Le mercure, le poisson et les chercheurs d’or

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Le mercure est un bon exemple des difficultés à évaluer et à gérer un risque en santé environnementale. La présence de ce métal dans la chaine alimentaire comporte un risque potentiel démontré, à mettre en balance avec les bénéfices de la consommation de certains aliments comme le poisson. L’histoire du mercure et de ses effets sur la santé, souvent émaillée d’événements dramatiques, illustre depuis des décennies les progrès réalisés en santé environnementale.

1. Le mercure

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Figure 1. Paracelse (1493-1541), par Quentin Metsys. [Source : After Quentin Matsys [Public domain], via Wikimedia Commons]
Le mercure, métal blanc argenté, brillant, dense et mobile, a longtemps été appelé pour toutes ces raisons vif argent, ou Quicksilver. Son symbole chimique Hg vient de son nom latin « hydrargyrum » ; on trouve encore parfois le mot hydrargyrisme pour parler de l’intoxication au mercure. Le mot « mercure » est apparu au 17e siècle. L’intoxication professionnelle par le mercure a été inscrite dès 1919 au tableau des maladies professionnelles. Dans la nature le mercure est combiné à du soufre pour former du sulfure de mercure, le « cinabre » ; c’est sous cette forme qu’il est encore exploité en Espagne, en Algérie et en Chine. En France, l’essentiel du mercure utilisé provient du retraitement des déchets.

Le mercure existe de façon schématique sous différentes formes : le mercure élémentaire ou mercure métal, les sels de mercure inorganique et le mercure organique [1]. Ce sont les propriétés du mercure métal qui ont longtemps fait le succès du mercure dans l’industrie. Relativement inerte d’un point de vue chimique, seul métal liquide et volatil à température ambiante, il est capable de dissoudre de nombreux métaux pour former des amalgames [2].

syphilis mercure moyen age
Figure 2. Syphilis : application d’onguent au mercure au Moyen-Âge. [Source : By Bartholomäus Steber [Public domain], via Wikimedia Commons].
Impossible de ne pas associer au mercure Paracelse, célèbre médecin et alchimiste du moyen-âge, rebelle de son époque puisqu’il brulait en place publique les écrits d’Hippocrate et de Galien (Figure 1).

« Inventeur » de la Médecine du Travail en observant les pathologies pulmonaires des mineurs, il fut le premier à introduire le mercure en thérapeutique, dans le traitement de la syphilis en particulier (Figure 2). En constatant les nombreux effets indésirables du mercure, il eut cette phrase restée fameuse en toxicologie : « c’est la dose qui fait le poison ». Et le dicton populaire était alors « une nuit avec Vénus, une vie avec Mercure » !

1.1. Le mercure métal

La toxicité du mercure métal pour l’homme vient de sa grande volatilité à température ambiante, c’est le risque « vapeur ». Raison pour laquelle toute présence de mercure métal dans des dispositifs « grand public » (thermomètre, baromètre, …) a été interdite en 1999. Raison pour laquelle plus aucun lycéen ne voit son professeur arriver en faisant rouler dans la main quelques billes de mercure (Figure 3) : les plus anciens s’en souviennent. Ingéré, le mercure métal ne passe pas la barrière digestive et n’est donc pas absorbé dans l’organisme. Autant dire que le mercure sous cette forme ne représente plus un enjeu de santé publique. Mais le mercure métal sera tout de même bien présent dans la suite de cet article.

chapelier fou
Figure 4. Le chapelier fou. [Source : John Tenniel [Public domain], via Wikimedia Commons]
bille mercure metal
Figure 3. Une bille de mercure métal. [Source : By А [Public domain], from Wikimedia Commons]
 

 

 

 

 

 

À propos de mercure métal, la toxicologie est pleine d’histoires, d’anecdotes et de références à la littérature. « Alice au pays des merveilles » de Lewis Carroll en est un exemple. Vous connaissez sûrement le chapelier fou (Figure 4) dans cette histoire ? Et vous connaissez peut-être l’expression Anglaise « mad as a hatter », « fou comme un chapelier » ? En fait, Lewis Caroll a simplement très bien observé ce qui se passait autour du lui dans l’Angleterre industrielle de la fin du 19e siècle. Les fabricants de chapeaux utilisaient du mercure qu’ils faisaient chauffer pour fabriquer et lustrer la feutrine des chapeaux. L’inhalation des vapeurs de mercure pouvait entrainer chez eux des troubles du comportement. D’où l’idée pour Lewis Carroll de choisir ce personnage un peu fou dans cette célèbre aventure.

