Pourquoi les papillons sont-ils si colorés ?

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Les papillons, par la délicatesse de leurs motifs et l’éclat de leurs couleurs, sont les insectes les plus populaires. Mais au-delà de leur beauté, que nous apprend l’étude de leurs couleurs sur le mode de vie et l’évolution de ces insectes fascinants ? Les motifs colorés de leurs ailes, formés par la juxtaposition de minuscules écailles, présentent une immense diversité : si de nombreux papillons sont vivement colorés, certains sont beaucoup plus ternes. Toutes les couleurs du spectre, visible et invisible pour l’œil humain, se rencontrent sur leurs ailes, où elles forment des motifs très variés. Certaines ailes sont monochromes quand d’autres arborent des dessins très complexes. Comment les couleurs sont-elles produites par les papillons ? Et quelles pressions de sélection sont impliquées dans l’évolution de ce foisonnement de couleurs et de motifs ?

1. La production des couleurs : des papillons experts en physique-chimie

Figure 1. Les écailles qui recouvrent les ailes de papillons leur donnent leurs couleurs. [Photo © Paweł Wałasiewicz, Licence CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons]
Les papillons sont des insectes holométaboles, c’est à dire qu’ils sont la forme adulte résultant d’une métamorphose complète à partir d’une chenille. Ainsi, leurs ailes, tout comme les motifs qu’elles arborent, se développent durant la courte période de la métamorphose. Elles sont en outre couvertes de minuscules écailles – d’où tire d’ailleurs son nom l’ordre des lépidoptères (ailes à écailles). Et ce sont ces écailles qui donnent leurs couleurs aux ailes de papillons, via des processus chimiques et physiques.

Au microscope, une aile de papillon ressemble à la surface d’un toit couvert de tuiles – les écailles. Si les ailes présentent souvent des dégradés subtils de couleurs, chaque écaille n’est pourtant que d’une seule couleur : c’est la juxtaposition d’écailles monochromes qui produit les dégradés, à la manière d’une mosaïque (Figure 1).

La plupart des couleurs des papillons trouvent leur origine dans la présence de pigments dans les écailles. Les pigments colorés sont des molécules qui absorbent une partie du spectre lumineux et réfléchissent le reste du spectre. Ce sont donc les propriétés chimiques de ces molécules pigmentaires, notamment la nature de certaines liaisons chimiques, qui définissent principalement la longueur d’onde de la lumière absorbée par l’écaille (et donc la couleur reflétée). Différents pigments sont produits dans différentes écailles, qui auront donc des couleurs différentes : par exemple, la mélanine produit une couleur foncée tirant sur le brun alors que les ptérines produisent des colorations claires. La plupart des pigments sont synthétisés par les papillons eux-mêmes, et ne dépendent pas forcément de leur alimentation (Lire Focus L’origine des couleurs pigmentaires).

A cette production chimique de couleurs, s’ajoutent des phénomènes physiques liés à la conformation des écailles : la couleur produite est modifiée par des processus d’interférence lumineuse, où certaines longueurs d’onde s’ajoutent tandis que d’autres s’annulent. A la surface des écailles, des réseaux de stries, constituées de lamelles empilées peuvent être présents et leurs nombre, espacement, et inclinaison déterminent la couleur reflétée (Figure 2).

Figure 2. Ecailles de Morpho rhetenor vues au microscope électronique. On voit nettement les stries longitudinales et les empilements de lamelles qui les constituent et leur donnent en coupe un aspect en sapin de Noël, responsables d’une partie des phénomènes optiques  [Illustration © Serge Berthier), reproduit avec l’autorisation de l’auteur].
Les couleurs générées par ces structures physiques, aussi appelées couleurs structurelles, sont très fréquentes : elles sont responsables de la couleur chez la plupart des papillons bleus. Les pigments bleus sont quant à eux très rares dans la nature, notamment du fait de leur instabilité. Alors que les couleurs pigmentaires sont mates, les couleurs structurelles sont souvent iridescentes : leur teinte et leur brillance dépendent de l’angle d’observation et d’illumination. Cette iridescence produit donc des changements de couleur quand le papillon bat des ailes. Ces changements de couleurs au cours du vol affectent probablement l’effet visuel sur les prédateurs ou les autres papillons. Quels sont justement les effets visuels des motifs colorés des papillons ? Quel est leur impact sur la survie et la reproduction des papillons ? Quelles sont les pressions de sélection impliquées dans la diversité des couleurs et des motifs des ailes des papillons?

