Droit de la montagne : comment concilier nature exceptionnelle et activité humaine ?
PDFLa montagne fait souvent rêver, parfois peur. Espace et écosystème à la fois somptueux, rude et fragile, la montagne est autant habitée, fréquentée que convoitée par l’Homme pour ses activités. Il existe cependant d’importantes inégalités socio-économiques entre « les » territoires de montagne. C’est pourquoi le droit français a été progressivement adapté pour favoriser le développement durable de ces territoires. D’une part, la réglementation soutient la mise en œuvre de politiques publiques adaptées aux enjeux et difficultés de la vie montagnarde. D’autre part, le droit est écrit en vue de préserver l’environnement, limiter la dispersion des constructions ou réduire les conflits d’usages relatifs à l’utilisation du sol (loisirs, agriculture, habitat, etc.). Ainsi est apparu progressivement ce que l’on nomme le « droit de la montagne » dont les principaux reliefs sont scrutés ci-après par le prisme des questions foncières et d’urbanisme.
- 1. Pourquoi une réglementation spécifique en montagne ?
- 2. La ville à la montagne : quels principes pour encadrer l’aménagement et la construction ?
- 3. Peut-on construire malgré les risques naturels ?
- 4. Comment réguler l’accès à une montagne toujours plus fréquentée pour les activités de loisirs ?
- 5. Que faire des friches touristiques dans les stations de basse altitude privées de neige ?
- 6. Messages à retenir
1. Pourquoi une réglementation spécifique en montagne ?
1.1. Origines
Pour obtenir un arsenal complet de soutien à la vie montagnarde et de lutte contre le processus de désertification rurale, la France, de manière originale et à la différence de la plupart des autres pays, s’est dotée d’une législation dédiée aux besoins et aux particularités de la montagne.
La notion de « droit de la montagne » est ainsi née de cette tendance à créer du droit spécifique pour la montagne et sur beaucoup de sujets à consacrer une discrimination positive territoriale qui permet la mise en œuvre de politiques publiques adaptées à la vie montagnarde, en général plus difficile qu’ailleurs. Ce droit n’est toutefois pas isolé car le droit commun continue de s’appliquer aussi en montagne (tel le droit de l’environnement, le droit des services publics) même si son application par le juge ou les personnes physiques ou morales est souvent influencée par les spécificités du milieu montagnard (le climat ou les risques par exemple). De telles spécificités sont d’ailleurs largement relayées par les médias lorsque surviennent des accidents spectaculaires en montagne.
L’histoire du droit de la montagne est ancienne. La montagne a fait l’objet d’attentions spéciales par le législateur depuis le XIXe siècle, conscient que certains dérèglements affectant la nature et issus de l’activité humaine étaient préjudiciables au pays tout entier. A la fin du XIXe siècle, il s’agissait surtout de reboiser et ré-engazonner la montagne afin de protéger les terres (lois du 28 juillet 1860 et 8 juin 1864) puis de restaurer et conserver les terrains en montagne (loi du 4 avril 1882). A cette époque, le service de Restauration des Terrains en Montagne (RTM) fut créé, il existe toujours (Lire Des barrages sur les torrents, pourquoi?).
Le thermalisme puis le ski sont ensuite nés sans encadrement législatif particulier du point de vue de l’urbanisme. Le droit en la matière va naître sous le régime de Vichy. Ce régime voulut faire émerger, dans le sillage d’une morale éducatrice [1], des stations de tourisme d’hiver au rayonnement international. Des « missions d’étude » composées d’urbanistes, d’architectes et d’ingénieurs, furent lancées en 1942-1944, aux fins de préfigurer sur les plans fonctionnels et urbanistiques les futurs fleurons du ski français (à l’époque : Vars, Chamonix, région de Belleville, des Allues et de Saint-Bon, Val d’Isère – Tignes). Par ailleurs, la loi n°498 du 3 avril 1942 offrit un statut juridique aux stations de sports d’hiver et d’alpinisme [2]. Les stations prévues ne sont toutefois pas « sorties de terre » à l’époque.