1.2. Le mercure inorganique

Là encore, à part quelques accidents individuels, il n’y a pas de véritable enjeu de santé publique avec cette forme de mercure. On le trouve sous forme de sels de mercure inorganiques dans certains laboratoires, dans quelques piles bouton, mais rien de bien important pour la santé de l’homme. Mais cela n’empêche pas la recherche active de substituts pour certains produits industriels comme les piles-boutons par exemple.

1.3. Le mercure organique

En population générale [3], l’enjeu principal du mercure est là [4] ! Comme nous le verrons en détails, c’est ce mercure organique auquel l’homme est souvent exposé à travers son alimentation. De façon quasi « imparable » et malheureusement quasi « définitive » : ce dont l’homme est largement responsable. Jusqu’en 1989 le mercure organique était utilisé comme fongicide pour détruire les champignons microscopiques présents dans les céréales en particulier : nous en verrons les conséquences dramatiques. Toxique pour le système nerveux central, il a entraîné de graves complications neurologiques chez les personnes exposées. Le problème étant maintenant bien identifié, des systèmes de surveillance des populations exposées ont été mis en place par Santé Publique France [5] et des recommandations sanitaires sont régulièrement publiées par l’ANSES [6].

2. Le mercure organique, enjeu de santé publique

Quelques événements dramatiques ont jalonné l’histoire du mercure organique et joué un rôle essentiel dans une meilleure compréhension de la toxicité du mercure et de son incorporation dans la chaine alimentaire.

2.1. La baie de Minamata

Un véritable suspense policier s’est déroulé dans les années 50 au Japon. L’histoire commence par l’apparition de pathologies neurologiques sévères au sein de familles de pêcheurs habitant le long de cette baie. Ce qu’on appellerait aujourd’hui des « clusters » de malades, c’est-à-dire des sujets malades bien regroupés dans la même région.

Les adultes présentaient des paralysies sévères, des troubles neuropsychiques ; quant aux enfants, ils étaient nombreux à présenter des malformations sévères avec des troubles neurologiques et psychiques très handicapants, quand ils n’étaient pas morts nés. Ces faits se sont déroulés sur plusieurs années et malgré de nombreuses expertises le mystère restait total ! Le bilan final fera état d’environ 600 morts et 3 000 malades ! À cette époque l’épidémiologie était encore une science balbutiante et les analyses toxicologiques des liquides biologiques (sang, urine…) encore assez rudimentaires. Il faut imaginer cette région du Japon affectée pendant plusieurs années d’une mystérieuse maladie dont personne ne comprend la cause.

Quelques indices vont peu à peu être identifiés, deux en particulier : ces familles se nourrissent essentiellement des produits de la pêche et la très grosse entreprise chimique Chisso, qui utilise le mercure comme catalyseur de certaines synthèses chimiques, déverse régulièrement ses effluents dans les eaux de cette baie du Pacifique.

Ce furent des toxicologues venus d’Écosse nous dit l’histoire, qui vont découvrir le « pot aux roses ». Comment ? Ils ont d’abord repris tous les dossiers médicaux des malades pour en chercher les points communs. Leur conclusion : les pathologies décrites ressemblaient bien à ce que l’on connaissait alors de la toxicité du mercure organique. Or l’usine Chisso déversait pour l’essentiel du mercure métal dans le Pacifique ! Comme nous l’avons vu, seules les vapeurs du mercure métal sont toxiques pour l’homme et ingéré il ne passe pas la barrière digestive. Le mystère persista encore quelque temps.

Obstinés, les experts finirent par faire le lien entre l’usine Chisso qu’ils soupçonnaient de jouer un rôle dans cette « épidémie » et les pathologies présentées par les familles de pêcheurs.