2. Survie et reproduction : les ailes annoncent la couleur

L’évolution des couleurs chez les papillons dépend fortement de leur mode de vie et de leur environnement. Les conditions environnementales comme la température et l’humidité peuvent jouer un rôle important dans l’évolution des ailes et de leurs écailles.

  • La mélanisation contribue par exemple à la régulation de la température: la présence de mélanine sur les ailes augmente l’absorption thermique. Des ailes ayant des zones mélaniques plus grandes permettraient aux papillons de se réchauffer et d’être actifs plus rapidement le matin lorsque le soleil se lève. La mélanisation des ailes pourrait ainsi évoluer dans des espèces vivant dans des environnements plus froids.
  • Les écailles ont en outre des effets hydrophobes, permettant d’éviter aux ailes de se mouiller, facilitant ainsi le vol en condition humide.

Ces propriétés thermorégulatrices ou hydrophobes, en améliorant la survie des papillons, ont pu contribuer à l’évolution de certains types d’écailles, et donc affecter l’évolution de la coloration. Mais les effets visuels générés par les motifs colorés des écailles jouent probablement également un rôle majeur dans leur évolution. Les motifs des ailes peuvent en effet être perçus et reconnus par les prédateurs, mais aussi par d’autres papillons, et leurs variations influencent donc vraisemblablement la survie mais aussi le succès reproducteur des individus qui les portent.

2.1 Prédation : quand la couleur est une question de vie ou de mort

La prédation, notamment par les oiseaux, est un facteur de sélection important agissant sur l’évolution des motifs colorés des papillons. On peut d’ailleurs classer les motifs colorés en fonction du type d’effet qu’ils produisent sur les prédateurs [1].

2.1.1 L’absence de couleur : quand les papillons disparaissent

Chez certaines espèces, une partie ou l’ensemble de l’aile n’a pas de coloration propre : ces zones sont transparentes, ou bien comportent des ‘miroirs’ qui reflètent les alentours (Figure 3) !

Figure 3_papillon des Andes Ithomia diasia
Figure 3. Les ailes du papillon des Andes Ithomia diasia présentent de larges zones transparentes. [Photo © M. Elias, reproduite avec l’autorisation de l’auteur]
La transparence est causée par la diminution de la couverture de la membrane par les écailles, du fait de la disparition ou la réduction de la taille et de la densité des écailles, ou encore de la modification de leur orientation. La transparence est parfois renforcée par la présence d’un réseau de minuscules protubérances de quelques centaines de nanomètres à la surface de la membrane, qui a pour effet d’annuler les reflets.

Papillon Sesia apiformis
Figure 4. Le papillon Sesia apiformis ressemble à une guêpe, cette ressemblance effraie d’éventuels prédateurs. [Photo © jp Hamon, Licence CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons]
  • Dans certains cas, la transparence est indéniablement associée à une diminution de la détectabilité du papillon par les prédateurs: quel meilleur camouflage que de se fondre dans n’importe quel environnement ?
  • Dans d’autres cas, la transparence accroit la ressemblance du papillon à un organisme ou objet de l’environnement qui n’intéresse pas ou effraie les prédateurs, comme une feuille morte en décomposition ou une guêpe (Figure 4).

L’effet des zones miroirs des ailes (Figure 5), dont l’aspect métallique est causé par la structure des écailles (alternance de couches de chitine non perforées), est plus spéculatif. Ces zones pourraient contribuer au camouflage du papillon en reflétant l’environnement local.

