Microbes des environnements extrêmes

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Encyclopédie environnement - extrêmophiles - couverture

Il existe peu d’endroits stériles sur la planète. Déserts glaciaires, sources chaudes, fonds océaniques, milieux hypersalés, roches du manteau terrestre… même ces environnements hostiles abritent une riche biodiversité de microbes dits extrêmophiles. Leur étude a permis de révéler une troisième forme de vie différente des bactéries et des eucaryotes. Ces organismes, appelés Archées, sont abondants dans l’environnement. Ils possèdent des liens évolutifs avec nos cellules représentant ainsi des modèles uniques pour comprendre l’origine et le fonctionnement des processus cellulaires complexes. Différentes stratégies sont utilisées par les extrêmophiles pour maintenir l’intégrité de leur machinerie cellulaire à des conditions de température, pression ou salinité mortelles pour toute autre forme de vie. Leur étude révèle les capacités du vivant à coloniser des écosystèmes « hostiles ». Les propriétés particulières de leurs enzymes sont actuellement exploitées pour développer des procédés industriels propres et durables.

1. Biodiversité des microbes extrêmophiles

Les micro-organismes du sols et des océans dominent notre planète [1]. Ils jouent des rôles importants dans la régulation des grands cycles géochimiques et constituent potentiellement un réservoir de nouveaux biocatalyseurs pour les technologies du futur. Notre connaissance de cette biodiversité reste encore très partielle, la microbiologie étant encore trop cantonnée à la santé humaine. Moins de 1% des microorganismes de l’environnement peuvent être mis en culture au laboratoire. Dans la dernière décennie, le développement de nouveaux outils qui permettent d’analyser directement l’ADN issus de communautés microbiennes (la métagénomique) a bouleversé notre vision des écosystèmesEnsembles formés par une association d’êtres vivants (ou biocénose) et son environnement (le biotope) biologique, géologique, édaphique (le sol), hydrologique, climatique, etc. Un écosystème est caractérisé par des interactions entre espèces vivantes et leur milieu environnant, des flux de matière et d’énergie entre chacun des constituants de l’écosystème permettant leur vie et un équilibre dynamique au cours du temps, entre pérennité et évolution.  microbiens [2]. Grâce à eux, on a découvert des environnements longtemps considérés comme incompatibles avec la vie. Malgré leurs conditions physiques et chimiques extrêmes, ils contiennent des formes de vies microbiennes abondantes [3].

Encyclopedie environnement - extremophiles -environnements extremes
Figure 1. Photographie de différents environnements extrêmes. En haut à droite: site hydrothermal « Logatchev » à 3000 m de profondeur sur la dorsale atlantique. En haut à gauche : Source hydrothermale volcanique des Açores. En bas à gauche : Milieu glaciaire antarctique. En bas à droite. Lac hypersalé des Andes. [Sources :© Ifremer.]
Ainsi, les sources hydrothermales volcaniques possèdent une étonnante diversité d’organismes à la base d’oasis de vie dans les abysses (Figure 1) (lien vers focus L’écosystème des fumeurs noirs). Les milieux hypersalins comme les grands lacs salés ou la mer morte sont également peuplés de microorganismes qui ne se développent que quand la concentration saline devient intolérable pour toute autre forme de vie. Les environnements glaciaires et polaires abritent aussi de riches populations de microbes. Enfin, il y a d’importantes communautés microbiennes au fond des océans, dans les sédiments et les couches géologiques profondes. On estime que 80% des écosystèmes terrestres sont exposés en permanence à des températures inférieures à 5°C, souvent dans des conditions de hautes pressions. Ainsi, à l’échelle de la planète, les extrêmophiles ne peuvent plus être considérés comme des exceptions.

On connaît peu de choses sur les rôles des extrêmophiles dans les écosystèmes, notamment sur la régulation du climat. Des travaux récents montrent que leur contribution dans la production de gaz à effet de serre, et dans les grands cycles du carbone de l’azote et des nitrates est loin d’être négligeable. Souvent, leur génome contient plus de 90% de gènes codant pour des protéines aux fonctions inconnues. Pour quelles raisons ? Les macromolécules biologiques doivent nécessairement s’adapter aux conditions physico-chimiques, aux ressources nutritionnelles et énergétiques particulières de ces milieux extrêmes. Ces contraintes peuvent conduire à l’émergence de nouvelles voies métaboliques utilisant des substrats et des cofacteurs différents de ceux utilisés par les organismes « conventionnels ».

