Événements météorologiques extrêmes et changement climatique

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Comment évoluent les événements météorologiques extrêmes avec le changement climatique ? Deviennent-ils plus fréquents ? Plus intenses ? Est-ce la faute de l’Homme ? Cet article dresse un état des connaissances scientifiques sur ce sujet. L’évolution récente et future des extrêmes de température, extrêmes hydrologiques, cyclones tropicaux et tempêtes extra-tropicales est discutée, en détaillant les incertitudes liées à la variabilité naturelle du climat et à la modélisation numérique. Le changement climatique modifie déjà et va continuer à modifier les probabilités associées aux aléas météorologiques, rendant certains phénomènes extrêmes plus fréquents et/ou intenses, et d’autres moins. Pour autant, il ne faut pas vouloir tenir l’homme comme seul responsable de tel ou tel événement météorologique, mais plutôt se demander, en termes probabilistes, comment il a modifié le risque que l’événement survienne.

1. Un lien difficile entre météo et climat

Canicules, vagues de froid, pluies torrentielles, sécheresses, cyclones, tempêtes et autres événements météorologiques extrêmes alimentent régulièrement l’actualité, notamment en raison de leurs impacts considérables sur les sociétés et l’environnement. La question du lien entre l’occurrence de tels événements et le changement climatique est légitimement posée aux scientifiques, et fait l’objet d’un travail croissant. La réponse n’est pas toujours triviale, d’autant que la médiatisation de plus en plus systématique de ces phénomènes et la vulnérabilité parfois accrue des populations à l’aléa météorologique peuvent donner une fausse impression sur les tendances climatiques.

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Figure 1. Scénarios d’évolution de la température moyenne globale (en ºC) basés sur les 4 trajectoires de concentration en gaz à effet de serre (RCP). La référence zéro est la moyenne sur la fin du 20e siècle (1986-2005). L’incertitude autour de chaque courbe comprend le choix du modèle de climat et l’aléa météorologique. Le nombre de simulations utilisées sur chaque scénario et chaque période est indiqué. (Source : Figure SPM7 du 5e rapport du GIEC, réf [1]).
Dans le contexte du changement climatique d’origine anthropique, l’enjeu scientifique est double : isoler l’empreinte de l’homme dans les événements observés d’une part, et prévoir les évolutions en climat plus chaud d’autre part. Ce second point est étudié à partir de simulations numériques du climat futur, ou « projections climatiques » (Figure 1, [1]). Les projections actuellement utilisées considèrent quatre trajectoires possibles de la concentration des gaz à effet de serre pour le 21e siècle (« Radiative Concentration Pathways », RCP), associés à différents scénarios socio-économiques d’émissions de ces gaz à effet de serre. Avec le scénario bas RCP2.6, la surface de la Terre se réchauffe de 1ºC (± 0,7) au cours du 21e siècle (soit de 1,6ºC par rapport à la période pré-industrielle) ; avec le scénario haut RCP8.5 de 3,7ºC (± 1,1), soit de 4,3ºC par rapport à la période pré-industrielle.

L’étude de l’évolution récente ou future des événements météorologiques extrêmes se fait généralement par type d’événement. Ainsi cet article s’intéressera successivement aux extrêmes de température, aux extrêmes hydrologiques, aux cyclones tropicaux (terme générique incluant ouragans et typhons) et aux tempêtes extra-tropicales. Nous verrons que plusieurs études montrent que des changements sont déjà perceptibles dans la fréquence et/ou l’intensité de certains types d’événements extrêmes, et que d’autres pourraient apparaître ou se renforcer au cours du 21e siècle. Ces résultats qualitativement robustes ne doivent pas masquer deux difficultés majeures de l’étude des événements extrêmes :

  • La première tient au rôle prépondérant de la variabilité climatique naturelle dans ces phénomènes, ce qui tend à brouiller le signal anthropique et nécessite de disposer d’observations de qualité et/ou d’un grand nombre de simulations pour être capable de détecter des changements.
  • La seconde tient au caractère imparfait des modèles de climat, d’où la nécessité de poursuivre leur développement et leur évaluation et de s’appuyer sur une multiplicité de modèles aussi indépendants que possible.