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Figure 5. Méthyl mercure et chaine alimentaire.[Source : By Lamiot [CC BY-SA 3.0 (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0)], from Wikimedia Commons]
Une étape capitale dans la compréhension de l’entrée du mercure organique dans la chaine alimentaire fut alors découverte : Hg, le mercure métal présent dans l’eau, « méthylé » par les micro-organismes marins devient CH3Hg ! Un radical méthyle CH3 est ajouté au mercure métal déversé par l’usine [7]. C’est le phénomène dit de « biométhylation » du mercure qui fut alors mis en évidence. Le mercure métal devient du mercure organique qui une fois ingéré est vite et bien absorbé par l’organisme !

Un autre phénomène bien connu maintenant en santé environnementale fut aussi mis en évidence, la bioaccumulation. Le mercure est un toxique « cumulatif » qui s’accumule dans les organismes au fil du temps : plus le poisson ou le mammifère est « vieux » plus son contenu en mercure organique est important. Un autre phénomène fut décrit, la bioamplification : les gros poissons mangent les petits poissons, le mercure organique s’accumule tout au long de la chaine alimentaire jusqu’à l’homme : étant en bout de chaine l’homme reçoit alors la dose maximale de mercure organique quand il consomme par exemple de l’espadon, du thon et du flétan. Ou d’autres gros poissons (Figure 5).

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Figure 6. Le mémorial de Minamata. [Source :  Quirkyjazz via Flickr, CreativeCommons BY-NC-ND 2.0]
Ce ne fut qu’en 2010, soit un demi-siècle plus tard, que les survivants de cette affaire dramatique, souvent porteurs de handicaps majeurs, furent enfin indemnisés par l’entreprise Chisso et par l’État Japonais. Un mémorial représentant entre autres de nombreuses billes de mercure métal fut construit à Minamata (Figure 6).

2.2. Les oiseaux pêcheurs, les carottes glaciaires et le permafrost

Intrigués par l’histoire de la baie de Minamata, quelques scientifiques se posèrent la question suivante : est-ce un accident industriel isolé ? Ou les mers et les océans sont-ils déjà pollués par du mercure du fait de la révolution industrielle apparue à la fin du 19e siècle ? En préalable, précisons que le mercure présent dans l’organisme des mammifères est en partie éliminé par les « phanères », c’est-à-dire cheveux, poils et ongles chez l’homme, et plumes chez les oiseaux. Comme il est habituel de procéder en science depuis Claude Bernard, ces scientifiques posèrent une hypothèse : les mers et océans ne sont pas contaminés, il s’agissait à Minamata d’un accident industriel isolé.

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Figure 7. Balbuzard pêcheur et grèbe huppé. Pour le Balbuzard. [Source : By NASA [Public domain], via Wikimedia Commons (Image de gauche) ; Luciano Giussani [CC BY 2.0 (https://creativecommons.org/licenses/by/2.0)], via Wikimedia Commons (image de droite)].
Mais comment le prouver ? Ils ont eu alors une idée que l’on peut qualifier de géniale : ils analysèrent les plumes d’oiseaux empaillés dans les muséums d’histoire naturelle, les oiseaux pêcheurs en particulier, comme le balbuzard pêcheur et le grèbe huppé (Figure 7). L’analyse des plumes de ces oiseaux permit ainsi de remonter jusqu’à la moitié du 19e siècle. Très mauvaise nouvelle : la pollution mercurielle des mers et des océans n’a jamais cessé de croitre depuis le début de l’ère industrielle. Une étude récente a confirmé ces résultats [8] : des concentrations moyennes de quelques µg/g sont mesurées dans des plumes d’oiseaux marins,  et si la progression se poursuit, elles atteindront dans quelques décennies le seuil de dangerosité estimé à environ 20 µg/g.

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Figure 8. Le mercure dans les carottes glaciaires du Wyoming.[Source : Par US government [Public domain], via Wikimedia Commons]
D’autres études ont porté sur l’étude des dépôts de mercure amené par la pollution de l’air, dans les glaces, aux pôles en particulier. Une étude a porté sur un glacier d’un État Américain de latitude moyenne le Wyoming [9]. L’étude des carottes glaciaires ont largement confirmé la responsabilité de l’homme dans cette pollution massive de l’environnement par le mercure. Sur la Figure 8 on peut voir le « bruit de fond » naturel en vert (dépôts d’origine naturelle), l’activité volcanique de cet État (en bleu) et surtout l’activité de l’homme, chercheurs d’or (couleur or) et activités industrielles (rouge) en particulier. Dans cette étude, l’activité de l’homme est responsable de 70% des émissions de mercure au cours des cent dernières années. On peut observer une décroissance des concentrations de mercure ces 15 – 20 dernières années, conséquence des différentes stratégies mises en œuvre pour en réduire les émissions.

