) dans des environnements variés (bien souvent très loin de la Terre). Curieusement, personne ne se demande s’ils ne sont pas accompagnés de molécules voisines, étrangères à la vie (et qu’il faut donc éliminer comme des poisons), et s’ils sont tous là. Quant à l’origine des coenzymes, et longtemps à celle des nucléotides, personne ne s’interroge vraiment à son propos. Il faut enfin des lipidesMolécules hydrophobes ou amphipathiques (ayant une partie hydrophobe et une partie hydrophile), caractérisées par leur insolubilité dans l’eau et leur solubilité dans les solvants organiques non polaires., molécules dont le comportement vis-à-vis de l’eau est original (hydrophiles d’un côté, hydrophobes de l’autre), pour former l’enveloppe cellulaire. L’origine de ces molécules n’est presque jamais considérée. Pourtant nous devons penser qu’un métabolisme primitif a développé et reproduit l’ancêtre du métabolisme intermédiaire à partir d’un nombre limité de composants de base (coenzymes et lipides compris), jusqu’à ce que des produits métaboliques (vraisemblablement des polymères, ancêtres des protéines puis des acides nucléiques) aient découvert la façon de se répliquer au sein d’un châssis entouré d’une membrane lipidique. Les génomes actuels, porteurs de la mémoire de la vie depuis ses origines, nous apportent les idées nécessaires pour comprendre ce qui a pu se passer.
Les séquences de génomes toujours plus nombreux ne cessent de s’accumuler. Les comparer entre elles à la façon dont Champollion utilisa la pierre de Rosette pour comprendre les hiéroglyphes nous permet de reconnaître ce qui est commun et sans doute ancien. Hélas, l’évolution a tendance à préserver les fonctions mais pas les structures. Plusieurs objets peuvent avoir le même rôle (on mange avec une fourchette ou avec des baguettes). Aussi, au fur et à mesure que de nouveaux génomes sont séquencés, le nombre de gènes conservés diminue. Il est désormais nul ! Heureusement cette approche n’est pas un échec total car certains gènes ont tendance à rester présents dans de nombreux génomes. Ces gènes « persistants » codent des protéines préservées parce qu’elles réalisent efficacement les fonctions les plus centrales. Que peut-on en dire ? L’expérience montre qu’ils se regroupent dans les génomes bactériens selon trois réseaux d’attraction mutuelle.
Le cœur de cet ensemble est un réseau hautement connecté, centré sur les gènes codant l’expression du message génétique à partir de son programme. On y trouve en particulier les gènes de construction du ribosome, tête de lecture universelle des ARN porteurs de ce message. Un second réseau, moins connecté (d’origine plus ancienne) est centré sur le métabolisme de l’ARN. Il définit les enzymes qui couplent aujourd’hui la lecture de l’ARN messager (ARNm) à la synthèse des protéines en associant chacun des vingt acides aminés à un ARN particulier (ARN de transfert, ARNt). De plus, reliés à certains de ces gènes, se trouvent ceux qui organisent la division cellulaire. Enfin, un troisième ensemble de gènes peu connectés les uns aux autres code la synthèse des métabolites centraux de la cellule, lipides, nucléotides et acides aminés, ainsi que le cœur catalytique des protéines enzymatiques, les coenzymes. On remarque aussi la présence de protéines dont la fonction requiert la présence de centres fer-soufre, semblables au constituant de base d’un minéral commun, la pyrite de fer. Enfin les gènes qui permettent la synthèse de la bicouche lipidique de la membrane cellulaire se trouvent aussi dans ce troisième réseau.
3. Des minéraux aux ARN
Cette organisation évoque un scénario cohérent de l’origine de la vie, qui se fonde sur le besoin critique de compartimentation, à l’opposé de tout scénario impliquant une « soupe » prébiotique.