2. Extrêmes de température

Le réchauffement global observé depuis plus d’un siècle n’affecte pas seulement la moyenne des températures, mais bien l’ensemble de leur distribution statistique, c’est-à-dire toute la gamme des températures possibles en un lieu et un instant. Aux extrémités de cette distribution se trouvent les événements les plus rares — les extrêmes froids et chauds — dont l’occurrence s’accompagne généralement d’impacts socio-environnementaux importants. On définit traditionnellement les extrêmes par rapport à leur fréquence d’occurrence, soit, en termes statistiques, par les quantiles de leur distribution. Par exemple il est d’usage de qualifier un jour d’anormalement chaud quand sa température se situe dans les 10 % les plus élevées des valeurs attendues pour ce jour (on dit ainsi qu’elle « excède le 90e centile -ou 9e décile- de la distribution »). Par construction, sur la période utilisée comme référence, il y a donc 10 % des jours qui sont considérés comme anormalement chauds. On utilise une définition symétrique pour les jours anormalement froids, et on tient généralement compte du cycle saisonnier des températures, si bien que l’on peut parler de jours chauds en hiver ou de jours froids en été. Pour étudier l’évolution de ces extrêmes, on considère soit l’évolution de leur fréquence (nombre de jours en deçà ou au-delà du décile actuel de température), soit l’évolution de leur intensité, définie par exemple comme la température moyenne des 10% de jours extrêmes.

2.1. Occurrence des jours extrêmes

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Figure 2. En haut : distribution de la température estivale (moyenne juin-juillet-août) en France métropolitaine sur la période 1900-2018 (données Météo-France). Chaque ligne verticale correspond à un été : l’axe inférieur donne leur température (en °C), l’axe supérieur l’anomalie de cette température par rapport à la moyenne sur toute la période (en °C). Les étés extrêmes froids et chauds, i.e. appartenant respectivement au premier et au dernier déciles de la distribution, sont surlignés, notamment les canicules de 2003 et 2018. La courbe noire est la distribution gaussienne la plus proche des données. En bas : représentation schématique d’un changement futur de cette distribution, qui suivrait une simple translation (réchauffement homogène de la courbe noire à la courbe rouge). Pour l’illustration le climat futur est pris comme un climat pour lequel l’été 2003 serait devenu la moyenne (cf. nouvel axe supérieur). [Source : © Julien Cattiaux]
Dans un climat qui se réchauffe, toute la distribution de température se décale vers le chaud selon, au premier ordre, une translation (Figure 2). Selon la définition utilisée pour les extrêmes, on s’attend à ce que les extrêmes froids deviennent moins fréquents et les extrêmes chauds plus fréquents (à seuil de température fixé), ou bien à ce que les extrêmes froids deviennent moins froids et les extrêmes chauds plus chauds (à seuil de fréquence fixé). Et c’est bien ce qu’on observe.

Figure 3. Évolution observée de la fréquence annuelle de jours anormalement chauds (haut) et anormalement froids (bas) en moyenne sur le globe (continents uniquement). On raisonne à seuil de température fixé (premier et dernier déciles de la distribution de référence 1961-1990). Les courbes sont centrées sur la période 1961-1990 et issues de 3 jeux de données (couleurs). [Source : Adapté de la Figure 2.32 du 5e rapport du GIEC, réf. [1].
A l’échelle globale, on mesure une hausse significative du nombre de jours anormalement chauds depuis 1950 (Figure 3, [1]), avec des jours chauds plus fréquents pendant les décennies 1990 et 2000 qu’avant. Symétriquement, on mesure une baisse du nombre de jours anormalement froids. En parallèle, on observe une tendance globale à battre davantage de records quotidiens et mensuels chauds que froids. Ces résultats se déclinent aux échelles régionales, notamment en Europe.

2.2. Vagues de chaleur et de froid

Au-delà des statistiques quotidiennes, les vagues de chaleur — plusieurs jours chauds consécutifs — ont tendance à être plus fréquentes, plus intenses et/ou plus longues, tandis que le nombre de vagues de froid a substantiellement diminué depuis 1950. Si les canicules récentes, comme par exemple celle d’août 2003 en Europe de l’Ouest, correspondent qualitativement à ce que l’on attend d’un climat plus chaud, les quelques récentes vagues de froid hivernales observées en Europe (hiver 2009/10, décembre 2010, février 2012) pourraient sembler contredire l’idée de réchauffement.

Il n’y a en réalité pas de paradoxe dans le fait que des épisodes froids puissent se produire localement et ponctuellement dans un contexte de réchauffement global et de long terme : c’est toute la différence entre l’aléa météorologique et une tendance climatique.

