Le karst, ressource en eau renouvelable dans les roches calcaires
PDFÉtudiée au 19e siècle pour son hydrologie et ses formes particulières, la région du Karst, en Slovénie, est considérée comme la référence mondiale des paysages et des circulations souterraines dans les roches carbonatées, calcaires et dolomies. Sont qualifiées de karst toutes les régions du monde où ces roches présentent une hydrographie essentiellement souterraine, constituée de cavités pénétrables par l’homme. Ces conduits aboutissent à des sources souvent spectaculaires utilisées dès la plus haute antiquité pour l’alimentation en eau. Le karst et les processus de sa genèse et de son évolution constituent des aquifères offrant des ressources et des réserves intéressantes à exploiter. Ses caractères hydrogéologiques et son fonctionnement permettent de comprendre ses spécificités pour mieux en tirer parti sans surexploiter ses ressources.
1. Le karst, un milieu géologique important, mais complexe
Bien connu et décrit comme un paysage, le karst est une formation géologique établie dans les roches carbonatées, calcaires et dolomies. C’est avant tout un aquifère, formation dans laquelle l’eau souterraine s’accumule, circule et émerge à des sources souvent importantes. Il constitue souvent des réservoirs d’eaux souterraines remarquables et très particuliers.
À l’échelle mondiale, ces formations karstiques couvrent 12 à 15 % de la surface continentale. En France, elles occupent 35 % de la surface du territoire, ce qui doit leur faire jouer a priori un rôle majeur quant aux ressources en eau ; l’extension des roches carbonatées sous d’autres formations géologiques conduit à envisager que ces aquifères karstiques sont encore plus étendus. Ainsi près de 50 % du territoire sont concernés par les formations karstiques, selon l’estimation la plus récente (figure 1). Les aquifères karstiques contribuent à 40 % de toute l’alimentation en eau potable (AEP) des français. On estime qu’environ 25 % de la population mondiale est alimentée en eau domestique par de l’eau souterraine prélevée dans le karst [1].
Dans la plupart des formations aquifères, l’eau circule et s’accumule dans les vides originels de la roche : les pores ou les discontinuités produites par les déformations. Les aquifères karstiques s’en distinguent du fait que l’eau qui parcourt ces vides originels modifie profondément certains d’entre eux au point de créer des conduits et des cavités parfois pénétrables par l’homme. Cette transformation s’effectue en une durée courte à l’échelle géologique : quelques milliers à quelques dizaines de milliers d’années. Plus qu’un aquifère, le karst est donc un géosystème.
Son intérêt économique ne se limite pas à la consommation d’eau potable ; il est aussi sollicité pour l’irrigation et l’industrie. De très nombreuses sources thermo-minérales lui sont également associées. En outre, le karst est fréquemment le siège de gisements pétroliers, dont ceux de la plate-forme arabique. Il peut également renfermer des gisements métalliques : minerais d’aluminium (bauxite), de fer, de plomb et de zinc. Enfin il pose régulièrement des problèmes lors des travaux de génie civil, dont les barrages et leurs réservoirs.
Cet article se borne à montrer ce qu’est le karst, comment il se met en place, quelles sont les caractéristiques de la structure et du fonctionnement des aquifères qu’il forme, et enfin de quelle manière il peut être géré.
2. Un paysage très spécifique
Le karst est constitué de formes superficielles et souterraines qui résultent de la dissolution de roches carbonatées (calcaires, dolomies) par l’eau rendue acide par le gaz carbonique de l’air des sols. Les vides ainsi créés permettent l’écoulement et le stockage de l’eau souterraine. Cet ensemble de processus qui transforment une simple formation calcaire ou dolomitique en un massif karstique avec dolines, gouffres, grottes, rivière souterraine et source bien individualisée est appelé karstification (Lire le focus 1 : Les mécanismes de la karstification).
Comme le montre le schéma de la figure 2 et la photo et la figure 3, le paysage karstique est marqué en surface par des dépressions fermées, de quelques mètres à plusieurs kilomètres, généralement jalonnées de zones favorables à l’absorption rapide de l’eau. Les plus petites de ces dépressions, appelées dolines (figure 4), s’ouvrent parfois sur une grotte, un gouffre (ou aven) qui absorbe rapidement l’eau de pluie. Les plus grandes de ces dépressions, les poljés, reçoivent des volumes d’eau importants, provenant de rivières s’écoulant sur des terrains imperméables. Des pertes, ou ponors, absorbent ces cours d’eau dans le calcaire et alimentent les sources. À l’aval des pertes, les vallées sont sèches la plupart du temps ; leur fond est marqué par des dépressions fermées, héritées d’anciennes pertes.