3.1. Une aurore de pierres : sélection et concentration à la surface des minéraux
Dans la première étape, la surface de minéraux sélectionne les composés réactifs qui forment le métabolisme primitif. Le métabolisme actuel justifie pleinement cette vue : la majorité des métabolites centraux est constituée de molécules chargées négativement (phosphates et carboxylates), alors que, bien souvent, les groupements responsables de leur charge électrique n’ont aucun rôle dans leur fonction ! Il est donc naturel de penser que ces groupements sont le signe qu’ils ont servi à trier et concentrer localement les molécules à la surface de minéraux, leur permettant de réagir entre elles. De surcroît, le métabolisme de surface crée une force motrice pour la construction des macromolécules via l’élimination de molécules d’eau, comme on l’observe dans la formation des liaisons peptidique (à la base des protéines) et phosphodiester (à la base des acides ribonucléiques). Cette tendance à la polymérisation résulte de l’augmentation d’entropie qui s’y associe, en accord avec le deuxième principe de la thermodynamique. L’eau, pour la même raison (augmentation, et non diminution de l’entropie, contrairement à une idée reçue malheureusement très répandue), contribue de façon majeure à la mise en forme de ces macromolécules. Cette étape voit émerger les acides aminés et des centres catalytiques permettant la construction de métabolites plus complexes. Dans cette configuration, organisée autour du fer et du soufre (communs à la surface de la Terre), les molécules les plus importantes sont les coenzymes (nécessaires pour catalyser les réactions chimiques accélérées par les enzymes qui les contiennent), les lipides (requis pour la construction de la membrane cellulaire), et certains acides aminés. La synthèse de lipides conduit spontanément dans l’eau (à nouveau grâce à l’augmentation de l’entropie) à la formation de membranes contenant des nanoparticules minérales, composant des vésicules primitives.
Celles-ci fusionnent et se scindent continuellement, permettant à la fois la concentration locale de certains métabolites et l’exploration / partage des diverses voies métaboliques. L’atmosphère terrestre correspondante est neutre du point de vue des transferts d’électrons. Cela implique que l’ion fer est soluble dans l’eau (ce n’est plus le cas aujourd’hui en raison de la présence de l’oxygène), mais pose question pour la présence d’azote dans les molécules à squelette carboné. Il faut donc voir émerger très tôt un mécanisme de fixation de l’azote atmosphérique, gaz très peu réactif. C’est aussi le moment où le phosphate, avec les polyphosphates —minéraux très riches en énergie mais métastables dans l’eau, prend son rôle de stockage et de transfert de l’énergie chimique, permettant l’organisation dynamique du métabolisme. A cette occasion se trouve l’origine des nucléotides, riches en azote et en phosphore. Leur métabolisme actuel est très différent de ce que font les chimistes organiciens lorsqu’ils synthétisent ces molécules au laboratoire. Il met en jeu des acides aminés, générateurs de peptides, comme précurseurs. Existe-t-il des réactions contemporaines synthétisant des peptides hors de la traduction du message génétique ? Certainement, et cela se déroule autour de réactions impliquant le soufre, justement proposées comme à l’origine de la vie par le biochimiste Christian de Duve [3].
Ces réactions produisent des peptides de structures variées (souvent des antibiotiques). Elles ont plusieurs aspects archaïques : outre l’usage central de la liaison carbone-soufre, elles utilisent les deux stéréoisomères des acides aminés (on sait que la vie n’utilise plus dans les protéines que l’isomère lévogyre). Mais une observation rend cette hypothèse plus remarquable encore : l’analyse de la séquence des gènes permettant la synthèse des acides gras, constituants majeurs des lipides, montre que ce sont des enzymes de la même famille (et avec le même coenzyme) qui permettent leur synthèse (Figure 2). Nous avons là une première explication de la genèse des membranes (essentielles à la compartimentation), comme sous-produit accidentel de la synthèse des peptides…
3.2. Le monde de l’« ARN-métabolisme »
