Les liaisons dangereuses de l’oxygène et de la vie
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L’oxygène c’est la vie ! En tout cas aujourd’hui nombreux sont les processus biologiques qui ne pourraient pas avoir lieu sans oxygène moléculaire, O2, et beaucoup d’organismes meurent lorsqu’ils en ont privés. Mais d’autres organismes se passent très bien d’oxygène, c’est même un poison violent pour certains d’entre eux. Et par le passé ? En réalité, pendant près de deux milliards d’années, la vie s’est développée sur Terre sans oxygène, tout simplement parce qu’il n’y en avait alors pas, ou trop peu, ni dans l’atmosphère terrestre, ni dans l’eau des océans (une eau qui, elle, est totalement indispensable à la vie !). En fait, la molécule d’oxygène est un sous-produit du métabolisme de certaines bactéries, les cyanobactéries. La vie a créé l’oxygène ! Puis elle a dû se débrouiller pour poursuivre son histoire en présence de cet oxydant puissant. C’est de cette confrontation mouvementée entre vivant et oxygène dont il est question tout au long de cet article.
La molécule d’oxygène, O2, qu’on appelle aussi le dioxygène, est très étroitement associée à l’idée que nous nous faisons de la vie. Avec la molécule d’eau, c’est sans doute celle qui caractérise le mieux la vie aux yeux du grand public. Pas de vie sans oxygène ! Au point que l’éventuelle diminution de son taux dans l’air qui serait induit par la déforestation massive de l’Amazonie soit présentée comme le présage d’une catastrophe planétaire [1]. Pourtant le lien vie – oxygène n’a rien d’absolu. Il fut un temps où, sur notre planète, la vie se développa et perdura en l’absence d’oxygène, et encore aujourd’hui de nombreuses formes de vie s’en passent très bien. C’est même souvent pour elles un redoutable poison. De fait, il y a fort à parier que s’il avait été abondant au tout début de l’histoire de notre planète, la vie n’y serait jamais apparue.
1. L’oxygène, c’est quoi ?
D’autres molécules constituées uniquement d’atomes d’oxygène existent. La plus connue est l’ozone, O3, qui est présent dans la haute atmosphère terrestre, où il est produit à partir d’O2. L’ozone nous protège efficacement de certains rayonnements ultra-violets solaires qu’il est capable d’absorber. D’autres formes infiniment plus rares d’oxygène peuvent être obtenues en laboratoire : O4, et même O8 dans l’oxygène solide.
2. L’oxygène, ça sert à quoi ?
Les mécanismes des réactions d’oxydation sont complexes et sont toujours associés à des mécanismes de réduction. On parle de processus redox.[3] Dans la réaction de la figure 2, le glucose est oxydé (en CO2 et H2O), alors que l’oxygène est réduit (en H2O). Toutes les réactions impliquées peuvent être interprétées en termes de transfert d’électrons. Une molécule est réduite quand elle accepte un électron supplémentaire, elle est oxydée quand elle perd un électron. L’oxygène, O2, qui est réduit en eau, est donc un accepteur d’électrons. Au bout d’une chaine de réactions redox, par exemple la chaine respiratoire, c’est lui qui capte les électrons mis en jeu. On dit qu’il est l’accepteur final d’électron.
Les êtres humains, comme tous les animaux et les champignons utilisent comme source d’électrons des molécules organiques (par exemple des sucres) et comme accepteur O2 : ils respirent ! Les plantes elles aussi respirent et ont besoin d’oxygène pour vivre (même si elles sont capables d’en produire par la photosynthèse ; Lire Lumière sur la photosynthèse). Tout ceci nous fait associer inconditionnellement vie et oxygène. Pourtant d’autres accepteurs d’électrons sont possibles.
3. La vie sans oxygène aujourd’hui
Pour beaucoup d’organismes qui vivent en anaérobie, l’oxygène est non seulement inutile, il est de plus toxique. C’est un poison qui les détruit rapidement. Pour eux, l’oxygène est synonyme de mort.
4. La vie sans oxygène au commencement
Il y a 4 milliards d’années, quand la vie commençait à se développer, l’atmosphère terrestre ne comportait pas d’oxygène moléculaire. Il est difficile bien sûr d’avoir des certitudes sur la composition de l’atmosphère primitive. On a d’abord cru qu’elle était constituée largement d’hydrogène, de méthane, d’ammoniac. Elle aurait alors été très réductrice. En particulier si quelques molécules d’oxygène s’étaient formées, elles auraient vite disparu, réagissant avec l’hydrogène pour donner de l’eau (O2 aurait été réduit). Mais il semble maintenant acquis que l’atmosphère était surtout composée de dioxyde de carbone, CO2, et de vapeur d’eau, un milieu a priori plus acceptable pour que l’oxygène moléculaire s’y maintienne. Mais l’eau de l’océan terrestre contenait beaucoup de fer ferreux (Fe2+), soluble dans l’eau. Toute trace d’oxygène aurait réagi en oxydant le fer ferreux en fer ferrique (Fe3+), sa forme la plus oxydée.
