Inégalités environnementales

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Les inégalités environnementales constituent désormais une terminologie de plus en plus utilisée par la société civile et les hommes politiques. Mais que recoupent exactement ces inégalités ? Résultent-elles seulement de la superposition d’inégalités socio-économiques déjà largement étudiées avec des problématiques environnementales spécifiques (exposition au risque industriel ou naturel, à des nuisances ; accès difficile aux aménités environnementales…) ? Supposent-elles un nouveau regard sur les enjeux environnementaux et donc des modalités d’actions spécifiques ? Cet article cherche à donner un éclairage à cette thématique, peu à peu incorporée dans les réflexions sociales et l’action publique. Pour ce faire, il met en exergue les causes de ces inégalités, puis en formule une classification qui permet d’étoffer leur définition. Quelques modalités de réparation sont finalement présentées.

1. Comment définir une inégalité environnementale ?

L’inégalité est un concept relativement bien appréhendé ; elle illustre la différence dans l’accès et l’usage à des ressources rares et valorisées selon les individus ou groupes sociaux. Cette différence de situation entre des individus ou groupes peut être liée aux ressources qu’ils détiennent (éducation, revenus, capital social, culturel…) ou à leur position dans la société (logement, situation d’emploi, etc.). Il s’agit alors d’une inégalité sociale. L’inégalité pouvant s’inscrire dans l’espace, on parlera alors d’inégalités spatiales (ou territoriales) : certains lieux ne bénéficient pas des mêmes services, de la même dynamique économique que d’autres, comme par exemple dans l’accès au numérique, où aujourd’hui encore en France les milieux ruraux n’ont pas accès aux mêmes services que les milieux urbains.

Les inégalités environnementales croisent trois dimensions : sociale, territoriale et bien entendu, environnementale. Plus concrètement, les inégalités environnementales sont l’expression d’une charge environnementale qui serait supportée en premier lieu par des populations défavorisées et/ou minoritaires ou par des territoires souffrant d’une certaine pauvreté et exclusion de ces habitants. Attention cependant : être soumis à un risque ou une pollution n’induit pas systématiquement une inégalité environnementale.

Cela est le cas si cette situation est subie – et parfois non connue – par l’individu ou la population, non modifiable ou amendable par la population ou l’individu. C’est aussi le cas si elle concerne plus particulièrement une population/un territoire dont la structure socio-démographique démontre une vulnérabilité économique, sociale ou politique (Figure  de couverture).

Pour comprendre la notion, une analyse pluridisciplinaire mêlant à la fois les expertises en sciences humaines et sociales, en sciences de l’environnement et les savoirs citoyens est nécessaire. Cet article veut répondre à trois questions : comment apparaissent les inégalités environnementales ? Comment les définir et les distinguer ? Par quels moyens cherche-t-on à lutter contre elles et à les réduire ? Finalement, faisons-nous ici face à de nouveaux processus socio-environnementaux ou bien s’agit-il d’un regard nouveau sur des situations de défaveur sociale et environnementale ?

2. La construction sociale et politique des inégalités environnementales

Les inégalités environnementales se construisent sur la base de plusieurs processus qui peuvent agir isolément ou bien se conjuguer. Elles « ne résultent pas d’un déterminisme naturel qui affecterait une population humaine réputée homogène[1] », ni d’ailleurs d’un déterminisme social.

L’une des premières causes est l’absence de prise en charge des externalités négatives par celui qui les créé (aménageur, exploitant d’infrastructure, d’usines, pays exportateur de déchets…) et par celui qui profite du service et/ou de la production tirés d’une activité polluante, à risque, et/ou source de nuisances. En l’occurrence, les effets d’une pollution émise par un acteur ne sont pas pris en charge par celui-ci. Le coût social est reporté sur l’individu qui en subit les conséquences (sur sa santé, sur la valeur des biens dont il peut être le propriétaire, sur la représentation négative de son lieu de vie) et en partie sur la société, dès lors que cette dernière doit prendre en charge certains coûts pour protéger les citoyens ou diminuer les impacts par des mesures adaptées. Par exemple un épisode trop long de pollution atmosphérique provoque une augmentation des difficultés respiratoires chez les personnes vulnérables et notamment les crises d’asthme. Enfants, personnes âgées et autres vont donc à la fois en souffrir davantage et avoir plus recours aux services de santé pour se soigner[2].

