| Focus 2/2 | Impacts de l’agriculture sur la biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes

Quels Impacts de l’agriculture sur les proportions d’espèces sauvages et domestiques ?

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Schématiquement, l’expansion et surtout l’intensification de l’agriculture peuvent être vues comme une réorientation des réseaux écologiques vers la production massive de quelques espèces végétales et animales cultivées ou domestiques destinées principalement à l’alimentation humaine. L’un des effets de l’agriculture est alors de réduire la part des espèces sauvages dans la biodiversité, en biomasse.

Difficiles à chiffrer sur de longues périodes et l’ensemble des continents, les estimations d’impact de l’agriculture sur les biomasses mondiales animales et végétales sont très contrastées, selon le groupe considéré.

Figure 1. Champ de blé. La biomasse des plantes cultivées n’est qu’une fraction minime (2%) de la biomasse végétale totale, à l’échelle mondiale. [Source : Cliché © A. Teyssèdre.]
Pour les végétaux : Erb et al. [1] évaluent à 10 GtC, soit 2% environ de la biomasse mondiale actuelle des plantes terrestres (estimée à 450 Gt C), celle des céréales et autres plantes cultivées ; ils estiment par ailleurs à environ 900 Gt C la biomasse végétale terrestre préagricole. En d’autres termes, sous l’impact des activités humaines –de l’agriculture principalement, mais aussi de la sylviculture et de l’artificialisation des sols, voir plus haut-, la biomasse mondiale des plantes terrestres a diminué de moitié environ depuis le Néolithique.

Pour les mammifères et oiseaux terrestres, dont les biomasses sont très inférieures à celles des végétaux, le tableau est différent. Globalement, à l’échelle mondiale, le détournement des réseaux écologiques vers la production d’une minorité d’espèces animales et végétales ‘domestiques’, destinées à l’alimentation et d’autres usages humains, a tout à la fois :

  • réduit l’abondance (voir plus haut) et la biomasse des espèces sauvages, principalement par ‘conversion’, fragmentation et transformation/pollution de leurs habitats ;
  • augmenté -à partir de zéro- la biomasse des mammifères et oiseaux domestiques, par sélection artificielle et élevage d’espèces ‘agricoles’ dans des écosystèmes modifiés ;
  • augmenté la biomasse totale des mammifères et des oiseaux, aux dépens d’autres groupes d’organismes hétérotrophes tels qu’insectes, batraciens, annélides et champignons.

Ainsi, on peut estimer que la perte -en nombre d’individus- de 30 % des oiseaux terrestres (par opposition aux oiseaux de mer), liée à l’expansion et l’intensification de l’agriculture depuis ses débuts [2], a réduit d’environ 20% la biomasse totale des oiseaux sauvages, estimée aujourd’hui à deux millions de tonnes de Carbone (Mt C). Pendant la même période, mais surtout depuis l’invention de l’élevage intensif aux USA (dans les années 1930) et sa diffusion en Europe et ailleurs après la deuxième guerre mondiale, la biomasse des poulets et autres oiseaux de « basse-cour » a augmenté pour atteindre aujourd’hui 5 Mt C, soit près de 3 fois celle des oiseaux sauvages [3].

Figure 2. Évolution de la faune mammalienne au 20e siècle, en biomasse. [Source : Schéma A. Teyssèdre, d’après des données de V. Smil [4].]
Pour les mammifères, les dynamiques sont encore plus contrastées – même si les différentes estimations ne se recoupent pas exactement. Limitant la période étudiée au seul 20e siècle, V. Smil [4] estime que la biomasse des mammifères sauvages a été divisée par deux entre 1900 et 2000, chutant de 10 à 5 Mt C, dont 3 Mt C pour les mammifères terrestres (davantage concernés par l’agriculture). Pendant ce temps, la biomasse des grands mammifères domestiques et celle des humains ont toutes deux triplé, pour atteindre respectivement 100 Mt C et 50 Mt C en 2000 ([3], [4]). Au total, la biomasse mondiale des mammifères terrestres a presque triplé au cours du 20e siècle. Elle croît encore aujourd’hui, au détriment notamment des mammifères sauvages et au « bénéfice » discutable (voir ci-dessous) des humains et animaux domestiques, qui en 2018 constituaient ensemble 98% de la biomasse des mammifères terrestres (et 96% de la biomasse mammalienne mondiale, [3]).

L’agriculture a donc deux effets opposés sur la dynamique des mammifères et oiseaux, à l’échelle mondiale : elle accroît leur biomasse totale tout en réduisant leur diversité en nombre d’espèces (et de gènes). Quant à l’abondance des populations et communautés, en nombre d’individus, elle décroît en moyenne pour les espèces sauvages mais augmente pour les espèces domestiques, aux communautés agricoles monospécifiques.

Soulignons ici que le « bénéfice » de la croissance en biomasse des mammifères et oiseaux domestiques, relativement aux espèces sauvages, est purement numérique. Il concerne des ensembles d’êtres vivants, et peut s’appliquer à la productivité des écosystèmes, mais ne concerne en rien les animaux individuels et leur bien-être. Bien au contraire ! Les pratiques actuelles d’élevage intensif qui ont permis ces augmentations de biomasse ont considérablement dégradé les conditions de vie des poulets, veaux, porcs et autres animaux domestiques, confinés dans des bâtiments dits « agricoles » du jour de leur naissance à celui de leur abattage. (cf. https://www.ciwf.fr/ressources/).

 


Notes et références

Image de couverture. Issue de la figure 1 recadrée, libre de droits.

[1] Erb K-H et al., 2017. Unexpectedly large impact of forest management and grazing on global vegetation biomass. Nature 553:73–76.

[2] Gaston K.J., Tim M. Blackburn & Kees Klein Goldewijk, 2003. Habitat conversion and global avian biodiversity loss. Proc. R. Soc. Lond. B 270, 1293–1300. DOI 10.1098/rspb.2002.2303.

[3] Bar-On Y.M., R. Phillips & R. Milo, 2018. The biomass distribution on Earth. P.N.A.S. 115: 6506-6511.

[4] Smil V., 2011. Harvesting the Biosphere: The Human Impact. Pop. Dev. Rev. 37(4): 613-636.