2. La découverte des archées : une révolution

Encyclopedie environnement - extremophiles - Arbre phylogenetique du vivant
Figure 2. Arbre phylogénétique du vivant composé de trois domaines : bactéries, archées et eucaryotes.

Nombre d’organismes extrêmophiles sont des archées. Les archées sont un groupe de microbes qui possèdent des caractéristiques moléculaires qui les distinguent clairement des deux autres formes de vie bien connues du public : les bactéries et les eucaryotes (figure 2). Cette troisième forme de vie a initialement été proposée par le biologiste américain Karl Woese, en 1990. En utilisant l’ARN des ribosomes comme traceur moléculaire, Woese cherchait à reconstituer l’arbre universel de l’évolution du vivant. Depuis, l’identification d’un nombre croissant de nouvelles espèces d’archées et l’étude de leur génomes a montré que c’est bien une réalité [4]. Organismes à une seule cellule et dépourvus de noyaux, comme les bactéries (figure 3), les archées ont des propriétés remarquables. Elles possèdent leurs propres virus. Plus étonnant encore, certaines archées sont capables de symbiosesAssociations intimes, durables entre deux organismes appartenant à des espèces différentes qui se traduisent par des effets bénéfiques aussi bien pour l’un que pour l’autre. Les organismes impliqués sont qualifiés de symbiotes, ou symbiontes (anglicisme) ; le plus gros peut être nommé hôte.  avec des organismes complexes tels que les éponges. On trouve des archées dans le microbiote intestinal qui joue un rôle important en santé humaine (Lire Les microbiotes humains : des alliés pour notre santé). Aucun pathogène n’a été encore identifié chez les archées, mais on a prouvé leur lien avec certaines maladies ou désordres métaboliques comme l’obésité. L’évolution et l’expansion des archées et des bactéries sont tout aussi complexes. Les archées possèdent une étonnante proximité évolutive avec les eucaryotes. Certaines hypothèses suggèrent d’ailleurs que les archées seraient à l’origine de l’émergence des eucaryotes [5] (Lire Symbiose & évolution).

Encyclopedie environnement - extremophiles - archee hyperthermophile abyssale
Figure 3. Image en microscopie électronique d’une archée hyperthermophile abyssale: Thermococcus fumicolans [Source : © Ifremer]
Les archées semblent particulièrement aptes à se développer dans les conditions les plus extrêmes connues sur Terre. Voilà pourquoi elles ont été d’abord considérées comme faiblement diversifiées et uniquement associées aux sources chaudes volcaniques et aux lacs hypersalins. Cette vision initiale était totalement biaisée. Les études d’écologie moléculaire ont révélé de très nombreuses lignées d’archées dans tous les environnements terrestres. En effet, on découvre de plus en plus d’archées « non extrêmophiles » qui représenteraient 25% de la vie microbienne dans les océans et les sols [3]. On ne doit donc plus les considérer comme des formes de vies marginales, archaïques ou primitives.

Encyclopedie environnement - extremophiles - Structure moleculaire du proteasome humain
Figure 4. Structure moléculaire du protéasome humain (en vert), une machine cellulaire impliquée dans le cancer. Son homologue archéen est représenté en rouge.

Les conséquences de la découverte du monde des archées sont importantes et encore mal appréciées. Cette découverte change notre vision du vivant qui se divisait entre procaryotes et eucaryotes. L’étude de l’évolution des archées génère de nouveaux scenarii pour expliquer l’apparition de la vie cellulaire [6]. Bien qu’étant des organismes unicellulaires sans noyau, elles partagent beaucoup de processus avec les cellules eucaryotes, y compris les cellules humaines [7]. De plus en plus, les archées se révèlent des organismes modèles en biologie moléculaire. En effet, il est toujours difficile d’étudier les grandes machines cellulaires présentes dans les cellules humaines. Leur purification et leurs activités sont difficiles à maitriser au laboratoire. Les systèmes homologues que l’on trouve chez les archées représentent des versions simplifiées beaucoup plus stables et faciles à produire. De plus, leur caractère extrêmophile permet de mieux les activer ou les inhiber. Pour ces raisons, et grâce au développement récent d’outils génétiques, les archées représentent d’excellents modèles pour la biologie intégrative combinant études in vivo, biochimie, biophysique et biologie structurale. Ces études ont permis de déterminer pour la première fois la structure de nombreuses machineries cellulaires et sont à l’origine de nombreux médicaments tels les anti-cancéreux (Figure 4).