Lorsque la roche est nue, les fractures initiales apparaissent plus ou moins élargies, créant des lames, des pitons, des couloirs ou simplement des rainures plus ou moins profondes : c’est le lapiaz, qui retient le sol et les sédiments apportés par les ruissellements, les précipitations et les vents. Quand une telle couverture sédimentaire s’installe durablement, le lapiaz évolue vers des formes plus arrondies par l’effet d’une dissolution mieux répartie.
Le karst, ce sont aussi des sources spectaculaires, comme la Fontaine de Vaucluse ou la source du Loiret. Cette concentration d’eau dans les vallées s’oppose à l’apparente sécheresse des massifs karstiques. On appelle système karstique l’ensemble constituant le bassin d’alimentation d’une source karstique, formé par les ruissellements de surface alimentant des pertes et tous les affleurements calcaires où s’infiltre l’eau des précipitations. La position de la source est fixée par le niveau de base du système, point le plus bas de la formation calcaire à l’affleurement. Ce peut être le contact avec la formation imperméable sous les calcaires ; c’est le plus souvent le fond de vallées de rivières d’importance régionale.
3. Le fruit d’une longue histoire géologique et climatique
Une fois que les conduits se sont créés pour drainer l’eau souterraine jusqu’à la source, le système karstique est soumis aux modifications des conditions climatiques et géologiques, comme tous les hydrosystèmes . L’histoire géologique des continents est marquée par des changements permanents des niveaux de base régionaux. Cela peut être lié à une variation du niveau marin (par exemple durant les périodes glaciaires du Quaternaire, l’océan global a été 120 m sous le niveau actuel), ou aux mouvements imposés par la tectonique des plaques, tels que la subsidence et la surrection à l’origine de la formation des chaînes de montagnes et des bassins. Ces variations modifient les conditions externes en augmentant ou en diminuant les capacités des écoulements souterrains à créer un réseau de conduits, ce qu’on appelle le Potentiel de Karstification ou PK (Lire le focus 1 : Les mécanismes de la karstification).
La surrection produit un abaissement du niveau de base et une augmentation du PK qui permettent la création d’un nouveau réseau de conduits, l’ancien réseau étant abandonné au moins en partie et incorporé dans la zone d’infiltration : c’est ainsi que sont créées les grottes pénétrables par l’homme. Les conséquences sont variées, en fonction de la géométrie de la formation aquifère : capture de systèmes karstiques voisins, fragmentation en plusieurs systèmes, migration de la source dans une autre vallée, apparition de sources de trop-plein, etc., conduisant à une complexification du drainage et donc du fonctionnement du système.
La subsidence, quant à elle, provoque une remontée du niveau de base et une réduction du PK, produisant un ennoiement de la structure karstique par blocage, voire par colmatage. Les anciens réseaux de conduits ainsi noyés (voir figure 2) confèrent à l’aquifère un comportement à forte inertie [2] car ils constituent des structures de stockage de plusieurs centaines de millions de m3.
En région littorale, une transgression marine due à une montée du niveau marin a un effet différent selon qu’elle est accompagnée ou non de dépôts de sédiments marins imperméables. Dans le premier cas, la situation est identique à celle du remplissage sédimentaire d’un bassin. Dans le second cas, en l’absence de sédimentation marine, les réseaux de conduits débouchant en mer permettent des échanges avec l’eau de mer. Ces échanges sont variables en fonction des relations de charge hydraulique (pression) entre l’eau douce de l’aquifère et l’eau de mer. L’eau douce peut sortir de l’aquifère quand la charge hydraulique est forte. L’eau de mer peut pénétrer dans l’aquifère quand la charge est faible.
En effet, la différence de densité entre l’eau douce et l’eau de mer constitue le facteur prédominant dans les mouvements respectifs des deux fluides. Du fait de la différence de densité entre l’eau douce (1,0) et l’eau salée (1,025 en moyenne), il faut que la colonne d’eau douce dans les conduits soit suffisamment au-dessus du niveau marin pour repousser l’eau salée hors des conduits. L’aquifère décharge alors son eau douce en mer. Dès que cette charge décroît (absence de recharge ou marée montante), l’eau de mer entre progressivement naturellement dans les conduits à partir des formes karstiques submergées et se mélange à l’eau douce : la décharge en mer est celle d’eau saumâtre, dont la salinité augmente avec la diminution de la charge hydraulique dans l’aquifère. Ce mécanisme concerne aussi des sources littorales, à terre, dont l’eau est saumâtre du fait de l’intrusion naturelle d’eau salée dans les conduits ; c’est le cas de la source de Fontestramar, en Roussillon [3]. Cette intrusion naturelle de l’eau de mer est évidemment aggravée par les prélèvements d’eau par pompage, à partir de forages à terre, même s’ils sont lointains [4].
