Besoins en eau des plantes : comment les satisfaire ?

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L’eau est indispensable à la croissance des plantes. Si elle fait défaut -particulièrement dans la perspective du changement climatique- que peut faire l’homme pour assurer une production végétale nécessaire à son alimentation ? Deux possibilités existent qu’il peut éventuellement combiner : (i) apporter le complément d’eau nécessaire via l’irrigation et /ou (ii) adapter ses choix de cultures et de pratiques culturales aux possibilités du milieu. Dans le premier cas, il devra tenir compte de la disponibilité locale de la ressource en eau et de la compatibilité de son prélèvement avec les autres usages des aquifères et des cours d’eau. Dans le second cas, il devra focaliser ses efforts d’adaptation des techniques culturales sur l’eau, maillon faible de son système de cultures. Cela le conduira à accepter une baisse de production pour la rendre compatible avec les potentialités du milieu.

1. L’évapotranspiration, un processus doublement nécessaire

Pour croître, les plantes -cultivées ou non- ont besoin d’eau. En effet, pour fixer le carbone nécessaire à la photosynthèse, il faut que les pores situés à la surface des feuilles, appelés stomates, soient ouverts. Cela permet au gaz carbonique de l’air de rentrer dans la feuille et d’être transformé en sucres (Lire Lumière sur la photosynthèse & Le chemin du carbone dans la photosynthèse).

Cette ouverture des stomates met l’eau constitutive des tissus en contact avec l’air et provoque l’évaporation de celle-ci. [1]

stomate - arabidopsis
Figure 1. Aspects d’un stomate (partie haute) et d’un plant d’Arabidopsis en pot (partie basse) poussant dans des conditions hydriques différentes. La plante de gauche croît sur un sol bien arrosé tandis que celle de droite « survit » sur un sol desséché. La plante de gauche a des stomates bien ouverts qui laissent entrer le CO2 de l’air. Celle de droite a des stomates fermés qui la protège des pertes d’eau mais qui empêchent ainsi l’entrée de CO2 nécessaire à la croissance [Source : © François Tardieu, reproduit avec la permission de l’auteur].
Pour croître, une plante doit donc pouvoir perdre de l’eau par évapotranspiration (ETR). Cette eau va provenir du sol par une cascade de potentiels hydriques (Lire La quête inlassable de l’eau par les plantes) (on dit couramment qu’elle est extraite par les racines). Alors, de deux choses l’une : ou bien (i) il y a assez d’eau dans le sol et la plante croît sans restriction ou bien (ii) l’eau du sol est plus rare et la plante va fermer progressivement ses stomates. Cette fermeture lui permet de survivre sans se dessécher mais elle ne croît plus car elle ne dispose plus de CO2 pour la photosynthèse. (Figure 1) [2]

L’évapotranspiration est donc une perte d’eau nécessaire à toute végétation. Pour une surface recouverte de végétation (Figure 2), cette évapotranspiration est la somme de :

  • la vapeur d’eau transpirée par les végétaux à travers les stomates (notée Tr) ;
  • l’évaporation directe du sol (notée E) qui est généralement faible par rapport à Tr.

L’eau évapotranspirée provient du sol exploré par les racines. Le sol est alimenté en eau par la pluie. Si la surface est légèrement en pente, une partie de l’eau de pluie peut ruisseler. Si l’humidité du sol est supérieure à un seuil appelé « capacité au champ », l’eau en excès percole, réalimentant les nappes phréatiques (ou aquifères). Entre deux pluies, l’humidité du sol diminue. Si le sol devient trop sec, les plantes réduisent leur transpiration, donc l’ETR, et on se retrouve dans la situation du pot déficitaire de la Figure 1.