Plus récemment, il a été montré que le permafrost (sol gelé dans l’hémisphère Nord) contenait d’énormes quantités de mercure [10]; le réchauffement climatique peut laisser craindre un relargage progressif de ce mercure.

2.3. Une famine en Irak

Une famine terrible apparut dans les campagnes Irakiennes dans les années 70. Pour venir en aide aux populations, de très grandes quantités de céréales furent alors distribuées en sacs, par l’État et aussi par des Associations (qu’on n’appelait pas encore ONG). Assez rapidement divers troubles neurologiques apparurent chez ces fermiers et leur famille. On se rappelle que le méthyl-mercure était alors utilisé comme fongicide sur les céréales. Effectivement les céréales avaient été traitées par du méthyl-mercure mais pour les utiliser en tant que semences et non pas pour les consommer. Or sur les sacs, les inscriptions figuraient en anglais, langue dont ces populations n’avaient aucune connaissance ! C’est donc bien à la suite de la consommation de ces céréales traitées que ces intoxications apparurent. Près de 20 ans après Minamata, le lien fut heureusement assez vite établi entre le méthyl-mercure et les pathologies présentées par ces populations. Le bilan final fut néanmoins dramatique, avec près de 650 décès et 6 500 malades [11].

Ce drame permit tout de même de progresser. Les relations dose-effet du mercure ont pu être mieux étudiées et depuis l’analyse toxicologique des cheveux est devenue un standard dans l’étude des intoxications chroniques par métaux lourds.

2.4. Les iles Féroé, les Seychelles

Afin de progresser dans la compréhension de l’exposition de l’homme au mercure organique et de sa toxicité, de nombreuses études de suivi de populations exposées et d’évaluation de risque sont conduites. Ainsi par exemple dans l’Océan Indien, un suivi de groupes d’enfants des iles Féroé et des Seychelles a été instauré dès 1985 [12]. Ces populations très consommatrices de poissons sont en effet de « bons témoins » d’une possible exposition chronique à de faibles doses de méthyl-mercure. Ainsi des progrès peuvent être faits grâce à ces études dont par exemple l’utilisation de tests cognitifs fins pour détecter les plus petits signes de toxicité ou effectuer le dosage du mercure dans le sang du cordon dès la naissance.

Il faut néanmoins souligner l’extrême difficulté de ces études épidémiologiques, dites études de « cohortes ». De nombreux biais peuvent intervenir tout au long de l’étude. Comme par exemple le fait que les poissons peuvent malheureusement contenir d’autres polluants ou que d’autres facteurs environnementaux peuvent être présents tout au long de la vie des sujets suivis. Il est donc difficile d’imputer au seul mercure l’ensemble des observations. Ceci est un fait bien connu et habituel dans toutes les études ciblées sur les effets de l’environnement sur la santé de l’homme.

3. Les amalgames dentaires

carie dentaire - carie dent
Figure 9. Amalgame et carie dentaire.[Source : By DRosenbach [Public domain or Public domain], via Wikimedia Commons]
Sujet sensible bien difficile à aborder sans déclencher les passions ! Cette propriété du mercure métal d’amalgamer d’autres métaux est utilisée de longue date pour former les « plombages », utilisés depuis très longtemps pour combler les caries dentaires (Figure 9). Mal nommés d’ailleurs puisqu’ils ne contiennent pas de plomb mais de l’argent, du zinc, de l’étain et du cuivre.

Le mercure contenu dans ces amalgames serait responsable de diverses maladies chroniques comme la maladie d’Alzheimer ou la sclérose en plaques. Les vapeurs de mercure peuvent en effet être inhalées et pénétrer ainsi dans l’organisme : le fait de mâcher du chewing-gum ainsi que le bruxisme[13] majorent le risque de relargage de vapeurs de mercure. À ce jour, aucune expertise scientifique nationale ou internationale n’a pu établir de relation formelle entre la présence d’amalgames en bouche et ces maladies.

