| Focus 2/2 | Pandémies virales de l’ère moderne

Covid-19 : pandémie ou syndémie ?

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1. Une pandémie, oui mais…

Figure 1. Fardeaux psychosociaux et culturels liés aux deux syndémies (HIV/SIDA-AIDS et SARS-CoV-2/Covid-19) : Dans les deux situations, l’analyse syndémique examine l’interaction des conditions (sociales), ainsi que celle des choix politiques qui les ont créées, en période de crise. Ce type de questions exige une approche qui met les décideurs politiques au défi de vraiment reconnaître comment les problèmes sociaux (logement inadéquat, bas salaires, foyers de soins de longue durée avec un personnel insuffisant) donnent lieu à des clusters de maladies et de dysfonctionnements, qui s’avèrent beaucoup plus meurtriers lorsque des virus hautement infectieux sont associés. [Source : © Schéma de l’auteur]
La Covid-19 est une authentique pandémie, au sens où il s’agit d’une épidémie à diffusion mondiale. Mais ce n’est pas une pandémie au sens où a pu l’être la peste : une maladie mortelle menaçant toute la population « à égalité ». En effet l’histoire du Covid-19 n’est pas aussi simple, et de nombreux auteurs, parmi lesquels Richard Horton rédacteur en chef du très célèbre journal médical (The Lancet), se sont accordés pour dire que le Covid-19 était avant tout une « syndémie », où les interactions entre maladie infectieuse virale, maladies non transmissibles (MNT) et âge, se potentialisent, aggravant les symptômes et le pronostic de l’infection [1]. Cette notion de syndémie signifie qu’on ne peut pas aborder sérieusement les épidémies en général, et celle-ci tout particulièrement, si on réduit l’épidémie à un événement biomédical, à un agent pathogène biologique. Le Sars-CoV-2 est un virus bien défini sur le plan biologique ; mais la Covid-19, est une maladie (c’est le « d » de « disease ») déclenchée par ce virus, à condition qu’il rencontre un terrain particulier, lui-même déterminé par des conditions sociales et environnementales.

Très tôt il est apparu que ce virus respiratoire se manifestait de manière différente suivant l’âge et les « co-morbidités ». En conséquence il est apparu légitime de s’interroger sur la pertinence du paradigme médical qui a guidé – et guide encore largement – la stratégie pour faire face à cette pandémie. Ce paradigme est celui d’une approche biomédicale, principalement portée par des modélisateurs d’épidémie, des infectiologues ou encore des réanimateurs, et des médecins spécialisés sur les fonctions atteintes (pneumologie, cardiologie, gastroentérologie,…). Ces derniers ont considéré le Covid-19 comme une urgence absolue qui devait devenir la priorité quasi-exclusive des pouvoirs publics, au détriment éventuel de tous les autres déterminants de la santé.

La notion de « syndémie » a été inventée en 1990 par l’anthropologue américain Merrill Singer [2] qui la décrit comme un « entrelacement de maladies en interactions et s’aggravant réciproquement ». Ce nouveau concept de syndémie (Syn en grec signifie « ensemble ») a été étudié aux États-Unis en explorant les interactions entre VIH-SIDA, groupes ethniques, abus de substance et violence subies dans l’enfance ou avec un partenaire [3]. Ainsi, une syndémie survient lorsque des facteurs de risque ou des comorbidités s’entremêlent et se potentialisent, exacerbant ainsi les dommages d’une maladie. Récemment le terme « syndémie » a été redéfini par Singer et al. [4] comme « l’agrégation d’au moins deux maladies ou problèmes de santé dans une population pour laquelle il existe un certain niveau d’interface biologique ou comportemental délétère qui exacerbe les effets négatifs de chacune des maladies impliquées ».

Une syndémie est donc l’émergence au niveau mondial (i) de processus ou mécanismes d’interaction des maladies entre elles, de conditions socio-environnementales en jeu et de la manière dont elles se traduisent en circonstances d’adversité. (ii) de processus ou mécanismes par lesquels les conditions socio-environnementales affectent la biologie et la psychologie (Figure 1).

Dans le contexte de la Covid-19, deux catégories de maladies interagissent au sein de populations spécifiques : (i) l’infection par le SARS-CoV-2 et (ii) un éventail de maladies non transmissibles (obésité, pathologies cardio-vasculaires et respiratoires, cancers) – auxquelles s’ajoute un facteur de risque dans notre société à l’espérance de vie qui ne cesse de croître : l’âge. En conséquence, la nature syndémique de la menace à laquelle nous sommes confrontés signifie qu’une approche plus nuancée est nécessaire si nous voulons protéger la santé de nos communautés.