A l’échelle d’un territoire des régions tempérées, recouvert de végétation, naturelle ou cultivée, l’évapotranspiration représente grosso modo les 2/3 de la pluie annuelle. Ainsi pour la France où la pluviométrie annuelle est voisine de 900 mm (plaines et montagnes confondues), environ 600 mm de l’eau de pluie repartent vers l’atmosphère par évapotranspiration. C’est l’eau « verte » car elle a permis à la végétation de fonctionner. Le reste, soit 300 mm, va percoler vers les nappes phréatiques ou ruisseler sur le sol. C’est l’eau « bleue » qui est disponible pour tous les autres usages (halieutique, domestique, récréatif, énergétique, industriel et même… agricole).[3]

schema bilan hydrique sol vegetation - evapotranspiration - nappes phreatiques
Figure 2. Schéma du bilan hydrique d’un sol portant une végétation. L’eau du sol exploré par les racines est apportée par la pluie. Elle est évacuée par l’évapotranspiration, le ruissellement et la percolation vers les nappes. [Source : Schéma de l’auteur]
Cette consommation des 2/3 de la pluie par évapotranspiration n’est pas utile qu’à la production de végétation (et au stockage de carbone associé !), elle est aussi absolument indispensable pour une raison climatique. En effet, le changement d’état de l’eau liquide des tissus cellulaires vers l’eau vapeur de l’atmosphère s’accompagne d’une consommation de chaleur, dite chaleur latente. Celle-ci est conséquente puisqu’il faut 600 calories par gramme d’eau évaporée (2,4 10⁶ J/Kg) (Lire focus Transpiration de la feuille et protection contre la chaleur). A l’échelle annuelle, cela représente une énergie consommée équivalente en France au 2/3 du bilan de rayonnement de toutes longueurs d’onde. Ceci nous permet d’avoir un climat tempéré par contraste avec des régions désertiques qui ont des températures estivales supérieures à 40°C. On s’en rend mieux compte aujourd’hui avec l’occurrence de sècheresses caniculaires qui accompagnent le changement climatique !

En résumé, l’évapotranspiration des 2/3 de la pluie est indispensable à la production végétale et au climat.

2. Comment satisfaire les besoins en eau des plantes ?

L’évapotranspiration dépend des conditions atmosphériques. La végétation perd de l’eau un peu de la même manière que le linge qu’on met à sécher sur un fil : celui-ci est d’autant plus rapidement séché qu’il fait chaud, que le ciel est dégagé, que le vent est fort et/ou que l’air est sec. On définit une évapotranspiration de référence (ETref autrefois appelée potentielle) qui caractérise le climat d’un lieu : c’est le pendant atmosphérique de la pluie qui représente l’offre en eau tandis que ETref représente la « demande atmosphérique ». Autrefois mesurée par des lysimètres sur gazon au parc météo, elle est aujourd’hui calculée jour après jour pour chaque mini-région par la Météorologie Nationale au même titre que la pluie est mesurée (Lire Observations météo au sol : que mesure-t-on et qu’en fait-on ?). Par une belle journée d’été, elle est de l’ordre de 6 mm/j et tombe à 1 ou 2 mm/j si le ciel est couvert et l’air humide.

evapotranspiration
Figure 3. Schéma de l’évolution de l’évapotranspiration maximale d’une culture (rapportée à l’évapotranspiration de référence qui représente la « demande climatique ») en fonction de l’évolution de cette culture. [Source : Schéma de l’auteur].
Par rapport à cette référence, un couvert végétal quelconque sera soumis à une demande, appelée ETmax, qui dépend de sa couverture du sol et de son stade de développement (Figure 3).

Par exemple, en mai, la demande ETmax sera forte sur une culture de blé d’hiver pleinement couvrant alors qu’elle sera faible sur une culture de maïs qui émerge à peine du sol. A contrario, en juillet, la demande sera faible sur un champ de blé jauni prêt à récolter, alors qu’elle sera forte sur un champ de maïs pleinement couvrant et bien vert. [4]

Face à cette demande, quelle est l’offre ? Cette offre ne correspond pas à la pluie du jour mais au cumul des pluies des périodes antérieures qui ont imprégné le sol : l’offre, c’est la disponibilité de l’eau dans le sol.

Pour que l’offre et la demande correspondent, il y a deux possibilités :

  • Apporter artificiellement de l’eau si le climat du lieu n’a pas suffi à pourvoir abondamment le sol : c’est l’approche qui mobilise une partie de l’eau « bleue » pour irriguer.
  • Choisir des cultures adaptées au climat local et/ou adopter des techniques qui permettent de mieux valoriser l’eau de pluie dans le cadre d’une agriculture pluviale.