L’océan global a été soumis à des variations du niveau marin lentes et d’amplitude limitée ; au cours de la dernière glaciation, il est descendu, puis remonté d’environ 120 m. Mais le bassin méditerranéen a été soumis à un événement géologique particulier, la Crise Messinienne de Salinité, qui, par son ampleur, est à l’origine de la grande concentration de sources sous-marines d’origine karstique (Lire le Focus 2 : La Crise Messinienne de Salinité et ses conséquences sur le karst).
4. Avant tout un aquifère
Le karst est donc d’abord un système hydrologique aquifère, et pas seulement un paysage. Modelé en fonction des écoulements souterrains, avec des dépressions fermées et des gouffres, lieux d’absorption préférentielle, le paysage de surface peut présenter des restes d’une organisation fluviatile d’écoulements passés, comme des vallées sèches et des placages alluviaux. Cette organisation est progressivement démantelée au profit d’une circulation souterraine dans des fractures et des conduits de tailles variables.
Comparé aux autres aquifères, le karst présente les spécificités suivantes :
- Un réseau de conduits qui aboutit à des sources. Les circulations d’eau créent et modifient les vides en permanence, ce qui a pour conséquence de les organiser en réseau de drainage, alimentant des sources souvent spectaculaires (Fontaine de Vaucluse, source du Lez, source du Loiret, etc.).
- Des sources à débit très variable (voir figure 5). Selon la saison, le débit naturel de la source du Lez, par exemple, varie de quelques centaines de litres par seconde en étiage à 30 m3/s en période de crue [5].
- Des galeries dénoyées accessibles à l’homme. Les dimensions et la forme de ces vides évoluent avec le temps, au point qu’ils sont en partie pénétrables. Les grottes (par exemple l’aven Armand, le gouffre de Padirac, les grottes de Clamouse, des Demoiselles, de la Cocalière) sont d’anciens réseaux abandonnés, au moins en partie, par les écoulements souterrains.
- Des circulations souterraines complexes. L’aquifère karstique est caractérisé par une hétérogénéité considérable, tant pour la dimension de ses vides (de quelques micromètres à plusieurs kilomètres en longueur) que pour les vitesses d’écoulement de l’eau (de quelques dizaines de m par an à quelques km par heure).
L’aquifère karstique est donc autrement plus complexe que les aquifères poreux ou fracturés, aussi bien dans la zone d’infiltration que dans la zone noyée.
3.1. Une zone privilégiée d’infiltration
À partir des dolines se développent des conduits verticaux, plus ou moins larges, comme les gouffres et les avens, traversant la zone d’infiltration en formant un dispositif « doline – puits » (figure 3). Entre ces axes drainant l’eau directement et rapidement dans la zone noyée, les fissures de la roche sont plus ou moins élargies par un simple effet mécanique de détente, surtout sur les versants des vallées, puis par l’action des racines des arbres, renforcée par la dissolution. C’est le domaine des lapiaz (figure 7 et 8).
La perméabilité de cette zone proche de la surface est alors accrue par rapport à celle de la roche plus en profondeur. De ce fait, l’eau d’infiltration est localement retenue et constitue une zone saturée à faible profondeur, c’est-à-dire une zone où tous les vides sont remplis et parcourus exclusivement par de l’eau, alors qu’au-dessus un mélange d’air et d’eau circule. Cette zone est discontinue, car elle est drainée latéralement par le dispositif doline – puits. Elle est également soutirée par infiltration lente dans les fissures de la roche, alimentant les concrétions souterraines, dont celles des grottes.
