| Focus 2/2 | Le karst, ressource en eau renouvelable dans les roches calcaires

La Crise Messinienne de Salinité et ses conséquences sur le karst

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Crise Messinienne de Salinité - Encyclopedie de l'environnement - Carte des bassins résiduels de la Méditerrannée au Messinien
Figure 1. Carte des bassins résiduels de la Méditerranée au Messinien, avec leurs dépôts de gypse et de sel (en violet et en rouge). [Source : http://geologie.mnhn.fr/messinien.html (J.M. Rouchy, 2000).]
Au cours des temps géologiques, les variations de niveau de base ont été fréquents, mais relativement lents, et surtout d’amplitude limitée. Par exemple, les variations du niveau des océans liées aux glaciations (variations eustatiques), n’ont guère dépassé 120 m, en quelques dizaines de milliers d’années à la descente et quelques milliers d’années à la remontée [1]. Au Crétacé, l’océan global est monté au maximum à environ 300 m.

À la fin du Miocène, au Messinien (de -7,246 à -5,333 Millions d’années), un événement exceptionnel par son ampleur et sa courte durée a touché uniquement le bassin méditerranéen : la Crise Messinienne de Salinité (CMS). La fermeture du détroit entre l’Atlantique et la Méditerranée a provoqué l’assèchement progressif du bassin, avec d’importants dépôts gypso-salifères [2]. L’abaissement maximal a été de 1500 à 2500 m sous le niveau actuel, selon les bassins résiduels, pendant environ 600.000 ans. La CMS a contraint tous les écoulements, de surface et souterrains, à s’adapter à ce niveau de base très bas. Les fleuves ont creusé de profondes vallées remontant très en amont, le Nil jusqu’à Assouan ou le Rhône jusqu’à Lyon. Dans les roches carbonatées, le karst s’est développé jusqu’à leur base, parfois à plusieurs centaines de mètres sous le niveau marin actuel [3]. L’ouverture du détroit de Gibraltar, marquant le début du Pliocène, a provoqué l’ennoyage quasi instantané de tout le bassin, favorisant une épaisse sédimentation alimentée par les fleuves, constituée d’argiles marines bleues du Zancléen, surmontées des formations deltaïques et alluviales de l’Astien.

Crise Messinienne de Salinité - Encyclopedie de l'environnement - Source karstique sous-marine de la Vise,
Figure 2. Source karstique sous-marine de la Vise, étang de Thau, Balaruc-les-Bains (Hérault). [Source : Photo M. Bakalowicz]
Ces argiles marines isolent les formations aquifères en les protégeant de l’intrusion d’eau marine. Mais elles n’existent pas partout, soit par absence de dépôt, soit par érosion ; les aquifères, en particulier karstiques, se déversent alors directement en mer. De ce fait, les phénomènes karstiques superficiels développés au Messinien, puis submergés par la transgression marine du Zancléen, permettent les échanges entre l’eau de mer et l’eau douce souterraine. Cette situation très particulière est à l’origine des sources sous-marines et saumâtres connues le long de toutes les côtes méditerranéennes où se trouvent plus de 90 % de toutes celles connues au monde [4]. Celles de Chekka, sur la côte septentrionale du Liban, sont souvent considérées parmi les plus importantes au monde par leur débit estimé à plusieurs dizaines m3/s en crue [5]. En France, la source de Port Miou, près de Marseille, débite quelques m3/s d’eau saumâtre [6].

Ces sources sont supposées déverser directement en mer des volumes d’eau douce considérables ; aussi elles sont l’objet de projets de captage, comme ceux de Port Miou [6] ou de la Mortola [7]. L’étude fine de certaines sources [4] [5] [6] montre que la salinisation naturelle de l’eau souterraine est inhérente au fonctionnement même de ces aquifères karstiques littoraux et que le captage en mer de ces sources ne peut que faciliter l’intrusion marine. C’est pourquoi il est préférable de chercher à capter l’eau douce à partir de forages à terre, en assurant un suivi du fonctionnement de ces sources pour disposer d’une « alarme » en cas de surexploitation [8].


Références et notes

[1] Dromart, G. (2005)  http://planet-terre.ens-lyon.fr/article/paf-2005-variations-niveau-marin-dromart-conf.xml.

[2] Rouchy, J. M., Suc, J.P., Ferrandini, J., Ferrandini, M. (2006). The Messinian Salinity Crisis revisited. Sedimentary Geology, 188-189, 1-8.

[3] Arfib, B., de Marsily, G., Ganoulis, J. (2002). Les sources karstiques côtières en Méditerranée: étude des mécanismes de pollution saline de l’Almyros d’Héraklion (Crète), observations et modélisation. Bull. Soc. Géol. France, 173 (3), 245-253.

[4] Fleury, P., Bakalowicz, M., de Marsily, G. (2007). Submarine springs and coastal karst aquifers: a review. J. Hydrology, 339, 79-92.

[5] Fleury, P. (2005). Sources sous-marines et aquifères côtiers méditerranéens. Fonctionnement et caractérisation. Thèse Doctorat, Sciences de la Terre, Université Paris-6.

[6] Cavalera, T. (2007). Étude du fonctionnement et du bassin d’alimentation de la source sous-marine de Port Miou (Cassis, Bouches-du-Rhône): Approche multicritère. Thèse Doctorat. Université de Provence, Marseille.

[7] Fleury, P., Bakalowicz, M., Becker P. (2007). Caractérisation d’un système karstique à exutoire sous-marin, exemple de la Mortola (Italie). Comptes Rendus Geosciences, 339, 407-417.

[8] Bakalowicz, M. (2015). Karst and karst groundwater resources in the Mediterranean. Environmental Earth Sciences, 74, 5-14.