Le réchauffement est un processus de fond, qui se superpose au bruit de la variabilité interne naturelle du système climatique [Lire Variabilité climatique : l’exemple de l’oscillation nord-atlantique]. Cette variabilité peut continuer de provoquer des événements météorologiques froids, mais on s’attend à ce que ces épisodes soient rendus moins fréquents et/ou moins intenses par le réchauffement climatique [Lire focus Attribution d’événements météorologiques singuliers au changement climatique : la canicule de 2003]. Une fois encore, c’est bien ce que l’on observe : la fraîcheur des vagues de froid récentes n’est en effet que toute relative par rapport aux hivers glaciaux de 1939/40 et 1962/63, pourtant analogues du point de vue de la circulation atmosphérique.

Enfin, il n’est pas exclu que le réchauffement des dernières années, qui a été particulièrement marqué en Arctique, ait pu perturber temporairement la circulation des masses d’air à nos latitudes, et augmenter la probabilité d’occurrence de situations météorologiques produisant des vagues de froid sur l’Europe. Ce point reste néanmoins encore très débattu au sein de la communauté scientifique.

2.3. Évolutions au cours du 21e siècle

Quel que soit le scénario envisagé, le réchauffement global se poursuit — plus ou moins fortement — au cours du 21e siècle. Ainsi, sans surprise, les tendances des extrêmes de température observés sur la période récente se confirment dans les projections climatiques : extrêmes chauds de plus en plus fréquents et intenses, et extrêmes froids de plus en plus rares, et de moins en moins marqués. L’amplitude de ces changements est cependant largement dépendante du choix du scénario d’émission de gaz à effet de serre. Elle varie également d’un modèle à l’autre à scénario donné et reste fortement modulée par la variabilité interne du climat.

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Figure 4. Projections futures de la fréquence annuelle de jours anormalement chauds (gauche) et anormalement froids (droite), selon 3 scenarii. La fréquence vaut par définition 10 % sur la période de référence 1961-1990. (Source : Figure WGI-AT9 du 5e rapport du GIEC [1]).
En moyenne sur les différents modèles de climat, et aux échelles globale et annuelle, la probabilité d’observer une température quotidienne supérieure au 90e centile actuel passe ainsi de 10 % en climat actuel (un jour sur dix, par construction) à 25 % (un jour sur quatre) en scénario RCP2.6, voire 60 % (plus d’un jour sur deux) en scénario RCP8.5, d’ici 2100. A l’inverse, la fréquence de jours anormalement froids tombe à 4 % en RCP2.6 et 1 % en RCP8.5 (Figure 4). Cette évolution se répercute sur les événements très rares : par exemple un événement chaud qui se produit en moyenne tous les 20 ans en climat actuel — on parle alors de durée de retour égale à 20 ans — se produirait en moyenne une année sur deux d’ici 2100 en RCP8.5. Dans ce même scénario, son symétrique froid voit sa durée de retour passer de 20 ans à plus d’un siècle. Malgré ces tendances, la survenue d’extrêmes froids reste toujours possible. Même en scénario fort, il faut s’attendre à battre localement certains records froids au 21e siècle, mais bien moins fréquemment que les records chauds. À titre d’exemple, aux États-Unis, le ratio entre l’occurrence de records chauds et l’occurrence de records froids est actuellement de 2/1 : il est estimé à 20/1 autour de 2050 et 50/1 en 2100 en scénario modéré.

En plus des incertitudes liées au choix du scénario et à la variabilité interne du climat, l’évolution future des extrêmes de température est sensible au choix du modèle numérique de climat, en particulier aux échelles régionales et saisonnières. En Europe, en scénario RCP8.5, la probabilité de dépasser le 90e centile (ou 9e décile) actuel de température estivale — qui vaut par construction 10 % sur le climat présent — s’échelonne ainsi de 30 à 90 % selon le modèle en moyenne sur les étés futurs 2070-2100.

Ces incertitudes se reportent sur les caractéristiques des événements multi-jours. Par exemple, bien que les projections futures s’accordent sur l’augmentation de la fréquence, de l’intensité et de la durée des canicules estivales européennes, leur évolution d’ici 2100 peut varier du simple au triple, à scénario donné, selon le modèle numérique considéré.