Cette « zone saturée perchée » alimente en eau l’évapotranspiration du couvert végétal, souvent abondant, pouvant résister à une saison sèche prolongée. Cet aquifère est dit épikarstique [6]. Il était utilisé jadis, comme en témoignent les captages de petites sources et les puits-citernes abandonnés. Il constitue un lien entre les communautés de surface et souterraines : des animaux, comme des microcrustacés, des coléoptères et plus généralement la faune du sol, vivant en surface colonisent et s’adaptent progressivement au milieu souterrain [7] ; c’est également là que les populations souterraines trouvent en abondance leur nourriture. Le maintien du couvert végétal et du sol et donc de la diversité biologique dépendent aussi fortement de ces aquifères épikarstiques. L’ensemble « lapiaz – doline – aquifère perché » constitue l’épikarst.
La zone d’infiltration du karst [5] est donc soumise à plusieurs modalités d’écoulement :
- une infiltration différée par un stockage à proximité de la surface dans l’épikarst, où l’eau est soumise aux processus biogéochimiques intervenant dans les sols (concentration par évapotranspiration des sels dissous apportés par les précipitations, échanges d’éléments dissous avec le complexe argilo-humique, production de CO2) ;
- une infiltration directe, rapide, par le dispositif doline – puits et les fractures les plus largement ouvertes, véritable ruissellement souterrain, responsable de la dissolution de la roche en profondeur ;
- une infiltration lente, diphasique, c’est-à-dire constituée d’un mélange d’air et d’eau qui parcourt les fines fissures et la porosité de la roche. Elle est à l’origine de la dissolution de la roche carbonatée près de la surface et est responsable du transport du CO2 dissous et gazeux dans l’ensemble de la zone d’infiltration ;
- une infiltration concentrée et rapide, alimentée par des rivières s’écoulant sur des terrains non karstiques, se perdant au contact des calcaires (figure 2).
Ces différentes modalités d’infiltration contribuent à la recharge de la zone saturée, ou karst noyé, en proportions variables dans l’espace et dans le temps.
3.2. Une zone noyée organisée autour du drainage et du stockage
Le karst noyé possède une très forte hétérogénéité de perméabilité, avec des coefficients de perméabilité [8] variant de 10-7 à 10-1 m/s. Cette hétérogénéité n’est pas distribuée au hasard. Elle est organisée autour de conduits (voir figures 4 et 5), des axes à très forte perméabilité, en réseau hiérarchisé, à la manière des réseaux de rivières. Des circulations d’eau s’établissent entre ces drains et leur environnement où l’eau circule moins vite et se stocke. Ce sont des zones à plus faible perméabilité, constituées par les pores et les fissures de la roche, dans ce qui est dénommé « matrice » ou « blocs matriciels ». Ce sont également des vides karstiques de grandes dimensions, constituant des réservoirs élémentaires, indépendants les uns des autres. A. Mangin [9] a dénommé ces réservoirs des Systèmes annexes au drainage (SAD).
Comme l’indique la figure 9, les SAD sont des cavités créées dans la zone noyée à la base des axes d’infiltration rapide. Ils sont connectés aux conduits par des zones drainantes à fortes pertes de charge dues soit à la complexité des conduits, soit au fait que seule la fissuration originelle assure la continuité hydraulique. Cette situation favorise des variations piézométriques de grande amplitude dans les SAD et les blocs matriciels, de plusieurs dizaines à quelques centaines de mètres entre le niveau de crue et celui d’étiage, alors qu’elles sont bien plus faibles dans les conduits. Les écoulements se produisent selon les relations de charge respectives tantôt des conduits vers les SAD ou les blocs matriciels, tantôt en sens inverse. Ainsi, le milieu karstique possède deux types de vides remplissant des fonctions hydrodynamiques différentes, le drainage et le stockage, dont Mangin [9] a proposé une représentation schématique (figure 10).
5. L’exploitation de l’eau souterraine dans le karst
C’est autour de sources karstiques que se sont créées et développées certaines des grandes civilisations antiques des régions méditerranéennes. De grandes villes antiques du Moyen-Orient, de Grèce, de Rome et de leurs colonies se sont développées grâce à l’exploitation de sources karstiques : des sites tels que Baalbek, Damas, Tyr, Athènes, Rome, Carthage ou Nîmes ont rayonné grâce au captage de sources karstiques, aux aqueducs et aux réseaux urbains de distribution [10]. Ces exploitations au fil de l’eau sont limitées par le débit d’étiage. L’accroissement des besoins des villes est alors satisfait par la recherche de nouvelles ressources et par la réalisation de nouveaux aménagements, comme à Rome ou à Lyon, où de nouveaux captages et de nouveaux aqueducs ont été réalisés.