3. Organismes extrêmophiles et limites du vivant

Pour se développer, la vie a besoin :

  • de carbone, l’élément de base des macromolécules biologiques ;
  • d’eau, le solvant le plus propice au fonctionnement des protéines ;
  • d’énergie, nécessaire au fonctionnement des systèmes biologiques.

L’énergie est apportée par la lumière, par des éléments donneurs d’électrons comme des métaux et enfin par la rupture de liaisons chimiques catalysée par des enzymes. La découverte de communautés microbiennes dans des milieux longtemps considérés comme stériles a montré que les limites physico-chimiques dans lesquelles la vie peut se développer sont bien plus étendues qu’on ne le pensait. Ces organismes que l’on rassemble sous le nom d’extrêmophiles ne sont pas en conditions de « survie » mais ont véritablement besoin pour se développer de conditions jugées hostiles [8].

Dans les sources hydrothermales (lire focus L’écosystème des fumeurs noirs), les archées et les bactéries dites « thermophiles » ou « hyperthermophiles » ne se développent de manière optimale qu’à des températures élevées, parfois au-delà des 110°C. Certaines, isolées dans les abysses comme la fosse des Mariannes, sont piézophiles : elles ont besoin de pressions dépassant les 20 MPa [9]. Dans les fonds marins, les lacs et les milieux glaciaires, les « psychrophiles » ne s’épanouissent qu’en dessous des 15°C et jusqu’à -12°C [10]. En milieux hypersalés, l’eau libre est rare car elle est en grande partie piégée par les ions salins. Résultat : les cellules sont détruites et les protéines dénaturées. Des organismes dit « halophiles » disposent néanmoins d’une biochimie particulière qui préserve leur intégrité cellulaire en conditions de déshydratation poussée [11]. Les écosystèmes associés aux sources hydrothermales, aux effluents géologiques ou à des milieux hyper-salés présentent souvent des conditions de pH extrêmes (0 et 13). Ainsi, la plupart des organismes qui y vivent sont poly-extrêmophiles.

En plus de conditions physico-chimiques extrêmes et souvent très fluctuantes, les extrêmophiles sont aussi confrontés à des stress environnementaux multiples comme les radiations ou ou les métaux lourds. Ces agents génèrent des radicaux libres qui endommagent ADN et protéines. La plupart des microbes extrêmophiles ont développé des systèmes de réparation de l’ADN et de systèmes de recyclage des protéines leur permettant de résister à des doses de radiation pouvant atteindre 10000 Gray. L’exploitation des ressources énergétiques de l’environnement est une autre frontière du vivant que l’étude des microbes de l’extrême nous amène à repousser sans cesse. Ainsi, les extrêmophiles semblent particulièrement adaptés aux stress résultant de flux d’énergie et/ou de nutriments très faibles. Ainsi, certains vivent et se développent très lentement dans les sédiments profonds des océans ou plusieurs kilomètres à l’intérieur du manteau terrestre [12].

Encyclopedie environnement - extremophiles - interieur de Ganymede
Figure 5 : Représentation de l’intérieur de Ganymède. D’après la NASA, il existe un océan salé de 100 Km de profondeur sous une couche de glace [Source: Felicia Chou, NASA]
La découverte et l’étude des archées, plus globalement des microbes extrêmophiles, a fait évoluer nos conceptions sur l’habitabilité de la Terre. Ils orientent nos idées dans la recherche d’éventuelles traces de vie sur d’autres planètes [13]. Ainsi, des microbes capables de survivre aux conditions arides et froides ont été découverts dans le désert d’Atacama au Chili. Des organismes halophiles sont capables de se développer à -15°C. D’autres microbes sont strictement associés aux hautes pressions.Autant d’observations intéressantes à considérer après la découverte de saumures liquides sur Mars, d’océans profonds et d’activités hydrothermales sur des lunes de Saturne et Jupiter telles Europe et Ganymède (Figure 5).