Mais les passions sont vives dès que l’on aborde le sujet ! On peut tout même en regretter certaines conséquences : le business fait dans des pays d’Europe où des professionnels de santé prétendent guérir les malades en leur administrant, au prix fort, des produits chélateurs du mercure. Nous verrons ci-dessous qu’il est bien difficile de gérer ce type de risque non formellement avéré.

4. Le mercure et les orpailleurs

fleuve maroni guyanne - pollution mercure
Figure 10. Le fleuve Maroni en Guyane, massivement pollué par le mercure. [Source : By Maurizio Alì [CC BY-SA 4.0 (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0)], from Wikimedia Commons]
C’est un « remake » de la baie de Minamata et cela se passe dans le plus grand département français, la Guyane. Les chercheurs d’or clandestins ou « orpailleurs », utilisent largement le mercure métal pour amalgamer les pépites d’or éventuellement présentes dans l’eau des rivières. Ils chauffent ensuite l’amalgame pour récupérer l’or et chaque année quelques décès surviennent à la suite de l’inhalation de vapeurs de mercure.

Mais surtout, la catastrophe liée à ces pratiques d’orpaillage réside dans le fait que tous les fleuves et rivières de cette grande zone amérindienne sont massivement pollués par du mercure métal (Figure 10). Toutes les populations de cette zone qui couvre la Guyane, une partie du Brésil et du Surinam, sont exposées au méthylmercure, le mercure métal des orpailleurs étant transformé en méthyl-mercure par les micro-organismes aquatiques. Santé Publique France, l’agence sanitaire en charge du suivi des populations, a depuis longtemps mis en place dans ce département des mesures de suivi de la population et communique régulièrement, avec l’ANSES, sur les risques d’une consommation excessive de poisson (cf. notes 1 et 2).

5. Le mercure et la gestion de risques

Le mercure est un excellent exemple de la difficulté à gérer un risque en santé environnementale. La gestion de risques succède à l’évaluation de risques.

L’évaluation de risques est le fait de scientifiques indépendants : ils amènent des propositions fondées sur l’état actuel des connaissances et indiquent quels sont les risques pour la santé de l’exposition à tel ou tel toxique ; ils proposent également le plus souvent des valeurs d’exposition à ne pas dépasser.

La gestion de risques est le fait du décideur : c’est le rôle en France de nos agences sanitaires, ici l’ANSES, et de nos ministres concernés par le sujet. Ces décideurs peuvent s’appuyer, ou non, sur les conclusions des experts scientifiques. Nous prendrons deux exemples.

  • Quelles recommandations pour la consommation de poissons ?
    La difficulté est accrue par le fait que les poissons peuvent être contaminés par de nombreux autres polluants que le mercure, PCB et dioxines entre autres. La gestion de risque va en permanence chercher un équilibre entre – il faut manger du poisson – et – attention aux toxiques contenus dans le poisson. On connait la richesse du poisson en certains nutriments précieux pour la santé comme les Oméga 3 des poissons gras. On connait aussi maintenant les principaux contaminants du poisson et leurs risques pour la santé (PCB, dioxines, métaux lourds dont le mercure). Les recommandations sont alors « protectrices » sans pouvoir en prouver formellement la valeur. L’ANSES limite ainsi la consommation de poisson chez le jeune enfant et la femme enceinte [14].
  • Et les amalgames dentaires ?
    Ils posent un autre problème, celui des substituts, en l’occurrence les résines utilisées le plus souvent en chirurgie dentaire. Peut-on en démontrer la totale innocuité ? Non, pas définitivement. Concernant la présence du mercure lui-même, les recommandations récentes sont là encore « protectrices », en application d’après l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé)  du principe de précaution et malgré l’absence de risque avéré si on se fie à toutes les études récentes : éviter les amalgames au mercure chez le jeune enfant et la femme enceinte [15]. En revanche et pour être complet, il faut souligner que l’utilisation du mercure en cabinet dentaire est soumise depuis de nombreuses années à une réglementation très stricte, pour éviter en particulier le risque d’inhalation toxique répétée par le chirurgien-dentiste, et de façon plus ponctuelle par le patient. Des recommandations pour les patients [16] et pour les professionnels [17] ont été proposées par l’ANSM [18].