Les eaux karstiques étaient alors utilisées sans que les caractères particuliers du karst soient pris en compte et sans que l’on se préoccupe de la qualité de l’eau [11]. C’est seulement à la fin du 19e siècle que les premiers spéléologues en France et en Autriche montrèrent les relations entre des sources et certains gouffres utilisés comme charniers, établissant le lien entre ces pollutions et certaines épidémies (diphtérie, typhoïde…). En France, une réglementation sévère a alors marginalisé l’exploitation et l’étude des eaux souterraines du karst. Elles ont poussé les collectivités à leur préférer les autres eaux souterraines et les eaux de surface.
Le karst était alors considéré comme un paysage désolé, constitué en profondeur de quelques vastes conduits reliant directement les avens aux sources [12]. La rivière souterraine de Bramabiau, qui résulte de l’engouffrement des eaux du Bonheur dans le causse de Camprieu, en bordure des Cévennes, fut même prise comme modèle de tous les écoulements souterrains dans le karst. Pour cette raison, les Causses ont été considérés en France comme la référence en matière de karst et l’on a longtemps refusé la qualification de source aux émergences karstiques.
4.1. Un milieu particulièrement sensible aux activités humaines
Les sols, en général peu épais et discontinus, sont très sensibles à l’érosion. Le déboisement, le pâturage ou les incendies favorisent l’érosion et la destruction des lapiaz, dont la disparition empêche ensuite la végétation de se réimplanter. Ces paysages dénudés et secs résultant des actions de l’homme ne permettent pas la filtration naturelle de l’eau.
Par ailleurs, les vides larges et les grandes vitesses d’écoulement sont à l’origine du transfert rapide, sans dilution ni filtration des polluants jusqu’aux sources. L’aquifère karstique est donc souvent considéré comme étant peu favorable aux captages pour les adductions d’eau potable (AEP). Il est également difficile de doter les captages AEP du karst de mesures de protection efficaces. La grande étendue des bassins d’alimentation des sources nécessitant des études hydrogéologiques longues et coûteuses est le principal obstacle. La vulnérabilité du karst est déduite, logiquement, d’une série de caractères défavorables, comme des vitesses rapides d’écoulement, l’absence de filtration et d’autoépuration, des effets limités de la dilution ou de la dispersion.
Mais à l’inverse, cette vulnérabilité présente certaines caractéristiques intéressantes comme :
- l’élimination généralement rapide des pollutions accidentelles, en liaison avec les temps de séjour courts de l’eau souterraine,
- des effets retardateurs (adsorption, dispersion) le plus souvent négligeables,
- une modification rapide, à l’échelle du cycle hydrologique, de la qualité de l’eau, à la suite de changements dans les rejets de pollutions chroniques ou saisonnières,
- les longues périodes d’étiage pendant lesquelles les eaux sont de bonne à excellente qualité, du fait de leur écoulement lent, s’opposant à celles des crues pouvant subir une contamination bactériologique et/ou chimique et une turbidité fréquente).
Une démarche et une méthodologie ont été proposées [13] pour l’établissement de périmètres de protection de captages en régions karstiques. Des méthodes d’analyse multicritère sont maintenant appliquées pour caractériser la vulnérabilité des sources captées. Les principaux critères considérés concernent le sol et l’épikarst, les modalités d’infiltration et le degré de fonctionnalité du réseau de drainage. Ces méthodes proposent une analyse systématique du système karstique, sectorisé en mailles de petites dimensions. Des cartes de vulnérabilité sont obtenues après pondération et combinaison de tous ces critères.
Le traitement systématique de l’eau imposé aux AEP karstiques permet en général d’éviter les risques bactériologiques. Les risques chimiques, comme les excès de nitrates, sont réduits, parce que rares dans ces régions à faible pression anthropique, ou sans effet cumulatif de pollution, par élimination rapide lors des crues. La turbidité [14] est en revanche un problème récurrent, notamment en Normandie, dans la craie, ou lorsque l’aquifère est massivement alimenté par des pertes de rivières. Des dispositifs de décantation et de filtration sont nécessaires. Une ressource alternative temporaire ou un captage par un forage implanté à l’écart du conduit karstique peuvent être mis en place en attendant un retour à la normale.
4.2. Des réserves d’eau potable en quantité
Dans les pays méditerranéens, le karst est souvent la seule formation aquifère utilisable, même si ses eaux sont parfois contaminées par l’intrusion naturelle d’eau de mer ou par des pollutions. Enfin, le karst est la plupart du temps l’aquifère unique et exclusif qui nourrit les rivières de ces contrées : il joue un rôle essentiel dans nombre d’hydrosystèmes et doit donc être pris en compte dans l’exploitation et la protection des ressources en eau.