Comme l’ont souligné Richard Horton et d’autres auteurs, la pandémie de Covid-19 est devenue une forme extrême de syndémie dans un contexte pandémique : une « pan-syndémie » révélant des lignes de failles sociétales, où des clusters d’inégalités, non limités à la santé, ont été mis en évidence par le virus et renforcés par la gestion de la crise sanitaire, le tout dans un contexte de prédation environnementale grandissant. Ce qu’a confirmé une étude publiée elle aussi dans le Lancet le 17 octobre 2020 : « L’interaction de la Covid-19 avec la hausse mondiale continue ces trente dernières années des maladies chroniques et de leurs facteurs de risques, dont l’obésité, l’hyperglycémie et la pollution atmosphérique, a créé les conditions d’une tempête, alimentant le nombre de morts de la Covid-19. » Et les scientifiques à l’origine de l’étude d’ajouter que « de nombreux facteurs de risques et maladies non transmissibles étudiés dans ce rapport sont associés avec un risque accru de formes graves de Covid-19, voire de décès ».

2. Quelles leçons à tirer dans le domaine de l’intervention clinique et de l’enseignement ?

Figure 2.  La Covid-19 est, avant toute chose, un fait social, qui a lui-même de multiples causes. Abréviation : CSU : Couverture Santé Universelle. [Source : © Schéma de l’auteur]
La figure 2 illustre le fait que la Covid-19 est, avant toute chose, un fait social, qui a lui-même de multiples causes et en particulier des causes environnementales. En effet, l’augmentation continue des maladies chroniques du fait de l’industrialisation de nos modes de vie décuple les conséquences délétères de l’infection qui peut être tout à fait bénigne si l’organisme n’est pas affecté par ces facteurs de comorbidité. En ce sens, la pandémie de Covid est devenue une forme extrême de syndémie où des clusters d’inégalités, non limités à la santé, ont été mis en lumière par le virus et renforcés par la gestion de la crise sanitaire, le tout dans un contexte de prédation environnementale permanent [5].

Les leçons à tirer dans le domaine de l’intervention clinique et de l’enseignement sont alors les suivantes :

  • Sur le plan des interventions vaccinales : ex. cibler la vaccination sur les plus fragiles, se déplacer en zone rurale chez les personnes âgées et les personnes moins connectées.
  • Il faut combiner un rôle moteur et de soutien aux initiatives et aux innovations biomédicales avec une volonté ferme de diminution des inégalités sociales, de la pauvreté, et un meilleur accès à l’éducation.
  • Il faut intégrer les approches modernes de modélisation dans le cadre d’une approche plurisdisciplinaires intégrant les sciences sociales et environnementales [6].
  • Prendre en compte la pluridisciplinarité dans les conseils scientifiques, au niveau des agences indépendantes dont les missions sont régies par le code de la santé publique : Santé publique France, Haute Autorité de santé (HAS) et au Haut Conseil de la santé publique (HCSP). Certains aspects ont été discutés dans le Rapport sénatorial n° 199 remis au président du Sénat le 8 décembre 2020 [7].
  • Implémenter l’approche « One Health – Une seule santé pour tous » et développer les problématiques interaction climat/ monde du vivant/ pollution ;
  • Focaliser sur le système de « santé durable » en la capacité des systèmes à anticiper et prévoir des événements disruptifs.
  • Décloisonner les enseignements pour mieux concevoir l’imbrication des pièces et chercher à savoir pourquoi une compréhension plus intégrée des conditions sanitaires et sociales était la meilleure défense contre la prochaine pandémie (qui se produira).

Pour l’OMS, la santé est un « état de complet bien-être physique, mental, social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». C’est pourquoi il importe désormais de remettre au cœur de la stratégie de gestion de la syndémie cette approche holistique de la santé, laquelle ne peut se résumer à la seule absence ou présence de Covid-19. La pandémie de Covid-19 est, bien entendu, un drame. Cependant, si nous essayons de la penser comme « syndémie », il est possible de tirer de ce drame une vérité et un horizon pour l’avenir : nos corps sont affaiblis par nos modes de vie ; plus que des politiques sanitaires de lutte contre la maladie, nous avons besoin de politique capable de développer la santé de chacun [8].

 


Notes et références

Vignette de couverture. Image par mohamed_hassan de Pixabay.

[1] Horton, R. (2020) Offline: Covid-19 is not a pandemic. Lancet 396, 874.

[2] https://en.wikipedia.org/wiki/Merrill_Singer

[3] Wilson, P. et al. (2014) “Using Syndemic Theory to Understand Vulnerability to HIV Infection among Black and Latino Men in New York City. ” Journal of Urban Health: 983-998

[4] Singer M, Bulled N, Ostrach B, Mendenhall E. (2017) Syndemics and the biosocial conception of health. The Lancet. 389:941–50.

[5] Courtin E, Vineis P. Covid-19 as a Syndemic. Front Public Health. 2021 Sep 9;9:763830. doi: 10.3389/fpubh.2021.763830. PMID: 34568273; PMCID: PMC8459739.

[6] Saltelli A. et al. (2020) Five ways to ensure that models serve society: a manifesto. Nature 582 (7813)

[7] https://www.senat.fr/rap/r21-537/r21-5371.pdf

[8] https://www.euro.who.int/__data/assets/pdf_file/0003/129675/Ottawa_Charter_F.pdf