L’utilisation mal maitrisée depuis des siècles d’un grand nombre de métaux lourds comme le mercure, mais aussi le plomb, l’arsenic ou le cadmium, ont conduit à une pollution massive et durable de la planète. Ces métaux ont malheureusement tous des effets néfastes démontrés sur la santé de l’homme.

Le mercure représente un véritable enjeu de santé publique, en population générale, sous sa forme organique, le méthyl-mercure en particulier. Comme nous l’avons vu, il s’introduit dans la chaine alimentaire lors de la consommation de produits de la mer, poissons en particulier. Retenons aussi qu’il faut consommer du poisson, mais pas trop et pas tous les jours. La gestion de risques est un exercice difficile quand comme dans ce cas il faut trouver un équilibre entre ce qui est bon et ce qui est mauvais.

Le mercure métal n’est pas en reste même si son ingestion ne comporte aucun risque. La mise en évidence du phénomène de biométhylation en milieu marin a bien montré que la pollution environnementale en mercure métal est responsable de l’incorporation de mercure organique dans la chaine alimentaire.

Le cas des amalgames dentaires est aussi un bon exemple de la difficulté de gérer un risque. Qui existe ? Qui n’existe pas ? A tort ou à raison, le principe de précaution va sûrement trouver ici de nombreuses applications.

Enfin, une convention internationale sur le mercure a été mise en œuvre récemment par le programme des Nations Unies pour l’Environnement, la convention de Minamata. Adoptée en 2013 au Japon, elle est entrée en vigueur le 16 août 2017 [19]. Parmi ses principales dispositions, la Convention de Minamata prévoit notamment l’interdiction des nouvelles mines de mercure et l’abandon progressif des mines existantes, la suppression et l’élimination progressive de l’utilisation du mercure dans un certain nombre de produits et procédés, la mise en place de mesures visant à contrôler les émissions de mercure dans l’atmosphère et ses rejets dans l’eau et le sol, ainsi que le contrôle du secteur informel de l’extraction minière artisanale et à petite échelle de l’or. La Convention traite également de la question du stockage provisoire du mercure ainsi que de son élimination une fois devenu déchet, des sites contaminés ainsi que des aspects sanitaires.

Une vidéo très intéressante met en évidence la pollution mondiale au mercure et met cette convention en perspectives [20] :

 

6. Messages à retenir

  • Le mercure est un excellent exemple de la difficulté à gérer un risque en santé environnementale qui comprend deux étapes :
    • L’évaluation de risques est le fait de scientifiques indépendants : leurs propositions sont fondées sur l’état actuel des connaissances ; ils indiquent quels sont les risques pour la santé de l’exposition à tel ou tel toxique ; ils proposent également des valeurs d’exposition à ne pas dépasser.
    • La gestion de risques est le fait du décideur : c’est le rôle des agences sanitaires concernées par le sujet. Ces décideurs peuvent décider de s’appuyer, ou non, sur les conclusions des experts scientifiques.
  • La toxicité du mercure métal pour l’homme vient de sa grande volatilité à température ambiante. L’intoxication professionnelle par le mercure a été inscrite dès 1919 au tableau des maladies professionnelles.
    • Le mercure représente un véritable enjeu de santé publique, sous sa forme organique, le méthyl-mercure en particulier.
    • La mise en évidence du phénomène de biométhylation en milieu marin a montré que la pollution environnementale en mercure métal est responsable de l’incorporation de mercure organique dans la chaine alimentaire.
    • Le mercure est un toxique « cumulatif » qui s’accumule dans les organismes au fil du temps : c’est la bioaccumulation.
    • La bioamplification est un autre processus important en santé environnementale : le mercure organique s’accumule tout au long de la chaine alimentaire jusqu’à l’homme : étant en bout de chaine l’homme reçoit alors la dose maximale de mercure organique quand il consomme par exemple de l’espadon, du thon ou du flétan.
    • La gestion de risque va en permanence chercher un équilibre entre – il faut manger du poisson, c’est bon pour la santé – et – attention aux toxiques contenus dans le poisson.
  • La propriété du mercure métal d’amalgamer d’autres métaux est utilisée de longue date pour former les « plombages » réalisés afin de combler les caries dentaires.
    • À ce jour, aucune expertise scientifique n’a pu démontrer des risques sanitaires potentiellement associés à la présence d’amalgames dentaires.
    • Les recommandations sont « protectrices » en application – d’après l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé – du principe de précaution.
    • L’utilisation du mercure en cabinet dentaire est soumise depuis de nombreuses années à une réglementation très stricte.
  • Les chercheurs d’or clandestins utilisent le mercure pour récupérer l’or éventuellement présent dans l’eau des rivières. En conséquence, les fleuves et rivières où cette pratique existe (Guyane, par exemple), sont massivement pollués par du mercure, créant des dégâts environnementaux irréparables. De plus, il existe des risques sanitaires pour les populations liés à une consommation excessive de poisson.
  • L’utilisation mal maitrisée depuis des siècles d’un grand nombre de métaux lourds comme le mercure, mais aussi le plomb, l’arsenic ou le cadmium, ont conduit à une pollution massive et durable de la planète. Ces métaux ont malheureusement tous des effets néfastes démontrés sur la santé de l’homme.