Zones miroirs
Figure 5. Zones miroirs sur la face ventrale du papillon Issoria lathonia (Photo © Thomas Bresson CC BY-2.0, via Wikimedia Commons)

2.1.2 Cryptisme : des motifs qui limitent la détection

Les colorations cryptiques, c’est-à-dire peu contrastantes avec l’environnement des papillons, brunes, verdâtres ou grisâtres, associées à des motifs de tâches et bandes irrégulières, rendent les papillons difficiles à distinguer de l’arrière-plan et des surfaces naturelles (Figure 6). De très nombreux papillons présentent de tels motifs cryptiques, ce qui suggère que la prédation exerce une importante pression de sélection favorisant les motifs les moins détectables.

Coloration cryptique
Figure 6. Exemple de coloration cryptique, sur la face ventrale d’Agreste (Hipparchia semele). [Photo © Charles J. Sharp, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons]
Ainsi, chez de nombreuses espèces de papillons de jour, les faces ventrales des ailes sont souvent beaucoup plus cryptiques que les faces dorsales. Cela est certainement dû à la position qu’adoptent ces papillons quand ils sont posés : leurs ailes sont fermées, cachant les faces dorsales colorées et n’exposant aux prédateurs affamés que leurs faces ventrales, plus ternes.

2.1.3 Mascarade : des motifs trompeurs

La mascarade est une ressemblance des ailes du papillon avec un objet sans intérêt pour le prédateur, comme une feuille ou une branche : le papillon sera donc vu par les prédateurs, mais pas interprété comme une proie, et donc pas attaqué.

Kallima inachus
Figure 7. Lorsqu’il est posé, les ailes fermées, le papillon d’Asie Kallima inachus ressemble à une feuille. [Photo © Hsu Hong Lin from 南投縣集集鎮, 中華民國, CC BY 2.0, via Flickr]
Comme pour le cryptisme, la mascarade se manifeste généralement quand le papillon est immobile, posé avec ses ailes fermées : c’est donc la face ventrale qui porte les motifs de mascarade, comme chez les papillons-feuilles (par exemples chez les genres Kallima d’Asie ou Zaretis d’Amérique), dont la ressemblance à une feuille est parfois saisissante (Figure 7). La face dorsale, masquée au repos, est au contraire souvent très vivement colorée, suggérant des pressions de sélection bien différentes agissant sur les faces ventrales et dorsales des papillons.

2.1.4 S’échapper malgré la détection : déimatisme et déflection

Le papillon, peu visible au repos, a pourtant été détecté et l’attaque est imminente. Deux types de coloration peuvent néanmoins améliorer sa survie malgré la détection par le prédateur.

Deimatisme
Figure 8. Déimatisme: les couleurs vives des ailes postérieures, brutalement découvertes, peuvent effrayer un prédateur, comme chez cet Automeris amanda. [Photo ©M. Elias, reproduit avec la permission de l’auteur]
  • Déimatisme – Le papillon va brusquement démasquer un motif de couleur vive, ressemblant parfois à un œil (motif qu’on appelle alors ocelle). Ce brusque signal coloré peut effrayer, ou tout au moins faire hésiter le prédateur et ainsi donner au papillon le temps de s’échapper. C’est par exemple le cas de nombreux papillons de nuit : leurs ailes postérieures, masquées au repos par les ailes antérieures généralement cryptiques, sont très souvent fortement colorées, en rouge, orange ou jaune (Figure 8), et les papillons peuvent les dévoiler brusquement si un prédateur s’approche trop.
  • Déflection – D’autres motifs peuvent également faire échouer une attaque, en attirant l’attention du prédateur loin des parties vitales du papillon. Cette déflexion d’attaque a été suggérée pour certains ocelles situés près du bord des ailes, ou d’autres marques vivement colorées associées aux queues que portent certains papillons (Vidéo 1). Ces marques qui attirent les attaques sont portées par des zones particulièrement fragiles des ailes : elles peuvent se casser et faciliter l’échappement du papillon.