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Figure 5. Représentation schématique d’un changement de la distribution de température estivale, en France, qui suivrait, en plus d’une simple translation (réchauffement, du noir au rouge, cf. Fig. 2), un étalement (augmentation de la variabilité, du noir au bleu). Dans ce cas, la probabilité des extrêmes chauds augmente davantage. Même légende que la figure 2. [Source : © Julien Cattiaux]
Enfin, si les changements dans les extrêmes de température dépendent en premier lieu de l’amplitude du réchauffement moyen (décalage de la distribution), ils sont modulés par les changements de variabilité (forme et étalement de la distribution, voir Figure 5). En Europe, les projections futures suggèrent une faible augmentation de la variabilité en été, ce qui rend encore plus probables les extrêmes chauds, et une faible réduction en hiver, ce qui rend encore moins probables les extrêmes froids. Ces comportements sont respectivement liés à un assèchement des sols en été et une diminution de la couverture neigeuse en hiver.

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Figure 6. a) Écart à la normale 1961-1990 de la température estivale (juin, juillet, août) en Europe (rectangle bleu sur la carte) pour les observations (courbe noire), les simulations historiques (31 simulations de modèles, bleu) et les simulations futures en scénario RCP2.6 (18 simulations de modèles, vert) et RCP8.5 (28 simulations de modèles, rouge). Les moyennes sont indiquées par des traits plus épais. L’anomalie observée en 2003 (2.8 °C, marquée par une étoile et le seuil tireté) devient froide en RCP8.5 dès 2040, mais reste chaude en RCP2.6 jusqu’en 2100. b) Température quotidienne de l’été 2003 (ronds noirs) moyennée sur le centre de la France (rectangle hachuré rouge sur la carte), comparée à la normale 1961-1990 observée (courbe en noir épaisse) et à la distribution des centiles en 2070-2099 sur toutes les simulations RCP8.5 (zone bleue délimitée par les premier et dixième centiles pour les jours froids, zone rouge par les 90e et 99e centiles pour les jours chauds, voir échelle de droite). Les jours de début août 2003 restent des jours chauds en fin de siècle, même dans ce scénario (le plus fort). (Source : Figure de Boucher et al., réf. [2]).
L’été caniculaire de 2003 est-il un prototype des étés européens du 21e siècle ? A l’échelle de l’Europe de l’Ouest et de la saison estivale, la canicule de 2003 présente une anomalie de température avoisinant les 3°C par rapport aux normales 1961-1990 : un tel été correspond à un été moyen de la décennie 2040 et devient même un extrême froid en 2100, selon le scénario RCP8.5 (Figure 6a, [2]). Il demeure cependant un été anormalement chaud jusqu’en 2100 dans le scénario RCP2.6. Par ailleurs, à une échelle plus ponctuelle (quelques jours) et locale (en France), les jours les plus chauds d’août 2003 restent anormalement chauds même en 2100 en scénario RCP8.5 (Figure 6b, [2]). La réponse dépend donc du scénario et de l’échelle spatio-temporelle considérés.

3. Extrêmes hydrologiques

Au-delà des températures, l’accroissement de l’effet de serre est susceptible de perturber le cycle hydrologique global (échanges d’eau entre l’atmosphère, l’océan et les continents ; lire Risquons-nous d’avoir une pénurie d’eau ?) et ses événements extrêmes (fortes précipitations et sécheresses notamment), et ce pour plusieurs raisons :

  • D’une part, le réchauffement en surface favorise l’évaporation, notamment dans les régions non limitées en eau (océans et continents humides).
  • D’autre part, conformément à la relation de Clausius-Clapeyron (Lire Thermodynamique d’une parcelle d’air ascendante dans un cumulonimbus), une atmosphère plus chaude voit son contenu maximal de vapeur d’eau s’accroître d’environ 7 % par degré de réchauffement, ce qui permet potentiellement de mobiliser un réservoir atmosphérique d’eau plus important en climat chaud lorsque les conditions météorologiques sont favorables aux précipitations.
  • Enfin, les régimes de pluies peuvent être impactés par d’éventuels changements de la circulation atmosphérique puisque c’est cette circulation qui transporte l’essentiel de la vapeur d’eau qui va contribuer aux précipitations en un lieu donné.

La réponse des extrêmes hydrologiques est cependant particulièrement difficile à appréhender en raison de son hétérogénéité spatio-temporelle et de l’influence directe (hors changement climatique) de l’homme sur les écoulements et les stocks d’eau continentaux.

Au vu des observations in situ disponibles, on constate d’ores et déjà une augmentation en nombre et/ou en intensité des fortes précipitations dans certaines régions du globe, notamment l’Europe et l’Amérique du Nord où l’on dispose de séries de mesures relativement longues. A l’échelle de la France, aucune évaluation systématique des tendances de précipitations extrêmes n’est encore disponible.

