Cyclones tropicaux : développement et organisation

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Les cyclones tropicaux extraient leur énergie de la chaleur stockée dans les océans tropicaux et la transforment en vents furieux, en pluies ravageuses, en vagues monstrueuses qui dévastent les terres qu’ils abordent. Leur organisation, mise en évidence sur la photographie ci-dessus prise depuis la station spatiale internationale (cyclone Katrina, Août 2005), est fortement marquée par la force de Coriolis.

1. Définitions de cyclones tropicaux et climatologie

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Figure 1. Échelle de Saffir-Simpson

Selon la définition de l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM), les cyclones tropicaux sont des « perturbations atmosphériques d’échelle large de quelques centaines de kilomètres, prenant naissance au-dessus des eaux tropicales ou sub-tropicales et présentant une activité orageuse organisée et une circulation cyclonique[1], plus intense en surface qu’en altitude ». Ces phénomènes ont différentes appellations selon leur intensité, mesurée par la force du vent de surface. Une « Perturbation Tropicale » est une région orageuse persistante, accompagnée de vents modérés présentant l’ébauche d’une rotation d’ensemble. Une « Dépression Tropicale » est caractérisée par une circulation fermée et des vents soufflant à moins de 17  m s-1 (à peu près 60 km/h). La vitesse du vent va jusqu’à 32 m s-1 (environ 120 km/h) au sein d’une « Tempête Tropicale ». Au-delà, c’est un « Cyclone Tropical », également appelé « Ouragan » sur l’Atlantique et le Pacifique nord-est, « Typhon » sur le Pacifique nord-ouest. Les cyclones sont classés selon la vitesse maximum du vent ou, de façon équivalente, la pression minimum en surface. L’échelle proposée en 1977 par les américains H.S. Saffir et R.H. Simpson comporte 5 niveaux.

Chaque année, 80 à 90 tempêtes tropicales se produisent, au cours de l’été et au début de l’automne, dont la moitié environ évoluent en cyclones. L’hémisphère nord est largement majoritaire, en raison de l’absence de cyclones sur l’Atlantique sud et le Pacifique sud-est, où l’océan n’est pas assez chaud. Le nord-ouest du Pacifique avec 25 dépressions et tempêtes, et 15 typhons, compte pour près du tiers du total mondial. C’est le seul bassin où des cyclones sont observés toute l’année, avec néanmoins un maximum en été et en automne. Sur le Pacifique nord-est, on observe en moyenne 15 dépressions et tempêtes, et une dizaine d’ouragans. L’Atlantique nord génère en moyenne 10 dépressions et tempêtes, donnant environ 5 ouragans par an. Le nord de l’océan Indien ne représente que 5 % du total mondial, mais en raison des hauts fonds du Golfe du Bengale, de la faible élévation des côtes et des fortes densités de population, ils provoquent souvent des dégâts considérables. Leur distribution montre un premier maximum en mai – juin et un autre secondaire en octobre – novembre. Entre ces deux périodes, la mousson indienne génère des vents forts en altitude, défavorables au développement des cyclones. Dans l’hémisphère sud, 10 dépressions et tempêtes, 5 cyclones sont observés pendant l’été et l’automne australs sur le sud-ouest de l’océan Indien. Le sud-est de cet océan et le nord de l’Australie produisent en moyenne 7 dépressions et tempêtes, et 3 cyclones par an. Enfin, 10 dépressions et tempêtes, et 5 cyclones surviennent annuellement sur le sud-ouest du Pacifique. La variabilité interannuelle est assez importante sur chaque bassin, mais des fluctuations de sens opposés entre différents océans compensent globalement les variations locales.

2. Formation des cyclones tropicaux

Le développement d’une perturbation tropicale en cyclone requiert des conditions spécifiques :

  • La température de surface de l’océan doit être supérieure à 26°C avec une couche relativement homogène profonde d’au moins 60 mètres, car la chaleur et surtout l’humidité que l’air prend à l’océan sont le « carburant » de la machine cyclonique.
  • Une forte humidité atmosphérique minimise l’évaporation des précipitations dans l’air sec et la formation de courants descendants froids.
  • Un faible cisaillement de vent [2] évite que des vents de forces ou de directions trop différentes selon l’altitude distordent le tourbillon cyclonique et bloquent son évolution.
  • A grande échelle, un mouvement convergent dans les basses couches et divergent à haute altitude favorise les développements orageux.
  • Une circulation cyclonique de grande échelle facilite l’organisation de l’amas orageux.
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Figure 2. Équilibre du vent thermique

