| Focus 1/1 | Nourrir les plantes en polluant moins ?

Quelques pionniers de la nutrition minérale

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1. La croissance des plantes nécessite la présence d’éléments minéraux

Figure 1. Portraits de J.B. van Helmont (A), Aufgang…1683. [Source : Wellcome Collection CC BY 4.0] ; et de John Woodward (B), par William Humphrey (décédé vers 1810), [source d’après un artiste inconnu / domaine public, via Wikimedia Commons]
Diverses théories sur la nutrition des plantes avaient cours jusqu’au 17e siècle. D’une mystérieuse transmutation de l’eau en minéraux à une théorie de l’humus affirmant que les plantes prélèvent des aliments organiques dans le sol, ces théories brillaient surtout par leur absence de fondement expérimental [1]. Les premières expériences sur la croissance des plantes dans des conditions de culture contrôlées semblent dater du 17e siècle.

Jean-Baptiste Van Helmont (1579-1644), alchimiste, chimiste, physiologiste et médecin originaire des Pays-Bas (Lire Quelques pionniers de la photosynthèse), est de ces premiers expérimentateurs (Figure 1A). Il plante un saule dans une caisse en bois contenant une quantité de terre bien déterminée. Il arrose très régulièrement la plante qui se développe. Au bout de 5 ans, il pèse la terre (qui pèse pratiquement le même poids qu’au premier jour) et l’arbre, dont le poids a augmenté très fortement. Il en déduit que l’eau apportée par les arrosages contribue à la croissance des plantes [2].

Ces conclusions sont contestées par John Woodward (1665-1728), naturaliste, antiquaire et géologue anglais (Figure 1B). En 1699, Woodward publie les résultats de ses expériences de culture de menthe verte avec de l’eau plus ou moins pure [2],[3]. Il part du principe qu’en fonction de sa clarté, l’eau peut contenir plus ou moins de « matière terrestre » et même dissoudre du sel comme le nitre (autre dénomination du salpêtre) sans que cela se puisse voir. Il constate ainsi que les plantes cultivées dans les sources d’eau moins pures ont mieux poussé que celles qui étaient dans l’eau distillée [2].

Figure 2. Portraits de Nicolas-Théodore de Saussure (A) [Domaine public, via NIH] ; Jean-Baptiste Boussingault (B) [Pierre Petit / Domaine public, via Wikimedia Commons].
Une centaine d’années plus tard, dans ses Recherches chimiques sur la Végétation (1804), Nicolas-Théodore de Saussure (1767-1845), chimiste, biochimiste et botaniste suisse (Figure 2A) décrit une série d’expériences contrôlées sur l’absorption des minéraux par les racines. Il montre que les plantes ont besoin d’eau, de composés azotés et de sels minéraux pour assurer leur nutrition et leur croissance. Par ailleurs, de Saussure démontre aussi que les plantes ont besoin de gaz carbonique (Lire Quelques pionniers de la photosynthèse).

A la même époque, Jean-Baptiste Joseph Dieudonné Boussingault (1802-1887), chimiste, botaniste et agronome français, se livre à des expérimentations agronomiques dans sa propriété d’Alsace (Figure 2B). Il s’intéresse en particulier à la nutrition azotée, au rendement de la photosynthèse (Lire Quelques pionniers de la photosynthèse), et découvre plusieurs corps chimiques. Il est considéré comme le fondateur de la chimie agricole moderne [4].

2. Bases théoriques de la nutrition minérale

Figure 3. Portraits de Karl Philipp Sprengel (A) [auteur inconnu / domaine public, via Wikimedia Commons] et de Justus von Liebig (B) par Wilhelm Trautschold (1815-1877) [peinture à l’huile / domaine public, via Wikimedia Commons]
Ce n’est qu’à partir de 1830, avec le développement de la chimie agricole et de la physiologie végétale, que seront posées les véritables  bases théoriques de la nutrition  minérale. [5] Elles seront développées jusqu’à la moitié du 20e siècle par plusieurs scientifiques allemands.

Karl Philipp Sprengel (1787-1859), botaniste allemand (Figure 3A), remet en cause la théorie de l’humus. Il est le premier à formuler la théorie du minimum qui dit que la croissance d’une plante est limitée par le niveau le plus faible d’un nutriment.

Justus von Liebig (1803-1873), chimiste et agronome allemand (Figure 3B), énonce deux lois essentielles en agronomie : la loi du minimum et la loi de restitution. Ses publications [6] sont à l’origine de l’emploi des engrais chimiques et de leur industrie.

Figure 4. Portrait de Eilhard Alfred Mistcherlich à Leipzig (1950). [Photo Deutsche Fotothek‎ / CC BY-SA 3.0 DE]
A partir des travaux de von Liebig, Georg Liebscher (18531896), agronome allemand, formule la loi de l’optimum. Il a développé des outils statistiques qui furent déterminants pour analyser les essais en champ.

Eilhard Alfred Mistcherlich (1874-1956), agronome et pédologue allemand (Figure 4), complète les principes développés par von Liebig et Liebscher. La Loi de Mistcherlich (1924) énonce que l’intensité de la réponse des plantes à un facteur donné diminue progressivement et atteint un plateau lorsque le niveau des apports augmente. Elle a servi de cadre conceptuel aux recherches sur la fertilisation des cultures. Mistcherlich a été l’un des premiers à reconnaître l’importance des propriétés physico-chimiques du sol pour la croissance des cultures.