4. Comment les extrêmophiles préservent leurs fonctions biologiques ?

Le maintien de membranes biologiques stables et fonctionnelles est une première condition pour permettre la vie cellulaire en conditions extrêmes de température, pression ou salinité. Les membranes sont indispensables pour produire de l’énergie et compartimenter les activités biochimiques. Des modifications dans la composition des lipides membranaires permettent leur adaptation aux hautes et basses températures ainsi qu’aux très hautes pressions qui affectent la fluidité des membranes.

Chez les organismes non extrêmophiles, l’exposition à des conditions physico-chimiques « extrêmes » inactive voire dénature certaines protéines. L’adaptation extrêmophile consiste aussi à préserver l’assemblage des machines cellulaires et le repliement tridimensionnel des chaînes polypeptidiques qui constituent les protéines. Ce repliement est en effet responsable de l’activité biochimique des enzymes. Comprendre les mécanismes qui permettent de stabiliser les macromolécules biologiques dans des conditions extrêmes est non seulement utile pour comprendre : (i) les origines et les capacités d’expansion du vivant, (ii) les processus fondamentaux qui régissent le fonctionnement des protéines ainsi que (iii) les processus cellulaires universels destinés à entretenir l’intégrité de la machinerie cellulaire [8].

Une première stratégie largement utilisée par les extrêmophiles pour préserver leurs constituants cellulaires, consiste à synthétiser et accumuler dans le cytoplasme des petites molécules (tréhalose, bétaines, etc.) qui stabilisent les édifices moléculaires. Le maintien de l’intégrité et de l’homéostasie des protéines met aussi en jeu une optimisation de systèmes chaperons et de modification des protéines destinés à empêcher leur agrégation, et à assister leur repliement ou à déclencher leur destruction rapide par des protéases intracellulaires. Ces systèmes de « contrôle qualité » des protéines sont cruciaux aussi bien pour l’adaptation des organismes thermophiles que pour les psychrophiles. Ils ne sont pas propres aux extrêmophiles mais conservés chez tous les êtres vivants, y compris l’homme. Ainsi les systèmes issus des microorganismes extrêmophiles sont des modèles simples pour comprendre les mécanismes fondamentaux de la réponse aux stress, des maladies dégénératives et les processus du vieillissement.

Les mécanismes cellulaires qui préservent l’intégrité des macromolécules biologiques demandent beaucoup d’énergie aux cellules. Voilà pourquoi les protéines des vrais extrêmophiles ont des propriétés fortement modifiées. Acquises au cours de l’évolution via des mutations, ces modifications stabilisent les protéines dans des conditions de températures, sel ou pressions élevées. La comparaison des structures cristallographiques de protéines issues d’organismes extrêmophiles avec leurs homologues mésophiles montre cependant peu de différences dans l’architecture globale des édifices. Par contre, les mutations sélectionnées génèrent des propriétés biophysiques très différentes. Par exemple, les protéines thermophiles sont « figées » à température ambiante. En cause : une rigidification de l’édifice macromoléculaire due à l’optimisation des interactions intramoléculaires. De quoi conférer aux protéines une extraordinairement robustesse. Toutefois, si le maintien de l’édifice tridimensionnel est essentiel au fonctionnement des macromolécules biologiques, les protéines sont aussi dotées de propriétés dynamiques globales. Certaines régions doivent bouger pour reconnaître les substrats, les cofacteurs et permettre d’accomplir des fonctions biochimiques complexes.