Vint ensuite le temps des « plans neige » dans les années 1960 et 1970, preuve supplémentaire du volontarisme de l’Etat pour développer l’économie du tourisme en montagne dans l’intérêt du pays. Les idées novatrices des années 1940 trouveront notamment une concrétisation avec les stations intégrées (notions de front de neige, de capacité d’accueil, de liaison des domaines skiables par téléphériques, etc.). Les résultats ne sont pas à l’abri des critiques, le souhait de créer des stations populaires ayant été en partie déçu [3].
1.2. A la recherche d’un équilibre entre développement et protection de l’espace
La protection de l’environnement est devenue une volonté affirmée par les gouvernements depuis le début des années 1970. La prise en compte de la nature n’a fait depuis que se renforcer avec notamment la loi n°76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature, et bien plus tard, la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement.
L’encadrement de l’urbanisation en altitude et du développement des stations de ski devint en conséquence un volet des politiques publiques (Figure 1). A ce titre, on retient surtout le discours du président de la République, Valéry Giscard d’Estaing, à Vallouise le 23 août 1977. Il préconisa une véritable politique de la montagne. Cette prise de position se traduisit dans l’édiction une directive d’aménagement national relative à la protection et à l’aménagement de la montagne approuvée par le décret n° 77-1281 du 22 novembre 1977. Son objet était de limiter la concurrence foncière, d’éviter la dispersion des constructions et de favoriser un développement touristique planifié.
La recherche d’un équilibre entre développement et protection de l’espace en montagne a été ensuite consacrée dans la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 dite « Loi Montagne ». Votée à l’unanimité, elle voulut traiter par une approche globale une diversité de sujets pour améliorer la vie en montagne tout en prenant en compte les spécificités locales et en donnant plus de pouvoirs aux collectivités décentralisées pour gérer les affaires d’urbanisme.
Las, malgré les ambitions du droit, la recherche d’équilibre est restée assez ineffective car l’étalement et l’influence urbains n’ont cessé de progresser dans les départements de montagne [4]. Modifiée et consolidée par la loi n° 2016-1888 du 28 décembre 2016 relative à la modernisation, au développement et à la protection des territoires de montagne dite loi « Montagne 2 », la loi de 1985 repose pour autant toujours sur une approche anthropocentrée et pragmatique destiné à produire un maximum d’effets utiles pour la vie en montagne dans une perspective de développement durable [5].
Malgré certaines avancées, la loi « Montagne 2 » n’a toutefois pas eu le caractère innovant de la loi de 1985 et n’a pas procédé à un aggiornamento juridique exhaustif, la Convention de protection des Alpes, à laquelle est pourtant soumise la France, inspirant par exemple encore trop peu les politiques publiques tandis qu’en droit international la montagne est d’abord considérée comme un espace à protéger.
Pour tout dire, la loi de 2016 n’a pas suscité l’unanimité. Au fil conducteur consensuef qu’était le souhait de revitaliser la montagne en 1985 a succédé une variété d’aspirations, qui vont de la régulation – voire de la limitation – de sa fréquentation à la diversification du tourisme en passant par le maintien de la compétitivité internationale de l’économie du ski (montagne « nature-ressourcement » versus montagne « parc d’attraction »). Le modèle centré autour du ski ne fait plus consensus.
1.3. Qu’est-ce qu’une zone de montagne au sens de la loi ?
Contrairement aux apparences, la zone de montagne n’est pas évidente à définir. Instinctivement, la montagne évoque l’altitude, le relief, le climat et une vie humaine particulière [6]. Le droit n’offre cependant pas de définition claire de la montagne. Il désigne simplement des « zones de montagne » au sens de tel ou tel texte. Et cette désignation de la montagne « légale » va engendrer l’application de divers régimes juridiques comme en matière d’aide à l’agriculture ou d’urbanisme.