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Figure 1. Comparaison des taux d’exposition aux oxydes d’azote (à gauche) et des catégories socioéconomiques (à droite) à Paris. La catégorie socioéconomique la moins favorisée (3) est fortement exposée aux plus forts taux d’oxydes d’azote, en particulier le long du boulevard périphérique. [Source : Deguen S, Petit C, Delbarre A, Kihal W, Padilla C, Benmarhnia T, et al. (2016) Correction: Neighbourhood Characteristics and Long-Term Air Pollution Levels Modify the Association between the Short-Term Nitrogen Dioxide Concentrations and All-Cause Mortality in Paris. PLoS ONE 11(3): e0150875. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0150875]
Une autre cause importante de production d’inégalités environnementales est l’inégale distribution des impacts négatifs et positifs en fonction du territoire que l’on observe (Figure 1). De fait, les impacts positifs d’une infrastructure touchent souvent des échelles beaucoup plus larges (la région, le pays) que les impacts négatifs (pollution, risques, nuisances telles que la congestion routière, le bruit, la possible dévalorisation des biens immobiliers, etc.) qui se concentrent sur l’espace d’accueil de l’infrastructure. Ce phénomène entretient l’impression d’injustice, à la fois sociale, économique et environnementale, un sentiment de « sacrifice territorial[3] » au nom de la volonté générale.

Prenons l’exemple d’un aéroport comme celui de Roissy Charles de Gaulle. En tant que hub européen, il offre un service de transport pour les voyageurs français, les touristes et un nombre important de voyageurs en transit. Paris et le reste de la France bénéficient grâce à lui du flux de touristes. La région Ile-de-France et les départements sur lesquels il est installé voient se développer un certain nombre d’activités économiques. Cependant ces effets bénéfiques ne touchent pas toujours les espaces situés le plus à proximité des aéroports, notamment en termes d’emplois. Plus encore ces espaces de proximité concentrent les effets négatifs et sont mal compensés puisque les effets positifs sont plus largement distribués[4].

De même, les pratiques d’aménagement[5] peuvent favoriser l’apparition et l’ancrage d’inégalités environnementales fortes. La ségrégation raciale dans le contexte états-unien a laissé une empreinte forte : des quartiers noirs-américains se distinguent des quartiers habités par des « blancs ». La ségrégation a prospéré par le biais de réglementations d’urbanisme et de choix d’investissements, dérivant d’une longue histoire de « marginalisation urbaine » et de racialisation des comportements (banquiers, urbanistes, collectivités locales, choix résidentiels des individus…)[6].

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Figure 2. Affichette dénonçant les processus d’aménagement et d’éviction des populations pauvres (Paris, 20e) [Source : © Gobert, 2014]
En France l’attribution des logements sociaux, au travers des politiques de peuplement[7] a pu conduire à des processus de concentration des populations précaires et d’origine immigrée dans des quartiers caractérisés par leur isolement, le déficit de services publics et parfois des expositions à certaines nuisances ou risques industriels ou naturels[8]. Les choix individuels viennent ensuite conforter cette ségrégation. De même les processus de rénovation urbaine amenant à revaloriser certains espaces, à restructuration de friches en espaces verts (comme les quais du bassin de la Villette, le jardin Eole à Paris) ont des effets d’éviction de certaines populations à faibles revenus et d’attraction de nouveaux ménages, avec plus de capitaux (phénomène de gentrification lié à la valorisation immobilière qu’entraîne la proximité d’aménités)[9] (Figure 2).

En France, un rapport de 2005 [10] montre qu’il n’y a pas de surexposition des ZUS, des zones urbaines sensibles, caractérisés par de grands ensembles d’habitat dégradé et par un déséquilibre accentué entre l’habitat et l’emploi aux risques naturels. En revanche, près de 42% des communes ayant une ZUS sont exposées au risque industriel contre 21% pour les autres. Cette sur-exposition des ZUS s’explique par la proximité entre les quartiers ouvriers et les usines, notamment dans les bassins industriels « historiques » mais aussi par des choix d’aménagement, avec un foncier financièrement abordable).

Certains chercheurs[11] ont voulu mettre en avant le processus des dynamiques résidentielles, comme motif explicatif principal de disparités d’exposition, considérant que les choix individuels (fuite des catégories moyennes et supérieures d’espaces impactés ; « choix » des ménages aux faibles capacités financières de se loger là où les loyers ou propriétés sont les moins chers) étudiés sur le temps long viendrait démentir toute responsabilité des aménageurs et des exploitants d’infrastructures ou d’usines. Ces derniers ne prendraient aucune décision favorisant les inégalités, ce sont les individus qui par leur choix de lieu d’habitation créeraient cette dynamique. Mais cette explication limite fortement la compréhension des phénomènes menant aux situations d’inégalités environnementales et fait reposer sur les comportements individuels une dynamique socio- territoriale bien plus complexe.