3. Milieux de culture artificiels et cultures hydroponiques

Figure 5. Portraits de Wilhelm Friedrich Pfeffer (A) ; Julius von Sachs (B) et de Wilhelm Knop (C). [Source : A : Unknown author / Public domain ; B : voir page Wikimedia Commons pour von Sachs / CC BY-SA 3.0 ; C : Archives Sächsischen Akademie der Wissenschaften zu Leipzig, domaine public]
Wilhelm Friedrich Pfeffer (1845-1920), est un physiologiste allemand (Figure 5A). Ses expériences concernant la pression osmotique ont été fondamentales pour la chimie physique moderne. Pfeffer travaille notamment avec Julius von Sachs, botaniste allemand (1832-1897 ; Figure 5B) dans le domaine de la physiologie végétale qu’ils ont grandement contribué à développer. Ils expérimentent des milieux nutritifs artificiels pour la culture des plantes. Ils développent en particulier une méthode permettant de faire pousser les plantes directement dans une solution contenant des éléments minéraux : c’est la culture hydroponique. von Sachs démontre aussi que les grains d’amidon présents dans les chloroplastes sont formés sous l’influence de la lumière (Lire Quelques pionniers de la photosynthèse).

Au même titre que Pfeffer et von Sachs, Wilhelm Knop (1817-1891), chimiste allemand (Figure 5C), a réalisé des expériences pionnières de culture de plantes dans des solutions nutritives. La solution de Knop est toujours utilisée pour réaliser des expériences sur la croissance de végétaux en laboratoire. Knop est considéré comme l’un des fondateurs de l’hydroponie.

4. Le procédé Haber-Bosch pour la synthèse d’engrais azotés

Figure 6. Portraits de Carl Bosch (A) et Fritz Haber (B). [Source : The Nobel Foundation / Domaine public]
Fritz Haber (1868-1934) et Carl Bosch (1874-1940) sont deux chimistes allemands (Figure 6), à l’origine du « procédé Haber-Bosch », procédé qui permet de convertir efficacement l’azote de l’air en ammoniac.

Haber développe un procédé de formation catalytique de l’ammoniac à partir d’hydrogène et d’azote dans des conditions de haute température et haute pression. Ce procédé révolutionnaire est à l’échelle du laboratoire. Carl Bosch, qui dirige une équipe chez BASF, va alors développer de grands conteneurs capables de supporter les pressions et les températures nécessaires à la production d’ammoniac à l’échelle industrielle. Bosch met ainsi au point la première application industrielle des travaux d’Haber : le procédé Haber-Bosch. Ce procédé servira de modèle, à la fois théorique et pratique, à tout un pan de la chimie industrielle moderne : la chimie à haute pression.

Haber a obtenu le Prix Nobel de Chimie en 1918 pour « la synthèse de l’ammoniac à partir de ses éléments » tandis que Bosch l’obtiendra en 1931 pour « le développement de méthodes chimiques à haute pression » [7].

La découverte du procédé Haber-Bosch a permis, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, de produire des engrais synthétiques [8] : l’ammoniac a permis d’augmenter de façon considérable le rendement des cultures. L’émergence de l’industrie des engrais azotés à grande échelle a ainsi complètement bouleversé les pratiques agricoles, créant une dépendance mondiale de la nutrition humaine et animale à l’égard des engrais de synthèse aux conséquences majeures sur la biosphère.

 


Références et notes

Image de couverture. Julius Von Sachs [Source Wikimedia Commons page for author (CC BY-SA 3.0)]

[1] Pol D. (2007) Histoire de la biologie Végétale, Histoire des connaissances sur la physiologie des plantes. Fondation La main à la pâte.

[2] Robin P. (1998) Horticulture sans sol : histoire et actualité. Cahiers d’Economie et de Sociologie Rurales, INRA Editions, 46-47, pp. 97-130.

[3] Pour ses expériences, Woodward utilise de l’eau seule (distillée, de source, de la Tamise ou des canalisations de Hyde Park) ou additionnée de terre, de terreau ou de nitre. (cité par Robin, ref. [1]).

[4] Boussingault rassemble ses travaux sur la chimie agricole sous le titre Agronomie, chimie agricole et physiologie, dont huit volumes sont publiés entre 1860 et 1891, très vite traduits en anglais et en allemand.

[5] En 1842, une liste de neuf éléments supposés être essentiels pour la croissance des plantes a été déterminée par Polstorff et Wiegmann (cité par Robin, ref. [2]).

[6] Justus von Liebig (1840) Die Chemie in ihrer Anwendung auf Agricultur und Physiologie. Braunschweig

[7] Carl Bosch est co-lauréat avec le chimiste allemand Friedrich Bergius du prix Nobel de chimie de 1931 «  en reconnaissance de leurs contributions à l’invention et au développement de méthodes chimiques à haute pression « .

[8] Au XIXe siècle, on a largement utilisé comme engrais le guano provenant des déjections d’oiseaux (et plus accessoirement de chauves-souris). Considéré comme une importante ressource stratégique, son exploitation fut à l’origine de conflits internationaux et de graves problèmes environnementaux.

 


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