Au sens de la loi Montagne, les zones de montagne se caractérisent par des handicaps significatifs entraînant des conditions de vie plus difficiles et restreignant l’exercice de certaines activités économiques (article 3 de la loi). Les zones de montagne sont ensuite classées par des arrêtés interministériels qui s’appuient sur des critères : l’altitude et le climat d’un côté, l’existence de fortes pentes d’un autre.
Cette notion de zone de montagne n’englobe toutefois pas toutes les formes de montagnes. D’ailleurs, pour l’intervention des secours la zone de montagne est encore plus floue car la circulaire du 6 juin 2011 précise qu’il faut entendre les zones de montagne « selon leur acception courante ».
Quoi qu’il en soit, les communes classées sont passées de 3854 au début des années 1960 à 6158 en 2017 (6092 en métropole et 66 en outre-mer) [7]. Cela représente près de 7 % de la population française.
On fera observer qu’à côté des zones de montagne qualifiées comme telles au sens administratif, il existe aussi des « massifs » qui jouissent d’une reconnaissance dans la loi. Ils disposent même d’une instance spécifique avec les « comités de massifs » dont les missions de promotion du développement durable sont multiples : rédaction d’un schéma inter-régional d’aménagement et de développement du massif, avis rendus lors d’opérations d’aménagement touristique) [8]. Délimité par décret, le massif est une zone plus vaste qui englobe les zones de montagne mais aussi les zones qui leur sont immédiatement contiguës : piémonts ou plaines (Figure 2). Selon l’article 5 de la loi Montagne les massifs sont : Alpes, Corse, Massif central, Massif jurassien, Pyrénées, Massif vosgien.
2. La ville à la montagne : quels principes pour encadrer l’aménagement et la construction ?
Divers principes juridiques s’imposent uniquement en zone de montagne. Les plus emblématiques sont les suivants.
2.1. La construction en continuité de l’urbanisation existante
C’est l’un des principes les plus importants du code de l’urbanisme français. Il consiste en une prohibition générale de l’urbanisation isolée puisque « l’urbanisation est réalisée en continuité avec les bourgs, villages, hameaux, groupes de constructions traditionnelles ou d’habitations existants (…) » [9]. Le principe est censé ainsi lutter contre le « mitage » des constructions en montagne incompatible avec la préservation de l’environnement, des terres agricoles ou la limitation des risques naturels.
Ce principe a été toutefois assoupli depuis sa définition en 1985 dans la loi « Montagne ». Au fur et à mesure des modifications, il a perdu de ses effets – voire de son sens – car de nombreuses exceptions ou dérogations sont possibles, qu’elles soient prévues par la loi comme la réalisation d’annexes aux constructions ou la réalisation des unités touristiques nouvelles ou rendues possibles par les documents d’urbanisme locaux.
Comment apprécier la continuité ? La notion de « continuité » n’est pas précisément définie par le code de l’urbanisme, par exemple en termes de distances minimales entre les constructions. La loi précise toutefois que la continuité s’apprécie au regard de trois critères [10] :
- les caractéristiques locales de l’habitat traditionnel,
- les constructions implantées,
- et l’existence de voies et réseaux .
En pratique, c’est essentiellement au juge administratif qu’il revient localement et au cas par cas, souvent cartes et photos à l’appui, de dire si l’on est en présence d’une urbanisation et ensuite de dire si la continuité du projet de construction à cette urbanisation est respectée ou non. La notion de continuité peut s’apparenter à la contiguïté absolue ou à une petite distance entre les constructions existantes et le projet.
Exemple : la continuité implique nécessairement une proximité. Tel n’est pas le cas d’un secteur situé à plusieurs kilomètres du bourg et du village, à des centaines de mètres d’un lieu-dit réunissant quelques constructions même si les terrains sont situés dans une zone urbaine – et donc potentiellement constructible – du plan local d’urbanisme [11].
