Les orages : de l’électricité dans l’air
PDFLes orages sont constitués de nuages appeléscumulonimbus. Un ensemble de phénomènes (ascendance d’air humide, condensation, évaporation, chute en périphérie de l’air refroidi…) provoquent des précipitations intenses, des rafales de vent, les éclairs et le tonnerre, qui peuvent impressionner par leur violence. Voyons de plus près ce qui gouverne ces phénomènes et quelles en sont les conséquences.
1. Qu’est-ce qu’un orage ?
Un orage est constitué d’une cellule dans laquelle des parcelles d’air montent (au centre) et d’autres descendent (en périphérie), appelée cellule convective. Celle-ci donne lieu à la formation d’un nuage appelé cumulonimbus, qui s’étend verticalement jusqu’au sommet de la troposphère vers 10-15km (lien vers Enveloppe gazeuse de la Terre) et possède une forme de champignon illustrée sur la figure 1. Le pied du champignon est constitué par la colonne centrale où l’air monte, et le chapeau du champignon par une forme en enclume où l’air s’étale latéralement. Un cumulonimbus constitué d’une seule cellule (Figure 1) possède des dimensions horizontales assez modérées, avec une enclume d’environ une dizaine de kilomètres. Les cumulonimbus peuvent aussi s’organiser en amas pluricellulaires avec plusieurs courants ascendants et descendants internes ; dans ce cas leurs dimensions horizontales peuvent dépasser la centaine de kilomètres, mais la dynamique de cet ensemble et son évolution demeurent gouvernées par les mêmes mécanismes.
C’est le cas par exemple des lignes de grains, formées de plusieurs cœurs convectifs alignés [1] (Figure 2). D’autres exemples de systèmes convectifs existent qui possèdent eux aussi des organisations spécifiques. C’est notamment le cas des cyclones (lien vers l’article Cyclones tropicaux : développement et organisation), dont l’énergie provient d’une surface océanique chaude et dont la structure est contrôlée par une circulation de l’air qui obéit à des mécanismes différents. Quoi qu’il en soit, tous ces systèmes sont rendus visibles par la condensation de l’eau dans leurs masses nuageuses.
2. Comment fonctionne un orage ?
Dans les basses couches de l’atmosphère, l’air est vigoureusement brassé. Les parcelles d’air montent et descendent au gré de la turbulence. Les parcelles qui s’élèvent dans le cumulonimbus se détendent progressivement puisque la pression ambiante devient de plus en plus faible (lire article L’atmosphère et l’enveloppe gazeuse de la Terre). Puisqu’elles échangent peu de chaleur avec leur environnement leur détente est adiabatique (lien vers article « Thermodynamique et entropie »), ce qui les refroidit. Elles peuvent alors se trouver dans des conditions de température et de pression qui provoquent la condensation de l’eau. Ce changement d’état exige cependant que des germes soient présents (aérosols ou micro gouttelettes déjà formées), autour desquels les molécules d’eau initialement dispersées parmi les molécules d’azote et d’oxygène qui sont les constituants principaux de l’air sec viennent se rassembler. C’est ainsi que se forme le nuage, en général dès les premières centaines de mètres d’ascendance. A des altitudes plus élevées, lorsque la température devient inférieure à 0°C, la condensation peut se faire directement sous forme de cristaux de glace. Toutefois, des gouttelettes peuvent rester à l’état liquide, dans un état dit de surfusion, jusqu’à des températures de -40 °C.
La condensation libère de la chaleur latente (à l’inverse de l’évaporation qui entraîne un refroidissement). Ainsi, alors que la chute de température dans la troposphère (lire article L’atmosphère et l’enveloppe gazeuse de la Terre) est en moyenne de l’ordre de 6,5 °C par kilomètre, dans l’ascendance du cumulonimbus elle peut n’être que de 5°C par kilomètre. Cela contribue à rendre l’air ascendant plus chaud et plus léger que son environnement. Sous l’influence de la poussée d’Archimède, cet air continue donc de s’élever, jusqu’à l’altitude où les parcelles d’air du cumulonimbus se retrouvent aussi denses que leur environnement. Ceci explique la grande extension verticale des cumulonimbus jusqu’à des altitudes de 10 ou 15 km, c’est à dire jusqu’à la limite haute de la troposphère. En atteignant la stratosphère, les particules ascendantes rencontrent des températures plus élevées, donc un air plus léger, ce qui engendre une flottabilité négative et stoppe le développement vertical du nuage. Puisque le débit dans la boucle convective doit être conservé, le nuage s’étale horizontalement en formant l’enclume visible sur la figure 1. L’aspect sombre du cumulonimbus [2] tient au fait que ce nuage est d’autant moins transparent qu’il est plus épais et plus chargé en gouttes (lire Les couleurs du ciel).