L’évolution de ces deux types de motifs dépendrait ainsi des types de prédateurs rencontrés, ainsi que de l’aspect visuel de l’environnement dans lequel vivent les différentes espèces de papillons.

Vidéo 1 : Attaques de mésange sur les queues et les taches colorées du Flambé (Iphiclides podalirius) en captivité. Vidéo © A. Chotard, avec permission

 

 

2.1.5 Contraste dorso-ventral : quand la couleur complique la capture

Un fort contraste entre les faces dorsales et ventrales peut rendre la trajectoire d’un papillon en vol plus difficile à prévoir : un papillon clair sur le dos, et sombre sur le ventre va clignoter en vol, en exposant alternativement les deux faces. Ces apparitions-disparitions peuvent sérieusement compliquer la tâche d’un prédateur aérien. On pense que cet effet est impliqué dans l’évolution du bleu dorsal des papillons Morphos – ces grands papillons amazoniens. Leur bleu est d’ailleurs iridescent, ce qui accentue le caractère fluctuant de la coloration et renforcerait ainsi la difficulté de capture ! (Vidéo 2)

Vidéo 2 : Le contraste dorso-ventral et l’iridescence bleue de ce Morpho menelaus le font clignoter en vol, contribuant à le rendre difficile à attraper. Vidéo © C. Le Roy, avec permission

 

 

Outre cette difficulté de capture, si le papillon aux couleurs vives détecté en vol se pose, la soudaine disparition du signal coloré poursuivi peut faire renoncer le prédateur à la poursuite. L’évolution des motifs colorés dorsaux et ventraux peut ainsi dépendre des comportements et capacités de vol des papillons, qui sont parfois très différents selon les espèces.

2.1.6 Aposématisme : des couleurs qu’on évite !

Contrairement à ces papillons furtifs ou rapides, certains papillons volent tranquillement, en pleine lumière, arborant des motifs colorés éclatants, rouge, jaune et noir, sans crainte apparente des prédateurs… Toxiques et immangeables, ces papillons sont bien détectés et même reconnus par les prédateurs. Ces derniers ont appris, à leurs dépens, à associer ces couleurs vives avec le mauvais goût et la toxicité de ces papillons (Figure 9), et évitent donc de les attaquer ! On parle alors de coloration aposématique.

Monarques et mésanges
Figure 9. Les couleurs vives des monarques (orange et noir), sont associées à une forte toxicité et un mauvais gout : les oiseaux apprennent vite à les éviter. [Illustration © Pearson Education, Inc, DR]
La protection conférée par ces motifs aposématiques est telle que toute ressemblance avec ces papillons donne à son porteur un avantage : celui d’être pris pour eux, et évité ! Cet effet est à l’origine de cas spectaculaires de mimétisme, où non seulement différentes espèces de papillons toxiques ont la même apparence, mais où des papillons tout à fait comestibles ressemblent aussi à s’y méprendre à des papillons toxiques d’autres espèces (Lire Focus Mimétisme). Cependant, ces ressemblances de motifs ne sont pas sans engendrer de confusion chez les papillons eux-mêmes ; car s’il est important d’échapper aux prédateurs, il est crucial de séduire, et en priorité, des partenaires de sa propre espèce. Et là aussi, les couleurs ont leur mot à dire.