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Figure 3. Manifestation demandant l’arrêt de la construction du pipeline devant passer en amont de la nation Sioux de Standing Rock (Dakota, USA). Avec la menace de leur approvisionnement en eau, la tribu affirme que le pipeline détruira les lieux de sépulture et les lieux sacrés. [Source : © Fibonacci Blue creativecommons.org/licenses/by/2.0/ (Licence CC BY 2.0)]
Outre les pratiques d’aménagement, la politique menée à l’égard de catégories de populations minoritaires et/ou stigmatisée peut créer ou renforcer des inégalités environnementales : nous avons évoqué la ségrégation raciale aux États-Unis, mais le statut des Autochtones et les grands aménagement sur leur territoire ancestral produisent dans nombre de pays (États-Unis, Canada[12], Australie…) des inégalités environnementales conjuguant à la fois le faible accès au processus de décision, les impacts négatifs sur les sociétés autochtones et leurs pratiques, la faible voire l’absence de redistribution des revenus générés par l’équipement (Figure 3).

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Figure 4. Photographies illustrant la publicisation officielle d’une enquête publique et le lieu de consultation des documents [Source : © Gobert, 2015]
A ces causalités, s’ajoute le processus par lequel sont prises les décisions ayant un impact sur l’environnement. D’une part, parce que tous les effets sur un espace déterminé et dans le temps long ne sont pas étudiés dans les études d’impacts (santé, dévalorisation immobilière…) et encore moins de manière différenciante selon les populations. D’autre part, parce que l’accès aux procédures d’élaboration des documents d’urbanisme, d’études des projets ou de participations (études d’impact, évaluations environnementales…) requiert un ensemble de capitaux sociaux et culturels, du temps, ainsi que d’être reconnu comme un interlocuteur légitime. Ainsi la manière de communiquer sur les enquêtes publiques, les lieux de consultation restent relativement austères. Si Internet a permis de faciliter l’accès aux documents, ces derniers restent peu lisibles pour tout un chacun, mobilisant un discours d’experts (Figure 4).

Les inégalités environnementales ne sont pas nécessairement l’addition des problématiques environnementales aux inégalités sociales : elles naissent de la rencontre d’un problème lié à l’environnement et d’une population ou d’un territoire particulièrement vulnérable sur le plan social, économique, culturel et/ou politique. La classification ci-après décline cette relation.

3. Les inégalités environnementales : variété des configurations

La mise en évidence de ces processus de causalité montre la diversité des formes des inégalités environnementales qui découlent de constructions sociales, territoriales, historiques qu’il faut analyser sur le temps relativement long pour en comprendre les mécanismes de production et être en capacité de les déjouer. « Les inégalités trouvent leur origine non pas dans un ordre naturel des choses mais dans une certaine organisation institutionnelle, historiquement déterminée, des rapports sociaux et écologiques. »[13]. Aussi une typologie des cas possibles s’appuyant sur la littérature scientifique et plusieurs terrains d’étude permet d’apprécier la variété des configurations possibles :

  • l’exposition différenciée à un impact environnemental (pollution, risques…) des populations. Aux États-Unis la prise de conscience de cas d’injustices environnementales, à la fin des années 70, s’est forgée sur des cas concrets venant montrer une « coïncidence » entre la localisation d’infrastructures industrielles fortement polluantes et la riveraineté de populations afro-américaines et/ou paupérisées. [14]
  • Le report des impacts créés par les uns sur les autres ou autrement dit, l’inégale contribution des hommes et populations aux problèmes environnementaux. Cela peut se traduire par exemple un échange écologiquement inégal entre les pays pauvres (fournisseur de ressources brutes et récepteur des déchets ou projets polluants) et les pays riches (donneurs d’ordre et récepteurs des revenus provenant de la transformation et de la commercialisation des produits issus des ressources)[15].
  • l’accès différencié aux ressources « environnementales ». Il faut ici distinguer plusieurs configurations : (1) une accessibilité différente aux ressources nécessaires à la satisfaction des besoins élémentaires (eau propre, sols non pollués, air respirable…) et qui permettent de remplir des fonctions vitales (se nourrir sainement, se chauffer, se loger…)[16]et (2) une distribution et une accessibilité des aménités environnementales et des services écosystémiques différentes selon les individus et populations.