C’est alors que se met en place une deuxième étape, celle du monde de l’« ARN-métabolismeMolécules d’ARN ayant la capacité de catalyser des réactions entre divers métabolites : ce sont les ribozymes. ». Créés par l’enchaînement des ribonucléotides, les ARN se substituent progressivement aux surfaces, devenant le support rigide qui permet la modification locale de substrats variés. La famille des ancêtres des ARN de transfert, adaptateurs entre le messager et les protéines au sein du ribosome, représente la classe la plus plausible de ces substituts. De fait, le squelette de ces molécules est aujourd’hui massivement modifié par toutes sortes de métabolites et l’on rencontre de nombreux exemples de réactions où l’ARNt intervient de façon superflue, sans rapport avec la synthèse des protéines, en mémoire vivante de son rôle passé. En parallèle, les molécules d’ARN ont progressivement découvert comment, à l’instar des enzymes protéiques, catalyser les réactions entre divers métabolites, devenant des ribozymes. La formation de peptides, initialement aléatoires, apparaît ainsi comme une réaction cruciale retenue par l’ARN de ce qui allait devenir le ribosome. L’ancêtre du ribozyme ribosomique utilisait des ancêtres d’ARNt comme dispositifs de maintien des acides aminés destinés à former une liaison peptidique. La spécificité de l’enchaînement des acides aminés dans les peptides est apparue ensuite quand une matrice ARN a imposé l’ordre successif des ARNt porteurs d’acides aminés. Enfin, le repliement à trois dimensions de l’ARN, nécessaire pour la genèse des ribozymes, conduit à la découverte de la loi de complémentarité de séquence (formation d’une double hélice dont les nucléotides sont complémentaires). Et cette loi de complémentarité qui associe un ARNt particulier à une séquence de l’ARN matrice se précise peu à peu sous la forme d’une correspondance spécifique, faisant naître le codage acide aminé-nucléotides, selon la règle qui formera le code génétique.
3.3. Invention de la réplication : le monde de l’« ARN-génome »
Les vésicules contenant des molécules d’ARN codant se scindent et fusionnent de façon répétée, reproduisant et propageant des systèmes métaboliques de plus en plus efficaces ainsi que le système associé de codage des peptides. C’est une révolution qui va changer le cours des choses : un monde de l’« ARN-génomeARN réplicable, sous la forme d’une double hélice d’ARN. Selon la loi de complémentarité, une copie de l’ARN intervient comme matrice de la genèse des peptides. », fondé sur l’ARN comme matrice d’information (réplicable) va se séparer du monde de l’ARN-métabolisme. La loi de complémentarité permet en effet la formation d’une copie de l’ARN matrice de la genèse des peptides, sous la forme d’une double hélice d’ARN. L’émergence de peptides favorisant sa réplication ouvre le monde de l’ARN-génomes, où transcription de l’ARN et réplicationProcessus permettant d’obtenir deux molécules identiques à la molécule initiale. à partir d’une double hélice restent des processus qui se chevauchent. La transcription produit des matrices pour le déchiffrage du message par le protoribosome, alors que la réplication accroît le nombre des copies de cet ancêtre ARN des gènes. Cette étape conduit à la formation de vésicules contenant des ensembles d’ARN en double hélice de séquences diverses, comme on le trouve dans le génome de certains virus à ARN aujourd’hui. Cependant, ces protocellules dépendent de la synthèse régulière de ribonucléotides et polyribonucléotides, molécules chimiquement très instables. Cela impose à ce stade l’association en un même compartiment (cellule primitive) de la reproduction du monde de l’ARN-métabolisme, et de la réplication spécifique du monde de l’ARN-génome. Le monde de l’ARN-génome a donc dû découvrir le moyen de stabiliser la synthèse de ses précurseurs pour ne pas être condamné à disparaître. C’est la découverte du désoxyribose, beaucoup plus stable que le ribose, qui résout la question. Ainsi l’ADN n’apparaît que tout à la fin du processus de mémorisation des recettes de production du métabolisme, comme molécule très stable dans le temps. Cette nouvelle molécule sépare la mémoire du fonctionnement général, et les copies ADN des ARN codants vont s’y regrouper, formant les premiers chromosomes.