3.1. Épisodes « méditerranéens » ou « cévenols »

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Figure 7. Illustration d’un épisode de pluie méditerranéen [Source : © Météo-France].
En présence d’un régime de vents de Sud à Sud-Est très humides, les épisodes «  méditerranéens » ou « cévenols » observés dans le sud-est de la France correspondent aux événements de précipitations les plus forts en métropole (Figure 7). Ils font l’objet d’une attention particulière et quelques études suggèrent une intensification récente de ces événements. Il est en revanche plus difficile de traduire ces changements en termes d’inondations, ces dernières étant fortement sujettes à l’anthropisation croissante (ex : urbanisation, déforestation, agriculture) de nombreux bassins versants (ce qui est encore plus vrai à l’échelle du globe).

3.2. Sécheresses

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Figure 8. Pourcentage du territoire métropolitain français touché par la sécheresse agricole chaque année. Le critère utilisé est le premier décile d’humidité du sol sur la période 1961-1990, à partir de données de ré-analyses. [Source : © Météo France, Résultat du projet ClimSec, voir Réf. [3].
Les sécheresses relèvent d’un déficit hydrique plus ou moins persistant. Pour les caractériser on distingue couramment différents indicateurs : météorologiques (précipitations), hydrologiques (débits des rivières, niveau des lacs ou aquifères), et agricoles (humidité du sol ou état de la végétation). Les sécheresses météorologiques sont les plus aisées à qualifier et montrent des tendances disparates d’une région à l’autre, parfois largement influencée par la variabilité climatique naturelle (au Sahel ou plus récemment en Californie par exemple). L’évolution récente des sécheresses agricoles est plus délicate à évaluer en l’absence d’un réseau global de mesures in situ et malgré les progrès de l’observation spatiale. Une alternative consiste à simuler l’évolution du contenu en eau des sols en réponse à la variabilité observée des paramètres météorologiques. Cette méthode mise en œuvre par Météo-France sur le territoire métropolitain montre un allongement des sécheresses des sols sur plusieurs régions depuis 1958 (Figure 8), notamment dans les régions Méditerranéennes mais aussi dans l’Ouest de la France [3].

3.3. Changements hydrologiques futurs à l’échelle globale

Les projections futures suggèrent certains changements robustes sur le plan qualitatif, notamment l’accentuation des contrastes spatio-temporels de précipitations à l’échelle du globe, souvent résumée par la formule anglaise « wet get wetter, dry get drier ». Si cette formule lapidaire fait encore l’objet de débats au sein de la communauté scientifique, l’assèchement du bassin Méditerranéen et plus généralement une expansion vers les pôles des zones arides et semi-arides semblent inéluctables. On s’attend ainsi à un accroissement du contraste entre le Nord (plus humide) et le Sud (plus sec) de l’Europe et certains travaux récents suggèrent même une sous-estimation de l’assèchement estival des moyennes latitudes de l’hémisphère Nord par la plupart des modèles numériques de climat.

Ces modèles indiquent par ailleurs une intensification relativement généralisée des épisodes de fortes précipitations en réponse au réchauffement global, y compris dans des régions qui subiront en moyenne un assèchement. Les exceptions à cette augmentation des pluies extrêmes se trouvent principalement dans les régions subtropicales. Dans les simulations, cette intensification des fortes précipitations est d’autant plus marquée que le scénario d’augmentation des concentrations de gaz à effet de serre est fort. Également, plus on réduit la période d’analyse du cumul des précipitations (cumuls quotidiens à horaires), plus on constate dans les projections un renforcement de la fréquence et de l’intensité des fortes précipitations. Cette intensification se produit à un rythme qui excède parfois le taux de 7 % par degré de réchauffement moyen prévu et observé pour la vapeur d’eau atmosphérique. Il faut néanmoins considérer avec prudence ces résultats numériques en raison de la résolution horizontale limitée de la plupart des modèles et de leur représentation simplifiée des processus associés à ces phénomènes extrêmes.