Il est donc tout à fait certain que la première vie sur Terre a fonctionné en anaérobie, sans oxygène (Lire Il était une fois la vie : la chimie dans l’océan terrestre il y a 4 milliards d’années). Si on considère que la vie sur terre est apparue il y a environ 4 milliards d’années, ce qui semble raisonnable, alors pendant plus d’un tiers de ce temps, l’oxygène n’a été l’accepteur final d’électrons (l’oxydant) d’aucune forme vivante ! Mais alors quel était l’oxydant ? On a vu qu’aujourd’hui ce pouvait être des sulfates ou le soufre. Des dérivés de l’azote, les nitrates et les nitrites, peuvent aussi convenir. Ce sont tous des oxydants potentiels à l’origine de la vie.
Mais un accepteur d’électron encore efficace aujourd’hui était alors omniprésent, CO2, qui est donc un candidat sérieux au rôle d’oxydant primitif. On repense alors aux archées méthanogènes, comme Methanobrevibacter smithii qui pullule dans nos intestins. Si tel a été le cas, alors du méthane s’est formé sur Terre, il y a 4 milliards d’années. Il n’est guère possible d’imaginer trouver aujourd’hui trace de ce méthane originel. Toutes les molécules formées ont depuis été recyclées pour former d’autres produits organiques et/ou redonner du CO2. Et même s’il en restait un fifrelin, comment le différencier du méthane biologique actuel ? Peut-être en cherchant ailleurs ? On trouve du méthane sur Mars. L’hypothèse a été émise qu’il a été formé au début de l’histoire de la planète rouge, quand elle était en partie couverte d’océan et que la vie aurait commencé à s’y développer. Des analogues d’archées méthanogènes sur la toute jeune Mars ? On est loin des petits hommes verts, mais on aurait là des martiennes plus plausibles ! La vie ayant ensuite disparu, le méthane martien aurait pu subsister jusqu’à aujourd’hui, et serait donc un fossile d’archées.
5. L’histoire de l’oxygène et son influence sur le vivant
5.1. La grande oxydation : quelques pourcents d’oxygène
Cet évènement considérable, qui s’est étendu de 2,4 à 2 milliards d’années, s’appelle la grande oxydation (en anglais GOE pour Great Oxidation Event).[8] Cette « crise de l’oxygène » a été catastrophique pour un nombre considérable d’espèces au métabolisme anaérobie. Sans doute la plupart d’entre elles ont alors disparu. C’est peut-être la plus considérable extinction de masse qu’a connue la Terre. Une extinction de masse de « tout petits microbes », certes moins télégénique que l’extinction des dinosaures, mais aux conséquences gigantesques. De la même façon que certains dinosaures aviens (les oiseaux) ont survécu à l’extinction du Crétacé, alors que tous les autres dinosaures disparaissaient, certaines anciennes bactéries et archées, en se réfugiant dans des biotopes non oxygénés, ou en s’adaptant, ont passé la crise de la grande oxydation avec succès (ce qui fait qu’il existe toujours des procaryotes).
Parmi les processus adaptatifs, l’un a permis un bon évolutif considérable. Avant le GOE, aucun organisme ne possédait un noyau cellulaire, à la fin du GOE certains en avaient. Les eucaryotes étaient nés ! On pense que ce sont des archées qui se sont transformées. Pour résister au stress oxydant, elles auraient développé des membranes internes, dont l’une serait devenue la membrane nucléaire. A l’intérieur de cette membrane supplémentaire, l’ADN des nouvelles espèces aurait été mieux protégé des attaques de l’oxygène. Ensuite, ou en même temps, des bactéries seraient venues phagocyter ces proto-eucaryotes, y trouvant peut-être protection. Ces ex-archées à noyau et à hôtes bactériens (comme les mitochondries), sont les eucaryotes (Lire Symbiose et évolution : à l’origine de la cellule eucaryote). Grace à eux (et aux procaryotes à métabolisme aérobie), il est permis d’associer vie et oxygène.