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Figure 5.  Fontaine de la Plaza Vieja (La Havane) ceinturée de grilles [Source : © Gobert, 2017]
Pour ce qui est du premier cas, les exemples sont légion : précarité énergétique, difficulté d’accès à une eau non contaminée, etc. La Figure 5 illustre la volonté des pouvoirs publics d’empêcher le prélèvement de l’eau par les habitants du sud de la ville de Havane.

La seconde configuration se traduit notamment au travers des choix résidentiels qui sont contraints et réalisés par les ménages en fonction d’un certain nombre de critères (accès aux transports, proximité d’un transport en commun, etc.) et des moyens dont ils disposent pour se loger et satisfaire ou non les critères suscités. Aussi le choix est-il l’objet d’un arbitrage d’autant plus fort pour les ménages défavorisés qu’ils pourront difficilement « choisir » un environnement agréable et sain, dès lors que celui-ci a un effet sur les prix. En effet, un ménage avec de faibles ressources sociales et économiques a de très faibles marges de choix, devant l’impératif de devoir se loger.

On peut ensuite souligner l’accès différencié aux aménités environnementales[17], « c’est-à-dire les attributs, naturels ou façonnés par l’homme, liés à un espace ou à un territoire et qui le différencient d’autres territoires qui en sont dépourvus »[18]. Se rendre et profiter des espaces verts, de la forêt, des bords aménagés d’une rivière ou du littoral demande un certain nombre de capitaux sociaux, économiques, culturels. Un déplacement vers ce type d’espaces engendre des coûts et demande une connaissance du territoire et de ses caractéristiques particulières.

  • la capacité différente des publics à influencer les décisions affectant l’environnement qui résulte à la fois de la capacité d’implication du citoyen dans les processus de décision (qui varie selon le type de projet, la volonté des aménageurs et ce, malgré un socle rémanent d’exigence participative inclus dans de nombreuses législations), mais aussi des capitaux (sociaux, culturels, économiques…) des populations et individus leur permettant de s’exprimer, à faire entendre leur voix et à faire reconnaître leur légitimité de parties prenantes…
  • les effets différenciés et potentiellement sources d’inégalités des politiques environnementales[19] en fonction des populations à qui elles s’adressent et s’imposent. Une politique en faveur de la préservation de l’environnement peut en effet avoir un impact négatif dans la lutte contre les inégalités sociales. C’est le cas des dispositifs de restriction de la circulation dans les métropoles, qui ciblent les véhicules vieillissants beaucoup plus présents parmi les ménages à faibles revenus. Même s’ils améliorent globalement la qualité de l’air et la santé publique, dès lors qu’ils ne sont pas accompagnés de dispositifs d’accompagnement et de compensation ils peuvent dégrader fortement la mobilité des populations défavorisées[20] et reporter les pollutions vers des territoires périphériques et défavorisés.
  • la justice à l’égard de l’environnement: l’émergence de la thématique de la justice environnementale s’est faite en opposition avec les mouvements environnementalistes antérieurs. Comment prendre en compte les non-humains dans les projets ? Comment concevoir l’interface entre nature, activités humaines et systèmes techniques sans éroder de manière irréversible la biodiversité et les équilibres naturels, climatiques notamment ? Le mouvement de la justice environnementale et la conception des inégalités environnementales ont souvent dès l’origine occulté ces questions[21]. Aujourd’hui encore, le fossé entre justice sociale et justice écologique[22] existe mais se réduit avec la mise en place des dispositifs les plus opérationnels et durables (comme les social and natural based solutions).

Ces configurations possibles se croisent la plupart du temps et peuvent se lire à plusieurs échelles. Ainsi l’inégale contribution aux dommages environnementaux peut-elle se lire au niveau mondial par l’effet de la mondialisation des flux. En 2006, un bateau, le Probo Koala, déversait des substances très toxiques à Abidjan, faisant dix-sept morts et des dizaines de milliers de victimes. L’entreprise privée, négociant indépendant en produits pétroliers, qui l’affrétait n’a pu se débarrasser de ces déchets en Europe et s’est donc dirigé vers la Côte d’Ivoire au mépris du droit européen qui interdit l’exportation de certains types de déchets de l’UE vers les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique.