2.2. La préservation des terres agricoles
En montagne, le code de l’urbanisme impose que les terres nécessaires au maintien et au développement des activités agricoles, pastorales et forestières, en particulier les terres qui se situent dans les fonds de vallée, soient préservées (Figure 3). La nécessité de préserver ces terres s’apprécie au regard de leur rôle et de leur place dans les systèmes d’exploitation locaux. Sont également pris en compte leur situation par rapport au siège de l’exploitation, leur relief, leur pente et leur exposition [12].
Quelles sont les « bonnes » terres à préserver ? Le juge administratif a eu l’occasion de préciser que les terres agricoles à protéger en priorité en montagne sont des terres plates ou peu pentues (faible déclivité) et donc mécanisables (souvent des prairies de fauche complémentaires d’une activité d’élevage) [13].
Comment préserver ces terres ? Il revient essentiellement aux documents d’urbanisme de le faire en fonction des autres intérêts en présence au niveau local (habitat, tourisme). En tout état de cause, la capacité d’accueil des espaces destinés à l’urbanisation doit être compatible avec la préservation des espaces naturels et agricoles [14].
Le code de l’urbanisme prévoit toutefois différentes exceptions [15] : peuvent être autorisées dans les espaces ou terres agricoles à préserver :
- les constructions nécessaires aux activités agricoles, pastorales et forestières,
- les équipements sportifs liés notamment à la pratique du ski et de la randonnée,
- les chalets d’alpage et les bâtiments d’estive (Focus # 3).
2.3. La protection des rives des plans d’eau
En montagne, les parties naturelles des rives des plans d’eau naturels ou artificiels d’une superficie inférieure à 1 000 hectares [16] sont protégées sur une distance de 300 mètres à compter de la rive (Figure 4). Y sont interdits toutes constructions, installations et routes nouvelles ainsi que toutes extractions et tous affouillements [17]. Un grand nombre d’exceptions ou de dérogations permettent toutefois de construire dans des conditions restrictives (notamment des refuges, gîtes d’étape, aires naturelles de camping, équipements d’accueil et de sécurité nécessaires à la pratique de la baignade, des sports nautiques, de la promenade ou de la randonnée) [18].
Comment apprécier le caractère « naturel » des rives ? Cela procède de l’analyse concrète des lieux (Figure 5), sous le contrôle souverain du juge administratif en cas de litige. Le caractère naturel n’est pas compromis par des terrassements effectués en vue de l’installation de remontées mécaniques, mais il n’existe plus si l’espace a servi à l’exploitation d’une vaste carrière ou s’il est bordé par une route nationale et une voie ferrée désaffectée [19].
2.4. Les « équilibres » du développement touristique
En montagne, le développement touristique et, en particulier, la création ou l’extension des unités touristiques nouvelles (Voir le Focus 2.) doivent tenir compte de plusieurs critères permettant de donner aux opérations un caractère équilibré [20].
Tout projet d’aménagement ou d’équipement doit tout d’abord prendre en compte les communautés d’intérêt des collectivités territoriales concernées (y compris des communes étrangères frontalières).
Il doit ensuite prendre en compte la vulnérabilité de l’espace montagnard au changement climatique. Malgré l’ambiguïté des mots, cette innovation bienvenue de la loi « Montagne 2 » de 2016 peut s’analyser comme un principe de prudence imposé aux aménageurs afin de bien mesurer les effets des projets – et donc leur pertinence – quant à leur impact sur la ressource en eau, les terres agricoles ou la consommation d’énergie.
Il doit en outre contribuer à l’équilibre des activités économiques et de loisirs, notamment en favorisant la diversification des activités touristiques ainsi que l’utilisation rationnelle du patrimoine bâti existant et des formules de gestion locative des constructions nouvelles.