5.2. Et encore plus d’oxygène !
Il est plus que probable que les deux évènements, l’augmentation importante de la quantité d’oxygène disponible et la multiplication de grandes espèces pluricellulaires, soient liés. Cette augmentation est la conséquence de variations relatives entre photosynthèse et piégeage de la matière organique dans les sédiments qui produisent du dioxygène et d’autres phénomènes qui en consomment comme l’oxydation du fer d’origine magmatique, du soufre minéral, d’anciennes roches sédimentaires…
La respiration aérobie, consommatrice d’O2, a alors permis un apport d’énergie massif qui a rendu possible cette explosion de vie. Ici au moins, l’oxygène, c’est la vie, y compris dans sa démesure. C’est peut-être grâce à son abondance au permien (23% contre 21% aujourd’hui), il y a 300 millions d’années, qu’un genre de libellule géante longue de 30 centimètres avec une envergure de 70 centimètres, Meganeura, (Figure 6) a pu se développer. D’après les auteurs qui présentent cette hypothèse, il n’y aurait plus assez d’oxygène sur terre aujourd’hui pour permettre à Meganeura de vivre et la plus grosse libellule actuelle atteint tout juste 20 centimètres d’envergure (ce qui n’est déjà pas si mal !).
5.3. Trop d’oxygène ?
Mais en arriver à « trop » d’oxygène peut amener de sérieux problèmes, et d’abord à des périodes glaciaires. En effet, tant qu’il n’y en avait pas trop, il restait du méthane dans l’atmosphère, or le méthane est un puissant gaz à effet de serre. Il maintenait un climat qu’on pourrait qualifier de « globalement tropical » sur notre planète. Mais l’accroissement du taux d’oxygène a entrainé son oxydation en CO2. CO2 (on en parle beaucoup, et à juste titre, avec le réchauffement climatique actuel) est aussi un gaz à effet de serre, mais bien moins que le méthane (plus de 20 fois moins par unité de masse). Remplacer le méthane par du gaz carbonique revient donc à refroidir la Terre, si bien que de gigantesques glaciations ont eu lieu à une époque justement nommée le Cryogénien (de l’ancien grec krùos, froid), il y a 700 à 600 millions d’années.
Il est même envisageable que la totalité de la surface de la planète ait été gelée, créant une « Terre boule de neige ». C’est après cette période, pendant l’Édiacarien, que la vie multicellulaire va vraiment s’imposer (Lire Les premiers écosystèmes complexes). La faune de l’Édiacarien était extrêmement riche et diversifiée, elle a pourtant complètement disparu il y a 545 millions d’années, remplacée par une nouvelle faune, celle du Cambrien, qui est à l’origine de tous les animaux que nous connaissons aujourd’hui. Il est probable que l’accroissement de la présence d’oxygène dans l’eau de surface des océans a permis l’explosion de la faune de l’Édiacarien. Sa disparition brutale a quant à elle peut-être été causée par une déstabilisation des couches d’eau océanique, entraînant la remontée d’un puissant gaz toxique, l’hydrogène sulfuré H2S.
Il y a 65 millions d’années, lorsque qu’une gigantesque météorite a frappé la péninsule du Yucatan au Mexique, entrainant la disparition de tous les dinosaures non-aviens (Lire Les extinctions massives dans les temps géologiques), l’oxygène était plus abondant qu’aujourd’hui de quelques pourcents. Ces quelques pourcents ont dû avoir des conséquences notables. Les premiers dinosaures (et les autres animaux) à disparaître furent ceux du Yucatan. Puis l’onde de choc a atteint l’Amérique du nord et du sud, le front de l’onde s’étendant en un immense cercle, et broyant tout sur son passage. Un immense Tsunami compléta le tableau et noya jusqu’en Europe et en Afrique tout ce qui ne se trouvait pas suffisamment haut au-dessus du niveau de la mer.
Pour l’instant, l’excès d’oxygène n’y était pour rien. Mais voilà… Des pluies de cendres incandescentes s’abattirent sur toute la planète. Elles allumèrent des millions d’incendies qui se rejoignant n’en firent bientôt plus qu’un à l’échelle de toutes les terres émergées. Et c’est à ce moment que ces quelques pourcents d’oxygène supplémentaires jouèrent un bien mauvais tour aux dinosaures. Beaucoup d’entre eux vivaient dans des zones humides. Avec 21% d’oxygène comme aujourd’hui, sans doute certaines forêts n’auraient-elles pas brulé. En tout cas, il se serait bien trouvé quelques mangroves, quelques landes marécageuses qui n’auraient pas brûlé. Et un nombre, peut-être faible par rapport à leur population initiale, mais non négligeable, de dinosaures aurait passé cette étape. Assez peut-être pour que certains affrontent avec succès le refroidissement climatique qui a suivi, causé par l’impénétrable couche de fumée qui interdisait aux rayons du soleil d’atteindre le sol. On sait que des dinosaures vivaient dans des zones aux hivers rudes. Alors pourquoi pas ? Mais, définitivement, trop d’oxygène, c’est dangereux.