 


Notes et références

Image de couverture. [Source : Par Arnaud 25 [CC BY-SA 3.0 (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0)], de Wikimedia Commons]

[1] Bensefa-Colas L, Andujar P, Descatha A (2011). Intoxication au mercure. La revue de Médecine Interne, 32 (7), pp.416-24.

[2] Assemblage d’éléments hétérogènes. Le mot est le plus souvent utilisé en chimie pour parler d’un alliage de mercure avec d’autres métaux.

[3] En Santé environnementale, on fait bien la distinction entre la population des professionnels, exposés à certains risques au poste de travail, et la population générale, c’est-à-dire tout un chacun en dehors du travail.

[4] Clarkson TW (2002). The three modern faces of mercury. Environment Health Perspectives, 110 Suppl 1 : 11-23.

[5] Santé Publique France : www.santepubliquefrance.fr

[6] ANSES. Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail. : www.anses.fr/fr

[7] Harada M (1995) Minamata Disease: Methylmercury poisoning in Japan caused by environmental pollution, Critical Reviews in Toxicology, 25:1, 1-24

[8] Bond AL, Hobson KA, Branfireun BA. 2015 Rapidly increasing methyl mercury in endangered ivory gull (Pagophila eburnea) feathers over a 130 year record. Procedings of the Royal Society of Biology, 282: 2015

[9] Schuster PF, Krabbenhoft DP, Naftz DL. 2001. Atmospheric mercury deposition during the last 270 years: a glacial ice core record of natural and anthropogenic sources. Environmental Science and Technology, 36, 2303-2310

[10] Shuster PF et al (2018). Permafrost stores a globally significant amount of mercury. Geophysical Research Letters, 45, 1-9

[11] Al-Tikriti K, Al-Mufti AW (1976). An outbreak of organomercury poisoning among Iraqi farmers. Bulletin World Health Organization. 53 Suppl:15-21

[12] Myers GJ, Davidson PW, Cox C et al. (1995). Summary of the Seychelles child development study on the relationship of fetal methylmercury exposure to neurodevelopment. Neurotoxicology 16, 711-716.

[13] Mouvements répétés et inconscients de friction des dents

[14] ANSES : manger du poisson, bénéfices et risques. www.anses.fr/fr/content/manger-du-poisson-bénéfices-et-risques

[15] ANSM : Le mercure des amalgames dentaires, actualisation des données, avril 2015. http://ansm.sante.fr/content/download/76933/976017/version/1/file/ANSM_Rapport_Mercure-Amalgames-Dentaires_Mai-2015.pdf

[16] ANSM : http://ansm.sante.fr/var/ansm_site/storage/original/application/0b5892a526480ba401d0ccc3fd4ee0e2.pdf

[17] http://ansm.sante.fr/var/ansm_site/storage/original/application/7cacb0593aa9f8ebd9b176c65ff98890.pdf

[18] ANSM : Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé : http://ansm.sante.fr/

[19] Convention de Minamata sur le mercure : http://www.mercuryconvention.org/Portals/11/documents/Booklets/COP1%20version/Minamata-Convention-booklet-fr-full.pdf

[20] Make mercury history : https://youtu.be/guO7RbArWf4


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Pour citer cet article : DANEL Vincent (6 mars 2019), Le mercure, le poisson et les chercheurs d’or, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 19 avril 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/sante/mercure-poisson-chercheurs-or/.

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