Enfin, la localisation, la conception et la réalisation d’une unité touristique nouvelle doivent respecter la qualité des sites et les grands équilibres naturels. Le juge administratif exerce un contrôle poussé pour vérifier la bonne application de ces principes [21]. Il a par exemple annulé des arrêtés préfectoraux approuvant des projets de création ou d’extension de stations de ski, comme à Vaujany ou à Ampus (atteinte irréversible aux paysages, à la flore et la faune, exposition aux risques naturels, etc.) [22].
3. Peut-on construire malgré les risques naturels ?
Dans les esprits, la montagne est souvent perçue comme un espace propice à l’accident (Figure 6). A ce titre, elle est étroitement associée à la notion de danger ou de risque, même si une part de fantasme accompagne la réalité. La question de la prise en compte des risques naturels est d’autant plus sérieuse et actuelle que le réchauffement climatique a pour conséquence de rendre la montagne à la fois plus accessible (on peut notamment y construire davantage en altitude) mais aussi plus dangereuse (instabilité du sol, etc., V.. sous rubrique « Risques naturels » de l’Encyclopédie de l’Environnement).
En France, les pouvoirs publics se sont longtemps contentés de réagir aux accidents provoqués par des événements naturels. C’est ainsi que face à la « fatalité », l’État a d’abord amélioré les secours afin de pouvoir intervenir rapidement en cas d’accident (plans d’organisation des secours, plans d’organisation des réponses de sécurité civile [23]). Il a ensuite renforcé l’indemnisation des victimes et permis aux sinistrés d’être indemnisés plus aisément lorsque sont pris des arrêtés de catastrophe naturelle [24].
Cette action passive n’a pas aidé au développement d’une culture de la prévention du risque. Devant l’accumulation des drames, l’État a ensuite placé la prévention au rang des priorités en adoptant un dispositif global composé de mesures d’information du public ainsi que de procédures permettant une meilleure maîtrise des sols, voire d’exproprier les biens trop exposés aux risques [25]. L’action publique s’est en somme étendue de la réaction à l’événement à son évitement.
3.1. Éviter le risque : prévenir les accidents causés aux biens et aux personnes
De nombreux outils juridiques ont été créés pour prévenir les risques naturels et éloigner les constructions des dangers. Par exemple, et en premier lieu, le maire ou le préfet peuvent refuser d’autoriser des projets de construction pour des motifs de sécurité publique [26]. Ensuite, le plan local d’urbanisme peut proscrire les constructions dans les zones à risque et classer les parcelles concernées en zone naturelle.
Enfin, l’État est compétent pour élaborer des Plans de Prévention des Risques Naturels Prévisibles (PPRNP). Suite à de nombreux drames comme l’avalanche de Val d’Isère en 1970 qui détruisit un chalet de l’UCPA faisant 39 morts, la catastrophe du camping balayé par la crue du Borne au Grand-Bornand en 1987 causant 23 morts ou encore l’avalanche au hameau de Montroc près de Chamonix qui détruisit 14 chalets et causa 12 décès en 1999, l’État a considérablement accru l’élaboration de ces plans (inondation, avalanches, crues torrentielles, mouvements de terrains) [27].
Le PPRNP délimite des zones « exposées aux risques » et des zones « qui ne sont pas directement exposées aux risques ». Il définit ensuite les mesures de prévention, de protection et de sauvegarde qui doivent y être prises, autant par les collectivités publiques (Figure 7) que les particuliers. Ces mesures que l’on nomme en droit des servitudes d’utilité publique sont contraignantes. Par exemple, elles peuvent faire obstacle à la restauration d’un bâtiment détruit par une avalanche même si le plan local d’urbanisme ne s’y oppose pas [28]. Au 31 décembre 2016, 10913 communes françaises étaient dotées d’un PPRN approuvé[29].
3.2. Assumer le risque : protéger contre les conséquences des accidents
Malgré le volontarisme, la pression au développement étant telle, il faut bien se résoudre aussi à « apprendre à vivre » avec le risque naturel. Ainsi, lorsque la prévention semble hors d’atteinte économiquement ou socialement, il convient alors de limiter les conséquences ou les effets des accidents par des mesures de protection des biens et des personnes. Il va s’agir d’assumer le risque. Là où la prévention est destinée à ne pas permettre la survenance d’accident, la protection intègre cette éventualité.