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Figure 6. Vue aérienne de la carrière de gypse de Cormeilles-en-Parisis (Val-d’Oise) située au nord-ouest de Paris. Le gypse est la matière première pour fabriquer le plâtre. [Source : Géoportail © IGN 2017]
Elle peut aussi être décryptée à l’échelle d’une agglomération : par exemple quand la restructuration urbaine d’une ville centre va s’appuyer sur les ressources de territoires périphériques, considérés comme réservoirs (carrières, agriculture…) et comme lieux de dépôts des excrétas et ce, sans véritablement intégrer dans les processus de décision les représentants et populations desdits territoires[23]. Ainsi la Métropole de Paris importe-t-elle une partie de ces matières premières (gypse…) des départements de deuxième couronne (Figure 6) et renvoie ses déchets dans des décharges sur ces mêmes territoires et d’autres plus éloignés.

De même cette diversité permet de souligner que les inégalités environnementales ne viennent pas seulement renforcer les inégalités sociales ou spatiales ou induire une relecture de ces dernières par le prisme des enjeux environnementaux. Ces derniers peuvent aussi structurer des inégalités spatiales ou sociales. D’où des modalités de remédiation, de réparation ou de compensation tributaires d’une connaissance fine de la situation les produisant.

4. Des modalités de de réparation ou de compensation

Depuis quelques décennies des principes généraux visant à améliorer la relation des êtres humains à leur environnement immédiat ont émergé : droit à un environnement sain, droit à la ville[24]… Mais comment les rendre opérationnels par des mesures concrètes et réglementations ? Quelles conceptions de la justice doivent s’appliquer : vision « égalitariste(Égalitarisme) : Doctrine prônant l’égalité des citoyens en matière politique, économique et sociale et revendiquant les mêmes droits, le même traitement pour tous et la redistribution égale de l’ensemble des richesses à l’ensemble des individus. Dans le cadre des inégalités environnementales, il s’agirait que chacun subisse les mêmes défaveurs environnementales (ex. redistribution des infrastructures) et jouissent des mêmes aménités (comme les espaces verts). », utilitarismeSystème de morale et d’éthique qui considère l’utile comme principe d’action principal. Une politique moralement juste est celle qui produit le plus grand bonheur des membres de la société. A ce titre si un projet est utile au plus grand nombre, il ne peut être remis en question par les effets subis par une minorité car ils constituent un moindre mal., libéralismeLe libéralisme économique classique, dont les auteurs furent passionnés par les théories de Newton sur la physique, considèrent que les êtres humains comme mus par leurs intérêts personnels et prônent le laisser-faire dans la mesure où une main invisible assure l’équilibre général. Toutefois cette approche a évolué au gré de multiples débats. La justice environnementale ressort en partie du libéralisme de Rawls. Ce dernier admet qu’il puisse exister des inégalités dans la justice sociale tant que cela favorise les plus démunis, et en même temps, fixe des conditions strictes à ces inégalités. Donc il faut pouvoir corriger les effets négatifs pour les plus pauvres de certaines mesures ou politiques. … ? Mais la complexité et la diversité deces inégalités impliquent également une diversité de réponses pas toujours faciles à concevoir ou à implémenter. Comment procéder alors ?

  • Faire disparaître la cause des impacts négatifs? Il faudrait donc soit faire disparaître l’infrastructure en cause – ce qui s’avère difficile -, soit éviter et réduire autant que possible ces impacts négatifs, par exemple au travers de la diminution du bruit à la source, l’interdiction des rejets toxiques, l’insertion paysagère des équipements…
  • Traiter le lieu d’impact au travers de dispositifs particuliers ? La politique de la ville a utilisé ce principe en fléchant des moyens spécifiques sur des territoires où les indicateurs de pauvreté étaient forts ; cela s’est traduit par le financement d’un ensemble d’actions dans les champs de l’insertion socio-professionnelle, de la culture, etc. mais aussi plus structurellement par la structuration d’espaces publics et verts.
  • Mener des actions spécifiques envers les populations vulnérables et renforcer leurs capacités d’action et de décision[25] ? Le mouvement de justice environnementale aux Etats-Unis a cherché à structurer les riverains des infrastructures polluantes, à les aider à rendre visibles les inégalités puis à aller négocier des mesures – quand cela était possible – pour diminuer la charge environnementale.
  • Laisser les acteurs (exploitant et riverains) élaborer des solutions locales de ré-équilibrage compensant les effets négatifs irréductibles et redistribuant les impacts positifs ? Aux Etats-Unis par exemple, les community benefits agreements[26] (CBA) sont le résultat d’un accord entre l’aménageur et les populations, comme ce fut le cas pour l’aéroport de Los Angeles. Ce CBA comprend notamment une bourse à l’emploi pour les riverains subissant les impacts (et notamment les minorités hispaniques), un programme de réduction des émissions atmosphériques, d’isolation sonore des logements et équipements publics.