Encyclopedie environnement - extremophiles - enzyme issue d'une archee hyperthermophile
Figure 6. Structure cristallographique d’une enzyme issue d’une archée hyperthermophile: les régions colorées en jaune-orangé correspondent aux parties flexibles nécessaires au fonctionnement de l’enzyme. Les régions en bleu représentent les régions rigides nécessaires à la stabilité de l’édifice moléculaire [Source : d’après Coquelle et al, 2010]
L’analyse comparative des structures associées à des travaux d’évolution et de simulation moléculaire a permis d’identifier des régions clé au sein de la structure des protéines (Figure 6) [14]. Au cours de l’évolution, des acides aminés ont été substitués dans ces régions. Le compromis optimal obtenu entre forces de stabilisation et dynamique locale permet de préserver le fonctionnement de la protéine en condition extrême. Il existe de multiples types de repliement moléculaire, aussi les stratégies utilisées pour adapter les structures des protéines aux contraintes environnementales diffèrent-elles. Au-delà de la compréhension de l’extrêmophilie, ces travaux permettent de mieux comprendre le fonctionnement des édifices macromoléculaires et des enzymes. Réalisées sur des protéines d’intérêt médical, de telle études peuvent être utilisées mettre au point des médicaments.

Les contraintes exercées sur les édifices moléculaires par les différents paramètres environnementaux ne sont pas les mêmes, ce qui se traduit par des stratégies adaptatives différentes. Ainsi, chez les thermophiles, le principal défi consiste à empêcher le dépliement des protéines. L’adaptation consiste à renforcer les forces qui stabilisent le repliement des protéines tout en maintenant une flexibilité importante dans les régions consacrées au fonctionnement biochimique des enzymes. Les basses températures ont, quant à elles, pour principale conséquence de ralentir les vitesses des réactions chimiques. Chez les protéines psychrophiles, l’adaptation provient plutôt d’une modification des sites actifs permettant une meilleure efficacité catalytique, associée à un relâchement global ou local des contraintes intramoléculaires en leur sein (10). Ces modifications maintiennent un métabolisme ralenti mais suffisant pour permettre la division des cellules. En diminuant la quantité d’eau libre et en interagissant avec les chaines polypeptidiques, le sel affecte la solubilité des protéines et perturbe les interfaces intramoléculaires à l’origine du repliement. Toutefois, les protéines halophiles ont accumulé des mutations qui leur permettent de contrecarrer ces effets et même d’interagir de manière avantageuse avec les ions du solvant [15]. Ces associations contribuent à la fois à stabiliser l’édifice tout en maintenant une couche d’hydratation nécessaire au fonctionnement du système. L’adaptation est ici poussée à tel point que la plupart des protéines issues de ces organismes ne sont solubles et repliées que dans des conditions d’hypersalinité [16]. Enfin, des travaux récents révèlent une adaptation moléculaire associée aux conditions de hautes pressions hydrostatiques qui règnent dans les abysses et les couches géologiques profondes de la planète [9]. Dans ce cas, les cavités présentes au sein des édifices moléculaires qui font majoritairement l’objet de modifications.

Dans tous les types d’adaptations associées à la vie en conditions « extrême », les modifications des structures de protéines modifient profondément la biochimie et la physiologie des systèmes biologiques. Pour cette raison, des conditions que nous considérons comme « normales » : températures de 37°C, salinité de 3%, pression atmosphérique, présence d’oxygène, etc. sont en fait des conditions hostiles pour la plupart des extrêmophiles. Ces conditions provoquent un stress pour les cellules. Par exemple, l’eau constitue un solvant mortel pour les halophiles [17]. Ces organismes accumulent des concentrations quasi saturantes de sel dans leur cytoplasme garantissant la solubilité et le bon repliement de leurs protéines. A l’échelle géologique, des variations climatiques de grandes amplitudes ont établi des conditions extrêmes à la surface de la planète. C’est également pour cette raison que la notion d’extrêmophilie doit être relativisée.

5. Utilité des « extrêmozymes » pour les biotechnologies

Les enzymes sont des produits naturels qui réalisent des réactions chimiques de manière ultra efficace et non polluante. Dans un contexte de crise alimentaire et environnementale nécessitant le développement d’une économie bio-inspirée, les nouvelles enzymes que l’on trouve dans les génomes des populations de microorganismes extrêmophiles (extrêmozymes) présentent un grand intérêt [18]. En effet, leur robustesse, leur capacité à réaliser des réactions chimiques dans des conditions extrêmes et parfois le caractère unique des réactions chimiques qu’elles réalisent les rendent très intéressantes pour de multiples applications. Ainsi les biotechnologies utilisent des extrêmozymes pour la production de biocarburants, de bio-matériaux ou de molécules pharmaceutiques. Les enzymes halophiles sont capables de fonctionner dans des milieux salés, dans les solvants organiques et dans une large gamme de pH. Elles sont utilisées dans les procédés agroalimentaires, dans l’industrie papetière ainsi que dans l’industrie textile.