4. Les premières cellules
C’est ici que naissent les premières cellules. Pour en comprendre l’émergence il faut noter la façon dont des vésicules entourées d’une bicouche lipidique interagissent. Elles peuvent se scinder et fusionner, mais une propriété constante est leur capacité à s’interpénétrer, comme on l’observe aujourd’hui dans le processus de phagocytoseProcessus permettant à une cellule d’englober puis de digérer une substance ou organisme (bactérie, par exemple) étranger.. Ce processus enrichit considérablement l’évolution des systèmes métaboliques puisqu’il permet l’association dans une cellule unique de deux compartiments aux destins différents mais complémentaires. L’ancêtre des premières cellules était un phagocyte, associant un ARN-métabolisme —ancêtre du cytoplasmeMilieu intérieur des cellules. Il est constitué d’une phase riche en eau et en protéines (le cytosol) et contient des organites cellulaires (mitochondries, etc). avec la traduction du message génétique et du métabolisme intermédiaire, et un ARN-génome —ancêtre du noyauStructure cellulaire entourée d’une double membrane, l’enveloppe nucléaire, et contenant le génome nucléaire, constitué d’ADN. Siège principal de la synthèse d’ADN (lors de la réplication pour la division cellulaire) et d’ARN (pour la transcription). cellulaire (Figure 3). Par ailleurs la fragmentation du génome nucléaire —chaque fragment correspondant à un ARN métabolique ou codant une protéine, très difficile à reproduire de façon stable, va évoluer vers le regroupement des gènes au sein d’un petit nombre de chromosomesLocalisés dans le noyau des cellules, les chromosomes sont constitués d’ADN et de protéines. Support de l’information génétique, ils sont porteurs des gènes et se transmettent de génération en génération., en particulier à partir de l’émergence de l’ADN et de la séparation de son métabolisme en réplication et transcription en ARN.
Nous nous trouvons donc en face d’un ensemble de phagocytes, les protocaryotes, qui évoluent en se reproduisant et en ingérant systématiquement ce qui les entoure. Ce sont des organismes prédateurs cannibales d’assez grande taille (comme les protistes aujourd’hui), produisant des innovations métaboliques qu’ils consomment et propagent.
Cette situation est instable. En effet elle fait émerger une fonction spécifique, celle qui permet la résistance à la phagocytose. Si un organisme doué d’un métabolisme versatile trouve une structure porteuse de cette résistance, il pourra échapper au cannibalisme des organismes protocaryotes et commencer une nouvelle lignée évolutive.
Deux solutions sont possibles : entourer la cellule d’une enveloppe très difficile à ingérer, ou rendre la phagocytose impossible pour des raisons physico-chimiques. Les bactéries sont les descendantes des cellules qui ont trouvé la première solution, formant des cellules de petite taille et entourées d’une enveloppe résistante. Les archées sont celles qui ont découvert comment s’entourer d’une membrane impossible à ingérer, en utilisant pour leur enveloppe des lipides à la structure tridimensionnelle en miroir des lipides de leurs prédateurs, puis en colonisant des milieux extrêmes (Figure 4).
Ainsi l’émergence de désoxyribonucléotides stables a permis le regroupement des gènes au sein de chromosomes, tandis que la phagocytose a conduit à une évasion fondée sur une alternative métabolique à la structure des lipides membranaires et la conquête des environnements extrêmes, avec les archéesMicroorganismes unicellulaires procaryotes vivant en particulier dans des milieux extrêmes (anaérobies, à forte salinité, très chauds…). Les recherches phylogénétiques de Carl Woese et George E. Fox (1977) ont permis de différencier les archées des autres organismes procaryotes (bactéries). Actuellement, on considère que le vivant est constitué de trois groupes : les archées, les bactéries et les eucaryotes., et sur l’émergence d’une enveloppe robuste et résistante, avec les bactéries. Ensuite, au fur et à mesure que bactéries et archées miniaturisaient la cellule, les premières retrouvaient l’intérêt de la mutualisation du métabolisme, certaines d’entre elles devenant des symbiotes des protocaryotes (à la manière dont certaines bactéries forment des nodules dans les racines des plantes). La poursuite d’une évolution réductrice transformait cette symbiose jusqu’à réduire le génome bactérien à un petit ensemble de gènes, au sein des mitochondries, organites spécifiques des eucaryotesOrganismes unicellulaires ou multicellulaires dont les cellules possèdent un noyau et des organites (réticulum endoplasmique, appareil de Golgi, plastes divers, mitochondries, etc.) délimités par des membranes. Les eucaryotes sont, avec les bactéries et les archées, un des trois groupes du vivant. (lire « Symbiose et évolution »). Remarquons que ce scénario pourrait avoir la chance d’être validé expérimentalement. Ce serait le cas s’il restait quelque part un descendant direct des protocaryotes. Cet organisme hypothétique aurait la particularité d’avoir un cytoplasme et un noyau, mais pas de mitochondries (ou de traces d’organites d’origine bactérienne). Dans la mesure où, aujourd’hui, la fonction principale des mitochondries est la formation des noyaux fer-soufre essentiels à l’activité de nombreuses enzymes, il faut rechercher ces organismes dans des environnements où l’accès à ces structures est facile. Si un tel organisme existait ce serait un atout considérable pour transformer ce scénario d’une opinion en réalité scientifique.