3. Ajuster l’offre à la demande : l’irrigation

3.1. L’irrigation en France

surface agricole france
Figure 4. Pourcentage de la surface irriguée dans la surface agricole utilisée (SAU) en France continentale. [Source : Agreste ; données du recensement agricole 2010. Service de la statistique et de la prospective. Ministère de l’agriculture].
L’irrigation est une technique ancestrale. Elle est à l’origine de brillantes civilisations : Ne dit-on pas que l’Égypte est un don du Nil ! En dehors de l’arrosage des jardins, elle se limitait en France à la frange méditerranéenne jusqu’au début du XXe siècle. Elle a connu un fort essor au cours de la deuxième moitié du XXe siècle en parallèle de la montée de la culture du maïs vers le Nord.

La surface totale irriguée en France est légèrement supérieure à 15 000 km2, c’est-à-dire l’équivalent de 3 départements (hors région parisienne). Il est possible de définir 3 zones (Figure 4) :

  • Le quart Sud-Est, à caractère méditerranéen, où la quantité d’eau apportée est de l’ordre de 400mm/an ;
  • La vaste région occidentale, dite « banane atlantique », allant du piémont pyrénéen jusqu’à l’Ile-de-France. Elle représente à elle seule les 4/5 de la surface irriguée et les quantités d’eau apportées sont de l’ordre de 150 à 200mm/an ;
  • Un dernier ensemble résiduel, à caractère plus continental (la Limagne, la vallée du Rhône et surtout la plaine d’Alsace qui est la région de France la moins arrosée en raison de l’effet de Foehn dû aux Vosges)

En majorant à 300 mm l’apport moyen annuel sur l’ensemble de la France continentale, on estime facilement la quantité de pluie totale sur le territoire à 1% de la pluie (300 mm = 1/3 de la pluie ; 15 000 km2 = 3% du territoire métropolitain). Ainsi, à la différence de pays plus méridionaux, l’irrigation en France n’est pas un problème national. En revanche c’est un problème régional sérieux sur certaines parties du territoire situées surtout dans le Sud-ouest. D’où cela provient-il ?

3.2. Mode d’irrigation et logique d’irrigation

systemes irrigation agriculture - rampe aspersion -
Figure 5. Systèmes d’irrigation : A, par rampe d’aspersion [Source : © F. Grudet, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons] ; B, à la raie ou gravitaire [Source : © Jeff Vanuga / Photo courtesy of USDA Natural Resources Conservation Service, via Wikimedia Commons] ; C, au goutte-à-goutte [Source : © Ramagri, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons]
Il existe trois modes d’irrigation (Figure 5) : par aspersion, à la raie, au goutte-à-goutte.

La première, l’aspersion, utilisée par 75% des irrigants français, est pratiquée sur grandes cultures. La seconde, dite « à la raie » (appelée aussi gravitaire) autrefois caractéristique des plantes maraichères est aujourd’hui progressivement abandonnée au profit de la troisième, le goutte-à-goutte (ou microirrigation) qui se généralise aussi aux vergers. Ainsi, le recensement agricole décennal du Ministère de l’Agriculture [5] indique que le taux d’irrigants utilisant le goutte-à-goutte est passé de 2% en 1980 à plus de 20% en 2010 tandis que l’irrigation à la raie est passée dans le même temps de plus de 30% à moins de 5% !

Il existe deux logiques d’irrigation : la logique de réservoir et celle de débit. Cela dépend de la taille des aquifères sollicités :

  • La logique de réservoir pour les grands aquifères (ex : la nappe phréatique de Beauce : 9000 km2), dont le temps de demi-décroissance est supérieur à 6 mois. Ceci permet de ne s’intéresser qu’à la variation pluriannuelle de la hauteur de la nappe en acceptant des variations saisonnières. Il faut dans ce cas que la combinaison des systèmes de cultures sur la région permette que ce niveau pluriannuel ne décroisse pas. Ceci a conduit à ramener le pourcentage de maïs irrigué en Beauce à environ 20% de la surface totale.
  • La logique de débit pour les petits aquifères ou les nappes d’accompagnement des rivières (en gros tout le territoire français sauf le Bassin parisien) dont le temps de réponse est inférieur à 3 mois. Dans ce cas, c’est non seulement la quantité d’eau prélevée qui importe mais le moment de l’année où elle l’est car il faut que le débit des rivières à l’étiage se maintienne au dessus d’un seuil nécessaire à la qualité de l’eau et aux autres usages.