L’intensification du cycle hydrologique attendue en climat plus chaud se traduit également par un risque accru de sécheresse dans de nombreuses régions du globe, y compris certaines où la moyenne annuelle des précipitations augmente pourtant au cours du 21e siècle. Cela est dû à la fois à un renforcement de la variabilité temporelle des précipitations (augmentation du nombre de jours consécutifs sans pluie) et à un accroissement de l’évapotranspiration (évaporation des surfaces continentales et transpiration des plantes vers l’atmosphère). En résumé, le réchauffement climatique affecte donc les deux extrémités de la distribution des précipitations, rendant plus probables à la fois les événements de pluie intense et les épisodes de sécheresse.

Les climats de type méditerranéen (pourtour de la Méditerranée, mais aussi certaines régions d’Australie, d’Afrique du Sud, ou d’Amérique) sont susceptibles d’être particulièrement touchés par ces changements hydrologiques, tandis que plus généralement, un décalage vers les moyennes latitudes des zones arides est attendu. Bien que trop simplificateur, le paradigme « rich get richer, poor get poorer » traduit ainsi un renforcement prévisible des inégalités de l’offre climatique en eau. A l’échelle de la France, on s’attend en particulier à une diminution de la quantité d’eau disponible dans le sol, ainsi qu’à une baisse des niveaux bas (d’étiage) de la plupart des cours d’eau.

4. Cyclones tropicaux

Les cyclones tropicaux, appelés aussi ouragans (dans l’Atlantique) ou typhons (dans le Pacifique), sont les événements météorologiques de loin les plus dévastateurs, de par leur puissance, et par la population touchée (Lire Cyclones tropicaux : développement et organisation et Cyclones tropicaux : impacts et risques). Ce n’est que depuis les années 1970 qu’une observation systématique des cyclones a pu être réalisée avec l’avènement des satellites. Ainsi, toute tendance estimée sur l’ensemble du 20e siècle est sujette à caution (Figure 9).

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Figure 9. Nombre annuel de cyclones tropicaux ou ouragans dans l’Atlantique (catégories 1 à 5 sur l’échelle de Saffir-Simpson), et des ouragans les plus forts (catégories 3 à 5 sur la même échelle). Données de la Division de recherches sur les ouragans de l’Administration fédérale américaine pour l’océan et l’atmosphère (NOAA). [Source : © Gilles Delaygue (UGA)]
De plus, les cyclones observés sont sensibles à la variabilité climatique naturelle qui s’exprime sur les bassins océaniques concernés. Ainsi, le calme relatif de l’activité cyclonique sur le bassin Atlantique au cours des années 1970-1980 est-il probablement lié à une phase froide de l’Oscillation Atlantique multi-décennale (AMO) qui a également contribué aux grandes sécheresses au Sahel à cette époque. Ce mode de variabilité correspond à une oscillation des anomalies de température de surface de la mer dans l’Atlantique Nord à une échelle de plusieurs décennies . Les décennies qui ont suivi ont été marquées par une activité cyclonique plus importante en Atlantique mais qu’il est difficile de comparer à la précédente phase positive de l’AMO faute de données de qualité, notamment satellitaires. Ainsi, il n’est pas simple de calculer des tendances à long terme de l’activité cyclonique tropicale sur les observations passées. Certaines études ont tenté de mettre en évidence des tendances à la hausse des cyclones les plus intenses au cours des 40 dernières années mais elles n’ont guère fait l’unanimité dans la communauté scientifique.

La modélisation des cyclones tropicaux se heurte à la difficulté de représenter ces phénomènes dans les modèles numériques de climat. En effet, leur taille réduite (de quelques dizaines à plusieurs centaines de kilomètres) impose d’avoir recours à des simulations climatiques sur des grilles de calcul très fines (de l’ordre de 50 km) afin de les représenter de manière réaliste. On peut imaginer la grille d’un modèle comme un réseau de points dont la distance entre chacun limite la taille du plus petit phénomène qu’on peut simuler.

Malgré cette limitation de leur simulation, les travaux réalisés à ce jour convergent sur la tendance de l’activité cyclonique pour la fin du 21e siècle. Ainsi, les modèles de climat suggèrent que le nombre total de cyclones tropicaux resterait stable voire diminuerait en climat plus chaud, car les conditions propices à leur déclenchement deviendraient un peu plus rares. En revanche, une fois déclenchés, les cyclones tirent leur énergie du contenu de chaleur sur les 50 premiers mètres de l’océan de surface. Dans un monde plus chaud, les cyclones les plus forts verraient donc leur intensité augmenter : vents maxima plus forts, et pluies associées plus intenses. Le cyclone Irma qui a touché les îles de Barbuda, Saint-Martin et Saint-Barthélemy en 2017 au stade de cyclone de catégorie 5 (Image de couverture), est un bon exemple de ces cyclones les plus intenses dont la probabilité d’occurrence devrait augmenter avec le réchauffement du bassin Atlantique. Les travaux les plus récents font également état d’une possible extension vers les pôles (au-delà des tropiques) des régions touchées par les cyclones tropicaux.

