| Focus 1/2 | Impacts de l’agriculture sur la biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes

Quels sont les grands facteurs d’impact agricole ?

PDF

1 & 2. Expansion spatiale, sélection artificielle

Figure 1. Déforestation en Amazonie, Brésil, 2016. [Source : Ibama from Brasil, CC BY 2.0, via Wikimedia Commons].
Depuis les débuts de l’agriculture au Néolithique, environ la moitié des habitats terrestres non désertiques ont été convertis en terres agricoles, dont les trois quarts en pâturages pour l’élevage d’animaux domestiques, et le quart restant -les terres les plus fertiles- en champs cultivés (e.g. Ellis et al. [1]).

L’expansion de l’agriculture sur l’ensemble des continents a eu deux grands types d’impacts sur la biodiversité :

  • Impacts écologiques et biogéographiques, sur les communautés écologiques concernées, de la conversion de forêts et autres écosystèmes anciens, dits ‘naturels’, en écosystèmes agricoles dominés par les humains (dits agroécosystèmes ou agrosystèmes). Notons que ces impacts des changements d’usage des terres comprennent ceux indirects des changements climatiques liés à la conversion de régions forestières en régions agricoles ;
  • Impacts génétiques et démographiques (démogénétiques), sur les espèces concernées, de la domestication, c’est-à-dire de la sélection dite artificielle, par les éleveurs et agriculteurs, de populations animales et végétales en vue de leur exploitation.

Si elle a ralenti puis cessé en Europe de l’Ouest et dans d’autres régions tempérées depuis un siècle, l’expansion spatiale de l’agriculture n’est pas terminée, loin de là. Associée à une intensification mondiale de l’agriculture (voir plus bas), la conversion de forêts et autres habitats (semi)naturels en champs, plantations et pâturages sévit depuis plusieurs décennies en région tropicale, au rythme actuel d’environ 5,5 millions d’hectares par an [2]. Cette dynamique d’expansion répond à l’augmentation de la demande internationale en produits agricoles destinés à de multiples usages, dont l’alimentation du bétail et la production d’agrocarburants (jointe à la piètre régulation des échanges commerciaux internationaux), ainsi qu’à la dégradation progressive des sols agricoles par érosion, pollution, salinisation, aridification, …

3. Intensification des pratiques agricoles

Depuis des siècles, des innovations techniques (abattis-brulis, invention de la charrue et du labour, de systèmes d’irrigation, du désherbage manuel, ..) ont jalonné le développement de l’agriculture dans les différentes régions, qui ont progressivement augmenté ses impacts sur la biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes. Avec la « révolution verte », dans les années 1950, un ensemble de nouvelles pratiques a décuplé les impacts régionaux de l’agriculture. Il s’agit essentiellement de :

  • L’utilisation croissante d’engrais synthétiques, pesticides et autres intrants chimiques industriels,
  • La réduction du nombre de variétés cultivées, par parcelle (monoculture) et par région (uniformisation des cultures),
  • La mécanisation-standardisation des techniques et la sophistication des machines agricoles,
  • L’accroissement de la taille des parcelles cultivées (accessibles aux machines agricoles), avec suppression des haies et bosquets,
  • L’utilisation croissante de systèmes d’irrigation et de drainage des eaux sur de grandes surfaces cultivées,
  • Toutes autres techniques impliquant le remplacement de réseaux et ‘infrastructures’ écologiques locaux (et de main d’œuvre) par des intrants industriels.

Figure 2. Bâtiment d’élevage intensif de poulets, en Floride. [Source : Larry Rana, Public domain, via Wikimedia Commons]
Au total, la mise en œuvre de ces techniques s’est traduite par une augmentation –temporaire- des rendements agricoles… au prix d’impacts majeurs sur les paysages, le fonctionnement des écosystèmes et les populations humaines (dont une forte réduction du nombre d’agriculteurs, dans les pays industrialisés) (e.g. [3] ).

Cette intensification de l’agriculture s’est accompagnée d’une intensification de l’élevage, s’appuyant notamment sur l’alimentation hors pré des animaux, à base de maïs, soja et farines importés. Ce mode d’élevage intensif implique non seulement d’amples changements d’usage de sols distants, pour la culture des plantes importées (voir plus bas), mais aussi une dégradation importante des conditions de vie des animaux domestiques, élevés en captivité sur de petites surfaces.

