| Focus 1/2 | Le karst, ressource en eau renouvelable dans les roches calcaires

Les mécanismes de la karstification

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mecanisme karstique - Encyclopedie de l'environnement - Réseau de fissures et marques de racines dans l’épikarst.
Figure 1. Réseau de fissures et marques de racines dans l’épikarst. [Source : Photo M. Bakalowicz]
Au tout début de son apparition à la surface des continents, la roche présente une très faible perméabilité, ce qui ne facilite pas l’infiltration de l’eau. Cette perméabilité est assurée majoritairement par les pores et par les fissures, parfois et très localement par des fractures ouvertes conformément à l’orientation des tensions qui les ont générées. Les actions mécaniques liées à des décompressions, à des racines de plantes, etc., élargissent les discontinuités naturelles à proximité de la surface (figure1) ce qui favorise l’infiltration. Deux mécanismes sont à la base de la formation du karst : l’écoulement de l’eau dans la roche carbonatée et la dissolution des carbonates par de l’eau acide [1], caractérisant le potentiel de karstification (PK). Le PK est défini par deux facteurs : le « moteur » de l’écoulement souterrain et le « solvant », qui permet la dissolution de la roche par l’eau souterraine, et donc l’élargissement de certains des vides initiaux [2].

Le moteur est communément la gravité. Plus fort est le gradient hydraulique potentiel entre la surface de recharge et l’émergence, plus facile sera l’écoulement souterrain, et donc plus efficace sera le transport et l’évacuation des matières dissoutes. À la gravité peut s’ajouter un gradient de densité, lié au mélange eau douce – eau salée (cas des aquifères côtiers), ou de température dû au mélange entre de l’eau thermale et de l’eau fraîche.

Le solvant le plus commun est l’eau de pluie et toutes les eaux de surface qui s’infiltrent, rendues acides par la dissolution de CO2, très soluble dans l’eau. L’eau d’infiltration se charge de CO2 et devient suffisamment acide pour dissoudre les roches carbonatées en profondeur [3]. Elle transporte et disperse le CO2 dans le sous-sol, maintenant en permanence son pouvoir dissolvant. L’atmosphère terrestre en contient peu (pression partielle pCO2 : 0,035%) et la pluie dissout environ 30 mg/L de carbonate de calcium CaCO3. Mais la vie dans les sols produit beaucoup de CO2 qui s’y accumule jusqu’à y être 100 fois plus abondant que dans l’air extérieur (pCO2 : 2 à 4%), permettant la dissolution de 250 à 350 mg/L de CaCO3.

Plus l’eau et le CO2 s’infiltrant sont abondants, plus rapide est le processus de karstification. La quantité d’eau s’infiltrant est déterminée par les précipitations sur la zone de recharge et par les éventuels écoulements de surface se perdant dans la roche carbonatée après avoir coulé sur des terrains imperméables. Cette quantité d’eau dépend donc du climat et de la géométrie du réservoir. La pression partielle de CO2, fixée par le couvert végétal et la température de l’air, dépend aussi du climat. D’autres solvants ont été identifiés dans l’interaction de l’eau souterraine avec des gaz d’origine profonde, comme H2S et le CO2 hydrothermal, ou dans le mélange eau douce – eau salée. Ces solvants sont à l’origine de formes et d’organisations particulières des vides et du drainage d’aquifères karstiques, comme les karsts hydrothermaux et les karsts littoraux [4].

Différentes approches indépendantes montrent qu’un réseau classique de conduits karstiques se met en place en quelques dizaines de milliers d’années, c’est-à-dire plus rapidement qu’un réseau fluviatile [5]. De ce fait, le karst est très sensible aux événements géologiques susceptibles de modifier le niveau de base et la perméabilité originelle de la roche. Tous les spécialistes du karst sont maintenant d’accord pour affirmer que toutes les formations carbonatées ont été karstifiées à des degrés divers au cours des temps géologiques [6].


Références et notes

[1] Bakalowicz, M. (1979). Contribution de la géochimie des eaux à la connaissance de l’aquifère karstique et de la karstification. Thèse Doctorat ès Sciences naturelles. Laboratoire de Géologie Dynamique, Laboratoire Souterrain du CNRS. Université P. et M. Curie, Paris.

[2] Mangin, A. (1994). Karst hydrogeology. In: Groundwater Ecology, 43-67. J. Stanford, J. Gibert and D. Danielopol, Ed., Academic Press.

[3] Bakalowicz, M. (1979). Contribution de la géochimie des eaux à la connaissance de l’aquifère karstique et de la karstification. Thèse Doctorat ès Sciences naturelles. Laboratoire de Géologie Dynamique, Laboratoire Souterrain du CNRS. Université P. et M. Curie, Paris.

[4] Bakalowicz, M. (1996). Les processus de karstification et les différents types de karst associés. Mém. Soc. géol. France, 169, 363-371.

[5] Bakalowicz, M. (1992). Géochimie des eaux et flux de matières dissoutes. L’approche objective du rôle du climat dans la karstogénèse. In : Karst et évolutions climatiques. Hommage à Jean Nicod. Presses Universitaires de Bordeaux, Talence.

[6] Chen, Z., Auler, A. S., Bakalowicz, M., Drew, D., et al. (2017). The World Karst Aquifer Mapping project: concept, mapping procedure and map of Europe. Hydrogeology J., 25, 771-785.