Or c’est au moment où nous sommes en période sèche que les cultures de printemps sont pleinement couvrantes et ont besoin d’eau. Par exemple, le maïs [6], plante d’origine tropicale qui globalement ne consomme pas plus d’eau qu’une autre mais ne se développe que s’il fait chaud. Pour les régions au sud de la Loire, c’est non seulement l’étiage mais cela correspond aussi à l’arrivée des touristes qui augmente considérablement les besoins en eau domestique. Le problème est particulièrement aigu dans le Sud-Ouest. En effet, alors que globalement le Sud-Est dispose en abondance d’eau exogène (canal du Bas-Rhône en Languedoc, Canal de Provence), la rive gauche de la Garonne ne peut compter que sur le canal de la Neste (au débit deux fois moindre) et la région de l’ex-Poitou-Charente n’en a pas (le département des Deux-Sèvres, pourtant septentrional, et les deux Charentes sont ceux où les conflits d’usage sont les plus aigus).

3.3. Quelles sont les cultures irriguées ?

Au début du 21e siècle, le maïs qui avait colonisé progressivement tout le territoire, se taillait la part du lion : 50 % de toute la surface irriguée rien que pour le maïs « grain » [7] Aujourd’hui, la part du maïs baisse progressivement et approche les 40% (Figure 6) [8].

repartition cultures irriguees france - repartition cultures france - types cultures france
Figure 6. Répartition des cultures irriguées en France en 2010 [Source : schéma de l’auteur à partir des données du recensement agricole 2010. Service de la statistique et de la prospective. Ministère de l’agriculture ; Agreste].
Le maïs ne consomme pas plus d’eau que les autres cultures mais, contrairement à celles originaires de régions méditerranéennes ou tempérées (blé et autres cultures d’hiver), il a son pic de consommation et de sensibilité au stress vers la fin juillet, en pleine période sèche et d’étiage.

Aujourd’hui la part des céréales d’hiver irriguées augmente pour des questions de régularité du rendement et de qualité du grain.

3.4. Comment va évoluer la situation avec le changement climatique ?

D’un point de vue agrométéorologique, ce qui est important ce n’est pas la pluie seule mais le bilan potentiel : Pluie – Demande atmosphérique (ETref)

On peut voir sur la Figure 7 une comparaison de ce bilan (en mm H2O) mesuré sur la fin du 20e siècle (carte de gauche) avec ce qu’un modèle climatologique (« Arpège » de la Météorologie nationale) simulait pour le futur proche (2020-2050, carte du centre) et pour la fin de ce 21e siècle (carte de droite) dans le projet « Climator » [9].

La combinaison d’une baisse des précipitations avec une augmentation de ETref, due à l’augmentation de température entrainant le plus souvent une augmentation de la sècheresse de l’air [10], provoque une forte baisse de ce bilan potentiel, surtout dans la partie ouest du territoire.

bilan hydrique france
Figure 7. Cartes de France du bilan hydrique potentiel : Pluie – Evapotranspiration de référence (Pluie -ETref). Comparaison des observations de fin du 20e siècle (à gauche) et des simulations pour la période 2020-2050 (au centre) et pour la fin du 21e siècle (à droite). Modélisations effectuées avec le modèle Arpège de la Météorologie nationale. Les valeurs indiquées sont exprimées en mm H2O.  [Source : présentation de l’auteur au colloque de restitution du projet Climator, Versailles, Juin 2010]
Ceci risque d’exacerber le problème de pénurie d’eau pour l’irrigation pour 3 raisons :

  • La baisse de pluviométrie estivale (plus forte occurrence de sècheresses caniculaires déjà observées) conduira à des réductions de stock en eau dans les sols en période de végétation ;
  • Cette réduction d’eau dans le sol sur toute végétation, cultivée ou non, conduira à une baisse de restitution en eau aux nappes phréatiques. Ceci conduira à une baisse de l’eau « bleue », donc du débit des rivières utilisées en été pour irriguer ;
  • Enfin, un point rarement évoqué : l’augmentation de température allongera la saison de végétation. Ceci augmentera les besoins en eau totaux des variétés tardives qui seront mises en place ou des doubles récoltes que certains envisagent.

