La géothermie, une source d’énergie verte sous nos bâtiments

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Les géostructures énergétiques correspondent à une application moderne des systèmes géothermiques à basse enthalpie (c’est-à-dire mettant en jeu de faibles différentiels de température), avec le gros avantage de réduire les couts initiaux d’installation par rapport aux systèmes anciens. Le principe consiste à mettre en place un réseau de tuyaux à l’intérieur des cages d’armatures métalliques présentes dans la structure en béton. Un fluide caloporteur, qui circule dans le réseau de tuyaux, échange de la chaleur avec le sol à travers le béton. Une pompe à chaleur adapte la température provenant du sol à celle nécessaire pour chauffer ou refroidir les bâtiments. L’efficacité du système doit répondre à la fois à des critères énergétiques (bonne production de chaleur ou de froid) et géotechniques-structurels (maintien de la bonne résistance mécanique de la structure en béton), qui dépendent fortement des conditions locales du site accueillant la construction.

Dans un monde où les besoins énergétiques n’arrêtent pas de croître et où la recherche de sources d’énergie vertes, locales et renouvelables devient de plus en plus importante, les géostructures énergétiques trouvent parfaitement leur place. Elles représentent une alternative innovante et prometteuse pour chauffer ou refroidir les bâtiments et les infrastructures.

1. Qu’est-ce que c’est une géostructure énergétique ?

Les géostructures, c’est-à-dire les structures en contact avec le sol comme les fondations, les parois de soutènement et les revêtements de tunnels, peuvent être utilisées pour échanger de la chaleur avec le sol [1]. Plus précisément, les géostructures concernées sont soit des pieux pour les fondations profondes soit des murs de soutènement ou des parois ancrées ou moulées dans le sol soit encore les voussoirs de soutènement des tunnels. L’échange de chaleur entre le sol et ces structures en béton est assuré par un système de tubes disposés à l’intérieur de la structure et au sein duquel circule un fluide caloporteur.

Le principe est celui de la géothermie superficielle : grâce au fait que la température du sous-sol reste constante tout au long de l’année (à l’exception des premiers 5 à 8 m), cette température sera supérieure à celle de l’air externe en hiver et inférieure en été. Cette différence de température permet donc d’extraire de la chaleur du sol pendant l’hiver (pour chauffer les bâtiments appareillés) et d’en injecter pendant l’été (pour refroidir ces bâtiments). Cela s’inscrit dans la catégorie des systèmes géothermiques dits « à basse enthalpie », c’est-à-dire qui concernent les premiers 100 m de sol et travaillent avec des variations de température de l’ordre de 10 à 20 degrés Celsius. Pour adapter la température provenant des échangeurs à celle nécessaire pour chauffer ou refroidir les bâtiments, ces systèmes sont connectés à une pompe à chaleur (Lire La Géothermie : une source significative d’énergie).

1.1. Modes de fonctionnement

Le système peut à priori être utilisé à la fois pour chauffer et refroidir les bâtiments (mode double) ainsi qu’uniquement pour chauffer ou uniquement pour refroidir (mode simple). Le choix du mode de fonctionnement dépend, entre autres, des conditions locales d’écoulement souterrain des eaux.

  • Dans le cas où l’écoulement de l’eau souterraine est nul ou très faible, une recharge thermique du sol est nécessaire afin d’en garder la température constante sur le long terme. Dans ce cas, il est fortement conseillé d’utiliser le système en mode double afin de garantir son efficacité.
  • Si, au contraire, le sol est suffisamment perméable (sable) et soumis à un écoulement d’eau souterraine supérieur à 0.5 ou 1 m par jour, la température du sol se rééquilibre automatiquement et un mode simple est possible. [2]

Sous un autre angle de vue, si dans le premier cas de figure (absence d’écoulement) le stockage saisonnier de chaleur est réalisable, dans le deuxième (écoulement important) ceci n’est pas possible et l’extraction est découplée de l’injection de manière naturelle.

1.2. Diffusion de la technologie

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Figure 1. Nombre d’installations et réduction de CO2 en fonction du temps [Source : Di Donna et al. 2017 (Réf. [3])]
La Figure 1 montre l’évolution du nombre d’installations durant les dix dernières années, ainsi que la réduction correspondante en émission de CO2 [3]. Les données disponibles ne sont surement pas représentatives de tous les cas réels existants, mais la figure donne un aperçu de l’intérêt porté à cette technologie et de ses bénéfices. Les pieux énergétiques restent largement l’application la plus courante. Ce type de fondation profonde est très utilisé pour traverser une couche de sol de mauvaise propriété mécanique et aller s’appuyer par exemple sur un soubassement rocheux.