L’accroissement des besoins et les développements technologiques ont incité à prélever l’eau souterraine par pompage dans les sources elles-mêmes (figure 11), quand c’est possible, ou par des forages [15]. Mais la distribution hétérogène des vides dans l’aquifère fait que la probabilité qu’un forage atteigne une cavité est extrêmement faible. Il n’existe pas de méthode géophysique localisant à coup sûr une cavité à plus de 30 ou 40 m sous la surface [16], étant donné leurs petites dimensions relatives (quelques mètres, exceptionnellement quelques dizaines de mètres). La méthode par repérage magnétique permet, quant à elle, de localiser un conduit sous 300 à 400 m, à condition qu’un opérateur puisse y pénétrer avec un émetteur assez puissant. C’est la méthode qui a été utilisée pour positionner les forages d’exploitation de la source du Lez à Montpellier [17]. Dans d’autres cas, on met à profit le relief pour atteindre la zone noyée par galerie, comme cela a été fait dans le Jura suisse [18].
Face à leur complexité et à leur diversité d’organisation et de fonctionnement et du fait de leur étendue souvent importante, les aquifères karstiques nécessitent des études détaillées, s’appuyant sur une méthodologie spécifique pluridisciplinaire. Les hydrogéologues disposent maintenant des outils nécessaires pour caractériser leur fonctionnement, identifier les zones les plus productives et évaluer convenablement leurs ressources et leurs réserves [19].
Il est alors possible d’exploiter en étiage un débit supérieur au débit naturel, en prélevant sur les réserves de l’aquifère, qui se reconstituent lors de la recharge en saison pluvieuse. Par comparaison avec le stockage d’eau de surface en réservoir artificiel, l’exploitation des eaux souterraines karstiques présente l’avantage qu’elles ne sont pas concernées par l’évaporation et, surtout, qu’elles sont beaucoup moins sensibles aux pollutions. Mais, comme pour un réservoir artificiel, il faut savoir évaluer les conditions d’alimentation (la recharge) et de vidange (la décharge). C’est ainsi que la source du Lez, à Montpellier, a été captée, suite aux études menées par J.V. Avias et son équipe [18] [5]. Ce captage est considéré comme un modèle mondial. Les études montrent qu’une gestion rigoureuse, basée sur des connaissances détaillées et un réseau de mesures adapté, est durable et permet de limiter les effets des crues importantes à l’aval. Enfin, la faisabilité de recharger artificiellement des aquifères karstiques est maintenant considérée comme un élément d’une méthode de gestion proactive des aquifères karstiques [20], [21].
6. Des perspectives pour la gestion des ressources en eau
Les systèmes karstiques peuvent offrir des ressources et des réserves d’eau souterraine considérables, faciles à exploiter à partir d’un site unique, qui peut être une source ou un forage à fort débit. Mais leurs aquifères sont très sensibles aux pollutions, car ils disposent en général de peu de protection naturelle filtrante et d’effets dispersifs réduits. Cependant, du fait des écoulements rapides et du temps de séjour moyen souvent inférieur à l’année, ils se renouvellent bien plus rapidement que les aquifères poreux et fracturés : ils ne gardent pas, ou peu, la mémoire d’événements qui se sont produits lors des cycles hydrologiques précédents, comme une sécheresse, une surexploitation temporaire ou une pollution accidentelle ou saisonnière. Enfin, ils peuvent être rechargés artificiellement par des apports d’eau de rivières.
Les hydrogéologues comme les gestionnaires des ressources en eau disposent maintenant d’une méthodologie efficace pour identifier toutes leurs caractéristiques ainsi que des modèles pour les gérer. Le karst doit être considéré comme un milieu géologique particulièrement intéressant dans la politique de l’eau, offrant souvent des ressources et des réserves d’eau potable, des apports en cas de sécheresse et des possibilités de limiter les inondations sans grands travaux hydrauliques.
Références et notes
Image de couverture : Source du Lison (Doubs) [Source : photo M. Bakalowicz]
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Pour citer cet article : BAKALOWICZ Michel (27 juin 2018), Le karst, ressource en eau renouvelable dans les roches calcaires, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 9 décembre 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/eau/karst-ressource-eau-renouvelable-roches-calcaires/.
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