Outre le respect de normes de constructions adaptées aux zones à risque en montagne, l’exigence de réaliser des travaux de protection résulte là-encore souvent des plans de prévention des risques naturels prévisibles. En pratique, ces plans peuvent définir des mesures relatives à l’aménagement, à l’utilisation ou à l’exploitation des biens existants pour en réduire la vulnérabilité et assurer la sécurité des personnes ou limiter les dommages causés aux biens. Ces servitudes ou « obligations de faire » sont contraignantes pour les collectivités publiques (construction de protections, filets, drainage, nettoyage des ruisseaux, etc.) comme pour les propriétaires privés (travaux d’adaptation des constructions, drainage, adaptation des façades aux coulées, élévation des bâtiments, niveau refuge, ancrage au sol de certains équipements, mise hors d’eau des circuits électriques, etc…).
Outre leur fonction récréative, de production de bois ou de préservation des écosystèmes, les forêts ont aussi une fonction de protection des personnes et des biens contre les risques naturels. Elles sont dès lors utilisées comme des barrières physiques contre les risques de chutes de pierres, contre les avalanches, etc., par la constitution d’entraves physiques ou par la stabilisation des sols ou du manteau neigeux. Pour devenir d’efficaces remparts naturels, elles doivent cependant faire l’objet d’aménagements (coupes et tailles d’arbres, disposition des troncs en travers de la pente, création de dispositifs paravalanche, gestion prévisionnelle du renouvellement des arbres). Ces forêts dites de « protection » sont classées par l’Etat et soumises à un régime juridique spécial[30]. D’une part, ce classement interdit tout mode d’occupation du sol de nature à compromettre la conservation ou la protection des boisements. D’autre part, les servitudes sont opposables aux demandes d’autorisations d’occupation du sol. Plus encore, les travaux nécessaires à la consolidation des sols, à la protection contre les avalanches, etc., peuvent être réalisés par l’État (Service de Restauration des Terrains en Montagne – RTM) (Figure 8).
4. Comment réguler l’accès à une montagne toujours plus fréquentée pour les activités de loisirs ?
L’enjeu de la régulation de la fréquentation de la montagne pour des activités de loisirs est désormais important. Le droit de l’environnement tente d’y répondre. Par exemple, l’article L. 362-1 du code de l’environnement interdit la circulation des véhicules à moteur en dehors des voies classées dans le domaine public routier de l’État, des départements et des communes, des chemins ruraux et des voies privées ouvertes à la circulation publique des véhicules à moteur. De plus, l’article L. 363-1 du même code interdit en montagne les déposes de passagers à des fins de loisirs par aéronefs (en clair la dépose de skieurs par hélicoptère), en dehors des aérodromes.
Les motoneiges sont considérés comme des véhicules à moteur [31] et donc, en théorie, leur circulation est très restreinte (Figure 9). Cependant l’utilisation de plus en plus fréquente de ces engins au profit des touristes a conduit le législateur à édifier un régime permettant leur utilisation en milieu naturel tout en limitant, si possible, leur impact sur l’environnement, la tranquillité ou la sécurité publiques. Il interdit la création d’itinéraires en milieu naturel, même balisés, pour la pratique de loisirs de sports ou de loisirs motorisés. En revanche leur utilisation peut se faire sur des terrains spécialement aménagés pour leur pratique. Si la superficie excède 4 hectares, ces terrains sont de surcroît soumis à la procédure d’UTN (Focus # 2). Il faut absolument être en présence d’un « terrain » et non d’un « itinéraire », sans quoi le projet est illégal [32].