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Figure 2. Diffusion des géostructures énergétiques dans différents pays [Source : © Di Donna]
Les géostructures énergétiques se sont développées en Europe et dans le reste du monde à partir des années 1980. Les premières installations ont été réalisées en Autriche, mais la technologie s’est diffusée assez rapidement en Suisse, en Allemagne, et en Angleterre (Figure 2). Dans d’autres pays, comme la France ou l’Italie, leur acceptation sociale reste encore limitée et leur développement plus lent.

Les géostructures énergétiques ont aussi récemment commencé à se développer aux États-Unis et en Asie. Un exemple est représenté par la Shanghai Tower, en Chine. Elle est la plus haute tour de Chine avec 630 m de hauteur, elle repose sur 2000 pieux de 86 m de longueur et 1 m de diamètre, dont une centaine est équipée comme des pieux énergétiques.

1.3. Quelques exemples

En Europe, de nombreux projets ont déjà été réalisés dans des écoles, des bâtiments privés ou des constructions publiques.

1.3.1. Pieux énergétiques

Un exemple parmi les plus documentés est surement le terminal E de l’aéroport de Kloten (Zurich), mis en service en 2003. Conçu par Amstein and Walthert AG, en partenariat avec ARGE ZAYETA, il repose sur un terrain argilo-limoneux et ses fondations sont constituées par 350 pieux forés de 27 m de longueur et de diamètre compris entre 90 et 150 cm. Parmi eux, 306 sont équipés comme des pieux énergétiques et fournissent 70% des besoins en chaleur du terminal [4]. Le refroidissement du bâtiment est aussi réalisé à l’aide de ces pieux échangeurs, 53% par échange thermique avec le sol et 15% grâce à une pompe à chaleur. Dans ce cas spécifique, le cout additionnel dû à l’instrumentation des pieux a représenté le 0.3 % du cout du bâtiment, qui a été amorti en 8 ans.

1.3.2. Parois énergétiques

Un autre exemple classique est le Tunnel de Lainzerà Vienne, un tunnel énergétique construit par la méthode des tranchées couvertes, où l’excavation est d’abord creusée à l’air libre puis recouverte par des dalles de béton. Dans ce cas, la chaleur est échangée avec le sol à l’aide des parois latérales, faites de pieux de 20 m de longueur et 120 cm de diamètre. Un pieu sur trois est équipé comme pieu énergétique, ce qui représente au total 59 pieux échangeurs.

Toujours à Vienne, 4 tronçons de la ligne U2 du métro sont aussi équipés avec pieux, radier et parois énergétiques, pour un total de 449 kW de puissance en régime de chauffage et 231 kW de capacité de refroidissement.

1.3.3. Tunnel énergétiques

Les tunnels énergétiques sont aujourd’hui l’application la moins développée de cette technologie, malgré leur potentiel d’échange thermique remarquable. En effet, l’activation géothermique des revêtements des tunnels (réalisés que ce soit par excavation mécanique à l’aide d’un tunnelier ou classique par creusement à la pelle mécanique) met en jeu un volume de sol et donc une surface d’échange généralement plus importante que pour les pieux.

Le premier exemple de tunnel énergétique a été ainsi réalisé en Autriche, il s’agit du Tunnel de Janbach. Plus récemment, un essai expérimental en vraie grandeur a été réalisé dans le tunnel du métro de Turin, en Italie.

1.4. Avantages

1.4.1. Économiques

Le principal avantage de la mise en place des géostructures énergétiques par rapport à d’autres systèmes géothermiques classiques tient au fait qu’on utilise des éléments structuraux qui sont nécessaires pour la résistance mécanique des bâtiments ou des infrastructures et doivent par conséquent impérativement être réalisés. Ceci se traduit par une réduction des couts d’installation initiaux. L’expérience montre une période d’amortissement comprise entre 4 et 8 ans, l’investissement initial étant de l’ordre de 2 à 4% du cout de l’ouvrage.