L’ensemble des mesures existantes sont souvent sans cohérence entre elles et sans objectif de diminuer les inégalités, malgré les efforts de certaines collectivités. Nous présentons dans les sous-parties suivantes des dispositifs visant à faire porter les coûts sur celui qui produit l’impact en modulant le principe de pollueur-payeur, ainsi que la manière dont la problématique apparaît dans l’agenda politique (local et national) aux Etats-Unis et en France.

4.1. Les formes d’internalisation : de la législation à la négociation

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Figure 7. Atterrissage au milieu des buildings à Hong-Kong. [Source : maxpixel.freegreatpicture.com, Domaine public]
Comme nous l’avons vu, l’absence d’internalisation est source d’inégalités environnementales entre celui qui créé le dommage sur autrui et diminue son bien-être et celui qui en souffre. Or le rapport entre le pollué  et le pollueur, entre le producteur de nuisances et la victime de celles-ci se joue une relation fortement inégale puisque les riverains ont rarement autant de moyens financiers, politiques, organisationnels que l’aménageur ou l’exploitant. Aussi l’internalisation des coûts va-t-elle ressortir en partie :

  • de législations particulières obligeant l’aménageur/l’exploitant à prendre les mesures nécessaires à la diminution de l’effet et/ou de l’impact sur les populations et les milieux,
  • de modalités de taxation (citons par exemple en France la Taxe générale sur les activités polluantes[1]) qui permettent ensuite d’avoir les recettes nécessaires pour la mise en place d’actions de réduction ou de compensation des impacts (insonorisations de logements et bâtiments publics situés à proximité des aéroports par le biais de la TNSA, taxe sur les nuisances sonores) ; (Figure 7).
  • de la négociation d’indemnisations ou de compensations socio-environnementales qui naissent souvent suite à un conflit entre l’aménageur/exploitant et le pôle de la riveraineté qui peut amener à un renversement des rapports de pouvoir entre les riverains et les aménageurs. Dans la mesure où les compensations socio-environnementales peuvent être le résultat de négociations locales, rien ne dit que des solutions adaptées seront trouvées sur un autre territoire dans une configuration similaire. Cette « justice située » aussi efficace soit-elle à une échelle précise pose à l’inverse des précédents dispositifs énoncés la question de sa reproduction sur d’autres espaces et à d’autres échelles.

4.2. Un enjeu politique plus ou moins intégré dans l’agenda politique

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Figure 8. Le long de la rivière Detroit (Detroit) [Source : © Gobert, 2006]
La problématique des inégalités environnementales apparait aux États-Unis à la fin des années 70 sous le nom de « justice environnementale », même si elle n’est pas née là-bas, comme le souligne Martinez-Allier (ibid.). Scientifiques, associations et habitants concernés dénoncent dans un premier temps les environnements pollués dans lesquels les populations noires-africaines sont confinées (Figure 8) et cherchent à les objectiver en démontrant scientifiquement la corrélation.

Au début des années 90, l’activisme des associations et leaders d’opinion permet l’institutionnalisation de la justice environnementale. Ainsi est pris par le président Bill Clinton, l’Executive Order 12898 exigeant que toutes les agences fédérales intègrent un objectif de justice environnementale en identifiant et en traitant tout impact qui atteindrait de manière disproportionnée les populations pauvres ou appartenant à des minorités, ou mettrait en péril leur santé. Des structures spécifiques furent créées : l’Environmental justice Office et National Environmental Justice advisory committee (NEJAC). Au demeurant vingt ans plus tard, les résultats de cette intégration à l’agenda politique restent relativement maigres pour diminuer le poids des nuisances, risques et pollutions sur les minorités et populations pauvres et se lisent davantage d’un point de vue procédural. En effet, même s’il y a une obligation de prise en compte dans les procédures sur le papier des communautés de justice environnementale, la réalité reste la même en termes de surexposition des populations minoritaires.