2.2 Reconnaissance spécifique et sélection sexuelle : des goûts et des couleurs

2.2.1 Les couleurs font la différence… entre espèces

Si certaines pressions de sélection favorisent l’évolution de la ressemblance entre espèces, d’autres, au contraire, favorisent leur divergence. Il est en effet très coûteux pour un papillon, en particulier pour les femelles, de se tromper de partenaire sexuel, et pour les mâles de se battre avec un mâle d’une autre espèce. Mais comment reconnaître l’espèce du papillon qui passe ? Si les odeurs – ou phéromones – jouent un rôle important dans la reconnaissance spécifique à faible distance, les motifs colorés sont également utilisés, en particulier de loin. Il est donc avantageux pour les papillons de pouvoir détecter visuellement des petites différences de couleurs entre individus similaires. Cette sélection liée à la reconnaissance spécifique favorise la divergence de motifs colorés entre espèces vivant dans les mêmes localités, en particulier entre espèces génétiquement proches. Par exemple, chez le papillon nord-américain Colias eurytheme, les ailes des mâles reflètent fortement dans l’UV, alors que les mâles de l’espèce sœur Colias phylodice, pas du tout (figure 10). Cette différence de coloration permet aux femelles de reconnaître facilement les mâles de leur espèce et ainsi d’éviter des accouplements ne laissant pas de descendants viables.

Figure 10. Différence de coloration (visible/UV) des mâles de deux espèces-sœurs. [Illustration © Arnaud Martin, reproduit avec l’autorisation de l’auteur]
Il peut donc y avoir un conflit entre différentes pressions de sélection affectant l’évolution des motifs colorés : la prédation peut favoriser l’évolution de ressemblance entre espèces, alors que la sélection sur la reconnaissance spécifique favorisera plutôt leur divergence. Les motifs colorés des papillons résultent ainsi parfois de compromis évolutifs entre différentes pressions de sélection.

2.2.2 Le choix des femelles change la donne

Les couleurs des papillons évoluent aussi sous l’effet des choix des partenaires, et en particulier des femelles, lors de la reproduction. Les femelles jouent gros lorsqu’elles choisissent un partenaire : en effet, il leur incombe de produire et porter les œufs, mais également de trouver une plante-hôte sur laquelle pondre : cela implique d’énormes dépenses énergétiques… Il est donc important de choisir un bon mâle, robuste et potentiellement porteur d’une bonne combinaison génétique à transmettre à ses descendants ! Les femelles vont chercher à détecter cette bonne qualité génétique en examinant les mâles précisément. Si un mâle présente un motif qui plait aux femelles – une couleur particulière, par exemple – il sera souvent choisi et transmettra ce caractère à de nombreux descendants qui seront à leur tour avantagés dans la course à la reproduction. Cette sélection sexuelle peut générer une évolution très rapide de la morphologie des mâles, et aboutir à une très forte divergence entre les deux sexes – ce qu’on appelle le dimorphisme sexuel – les mâles étant généralement plus colorés que les femelles (Figure 11). Mais ces colorations brillantes, si séduisantes qu’elles soient, ne sont pas forcément avantageuses pour la survie : être vivement coloré peut en effet rendre plus visible par les prédateurs…

Figure 11. Dimorphisme sexuel chez Morpho rhetenor (le mâle est bleu). [Photos © Vincent Debat 2023]
L’effet de la sélection sexuelle sur l’évolution du dimorphisme a ainsi probablement eu un impact majeur sur l’évolution du dimorphisme sexuel chez les papillons, où les motifs des mâles semblent avoir fortement divergé des motifs ancestraux, sous l’effet de cette sélection.

2.2.3 Différents modes de vie entre mâles et femelles

Les différences de motifs arborés par les mâles et les femelles dans certaines espèces de papillons pourraient également résulter de différences de modes de vie entre sexes. Chez de nombreuses espèces de papillons, les femelles, alourdies par les œufs, présentent un vol plus lent, ce qui leur imposerait une plus forte sélection de prédation. Cette plus forte prédation peut favoriser chez les femelles l’évolution de colorations cryptiques, mais également de motifs mimétiques d’espèces toxiques. L’importance relative de la sélection naturelle et sexuelle dans l’évolution du dimorphisme sexuel des motifs colorés des papillons est une question ancienne, qui opposa en leur temps les deux découvreurs de la sélection naturelle. Charles Darwin concevait un rôle prépondérant de la sélection sexuelle dans l’évolution divergente entre les mâles et les femelles, tandis qu’Alfred Wallace penchait plutôt pour un effet de pressions de sélection différentes entre sexes. Cette question de la contribution respective de la sélection naturelle et sexuelle sur l’évolution du dimorphisme sexuel motive encore aujourd’hui de nombreux travaux de recherche en biologie évolutive.