A noter toutefois qu’une dérogation existe depuis 2016. Dans les stations de ski, l’exploitant d’un établissement touristique d’altitude offrant un service de restauration sur place peut bénéficier d’une autorisation du maire ou du préfet lui permettant de convoyer sa clientèle en utilisant le domaine skiable, à la fermeture des remontées mécaniques, avec des engins motorisés conçus pour la progression sur neige [33].
5. Que faire des friches touristiques dans les stations de basse altitude privées de neige ?
La neige va manquer et les stations de basse altitude vont subir en premier les effets du changement climatique [34]. Les loisirs du ski ont été conçus comme des loisirs éternels et jusqu’à la loi du 28 décembre 2016 aucun texte français n’obligeait au démantèlement des retombées mécaniques obsolètes [35]. Si les remontées mécaniques peuvent être utilisées en dehors des périodes de neige pour d’autres loisirs (VTT de descente, randonnée) dans l’optique d’un tourisme plus étalé dans l’année, il n’en demeure pas moins que nombre d’installations devront être démontées faute d’activité économique viable, sauf à altérer les paysages de montagne et laisser prospérer des friches. Le code de l’urbanisme assortit désormais l’autorisation d’exécution des travaux pour réaliser les remontées mécaniques d’une obligation de démantèlement et de remise en état des sites dans un délai de trois ans à compter de la mise à l’arrêt définitive de ces remontées [36].
Même si le régime juridique de cette obligation reste à préciser (la question du financement des démontages n’est pas réglée à ce jour par la loi), cette avancée révèle une prise de conscience du risque de créer des friches en cas d’investissements anachroniques au regard des aspirations des touristes ou du réchauffement climatique. C’est aussi une manière d’envisager enfin la réversibilité des installations si leur usage cesse et de rendre l’espace à la nature (Figure 10).
6. Messages à retenir
- La montagne est un milieu spécifique régi par un droit particulier et adapté, recherchant un équilibre entre développement économique et protection des milieux naturels.
- Ce droit de la montagne est caractérisé par la volonté d’encadrer l’urbanisation et de gérer les risques naturels.
- Cette réglementation doit aussi aborder de nouveaux enjeux comme l’intensification des activités de loisirs et l’abandon des stations de basse altitude du fait du changement climatique.
Références et notes
Image de couverture. Gondola – photo de Stella Caraman. [Source : Unsplash, image libre de droits.]
[1] TRAVERS, A., Politique et représentations de la montagne sous Vichy. La Montagne éducatrice, 1940-1944, L’Harmattan, 2001.
[2] JOYE, J.-F., Vichy et les outils juridiques de l’aménagement touristique de la montagne, in Ph. Yolka dir. Les loisirs de montagne sous Vichy. Droit et politique. PUG, 2017, pp. 153-188.
[3] CHAPPIS, L., Ma Montagne… du rêve à la réalité, Tome 1, FACIM, 2003 p. 27.
[4] JOYE J.-F. (dir.), L’urbanisation de la montagne. Observations depuis le versant juridique, Univ. Savoie, LGDJ, 2013.
[5] JOYE, J.-F., Construire et aménager en montagne après la loi du 28 décembre 2016 : les communes face à leur responsabilité, la Revue Juridique de l’Environnement, n° 2, juin 2017, pp. 209-331.
[6] VEYRET, P. et G., Essai de définition de la montagne, Revue de Géographie Alpine, 1962, n° 50-1 p. 6.
[7] Source : http://www.anem.fr/communes-classees-montagne.asp?ref_mere=2203&ref_arbo=2237.
[8] Art. 7 de la loi Montagne. Ils sont assistés des commissariats de massifs (administration d’Etat).
[9] La définition exhaustive est à lire à l’article L. 122-5 du code de l’urbanisme.
[10] Art. L. 122-5-1 du code de l’urbanisme.
[11] Conseil d’Etat, 14 déc. 1992, Commune Saint-Gervais-les-Bains, n° 115359 (toutes les références de jurisprudence citées sont disponibles sur : https://www.legifrance.gouv.fr).
[12] Art. L. 122-10 du code de l’urbanisme.