3.5. Quelles perspectives ?

Deux voies se présentent pour faire face à une pénurie d’eau d’irrigation (pénurie intrinsèque ou liée à la concurrence d’autres usages de l’eau) :

  • Améliorer l’efficience de l’irrigation par le choix d’équipement performant et/ou une meilleure connaissance des besoins des plantes. Ces deux voies sont aujourd’hui bien engagées. Par exemple, des logiciels existent qui permettent aux agriculteurs de mieux répartir l’eau pendant la saison de culture. Cette voie ne sera toutefois pas suffisante.
  • Gérer les assolements en agriculture irriguée (c’est-à-dire le choix des cultures à entreprendre) en fonction de la ressource en eau. Par exemple, réduire encore les surfaces cultivées en maïs en développant la culture du sorgho, plante « cousine » du maïs mais supportant plus facilement la sècheresse. Ainsi le sorgho se satisfait d’une irrigation partielle là où le maïs a besoin d’une irrigation totale.

Pour aller plus loin si la ressource se raréfie, il faut aborder le deuxième volet, c’est-à-dire reconsidérer l’irrigation, en réduisant les surfaces irriguées au profit d’une agriculture pluviale adaptée à la sècheresse.

4. Adapter la demande à l’offre : l’agriculture pluviale

Lorsque la pluie n’est pas abondante, il y a deux moyens de rapprocher l’offre et la demande : améliorer l’efficacité de la pluie et/ou réduire la demande en eau.

4.1. Amélioration de l’efficacité de la pluie

Ce n’est qu’une fraction de l’eau de pluie qui est transpirée, c’est-à-dire qui est utile à la photosynthèse : celle qui parvient à s’infiltrer dans le sol pour pouvoir alimenter ensuite les racines. Il s’agit donc d’augmenter cette pluie efficace pour l’agriculteur.

Diverses techniques sont utilisées comme le sarclage des jardins qui réserve à la culture l’eau du sol. La technique la plus répandue est un volet de l’agriculture de conservation qui permet de réduire le ruissellement. En effet, même si le ruissellement contribue partiellement à alimenter les aquifères il a le double inconvénient de réduire l’infiltration et de provoquer une érosion des sols. En agriculture de conservation, on préconise de ne pas labourer et de laisser les résidus de culture au sol. Diverses expériences (sur mil, maïs et sorgho en zones sèches) font état de diminutions de plus de 50 % du ruissellement en présence de résidus, que le sol soit ou non labouré.

4.2. Diminution de la demande en période sèche

  • Cultures d’hiver

Certaines cultures posent problème parce qu’elles ont leur pic de consommation en période sèche. Comme nous l’avons vu, le maïs ne consomme pas plus d’eau qu’une autre culture (il faut à peu près 500 mm d’eau pour le cycle d’une culture ou de tout autre végétation) mais il a son pic de consommation d’eau en plein été. Diminuer la tension sur l’eau en période sèche veut dire privilégier les cultures qui consomment l’essentiel de leur eau en dehors de cette période. Ce sont les cultures dites « d’hiver » que l’on sème à l’automne et que l’on récolte en début d’été (le blé et la plupart des cultures de nos régions. Elles se développent pour des températures légèrement supérieures à 0°C. Leur cycle est réglé sur la correspondance en zone tempérée entre saison froide et saison humide). Les plantes d’origine tropicale (maïs, mil, sorgho et autres métabolismes en C4) ne se développent que si la température est fortement supérieure à 0°C (environ 7 ou 8°C), d’où la nécessité de ne les semer qu’en avril ou mai qui les conduit à croître fortement en période sèche : c’est leur besoin thermique qui est à l’origine de leur problème hydrique chez nous.