3. Syndromes évolutifs : les motifs colorés n’évoluent pas seuls

Cette interaction entre sélection sexuelle et naturelle pointe vers une autre notion fondamentale : l’évolution des couleurs des ailes des papillons dépend de l’évolution d’autres traits. Pour la sélection sexuelle, il s’agit de la perception visuelle des papillons eux-mêmes mais également de leurs préférences visuelles. En effet, peu importe l’existence de différences de coloration entre mâles, si les femelles ne peuvent pas les voir, ou si elles y sont indifférentes ! Pour bien comprendre l’évolution des couleurs des papillons, il faut donc également étudier leur vision. L’adage « la beauté est dans les yeux de celui qui regarde » prend ici un sens très concret !

Pour la prédation, c’est la même chose : tout dépend de la perception des prédateurs : un signal sexuel très contrastant dans l’UV pourra être invisible pour un prédateur dépourvu de vision UV, et donc avoir un coût limité. Et cette co-évolution de la couleur avec d’autres traits ne se limite pas à la vision. L’évolution des motifs colorés est probablement fortement dépendante du comportement de vol des papillons. Par exemple, c’est l’association du bleu iridescent et du vol battu rapide qui rend les Morphos bleus difficiles à attraper. A tel point que chez certaines espèces de Morphos, chez qui le vol est lent et plané, le bleu iridescent a disparu : un papillon planeur aux couleurs vives ferait une cible bien trop facile ! Et c’est l’inverse chez les papillons toxiques : leur vol lent et tranquille favorise probablement la reconnaissance visuelle de leurs motifs aposématiques par les prédateurs.

L’évolution des motifs colorés des papillons permet donc d’illustrer deux aspects fondamentaux de l’évolution morphologique :

  • il existe souvent différentes pressions de sélection qui agissent simultanément sur l’évolution d’un trait, parfois en synergie, mais parfois en opposition, et l’évolution observée résulte donc souvent de compromis évolutifs ;
  • les traits morphologiques, comme la couleur, n’évoluent pas seuls, mais souvent en étroite connexion avec d’autres traits, dont ils influencent l’évolution, mais dont ils subissent également l’influence : on parle alors de coévolution.

Ainsi, si nous aimons les papillons pour la beauté de leurs couleurs, ils sont également un modèle de choix pour comprendre les mécanismes de l’évolution : et l’étude de leurs motifs délicats nous réserve encore probablement bien des surprises.

4. Messages à retenir

  • Les papillons appartiennent à l’ordre des lépidoptères, qui signifie ‘ailes à écailles’.
  • La couleur des ailes des papillons provient des pigments qui se trouvent dans les écailles (couleur chimique) et/ou de la structure de ces écailles (couleur structurelle).
  • Les écailles (et leur couleur) ont des effets multiples sur la survie et le succès reproducteur des papillons.
  • Les écailles peuvent participer à la protection des papillons vis à vis des fluctuations de leur environnement (température, humidité).
  • La couleur des papillons peut contribuer à la protection vis-à-vis des prédateurs (camouflage, signal de toxicité,..).
  • La couleur des papillons est également impliquée dans leur succès reproducteur (reconnaissance et choix du partenaire).

Notes et références

Image de couverture. Diversité des couleurs des ailes de papillons [Source : © Copyright Vincent Debat 2023 et Wiki Commons]

[1] Ruxton, G. D., Allen, W. L., Sherratt, T. N., & Speed, M. P. (2019). Avoiding attack: the evolutionary ecology of crypsis, aposematism, and mimicry. Oxford university press. https://doi.org/10.1093/oso/9780199688678.001.0001


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Pour citer cet article : DEBAT Vincent, ELIAS Marianne, LLAURENS Violaine (28 mars 2024), Pourquoi les papillons sont-ils si colorés ?, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 27 avril 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/vivant/pourquoi-les-papillons-sont-ils-si-colores/.

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