Au-delà de 5 à 10° de latitude, la force de Coriolis [3] due à la rotation de la Terre a une amplitude suffisante pour que l’ « équilibre du vent thermique » impose qu’une anomalie chaude persistante en altitude s’accompagne d’un mouvement de rotation cyclonique du vent. Ainsi, en réponse à la chaleur libérée par la condensation de vapeur d’eau au sein des nuages de la zone perturbée, le vent forme des tourbillons cycloniques d’intensité variable, larges de quelques dizaines à quelques centaines de kilomètres. De telles circulations peuvent subsister longtemps après que se sont dissipés les mouvements orageux qui les ont produits. Ils facilitent aussi de nouveaux développements orageux qui pourront les renforcer. Dans le même temps, il faut que disparaissent les poches d’air plus froid amenées par des courants descendants dans les basses couches de l’atmosphère. Le transfert de chaleur et d’humidité de l’océan vers l’atmosphère redonne de l’énergie à cet air frais. Au bout de quelque temps, il redevient assez chaud et humide pour engendrer à nouveau de l’activité orageuse. Peu à peu, l’atmosphère se réchauffe et s’humidifie. La formation des courants descendants par le refroidissement dû à l’évaporation devient plus difficile et ils sont rejetés en périphérie de l’amas orageux, à quelques centaines de kilomètres de distance.

A mesure que les cellules orageuses se développent, une large anomalie chaude se forme en altitude dans la partie centrale de l’amas. La colonne d’air réchauffée étant plus légère, la pression de surface diminue progressivement. La force qui attire l’air vers le centre dépressionnaire est équilibrée par la force de Coriolis et par l’accélération centrifuge d’un mouvement cyclonique d’ensemble, renforcé par l’agrégation des différents tourbillons successivement créés. Entrainées dans ce mouvement, les bandes nuageuses s’enroulent en larges spirales. Le vent souffle de plus en plus fort collectant humidité et chaleur à la surface de l’océan, ce qui alimente les masses orageuses, réchauffe l’atmosphère, diminue la pression de surface et intensifie le tourbillon. Lorsque la circulation cyclonique est assez développée avec une forte dépression de surface, un faible courant descendant s’établit au centre de la perturbation. Ce mouvement assèche l’air, la masse nuageuse se dissipe localement et l’ « Œil » du cyclone apparaît.

3. Cycle énergétique et intensité maximum

Un cyclone tropical à maturité est une machine thermique dont la source de chaleur est la condensation de la vapeur d’eau. Cela ne résulte pas, comme on l’a longtemps cru, de la présence d’une instabilité orageuse à grande échelle. L’atmosphère tropicale océanique est généralement proche de la neutralité, ce qui ne permet pas le développement de mouvements ascendants de grande ampleur. Pour une très large part, l’énergie des cyclones provient de l’évaporation à la surface de l’océan, forcée par des vents d’intensité croissante.

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Figure 3. Cycle thermodynamique d’un cyclone tropical à maturité.

 

Transporté par de puissants courants ascendants jusqu’à une quinzaine de kilomètres d’altitude, l’air nuageux s’éloigne du centre du cyclone dans un mouvement divergent et anticyclonique, et il perd de l’énergie par rayonnement thermique vers l’espace. Le retour vers la surface s’effectue avec le flux descendant qui prédomine à grande distance. Dans l’œil, le faible mouvement descendant de l’air induit un réchauffement qui renforce la dépression centrale, attire l’air extérieur des basses couches et assure le maintien du cycle. Ce schéma représente un cycle thermodynamique idéal « de Carnot » et permet d’estimer une « Intensité Maximum Potentielle », minimum de pression ou maximum de vent, que peut atteindre un cyclone dans un environnement caractérisé par sa latitude, la température de l’océan et celle vers 15 kilomètres d’altitude. Les valeurs obtenues sont en bon accord avec les extrêmes observés, montrant que ce cycle représente un optimum énergétique pour les cyclones tropicaux.

4. Structure à maturité

Mais peu de cyclones atteignent leur intensité maximum potentielle car les détails de la circulation interne sont plus complexes que le schéma précédent, et l’efficacité des conversions énergétiques est rarement optimum.