5. Vers un scénario possible d’origine de la vie
Pour résumer, le scénario d’origine proposé (Figure 5) part du fait que les individus d’une même espèce sont tous différents. C’est pourtant un même programme (à la virgule près) qui décide de leur construction. Ce programme se transmet de génération en génération, intact (il se réplique), mais les individus ne font que se reproduire (ils ne sont que très semblables les uns aux autres). Cette distinction entre reproduction et réplication est essentielle pour comprendre ce qu’est la vie, dialogue entre l’inévitable production de variants, et le maintien au cours des générations d’un programme aussi invariant que possible.
- A l’origine des premières cellules, c’est un flux de réactions chimiques, un métabolisme primitif, qui se reproduit, engendrant toutes sortes d’heureuses mais bien trop nombreuses, erreurs. Certaines donneront naissance par la suite à la réplication exacte d’une structure associée à son fonctionnement. Le métabolisme commence dans l’eau à la surface de minéraux. Ceux-ci, à la différence de ce qui se passeraient dans une soupe primitive, aident à non seulement à ne retenir qu’une minuscule fraction de toutes les inventions chimiques centrées sur l’atome de carbone, mais aussi favorisent la polymérisation de quelques-unes de ces briques élémentaires.
- Certaines de ces briques élémentaires vont donner naissance à des molécules qui se substituent à la surface des pierres, les ARN. Un monde de l’ARN-métabolisme se développe ainsi. Il conduit alors à la découverte de la réplication de ces ARN, formant le monde de l’ARN-génomes. Ce dernier utilise l’ARN comme matrice d’information (des gènes primitifs) plutôt que comme substrat direct du métabolisme.
- Grâce à l’invention de molécules permettant de séparer un milieu intérieur de l’extérieur, les lipides membranaires, les premières cellules (protocaryotes) réunissent deux compartiments issus du monde de l’ARN-métabolisme (le cytoplasme) et du monde de l’ARN-génome (le noyau). Ce sont des phagocytes dévorant tout ce qu’elles rencontrent, et propageant ainsi très rapidement les innovations métaboliques. C’est ainsi qu’un variant de l’ARN, le célèbre ADN va permettre le regroupement des gènes au sein de chromosomes.
- Mais la phagocytose ouvre la possibilité d’une évasion fondée sur l’altération de l’enveloppe des cellules. Deux voies sont possibles. Ce sont les lipides membranaires qui permettent la phagocytose, mais ils sont dissymétriques. Les remplacer par leur image en miroir réduit ou fait disparaître la phagocytose, et ce sera l’origine des Archées. Doubler la membrane lipidique d’une structure très résistante est une autre solution, et ce sera l’origine des Bactéries. Mais les phagocytes trouveront le moyen d’ingérer quelques une de ces dernières, et ce sera l’origine des eucaryotes, dont font partie les plantes et les animaux que nous sommes.
Notes et références
Photo de couverture : Cellules HeLa © National Institutes of Health (NIH), via Wikimedia Commons
[1] Le rasoir d’Ockham : principe de raisonnement philosophique, également appelé principe de simplicité ou de parcimonie.
[2] Freeman Dyson (1986) Origins of Life, Cambridge University Press. Deuxième éd. 1999 (ISBN 0521626684)
[3] Biochimiste belge qui reçut le prix Nobel en 1974.
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Pour citer cet article : DANCHIN Antoine (29 janvier 2019), Origine des premières cellules : le point de vue de l’ingénieur, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 5 décembre 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/vivant/origine-premieres-cellules-point-de-vue-de-lingenieur/.
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