Il faut également garder à l’esprit que les dégâts engendrés par les cyclones ne dépendent pas uniquement de leurs caractéristiques intrinsèques (intensité, trajectoire, etc.), mais également des phénomènes associés, comme les surcotes. L’élévation du niveau des mers observée, et projetée pour le 21e siècle, rend ainsi les régions côtières de plus en plus vulnérables aux phénomènes cycloniques par submersion, à l’instar de celle provoquée par le cyclone Pam en 2015 au Vanuatu. Par ailleurs, une tendance qui semble être bien marquée dans les projections climatiques concerne l’intensité des pluies associées aux phénomènes cycloniques. Celles-ci accusent une nette augmentation dans les modèles pour la fin du 21e siècle et ce parfois au-delà du taux de 7 % par degré de réchauffement suggéré par la formule de Clausius-Clapeyron. Ce dernier aspect des cyclones tropicaux revêt une importance particulière dans un contexte où les villes côtières se densifient et deviennent ainsi plus vulnérables aux risques d’inondations. Récemment le cyclone Harvey (17 août au 2 sept. 2017) a illustré de manière dramatique les effets d’une forte pluie cumulée sur la durée de vie du système, aggravés par la stagnation du système au-dessus de la ville de Houston.

5. Tempêtes extra-tropicales

Les tempêtes — et plus généralement la circulation atmosphérique — des moyennes latitudes sont liées à la différence de température entre l’équateur et les pôles (Lire La circulation atmosphérique : son organisation). Leur évolution récente et future dépend donc des contrastes méridiens du réchauffement global. Dans l’hémisphère Nord, à la surface, la fonte récente et projetée de la banquise arctique se traduit par un réchauffement plus marqué au pôle, ce qui réduit le gradient de température entre le pôle et l’équateur. Mais à l’inverse, au sommet de la troposphère (environ 10 km d’altitude), le réchauffement culmine sous les tropiques, ce qui renforce ce même gradient. L’évolution de la dynamique atmosphérique des moyennes latitudes, dont dépressions et tempêtes, dépend donc de la compétition du réchauffement entre ces deux régions, haute troposphère tropicale contre basse troposphère arctique. D’autres facteurs plus régionaux, tels que la répartition du réchauffement sur l’Atlantique Nord, peuvent également moduler l’évolution des dépressions sur l’Europe. Si l’on ajoute à cela la grande variabilité naturelle du système climatique à ces latitudes (Lire Modes de variabilité climatique), et le fait que seule une fraction des dépressions évolue en véritables tempêtes, on peut comprendre que l’effet du réchauffement global sur ces phénomènes reste très incertain dans l’état actuel des connaissances.

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Figure 10. Projections du changement de fréquence des tempêtes hivernales de l’hémisphère nord (gauche) et sud (droite), entre le climat présent 1986-2005 et le climat futur 2081-2100 en scénario RCP8.5. Dans l’hémisphère sud, les modèles prévoient une diminution aux latitudes moyennes et une augmentation aux plus hautes latitudes : cela traduit un décalage des trajectoires des tempêtes vers le pôle sud. Dans l’hémisphère nord, ce signal est moins clair, car contrebalancé par le réchauffement particulièrement intense en surface en Arctique. Les régions pointillées sont celles où les 29 modèles utilisés s’accordent sur le signe du changement. [Source : Adapté de la Figure 12.20 du 5e rapport du GIEC.]
Des études basées sur les observations et les ré-analyses atmosphériques ont néanmoins mis en évidence une tendance à l’augmentation du nombre de tempêtes sur les pays scandinaves au cours du 20e siècle. Pour le reste des régions, notamment la France, aucune tendance fiable n’a pu être mise en évidence par le passé. Dans les scénarios du 21e siècle, si une majorité de modèles numériques semblent pencher pour un décalage vers les pôles de l’activité des dépressions de moyennes latitudes (surtout dans l’hémisphère sud) (Figure 10), cette tendance est encore à prendre avec précaution du fait de la complexité des phénomènes mis en jeu. Il est donc encore un peu tôt pour tirer des conclusions sur l’influence du réchauffement anthropique sur les tempêtes extra-tropicales. On peut toutefois s’attendre à ce que les précipitations associées soient plus abondantes, en raison de l’humidification des masses d’air et en accord avec la relation de Clausius-Clapeyron déjà évoquée précédemment.