1.4.2. Environnementaux

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Figure 3. Évolution saisonnière de la température du sous-sol avec la profondeur. [Source : © Di Donna]
Bien évidemment, tout comme les autres systèmes géothermiques classiques à basse enthalpie (sondes horizontales et verticales), il s’agit avant tout d’une source d’énergie locale et renouvelable ainsi que verte. En fait, l’énergie est produite à partir de la chaleur emmagasinée dans le sous-sol, qui est pour partie d’origine solaire (chauffage de la surface terrestre par le rayonnement solaire) et pour partie d’origine interne terrestre (flux thermique en provenance du noyau terrestre). Ces énergies peuvent être transportées par la nappe phréatique ou les eaux souterraines plus profondes. La combinaison de ces effets fait que la température des premiers mètres de sol subit une variation saisonnière en fonction de température de l’air externe (zone dite hétérothermique). Plus en profondeur, elle reste constante jusqu’à environ 50 m de profondeur (zone dite neutre). À partir de cette profondeur, la température commence à augmenter en raison d’environ 3°C tous les 100 m : c’est ce qu’on appelle le gradient géothermique. Les géostructures énergétiques exploitent la zone intermédiaire à température constante, qu’en Europe est de l’ordre de 10-15°C tout le long de l’année (Figure 3). Leur utilisation peut conduire à une réduction des émissions de CO2 d’un bâtiment d’environ 320 kg par kW produit (voir Figure 1).

2. Efficacité énergétique

Dans les Figures 4, 5 et 6, les quantités de chaleur échangée dans des géostructures énergétiques opérationnelles sont présentées en Watt par mètre de pieu et en Watt par mètre carré de surface de paroi et de tunnel, respectivement.

2.1. Pieux énergétiques

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Figure 4. Chaleur échangée par des pieux énergétiques [Source : Di Donna et al. 2017 (Réf. [3])]
Selon ces données, sauf de rares cas, il est possible d’extraire entre 20 et 100 Watt par mètre de pieu. L’ordre de grandeur est le même que celui suggéré par les normes anglaises (BS 15450), qui conseillent de considérer entre 30 et 50 W/m dans un sol fin (argiles, limons) et entre 55 et 80 W/m dans un sol grossier (sables, graviers). Les nombreuses installations actives et les similitudes géométriques avec les sondes géothermiques classiques ont permis d’acquérir une connaissance assez précise du comportement des pieux énergétiques et de développer des méthodes d’analyses aujourd’hui bien maîtrisées.

2.2. Parois et tunnels énergétiques

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Figure 5. Chaleur échangée par des parois énergétiques [Source : Di Donna et al. 2017 (Réf. [3])]
Beaucoup moins d’exemples sont disponibles dans le cas des parois de soutènement et des tunnels. Selon le peu de données consultables, il est possible d’échanger entre 10 et 30 Watt par mètre carré de surface de parois ou tunnels, des valeurs qui varient ainsi fortement en fonction des propriétés du sol, de la géométrie de la fondation et des conditions d’exploitation du système.

L’étude théorique des échanges thermiques est dans ces cas moins simple, du fait des conditions non symétriques de part et d’autre de la paroi, de la prise en compte de l’échange avec l’air sur un côté seulement de l’ouvrage et du nombre limité de cas réels bien instrumentés.

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Figure 6. Chaleur échangée par des tunnels énergétiques [Source : Di Donna et al. 2017 (Réf. [3])]
Par exemple, une étude numérique récente sur les parois énergétiques montre que la différence de température entre le sol et l’air à l’intérieur de l’excavation (par exemple intérieur d’un parking ou d’un tunnel ou d’une gare) affecte considérablement la qualité de l’échange thermique, surtout sur le long terme.

3. Aspects géotechniques

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Figure 7. Contrainte induite par la température, mesurée in situ [Source : Di Donna et al. 2017 (Réf. [3])]
Le soutien structurel des géostructures énergétiques en terme de résistance mécanique, que ce soit des pieux de fondation, des tunnels ou des parois, reste leur premier rôle et assurer ce soutien mécanique est bien sûr d’importance fondamentale. Pour cette raison, de nombreuses études ont été réalisées pour comprendre si le fait d’utiliser ces structures comme échangeurs de chaleur avec le sol, en les soumettant à des cycles de variation de température, pouvait affecter leur performance structurelle et géotechnique. Autrement dit, l’existence de ces échanges de chaleur pouvait-il induire des déplacements additionnels du sol (tels que des tassements en surface) ou en réduire la capacité portante (c’est-à-dire leur capacité à supporter les charges appliquées comme le poids d’un bâtiment) ? Encore une fois, les résultats expérimentaux et numériques disponibles concernent principalement les pieux.