En France[28], les inégalités environnementales sont actuellement principalement appréhendées par trois biais : la santé environnementale via le Plan national de Santé environnementale, la précarité énergétique[29], l’accès à une nourriture saine. Les inégalités environnementales tendent de plus en plus à intégrer l’agenda public et à questionner les pratiques des aménageurs. Comme l’a annoncé N. Hulot, « dans cette transition [énergétique], il faudra prendre en compte la dimension sociale » » mais les détails pratiques demeurent flous[30] .

 5. Prendre en compte les impacts sociaux des politiques environnementales

Les inégalités environnementales ne constituent pas un phénomène nouveau ; les situations de vulnérabilité sociale couplées à des situations environnementales (exposition à des polluants, non-accès aux aménités…) et discriminations territoriales problématiques ont une histoire longue. Mais un regard nouveau a été porté sur ces dernières, d’une part avec l’émergence des préoccupations environnementales[31] et leur institutionnalisation à la fin des années 60 ; d’autre part en raison de mobilisations citoyennes et scientifiques, dénonçant et étudiant la surexposition subie par certaines populations.

Ces inégalités ne sont pas naturelles, découlant d’un déterminisme géographique ; elles ont historiquement, socialement et culturellement émergé par la manière d’aménager le territoire, de traiter certaines populations, d’exploiter les ressources naturelles, de répartir les activités économiques… En cela, elles constituent un large espace d’appropriation politique pour être évitées, réduites ou compensées.

Ainsi leur compréhension et leur remédiation obligent-elles à ne pas penser les problèmes environnementaux sous le seul prisme technique, mais à repenser les territoires et leur aménagement, ainsi que les politiques environnementales afin de ne pas occulter leurs impacts sociaux. La question environnementale ne peut être déshumanisée et désocialisée, dans la mesure justement où les êtres humains et leurs activités sont à la source de la raréfaction des ressources, de leur pollution et, en partie, de la distribution inégale d’un certain nombre de maux et de biens environnementaux.

 


Références et notes

Image de couverture. Bidonville de Dharavi à Quartier de Mumbai (Bombay, Inde), près de Mahim Junction. Les habitants de ces bidonvilles subissent, sans rien pouvoir y faire, les risques divers et les pollutions associés à leur environnement. [Source : By A.Savin (Wikimedia Commons · WikiPhotoSpace) (Own work) [FAL], via Wikimedia Commons]

[1]Larrère, C. (2017) Les inégalités environnementales, Paris: Presses Universitaires de France, p. 12

[2] OMS (2016), Pollution de l’air ambiant : une évaluation globale de l’exposition et de la charge de morbidité, [En ligne] : http://apps.who.int/iris/bitstream/10665/250141/1/9789241511353-eng.pdf?ua=1

[3] NIJKAMP P. et al., (1992), «Sustainable Development in a Regional System», in: M. J. Breheny (ed.), Sustainable Development and Urban Form, Series editor P.W. J. Batey, p. 39-66.

[4] Faburel G. (coord.) (2006) Les effets des trafics aériens autour des aéroports franciliens. Tome 1 : Etat des savoirs et des méthodes d’évaluation sur les thèmes d’environnement, Rapport du CRETEIL pour l’ACNUSA, ADP et la DGAC, Mai, 158 p.

[5] C’est-à-dire la manière de planifier la ville, de structurer les opérations d’aménagement, comme la rénovation urbaine, l’installation d’infrastructure ou la construction d’équipement

[6] MASSEY D., DENTON N. (1993) American Apartheid, Havard University Press

[7] « Ensemble des interventions (sur l’offre de logements, sur les attributions ou sur l’accompagnement social) menées par des acteurs (institutionnels et opérationnels) en vue de modifier l’occupation des logements sociaux » (Comité de suivi de l’ANRU, 2014)

[8] Sala Pala, V., Kullberg, J., Tomlins, R. et Henry, G. (2005) Politiques du logement et minorités ethniques dans l’Union européenne, in Les minorités ethniques dans l’Union européenne, La Découverte.

[9] Clerval A., Fleury A. (2009) « Politiques urbaines et gentrification, une analyse critique à partir du cas de Paris », L’Espace Politique [En ligne], 8 : https://espacepolitique.revues.org/1314

[10] Rapport de l’inspection générale de l’environnement sur les inégalités écologiques en milieu urbain de 2005 Rapport consultable en ligne : http://cgedd.documentation.developpement-durable.gouv.fr/documents/cgedd/2004-0116-01.pdf

[11] BEEN, V., GUPTA, F. (1997) Coming to the Nuisance or Going to the Barrios? A Longitudinal Analysis of Environmental Justice Claims, Ecology Law Quaterly, n°24-1, p 1-56

[12] Bone, R., Anderson, R. (2017), Indigenous Peoples and Resource Development in Canada, 506 p. Captus Press.