[13] Conseil d’Etat, 6 déc. 1993, Morand n° 77708.
[14] Art. L. 122-8 du code de l’urbanisme.
[15] Art. L. 122-11 du code de l’urbanisme.
[16] Les plans d’eau d’une superficie supérieure à 1000 hectares relèvent quant à eux du régime juridique spécifique au littoral (art. L. 121-1 et suivants du code de l’urbanisme).
[17] Art. L. 122-12, al. 1er du code de l’urbanisme.
[18] V. toutes les exceptions possibles aux articles L. 122-13 et art. L. 122-14 du code de l’urbanisme.
[19] Conseil d’Etat, 28 juill. 2004, Sté Thomas, n° 256154 ; Conseil d’Etat, 9 oct. 1989, SEPANSO, n° 82094 ; Conseil d’Etat, 23 oct. 1995, Association Artus, n° 154401.
[20] Art. L. 122-15 du code de l’urbanisme.
[21] Conseil d’Etat, 15 mai 1992, Commune de Cruseilles, n° 118573.
[22] Conseil d’Etat, 10 déc. 1993, Ministère équipement c/ Association ARPON, n° 110697 ; Conseil d’Etat, 4 juill. 1994, Vaujany, n° 129898.
[23] Le plan ORSEC remonte à l’instruction ministérielle du 5 février 1952.
[24] Loi n° 82-600 du 13 juillet 1982 relative à l’indemnisation des victimes de catastrophes naturelles.
[25] Loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative à la protection de l’environnement par exemple.
[26] En application de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme.
[27] Créés par la loi « Barnier » n° 95-101 du 2 février 1995 (code de l’environnement : articles L. 562-1 et s., R. 562-1 et s.).
[28] Conseil d’Etat, 17 déc. 2008, Falcoz, n° 305409.
[29] Source G.A.S.P.A.R. du ministère du développement durable in Rapport annuel sur la gestion du fonds de prévention des risques naturels majeurs, annexe jaune du projet de loi de finances pour 2018, p. 19.
[30] Art. L. 141-1 à L. 141-7, R. 141-1 à R. 141-42 du code forestier.
[31] Conseil d’Etat, 30 déc. 2003, Syndicat national des professionnels de la moto-neige, n° 229713.
[32] Conseil d’Etat, 5 nov. 2014, Commune Saint-Martin de Belleville, n° 365121.
[33] Articles L. 362-3 et R. 362-1-1 et s. du code de l’environnement. V. le décret n° 2016-1412 du 21 octobre 2016 qui applique l’article 22 de la loi n° 2014-1545 du 20 décembre 2014. V. Ph. YOLKA, Un « bon » décret après une mauvaise loi, Revue JCP ACT, n°8-2017, Aperçu rapide, 144.
[34] BONNEMAINS, A., Vulnérabilité et résilience d’un modèle de développement alpin : Trajectoire territoriale des stations de sports d’hiver de haute altitude de Tarentaise, Thèse, 2015, Université Grenoble-Alpes – LOUBIER, J. Chr., Perception et simulation des effets du changement climatique sur l’économie du ski et la biodiversité, Savoie et Haute-Savoie, Thèse Grenoble I, 2004.
[35] JOYE, J.-F., L’exigence de remise en état des lieux après la fermeture définitive des stations de ski : une problématique juridique nouvelle, Juristourisme, mars 2013, pp. 30-32.
[36] Art. L. 472-2 et L. 472-4 du code de l’urbanisme.
L’Encyclopédie de l’environnement est publiée par l’Association des Encyclopédies de l’Environnement et de l’Énergie (www.a3e.fr), contractuellement liée à l’université Grenoble Alpes et à Grenoble INP, et parrainée par l’Académie des sciences.
Pour citer cet article : JOYE Jean-François (10 mai 2018), Droit de la montagne : comment concilier nature exceptionnelle et activité humaine ?, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 8 octobre 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/societe/droit-montagne/.
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