Encyclopedie environnement - extremophiles - communautes archees methanotrophes
Figure7. Images de communautés d’archées méthanotrophes et de bactéries sulfato-réductrices du sédiment. [Source : © Ifremer]
Les thermozymes et les barozymes issues des organismes thermophiles et/ou barophiles sont des enzymes hyperstables que l’on peut utiliser pour des applications agroalimentaires dans des conditions qui éliminent des risques de contamination bactérienne. Ils peuvent être utilisés dans des conditions physicochimiques correspondant à de multiples procédés utilisés par l’industrie textile, du cuir, des détergents de la cosmétique ou de la pharmacie. Du fait de leur originalité, de leur abondance et des nombreuses interactions et symbioses qui régissent la dynamique des communautés bactériennes et archéennes dans les environnements extrêmes, ces microbes représentent une ressource génétique encore largement inexplorée (Figure 7). Ainsi, la recherche de nouveaux biocatalyseurs et d’antibiotiques à partir de la biodiversité microbienne des milieux extrêmes est une discipline en pleine expansion nécessitant le développement de plateformes de criblage et de caractérisations enzymatiques et structurales dédiées.

 


Références et notes

Photo de couverture : © Bruno Franzetti

[1] Abdoun E. (2014) Science & Vie 1161, 70-77

[2] Banik J.J. & Brady S.F. (2010) Current opinion in microbiology 13, 603-609

[3] Cowan D.A., Ramond J.B., Makhalanyane T.P. & De Maayer P. (2015) Curr Opin Microbiol 25, 97-102

[4] Gribaldo S., Forterre P. & Brochier-Armanet C. (2011) Research in microbiology 162, 1-4

[5] Forterre P. (2015) Frontiers in microbiology 6, 717

[6] Gribaldo S. (2008) Les Archaea : Evolution et diversité du troisième domaine du vivant.

[7] Brochier-Armanet C., Forterre P. & Gribaldo S. (2011) Curr Opin Microbiol 14, 274-281

[8] Oger P. & Franzetti B. (2012) Biofutur 336, 36-39

[9] Jebbar M., Franzetti B., Girard E. & Oger P. (2015) Extremophiles 19, 721-740

[10] Cavicchioli R., Siddiqui K.S., Andrews D. & Sowers K.R. (2002) Current opinion in biotechnology 13, 253-261

[11] Oren A. (2015) Current opinion in biotechnology33, 119-124

[12] Inagaki F. et al. (2015) Science 349, 420-424

[13] McKay C.P. (2014) Proc Natl Acad Sci U S A 111, 12628-12633

[14] Coquelle N., Fioravanti E., Weik M., Vellieux F., & Madern D. (2007) J Mol Biol 374, 547-562

[15] Madern D., Ebel C. & Zaccai G. (2000) Extremophiles 4, 91-98

[16] Vauclare P., Marty V., Fabiani E., Martinez N., Jasnin M., Gabel F., Peters J., Zaccai G. & Franzetti B. (2015) Extremophiles 19, 1099-1107

[17] Franzetti B. (2010) Biofutur, 35-38

[18] Raddadi N., Cherif A., Daffonchio D., Neifar M. & Fava F. (2015) Applied microbiology and biotechnology 99, 7907-7913


L’Encyclopédie de l’environnement est publiée par l’Association des Encyclopédies de l’Environnement et de l’Énergie (www.a3e.fr), contractuellement liée à l’université Grenoble Alpes et à Grenoble INP, et parrainée par l’Académie des sciences.

Pour citer cet article : FRANZETTI Bruno (6 février 2019), Microbes des environnements extrêmes, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 24 avril 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/vivant/extremophiles-microbes-environnements-extremes/.

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