[13]Centemeri L., Renou G., 2017, “Jusqu’où l’économie écologique pense-t-elle l’inégalité environnementale ? Autour de l’œuvre de Joan Martinez Alier”, in Larrère, C. (2017), p 53-72

[14] TAYLOR, D.E. (2014). Toxic Communities. Environmental Racism, Industrial Pollution and residential Mobility. New York: New York University Press.

[15] Martinez-Alier, J. (2014). L’écologisme des pauvres, Une étude des conflits environnementaux dans le monde, Paris : Les Petits Matins.

[16] Harpet, C., Billet, P. (2016), Justice et injustices environnementales, L’Harmattan.

[17] Kalaora, B. (1998) Au-delà de la nature l’environnement, L’observation sociale de l’environnement, Paris : L’Harmattan ; Deldrève, V. (2011). Préservation de l’environnement littoral et inégalités écologiques: L’exemple du Touquet-Paris-Plage. Espaces et sociétés, 144-145.

[18] OCDE (1999), Manuel de protection de la biodiversité: Conception et mise en œuvre des mesures incitatives, Paris.

[19] Deldrève, V., Candau, J. (2014) Produire des inégalités environnementales justes? Sociologie, 3 Vol. 5, p. 255-269.

[20] La Branche, S., Charles, L. (2012) Étude d’acceptabilité sociale de la ZAPA de l’agglomération grenobloise : synthèse des principaux résultats. Pollution Atmosphérique : climat, santé, société, Pollution atmosphérique, p.226-230. ; Gobert, J. (2015) Mesures compensatoires socio-environnementales et acceptation sociale, in Levrel H. et al., Restaurer la nature pour atténuer les impacts du développement- Analyse des mesures compensatoires pour la biodiversité, QUAE, p. 34-44.

[21] SZE, J., London, J., (2009) Environmental Justice at the Crossroads, Sociology Compass, n°2, vol.4, p. 1331-1354.

[22] Shoreman-Ouimet E., Kopnina H., 2015, Reconciling ecological and social justice to promote biodiversity conservation, Biological conservation, 184, p. 320-326.

[23] Kelly-Reif, K., Wing, S. (2016) Urban-rural exploitation: An underappreciated dimension of environmental injustice, Journal of Rural Studies, Vol. 47 A, p. 350-358.

[24] LEFEBVRE H. (1968) Le droit à la ville, Paris : Anthropos.

[25] Sen, A. (1985) Commodities and Capabilities, Oxford : Elsevier Science Publishers.

[26] Des  vidéos (en anglais) sur les CBA : https://www.youtube.com/watch?time_continue=163&v=dlUn_tdloYEhttps://www.youtube.com/watch?v=5zn_LBu3drE

[27] La TGAP est due par les entreprises dont l’activité ou les produits sont considérés comme polluants : déchets, émissions polluantes, huiles et préparations lubrifiantes, lessives, matériaux d’extraction, etc.

[28] La question des effets d’un environnement pollué sur les populations vulnérables ne date pas de la récente acclimatation de la « justice environnementale » en France. Les grandes enquêtes épidémiologiques du 19e siècle mettent en avant les conditions de vie des ouvriers face à un environnement particulier.

[29] C’est-à-dire la difficulté des ménages pauvres à payer les factures énergétiques, et donc d’une part à pouvoir vivre dans des conditions décentes avec des objectifs nationaux très ambitieux de rénovation dans le cadre de la Loi sur la Transition Energétique.

[30] Nicolas Hulot, Ministre d’Etat à l’Environnement, 2017.

[31] Là encore aucune récence particulière. Les historiens montrent que dès le 19e siècle, la raréfaction des ressources et de la biodiversité ont commencé à questionner les scientifiques. LUGLIA, R (2015), Des savants pour protéger la nature. La société d’acclimatation (1854-1960). Presses Universitaires de Rennes.


L’Encyclopédie de l’environnement est publiée par l’Association des Encyclopédies de l’Environnement et de l’Énergie (www.a3e.fr), contractuellement liée à l’université Grenoble Alpes et à Grenoble INP, et parrainée par l’Académie des sciences.

Pour citer cet article : GOBERT Julie (23 mars 2018), Inégalités environnementales, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 24 avril 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/societe/inegalites-environnementales/.

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