Au début de l’ascendance convective, les micro-gouttelettes peuvent s’élever ou rester en suspension tant que leur vitesse de chute est inférieure à la vitesse du courant ascendant. Par contre, les gouttes les plus grosses et les plus lourdes, formées à la suite de collisions et de coalescences de gouttes plus petites, tombent et forment la pluie. De même les cristaux de glace les plus développés forment les flocons de neige, qui peuvent revenir à l’état liquide pendant leur chute aux altitudes où la température redevient supérieure à 0°C. Quant aux grêlons, ils se forment par givrage à la suite de collisions répétées entre particules de glace et gouttelettes d’eau surfondue. Il est d’ailleurs remarquable que certains grêlons circulent plusieurs fois dans la boucle convective, où la température s’abaisse à -50 °C en haut de la troposphère, alternant des phases d’agglomération de cristaux, des phases de congélation et de givrage, ainsi que des refontes partielles, ce qui peut conduire à une structure interne en couches concentriques analogues à des pelures d’oignon.
L’air ambiant plus sec de la moyenne troposphère, à des altitudes situées entre 4 et 8 km, interagit avec les précipitations qui sont présentes en périphérie de cette masse nuageuse. Ceci entraîne une évaporation partielle des gouttes descendantes, qui refroidit et alourdit l’air environnant, en formant des descentes insaturées [3], autrement dit des courants d’air descendants froids et lourds (Figure 3). Arrivant au sol, ces courants s’étalent horizontalement en créant des vents appelés courants de densité. Ceux-ci peuvent engendrer des rafales fortes et soudaines, qui constituent des signes annonciateurs de l’orage. Comme le montre la figure 3, à leur tour, ces masses d’air froid et lourd peuvent soulever l’air initialement présent pour former de nouvelles ascendances. C’est ainsi qu’un orage se propage, en provoquant de nouvelles ascendances à l’aval des courants de densité. Lorsque l’intensité et la direction du vent ambiant varient suffisamment avec l’altitude, la circulation orageuse peut acquérir une caractéristique tourbillonnaire marquée, aboutissant à la production de tornades (lire Les tornades, de puissants tourbillons dévastateurs).
3. Les conditions propices aux orages
Une fois le fonctionnement de l’orage compris, on peut en déduire les conditions propices à son développement. Dans les basses couches, les processus contribuant à soulever des parcelles d’air, telles que la turbulence, les rafales de vent dans les courants de densité, ou encore les brises de mer et les montagnes sont favorables au déclenchement des orages.
Dès lors qu’une parcelle d’air est soulevée, il faut encore que l’atmosphère soit suffisamment instable pour qu’elle continue de monter. Cette instabilité provient du fait que la parcelle d’air ascendante se retrouve plus chaude et donc moins dense que son environnement. Concrètement, l’atmosphère est d’autant plus instable que l’air situé près de la surface du sol est réchauffé, notamment par l’ensoleillement. C’est pourquoi, sur les continents, les journées ensoleillées d’été sont favorables au développement d’orages. Par ailleurs, pour que l’air ascendant puisse former un nuage, il faut qu’il contienne suffisamment d’humidité.
4. Eclairs et tonnerre
La plus connue des signatures lumineuses d’un orage est l’éclair. Il résulte de l’ionisation de l’air dans un scénario qui peut être résumé comme suit [4]. Les collisions entre différentes particules de glace s’accompagnent d’échanges de charges électriques dont la polarité dépend de la température. Si celle-ci est inférieure à -15°C, la plus petite particule (un cristal de glace) emporte une charge positive alors que la plus grosse (agrégat givré ou grésil) emporte une charge négative. Si la température est supérieure à -15°C, la polarité s’inverse : le petit cristal emporte une charge négative, alors la grosse particule emporte une charge positive. Comme les petits cristaux sont transportés en altitude par les courants ascendants alors que les plus gros chutent vers la surface, une sédimentation des charges apparait progressivement. La structure électrique globale qui en résulte est essentiellement bipolaire, avec une charge négative dans la partie centrale de l’orage où la température est comprise entre -15 et -40°C, et une charge positive vers le sommet où la température est inférieure à -40°C. La structure peut aussi être tripolaire, avec une charge positive secondaire vers la base du nuage où la température est supérieure à -15°C.