En outre, de nouvelles techniques d’amélioration (sic) des plantes cultivées et animaux d’élevage, telle que la transgénèse, ont été développées au service de cette intensification agricole, avec des impacts –controversés- non seulement sur les populations génétiquement manipulées et cultivées mais aussi sur d’autres populations, espèces et communautés écologiques peuplant les agrosystèmes et habitats voisins [4] .

4. Intensification des échanges

Avec l’évolution et la mondialisation des modèles de production, commerce et consommation dominants dans les pays riches, les impacts de l’agriculture ont changé de dimension. Initialement destinée à l’alimentation locale et régionale, la production agricole est aujourd’hui très largement dédiée à l’exportation [5], avec une pression croissante de consommation des pays développés et émergents en direction d’écosystèmes distants, souvent situés en région tropicale – dans des pays souvent pauvres en devises mais riches en biodiversité [6].

Selon Kinnunen et al. [5], l’agriculture locale de céréales et fourrage ne pourrait aujourd’hui à elle seule satisfaire qu’environ 30% de la demande mondiale. Cet accroissement et cette délocalisation de la demande en produits agricoles non seulement contribuent à l’expansion et intensification actuelle de l’agriculture dans les pays tropicaux, mais va de pair avec l’évolution, mondialisation et standardisation -au-delà de l’agriculture- des systèmes agroalimentaires, et donc des chaînes marchandes associées à l’agriculture, qui constituent un quatrième grand facteur d’impact.

Cela regroupe les impacts sur la biosphère de la chaîne marchande liée à la production et la transformation, au stockage et au transport, à la distribution et au recyclage, non seulement des produits agricoles plus ou moins transformés mis sur le marché, mais aussi des matériels et produits entrant dans cette chaîne marchande, qu’ils soient chimiques (engrais, pesticides, antibiotiques, hydrocarbures ‘fossiles’, agrocarburants, …), ‘physiques’ (ex : emballages en plastique) ou mécaniques (ex : machines agricoles, camions..).

Ces quatre grands facteurs d’impacts liés à l’expansion et l’intensification de l’agriculture que sont les changements d’usage des terres, l’intensification des pratiques agricoles, la sélection et manipulation génétique de populations domestiquées, et le développement-standardisation des systèmes agroalimentaires combinent leurs effets directs et indirects sur la biodiversité et les socio-écosystèmes, dans une dynamique ‘ouroborienne’ (Lire Impacts de l’agriculture sur la biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes). La part de l’agriculture dans les émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) d’origine ‘anthropique’ affectant la biodiversité, par exemple, ne renvoie pas seulement aux changements d’usage des terres pour l’agriculture (environ 7 Gt eq. CO2/an, cf. GIEC [7] ), mais aussi aux émissions de GES supplémentaires liées à la production, au transport, à l’utilisation et au recyclage des produits agricoles et nombreux ‘intrants’ chimiques, physiques et mécaniques de l’agriculture évoqués ci-dessus… dont l’évaluation n’est pas simple !

 


Notes et références

Image de couverture. Image libre de droits (https://www.uidownload.com/en/vector-mzgbd/download)

[1] Ellis E. C., A.H.W. Beusen & Klein Goldewijk, 2020. Anthropogenic Biomes: 10,000 BCE to 2015 CE. Land 9, 129, 1-19. doi:10.3390/land9050129.

[2] Keenan, R. J., G. A. Reams et al., 2015. Dynamics of Global Forest Area: Results from the FAO Global Forest Resources Assessment 2015. Forest Ecology and Management 352: 9–20.

[3] Millennium Ecosystem Assessment (MEA), 2005. Ecosystems and Human Well-being: Synthesis, Island Press, Washington DC.

[4] Graef F. et al., 2012. A framework for a european network for a systematic environmental impact assessment of genetically modified organisms. BioRisk 7: 73-97.

[5] FAO, 2020. The state of food security and nutrition in the world. Rome: Food and Agriculture Organization of the United Nations – Kinnunen P. et al., 2020. Local food crop production can fulfil demand for less than one-third of the population. Nature Food 1, 229–237. https://www.nature.com/articles/s43016-020-0060-7

[6] Cahen-Fourot L., 2020. Contemporary capitalisms and their social relation to the environment. Ecol. Economics 172, 106634.

[7] GIEC 2019. Climate and land use changes Report.