On peut en première approximation schématiser un pieu comme une barre homogène verticale. Si on imagine de la chauffer et qu’elle soit complètement libre de se déformer, elle va se dilater selon son coefficient de dilatation thermique, par rapport à son centre. Pour avoir un ordre de grandeur, si on considère un pieu de 30 m de longueur et sachant que le béton a un coefficient de dilatation thermique d’environ 10-5 °C-1, cela signifie qu’une variation de température de 30 °C induirait un déplacement de chaque extrémité de la barre (et donc en particulier en tête du pieu) de 4.5 mm (0.15 mm/°C).

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Figure 8. Déplacements induits par la température, mesurés in situ [Source : Di Donna et al. 2017 (Réf. [3])]
Dans la réalité le pieu n’est pas libre de se dilater, et sa déformation est au moins partiellement empêchée par le sol qui l’entoure et la structure supérieure qu’il supporte. Ceci réduit sa déformation libre et donc son déplacement en tête, mais induit des contraintes thermiques (de compression dans le cas d’une augmentation de température) qui peuvent être calculées en première approximation comme le produit du module de rigidité élastique du béton (Lire  Comment la matière se déforme : des fluides et des solides) et de la déformation empêchée. Considérant un module élastique de 30 GPa et que le pieu soit complétement bloqué (toute la déformation thermique est empêchée), cela correspondrait à une contrainte additionnelle dans le pieu de 9 MPa, soit 300 kPa/°C.

Bien évidemment, ce sont deux cas extrêmes. La réalité est un compromis entre les deux, mais globalement on pourrait dire que plus le pieu va être libre de se dilater plus il y aura un déplacement important en tête et moins il y aura de contraintes thermiques et vice-versa. Des considérations analogues peuvent être faites pour le refroidissement.

Les Figure 7 et 8 montrent les valeurs de contraintes et de déplacements induits par les variations de température, mesurées dans des essais à échelle réelle réalisés sur pieux énergétiques. Dans la pratique, elles peuvent être utilisées pour avoir un ordre de grandeur des effets que les changements de température induisent sur le comportement géotechnique des pieux énergétiques. Il est important de noter que, même si les valeurs de contrainte thermique peuvent apparaitre importantes, elles restent largement inférieures aux valeurs limites admissibles de résistance du béton.

4. Messages à retenir

  • Les géostructures énergétiques représentent une source d’énergie verte, renouvelable et locale pour l’échauffement et le refroidissement des bâtiments.
  • L’avantage principale par rapport aux autres systèmes géothermiques classiques fermés (sondes) se trouve dans la significative réduction des couts initiaux d’installation, cette réduction étant due au fait d’utiliser des géostructures qui seraient réalisées dans tous les cas.
  • Il s’agit d’une technologie encore en développement, mais le nombre de structures et de bâtiments qui reposent sur des pieux échangeurs augmente exponentiellement en Europe sans qu’aucun ralentissement ne soit aujourd’hui prévu.
  • L’application aux parois et tunnels énergétiques est moins développée, mais de nombreux projets en cours permettront de mieux en comprendre le comportement et l’efficacité énergétique.

 


Notes et références

Image de couverture. Laloui, L., and Di Donna, A. 2013. Energy geostructures: innovation in underground engineering. ISTE Ltd and John Wiley & sons Inc. [Source : © EPFL-LMS /M. NUTH 2010 ]

[1] Laloui, L., and Di Donna, A. 2013. Energy geostructures: innovation in underground engineering. ISTE Ltd and John Wiley & sons Inc.

[2] SIA. 2015. Utilisation de la chaleur du sol par des ouvrages de fondation et de soutènement en béton. Guide pour la conception, la réalisation et la maintenance. Société Suisse des ingénieurs et des architectes. Documentation SIA DO 190.

[3] Di Donna, A., Barla, M., and Amis, T. 2017. Energy geostructures: a collection of data from real applications. In 15th IACMAG, Wuhan, China.

[4] Pahud, D. 2002. Geothermal energy and heat storage. SUPSI – DCT – LEEE Laboratorio di Energia, Ecologia ed Economia: 1–133.


L’Encyclopédie de l’environnement est publiée par l’Association des Encyclopédies de l’Environnement et de l’Énergie (www.a3e.fr), contractuellement liée à l’université Grenoble Alpes et à Grenoble INP, et parrainée par l’Académie des sciences.

Pour citer cet article : DI DONNA Alice (28 octobre 2019), La géothermie, une source d’énergie verte sous nos bâtiments, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 11 octobre 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/sol/geothermie-source-energie-verte-batiments/.

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