6. Des phénomènes extrêmes plus fréquents ou plus intenses

L’étude des événements météorologiques extrêmes représente un enjeu à la fois scientifique et sociétal majeur. Le changement climatique modifie déjà et va continuer à modifier les probabilités associées aux aléas météorologiques. Mais ces modifications ne vont pas systématiquement dans le même sens, comme certains messages trop simplificateurs, alarmistes ou climatosceptiques, le laissent parfois entendre. Ainsi, si le réchauffement global rend certains phénomènes extrêmes plus fréquents et/ou intenses (canicules, épisodes de pluies intenses, sécheresses), d’autres sont à l’inverse rendus moins probables (vagues de froid). Le message scientifique peut même être plus compliqué :

  • Pour les cyclones, l’état des connaissances suggère une faible diminution du nombre total mais une augmentation du nombre de cyclones des catégories les plus fortes.
  • Quant aux tempêtes des moyennes latitudes, leur évolution avec le changement climatique reste encore largement incertaine (ce qui ne signifie pas « incomprise »).

Au-delà des connaissances déjà acquises, de nombreuses questions scientifiques demeurent. Le Programme mondial de recherche sur le climat en a d’ailleurs fait l’une de ses priorités pour la prochaine décennie. Ce défi revêt de multiples dimensions telles que la mise en place, l’exploitation et/ou l’homogénéisation du réseau d’observations, l’amélioration des modèles numériques de climat et l’évaluation de leur capacité à simuler les événements extrêmes, le développement d’outils statistiques permettant de détecter, attribuer et comprendre leur évolution climatique, et la recherche sur leur prévisibilité à différentes échéances (saison, décennie, etc.).

Enfin, répétons que ce n’est pas parce que l’on s’attend à ce que le changement climatique affecte les événements météorologiques extrêmes qu’il faut systématiquement l’incriminer lorsqu’un épisode survient. Plus précisément, il ne faut pas vouloir tenir l’homme comme seul responsable de tel ou tel événement météorologique, mais plutôt se demander, en termes probabilistes, comment il a modifié le risque que l’événement survienne.

7. Messages à retenir

  • Le changement climatique anthropique modifie déjà et va continuer à modifier la probabilité des aléas météorologiques.
  • La plupart des phénomènes extrêmes (e.g. canicules, fortes pluies, cyclones) sont rendus plus fréquents et/ou intenses,  certains deviennent moins probables (e.g. vagues de froid), tandis que pour d’autres, les signaux sont contrastés (e.g. tempêtes).
  • L’Homme ne peut être tenu pour seul responsable de tel ou tel événement observé ; en revanche on peut estimer comment il a modifié la probabilité que l’événement survienne.
  • La variabilité climatique et l’hétérogénéité des données historiques compliquent la détection de tendances dans les observations.
  • L’amélioration des outils de modélisation numérique du climat permettra de réduire les incertitudes associées à l’évolution future des événements extrêmes.

Notes et références

Image de couverture. L’ouragan Irma sur les Petites Antilles (6 sept. 2017) [Source : © NASA/Goddard Space Flight Center Earth Science Data and Information System (ESDIS) project.]

[1]  Groupe d’experts intergouvernemental sur l’étude du climat (Giec), 2013, Cinquième rapport d’évaluation, les éléments scientifiques, contribution du groupe de travail I (http://ipcc.ch/report/ar5/wg1/).

[2]  Boucher et al. (2015) Projection des changements climatiques futurs, La Météorologie, n°88, p.56-68. Doi: 10.4267/2042/56362

[3]  Projet ClimSec. Voir Soubeyroux et al (2012) Sécheresses des sols en France et changement climatique : Résultats et applications du projet ClimSec. La Météorologie nº78, p.21-30. doi: 10.4267/2042/47512 et site du CNRM : https://www.umr-cnrm.fr/spip.php?article605&lang=fr


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Pour citer cet article : CATTIAUX Julien, CHAUVIN Fabrice, DOUVILLE Hervé, RIBES Aurélien (20 septembre 2018), Événements météorologiques extrêmes et changement climatique, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 26 avril 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/climat/evenements-meteorologiques-extremes-changement-climatique/.

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