Il s’agit donc de privilégier les espèces « cultures d’hiver » qui, mieux adaptées à notre climat, « esquivent » la sècheresse.

  • Esquive

Cette « esquive » peut aussi jouer au sein d’une même espèce. En effet, le plus souvent, la sècheresse arrive en fin de cycle, mettant en danger les variétés tardives par rapport aux variétés précoces. Le producteur doit donc faire un choix stratégique au moment du semis : cultiver des variétés précoces au potentiel inférieur mais peu sujettes à la sècheresse ou des variétés tardives au plus fort potentiel de production mais risquant d’être pénalisées par la sècheresse.

  • Évitement

Il existe un second moyen d’ajustement, c’est « l’évitement ». Tandis que l’esquive joue sur le temps, l’évitement joue sur l’espace : il s’agit, soit de diminuer l’évapotranspiration en réduisant la surface foliaire soit d’augmenter le flux racinaire en augmentant la profondeur d’enracinement.

L’évitement peut être naturel ou agronomique : par exemple, un arbre soumis à une sècheresse estivale perd ses feuilles avant l’automne pour se protéger (évitement naturel), celui qui achète une plante en pot pour la planter dans le sol, « rabat » le feuillage pour laisser le temps aux racines de devenir fonctionnelles (évitement agronomique). La taille des arbres fruitiers est un évitement agronomique aérien.

L’évitement peut être souterrain : le sorgho est mieux adapté à la sècheresse que le maïs, non seulement parce qu’il n’est pas sujet à l’avortement des fruits (ça, c’est de la tolérance à la sècheresse) mais aussi parce qu’il est mieux enraciné. Une luzerne installée dont les racines peuvent descendre jusqu’à 2 m résiste très bien à la sècheresse (évitement naturel).

oliveraie sfax tunisie
Figure 8. L’oliveraie de Sfax en Tunisie. [Source : Droits réservés]
Cet évitement racinaire peut être aussi agronomique. L’espacement des plantes dans une plantation est une façon de permettre à celles-ci de disposer de suffisamment de ressource en eau du sol. Un exemple extrême est la « forêt » de Sfax en Tunisie (Figure 8), oliveraie célèbre non irriguée (on dit aussi : conduite en pluvial ou en sec) à une pluviométrie annuelle de 250 mm. Les oliviers y sont espacés de 24 m (3 fois plus que dans le nord tunisien où la pluviométrie est de 500 mm). On trouve des racines jusqu’à 2 m de profondeur à mi-distance entre deux arbres. Après chaque rare pluie, l’agriculteur passe une herse pour éliminer les adventices qui consommeraient une eau entièrement dédiée aux oliviers.

  • Agroforesterie

noyers - culture noyers - enracinement noyers
Figure 9. Comparaison de l’enracinement d’allées de noyers cultivés de 5 ans. A droite, en sylviculture traditionnelle (allées peu espacés à intervalle en sol nu) ; à gauche en agroforesterie (allées espacées cultivées annuellement avec une céréale d’hiver – ici du blé). La céréale exploite l’eau du premier mètre de sol obligeant le noyer à mieux s’enraciner [Source : © Christian Dupraz avec l’autorisation de l’auteur ; voir ref. [8]].
Un autre moyen d’augmenter l’enracinement des arbres peut être l’agroforesterie. Ainsi Dupraz et Gosme (Figure 9) [11] ont comparé les profondeurs de noyers cultivés soient en vergers traditionnels, soit en rangées très espacées, lesquelles portaient régulièrement une culture de blé (ceci est un exemple, d’agroforesterie où l’on associe une plante annuelle – ici le blé – à une plante pérenne – ici le noyer – dont la récolte se fera à 10, 20, voire 30 ans). La consommation d’eau par le blé assèche annuellement la couche de sol de 1m de profondeur conduisant le noyer de 5 ans à installer plus profondément ses racines (3 m au lieu de 1,5 m) et le rendant grâce à cela susceptible de mieux résister à une sècheresse occasionnelle.