La séparation progressive des charges électriques produit dans le nuage un champ électrique d’intensité croissante, jusqu’à des valeurs supérieures à 100 kilovolts par mètre (100 kV/m). Le champ électrique ne pénétrant quasiment pas dans l’eau, il contourne les hydrométéores présents dans l’air (gouttes d’eau liquide ou particules de glace) et se renforce à leur voisinage, un peu comme un obstacle sur une voie de circulation provoque une accumulation de véhicules. Lorsque l’intensité du champ électrique dépasse ainsi quelques centaines de kV/m, l’air devient localement conducteur et de petites étincelles porteuses de charges électriques se développent spontanément depuis les extrémités des hydrométéores. C’est l’effet Corona [5] ou effet de pointe, qui se manifeste aussi par les Feux de Saint-Elme, petites décharges électriques qui apparaissent aux extrémités des mâts des navires ou des ailes des avions par temps orageux.
Ces petites étincelles se regroupent en précurseurs, longs de quelques mètres, qui se développent dans le nuage par bonds d’une centaine de mètres, parcourus en quelques microsecondes. En progressant de façon sporadique, ils tracent la forme caractéristique des éclairs avec de multiples embranchements. Lorsque des précurseurs portant des charges de polarités opposées se rencontrent, la neutralisation soudaine qui en résulte produit un puissant courant électrique qui parcourt le canal ionisé et le porte à des températures dépassant les 10 000°C. Le canal brille alors d’une très vive lumière et émet aussi un puissant rayonnement dans la bande des ondes radio. Ce fort réchauffement entraîne une dilatation de l’air plus rapide que la vitesse du son, ce qui engendre une onde de choc comme le bang d’un avion qui franchit le mur du son. Cette énergie se propage ensuite comme une onde sonore, c’est le tonnerre. Comme la vitesse du son à 340 m/s est environ un million de fois plus lente que celle de la lumière, le décalage T entre l’observation visuelle d’un éclair et l’audition du tonnerre permet d’en estimer la distance D avec D (km ) ≈ T (s ) / 3.
Certains précurseurs suffisamment énergétiques poursuivent leur propagation saccadée hors du nuage, provoquant à leur extrémité avant une augmentation du champ électrique par effet de pointe. A la surface, le champ renforcé peut induire le même type d’étincelles et de précurseurs qui se développent vers le haut à partir de diverses structures en pointe (sommets des arbres ou des bâtiments, pics montagneux, voire parapluies, clubs de golf ou piolets, … ). Lorsque le précurseur venant du nuage rencontre un précurseur s’élevant de la surface, le neutralisation de la charge électrique orageuse vers la terre provoque un éclair nuage-sol, comme ceux souvent visibles à la pointe de la Tour Eiffel ou sur les croix placées sur des hautes cimes montagneuses. La neutralisation des charges électriques, à l’intérieur du nuage ou entre le nuage et la Terre, est rarement totale. De nouvelles neutralisations peuvent se répéter jusqu’à dix fois de suite au sein du canal ionisé qui a été formé. Ce sont les arcs en retour dont la durée totale est inférieure à la seconde, et que l’on peut identifier visuellement par le caractère palpitant de nombreux éclairs.
On peut représenter un éclair comme un canal conducteur long de cent mètres à dix kilomètres, large de quelques millimètres. La différence de potentiel entre ses extrémités est de quelques dizaines de millions de volts, et l’intensité du courant électrique qui y circule dépasse les mille ampères. La puissance libérée dans un éclair est en moyenne de 10 à 100 milliards de watt (Gigawatts – GW ), soit plus que celle produite par un réacteur nucléaire. Mais la très faible durée des décharges (quelques dixièmes de seconde) et le caractère très sporadique des éclairs, tant dans l’espace que dans le temps, rendent illusoire le rêve de résoudre nos problèmes énergétiques par la production électrique des orages.