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Figure 4. A gauche : œil clair de l’ouragan Rita, en Catégorie 5 le 22 septembre 2005 à 12h18 UTC ; à droite : œil nuageux du même ouragan en Catégorie 3 le 23 septembre à 23h16 UTC. [source: http://www.atmos.umd.edu/~stevenb/hurr/]
L’ « Œil » du cyclone est une zone dégagée et sèche en moyenne et haute altitude, souvent chargée de nuages dans les basses couches où l’air est presque saturé en humidité. A basse altitude, l’air provient du flux cyclonique convergent, humidifié par l’évaporation à la surface de l’océan. Il alimente les nuages du cyclone et seule une petite partie arrive jusqu’à l’œil. En haute altitude, l’air descendant est chaud et sec. Quand les développements orageux sont intenses, le flux d’air humide provenant de la périphérie est entraîné en quasi-totalité dans de puissants courants ascendants, le mouvement descendant dans l’œil est fort et provoque un réchauffement et un assèchement très marqués, la pression centrale est basse et l’œil apparaît nettement sur les images satellite. En présence de conditions moins favorables, une part plus importante du flux humide de basses couches arrive jusqu’à l’œil, l’humidifie et le refroidit. La dépression se comble partiellement et l’œil rempli de nuages est moins distinctement visible depuis l’espace.

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Figure 5. Mur de l’œil de l’ouragan Katrina le 28 août 2005, quelques heures avant son arrivée sur la Nouvelle-Orléans.

Dans le « Mur » de cumulonimbus, qui entoure l’œil à quelques dizaines de kilomètres du centre de circulation, se trouvent de puissants mouvements verticaux avec les précipitations les plus fortes, organisées en bandes spirales resserrées ou en anneau, et les vents les plus violents atteignent fréquemment 200 km/h, dépassant parfois 300 km/h. La vitesse du vent est maximum à quelques centaines de mètres d’altitude. Plus bas, le frottement sur la surface océanique la ralentit. Cette caractéristique des cyclones tropicaux les différencie des perturbations des latitudes moyennes (où les vents les plus forts se situent en haute altitude) et les rend beaucoup plus dévastateurs pour des intensités comparables.

Le « Cœur » est la région, large de quelques centaines de kilomètres, où l’air suit des trajectoires fermées autour du centre dépressionnaire. La « Circulation Primaire » cyclonique qui tourne autour de l’œil est nettement plus intense que la « Circulation Secondaire » radiale (qui va de l’extérieur vers l’intérieur, et réciproquement) et verticale. Près de la surface, le vent est ralenti par le frottement sur l’océan et l’accélération tangentielle ne peut pas compenser la force qui attire l’air vers la dépression centrale. L’accélération radiale qui en résulte produit un flux convergent dans les basses couches, dirigé vers le centre du cyclone, qui alimente les courants ascendants.

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Figure 6. Le cyclone Jolane sur l’océan Indien sud le 9 avril 2015 à 9h UTC montre une large bande externe à l’est (le code de couleur indique la température du sommet des nuages). [source : NRL Monterey Marine Meteorology Division – http://www.nrlmry.navy.mil/sat_products.html]
Circulations primaire et secondaire coopèrent dans le fonctionnement des cyclones. La première associe l’anomalie chaude centrale et la dépression de surface qui en résulte à un puissant mouvement cyclonique. La seconde extrait, par la friction sur la surface océanique, de l’énergie sous forme d’humidité, utilisée pour entretenir les courants ascendants via la chaleur libérée lors de la condensation. Le faible mouvement descendant compensatoire qui se produit dans l’œil réchauffe l’air par compression et entretient l’anomalie chaude centrale.

Dans la zone périphérique, sur des centaines de kilomètres au-delà du cœur, le flux horizontal est moins symétrique et la composante radiale du vent est proportionnellement plus importante. De longues bandes de précipitations, localement intenses et larges de quelques dizaines de kilomètres, s’étendent surtout à l’est dans la zone de convergence entre la circulation cyclonique et les vents d’est qui dominent sous les tropiques. Le quart sud-est est favorisé dans l’hémisphère nord, nord-est dans l’hémisphère sud.

5. Changements de structure

Le couplage entre circulations primaire et secondaire implique que le Mur de l’Œil ne peut pas être stable. Le mouvement ascendant est compensé par un mouvement descendant entre l’Œil et le Mur, et une accélération du vent à une distance un peu plus proche du centre de circulation. Le vent plus fort à cet endroit accentue le frottement de surface et l’apport d’humidité, ce qui décale le Mur vers l’intérieur. Il en résulte une tendance au rétrécissement progressif du Mur. A l’extérieur, l’enroulement de bandes orageuses périphériques génère également un mouvement descendant interne qui étouffe petit à petit le Mur. Cet effet s’accompagne d’une diminution temporaire de l’intensité du cyclone lorsque le Mur se dissipe, avant une nouvelle intensification lorsque les bandes externes se sont petit à petit organisées en nouveau Mur.