5. Messages à retenir

  • L’évapotranspiration des plantes est nécessaire à leur croissance et à la douceur du climat :

– Elle correspond grosso modo au 2/3 de la pluie (c’est l’eau « verte ») ;
– Il reste donc le 1/3 de la pluie pour les autres usages (c’est l’eau « bleue ») ;

  • La demande atmosphérique en eau est de l’ordre de 6 mm/j par beau temps de printemps et d’été ;
  • Si l’eau de pluie est insuffisante, on peut soit irriguer, soit adapter les choix de culture et les techniques ;
  • L’irrigation concerne 3 % du territoire français et consomme 1 % de l’eau de pluie (soit 3 % de l’eau « bleue ») mais pose localement des problèmes de concurrence d’usage (surtout dans le Sud–Ouest) ;
  • Le maïs est la culture la plus irriguée mais sa part dans la consommation d’eau totale a commencé à décroître ;
  • Le maïs ne consomme pas plus d’eau que d’autres cultures mais a son pic de consommation en période sèche;
  • Le changement climatique en cours va exacerber la tension sur l’eau en été (augmentation de la demande en eau atmosphérique et baisse de la ressource en eau « bleue ») ;
  • La diversité des cultures permet une meilleure gestion de l’eau ;
  • On peut mettre en œuvre une agriculture pluviale (« en sec ») en :
    • Améliorant l’efficacité de la pluie (agriculture de conservation) ;
    • Choisissant des cultures adaptées (cultures d’hiver, cultures précoces, cultures mieux enracinées) ;
    • Mettant en œuvre des techniques culturales adéquates (espacement des plantes, taille) ;
    • Favorisant l’enracinement des arbres (agroforesterie).

 


Notes & Références

Image de couverture. Oliviers avec ciel jaune et soleil par Vincent Van Gogh (1889), The Minneapolis Institute of Arts, domaine public. [Source : Vincent van Gogh, Public domain, via Wikimedia Commons]

[1] Une exception : les cactées et autres Crassulacées qui ouvrent leurs stomates la nuit, stockant du CO2 qu’elles vont photosynthétiser le jour et recueillant une éventuelle rosée. Ces plantes du désert ont une très faible croissance annuelle.

[2] François Tardieu, Colloque de restitution de l’ESCO Sécheresse. Paris Octobre 2006

[3] Sur les concepts d’eau bleue et d’eau verte : https://appgeodb.nancy.inra.fr/biljou/fr/fiche/eau-verte-eau-bleue

[4] A noter que pour tous les types de couvert, le rapport culmine vers la valeur de 1. Ceci signifie que, quel que soit le couvert (céréales, prairie, forêt), l’évapotranspiration journalière ne dépassera pas les 6 mm dictés par l’énergie de rayonnement disponible. Bien sûr, cela vaut pour un couvert étendu et non pas pour une haie qui capte beaucoup plus de rayonnement par unité de surface au sol.

[5] Service de la Statistique et de la Prospective du Ministère de l’Agriculture

[6] C’est aussi une plante C4 dont on dit qu’elle a une meilleure efficience photosynthétique de l’eau que les plantes C3.

[7] Le maïs est lui-même irrigué à 50 %, peu dans le nord et l’Ile de France, presque totalement irrigué dans les Landes.

[8] https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/download/publication/publie/ChdAgr216/ChdAgr216.pdf

[9] Rapport final du projet Climator (2007-2010)

[10] Yuan W, Zheng Y, Piao S., Ciais P., et al. (2019) Increased atmospheric vapor pressure deficit reduces global vegetation growth. Sciences Advances 5(8) DOI: 10.1126/sciadv.aax1396

[11] Dupraz C. & Gosme M., Plasticité fonctionnelle et adaptation au changement climatique : le cas des systèmes agroforestiers méditerranéens – Séance de l’Académie d’Agriculture de France du 5 Novembre 2014


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Pour citer cet article : ITIER Bernard (18 août 2023), Besoins en eau des plantes : comment les satisfaire ?, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 26 avril 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/vivant/besoins-eau-plantes/.

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