Les orages engendrent aussi des phénomènes lumineux moins connus, impressionnants mais éphémères. Ils se produisent au-dessus des nuages et sont donc difficilement visibles depuis le sol. Ces phénomènes lumineux transitoires [6][7] (Figure 4), qui apparaissent dans la stratosphère et la mésosphère, entre 20 et 100 km d’altitude, ne sont vraiment étudiés que depuis une vingtaine d’années, même si des observations plus anciennes par des pilotes d’avion et des astronautes en font mention. Répondant aux noms poétiques d’elfes, sylphes, farfadets ou jets bleus, avec de belles couleurs rouge-orangé, bleu-vert ou indigo et des formes en disque, halo, méduse ou faisceau, ils résultent de l’ionisation de la haute atmosphère très ténue par des décharges positives qui émanent de la partie supérieure de certains orages puissants, et se propagent vers le haut de façon de plus en plus diffuse. La future mission spatiale Taranis [8] du CNES, dont le lancement est actuellement prévu pour 2018, aura pour objectif d’observer en détails, sous plusieurs longueurs d’onde, ces phénomènes lumineux encore imparfaitement compris.
5. Interactions des orages avec les conditions atmosphériques
Dans certaines régions, comme la zone de convergence intertropicale (ICTZ) (lire La circulation atmosphérique et Le rôle clé des alizés), l’ascendance peut se produire sur de grandes étendues horizontales (plusieurs centaines de km). A l’extérieur des masses nuageuses, là où le ciel est clair, l’air, comme tout corps, émet un rayonnement infrarouge (lien vers article Rayonnement thermique). Il perd ainsi de l’énergie, se refroidit et donc descend. En revanche, l’ascendance se concentre dans la partie centrale des orages [9] (Figure 5).
Il existe aussi entre les orages et la circulation atmosphérique à grande échelle un effet d’amplification appelé rétroaction positive [10]. En effet, les orages sont favorisés dans les zones d’ascendance à grande échelle, dans lesquelles l’humidité converge. En retour, la libération de la chaleur latente qu’ils induisent contribue à alléger la colonne d’air, donc à diminuer la pression en surface et à favoriser la convergence de l’air à grande échelle (Figure 5). Cette amplification explique que généralement, la convection s’organise à grande échelle, sous la forme de gros amas.
Les orages ont aussi un rôle fondamental dans le transport d’énergie et de vapeur d’eau dans l’atmosphère. Ils réchauffent l’air en altitude par libération de chaleur latente, et le refroidissent dans les basses couches par évaporation partielle de la pluie. Ils ont donc un rôle stabilisateur sur le profil de température. Dans l’enclume sommitale de la colonne convective, la vapeur d’eau et une partie des cristaux de glace de l’air ascendant sont expulsés vers l’extérieur du nuage, ce qui humidifie la haute troposphère et la basse stratosphère. L’humidité dans la stratosphère joue un rôle important dans l’effet de serre et dans l’équilibre de la couche d’ozone.
Notes et références
Photo de couverture: ©Alain Herrault, Diverticimes (www.diverticimes.com)
[1] Houze RA. (1977). Structure and dynamics of a tropical squall line system. Mon. Weather Rev. 105: 15401567.
[2] Craig F. Bohren (1997). Les nuages noirs, La Météorologie, 19 : 49-51.
[3] Zipser, E. J. (1977). Mesoscale and convective-scale downdrafts as distinct components of squall-line structure. Monthly Weather Review, 105(12), 1568-1589.
[4] Roux, F. (1991). Les orages. Editions Payot.
[5] https://wikipedia.org/wiki/Effet_corona
[6] Soula, S. et van der Velde, O. (2009). Phénomènes lumineux transitoires au-dessus des orages : observation et conditions de production. La Météorologie, 64:20-31.
[7] Soula, S., Huet, P., van der Velde, O., Montanya, J., Barthe, B. et Bór, J. (2012). Des jets géants au-dessus d’un orage isolé proche de la Réunion. La Météorologie, 77 :30-40.
[9] Emanuel, K. A., David Neelin, J., & Bretherton, C. S. (1994). On large‐scale circulations in convecting atmospheres. Quarterly Journal of the RoyalMeteorological Society, 120(519), 1111-1143
[10] Risi, C. et Duvel, J.-P. (2014). L’oscillation de Madden-Julian, principal mode de variabilité intrasaisonnière dans les tropiques. La Météorologie, 86: 57-65.
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Pour citer cet article : RISI Camille, ROUX Frank (19 septembre 2018), Les orages : de l’électricité dans l’air, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 4 octobre 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/air/les-orages/.
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