6. Un équilibre précaire
On l’a vu, associer indistinctement vie et oxygène est une erreur. Il y a eu et il y a encore (même à l’intérieur des êtres humains) de la vie sans oxygène. Pendant un tiers de son histoire, la vie sur Terre s’en est fort bien passée. Elle l’a même craint, au point de connaître une grave crise quand les cyanobactéries le produisirent en masse dans les océans et dans l’atmosphère. Par chance, la grande oxydation a été un évènement suffisamment lent (plusieurs centaines de millions d’années) pour que des bactéries et des archées puissent s’adapter et survivre à cette sorte de première guerre chimique mondiale. L’évolution a permis la sélection d’archées qui avaient acquis un noyau et s’étaient associées à des bactéries (l’union fait la force !). Les eucaryotes étaient nés. Ils mettront longtemps pour devenir des animaux et des plantes. Cette fois l’oxygène les y aidera. Mais il n’est jamais loin le point où ce même oxygène pourrait bien brûler tous les organismes terrestres.
L’oxygène terrestre est pris dans un vaste cycle géochimique, lié au cycle d’autres éléments, essentiellement celui du carbone, via la respiration des êtres vivants, leur décomposition, leur enfouissement, la formation des carbonates (les couches de calcaires) ou celle de dépôts d’hydrocarbures et de charbon. Il est en lien aussi avec le cycle du soufre, en formant des sulfates. La stabilité du taux d’oxygène est donc la résultante de nombreux équilibres chimiques, mais aussi de processus physiques. Si toute la matière organique produite dans les océans était oxydée, ceux-ci n’en libèreraient pas. En fait, c’est parce qu’une toute petite partie de cette masse organique est enfouie avant d’être oxydée que le bilan reste positif. L’équilibre est très précaire et se joue à presque rien : à 0,0001% près ! [9]
7. Messages à retenir
- Ce sont essentiellement des phénomènes géochimiques et géologiques qui déterminent la quantité d’oxygène, O2, présent dans l’atmosphère.
- Pendant plus d’un milliard d’années, la vie s’est développée sur Terre en absence d’oxygène.
- Il y a un peu plus de deux milliards d’année, l’apparition de l’oxygène, la grande oxydation, a été un évènement considérable, qui a bouleversée la vie sur Terre. C’est alors que sont apparues les cellules eucaryotes (avec un noyau).
- C’est quand le taux d’oxygène a ré-augmenté pour atteindre 20 à 30% que la vie pluricellulaire, telle que nous la connaissons aujourd’hui, est apparue et s’est diversifiées (animaux, champignons, plantes).
- L’oxygène est aujourd’hui indispensable à la vie, mais c’est un oxydant puissant. Trop d’oxygène pourrait nuire à son maintien, ou en tout cas, la modifier très sérieusement.
Notes et références
Image de couverture. Image de l’oxygène dans la grande nébuleuse de la Carène. [Source : Original photo by Dylan O’Donnell, deography.com; derivative work by Tobias Frei / CC0]
[1] Zimmer K., Why the Amazon doesn’t really produce 20% of the world’s oxygen ? National Geographic, 28 Août 2019
[3] Réaction d’oxydo-réduction : un transfert d’électron (La chimie.net)
[4] Les archées : rencontre du troisième type (MNHN).
[5] Boisson T., Feux follets : que sont en réalité ces étranges lumières ? Trust my Science, 2018,
[6] Gootlieb K., Wacher V., Sliman J. & Pimentel M., AP&T, 2016, 43, 197, DOI : 10.1111/apt.13469
[7] Claire König. Les cyanobactéries : apparition, adaptation et reproduction. (Futura Sciences)
[8] The event that transformed Earth (BBC).
[9] Field C.B., Behrenfeld M.J., Randerson J.T. & Falkowski P., Primary Production of the Biosphere: Integrating Terrestrial and Oceanic Components. Science, 1998, 281:237-240. DOI: 10.1126/science.281.5374.237
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Pour citer cet article : LEQRAA Naoual, VALLÉE Yannick (11 février 2022), Les liaisons dangereuses de l’oxygène et de la vie, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 18 mars 2025 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/vivant/liaisons-dangereuses-oxygene-vie/.
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