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Figure 7. Cycle de remplacement du mur de l’œil de l’ouragan Gonzalo (14-17 octobre 2014). Les couleurs représentent l’intensité des précipitations à partir d’observations par satellites dans un canal micro-ondes. [source : NRL Monterey Marine Meteorology Division – http://www.nrlmry.navy.mil/TC.html]
En relation avec de tels processus, ou par suite d’influences externes comme des variations atmosphériques de la pression, du vent ou de l’humidité, la présence des courants ou des tourbillons océaniques froids ou chauds, les cyclones tropicaux sont sujets à des changements d’intensité plus ou moins rapides. Aussi, prévoir l’évolution d’un cyclone est difficile, même à courte échéance. Il n’est pas rare qu’en quelques heures un évènement descende ou monte d’une catégorie dans l’échelle de Saffir-Simpson, ce qui modifie considérablement l’impact potentiel de son arrivée sur une île ou un littoral peuplé.

Au-delà de 30 degrés de latitude en moyenne, les cyclones s’atténuent en arrivant sur les continents ou sur des eaux qui ne sont plus assez chaudes pour entretenir le cycle énergétique, ou en subissant les effets du cisaillement de vent – plus fort aux moyennes latitudes – qui déforme leur structure verticale. Dans ces conditions, les cyclones de petite taille ou de faible intensité se dissipent assez vite, mais les plus puissants et les plus étendus conservent leur organisation et une certaine intensité, parfois pendant plusieurs jours. Quelques cyclones parvenus aux latitudes moyennes interagissent avec la circulation d’ouest et évoluent vers une structure propre aux tempêtes des zones tempérées. La probabilité de telles transitions varie selon la configuration du bassin océanique : inexistante sur le Pacifique nord-est ou le nord de l’océan Indien, rare sur le sud-ouest du Pacifique ou sur le sud-est de l’océan Indien, elle concerne environ un cyclone sur cinq sur le sud-ouest de l’océan Indien, un sur quatre sur le Pacifique nord-ouest, un sur trois sur l’Atlantique nord. Il arrive ainsi qu’en début d’automne, d’anciens ouragans des Caraïbes deviennent, quelques jours plus tard, des tempêtes balayant les côtes ouest de l’Europe.

D’autres modifications se produisent aussi lorsqu’un cyclone interagit avec un relief, lors du passage sur des îles montagneuses assez vastes, comme Luzon aux Philippines, Taiwan, Saint-Domingue dans les Caraïbes, ou sur une barrière côtière comme la cordillère de l’Amérique centrale. Le soulèvement forcé de l’air chaud et humide sur le flanc des montagnes exposé au vent provoque un renforcement local des pluies parfois très important, des inondations et glissements de terrain aux conséquences souvent dramatiques. La modification de la distribution de l’activité orageuse bouleverse temporairement la dynamique du cyclone. Parfois, l’œil disparaît à l’approche de l’île, et se reforme quelques heures plus tard, à plusieurs dizaines de kilomètres dans le sillage de l’obstacle.

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Figure 8. Transition extra-tropicale de l’ouragan Hélène (20-25 septembre 2006) [d’après http://www.sat.dundee.ac.uk/geobrowse/geobrowse.php]
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Figure 9. Shao-Lin au sud de Taiwan, village détruit par un glissement de terrain qui fit plusieurs centaines de victimes lors du passage du typhon Morakot (8 août 2009) [http://www.dailymail.co.uk/news/article-1205758]
 

 


Références et notes

[1] Mouvement de rotation dans le sens horaire dans l’hémisphère sud, anti-horaire dans l’hémisphère nord.

[2] Variation verticale de la vitesse ou de la direction du vent.

[3] « Pseudo-force » dirigée perpendiculairement à la direction du mouvement d’un corps en déplacement dans un milieu en rotation uniforme.


L’Encyclopédie de l’environnement est publiée par l’Association des Encyclopédies de l’Environnement et de l’Énergie (www.a3e.fr), contractuellement liée à l’université Grenoble Alpes et à Grenoble INP, et parrainée par l’Académie des sciences.

Pour citer cet article : ROUX Frank (20 septembre 2018), Cyclones tropicaux : développement et organisation, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 19 mars 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/air/cyclones-tropicaux-developpement-organisation/.

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