Stratégies de reproduction des plantes alpines
PDFLorsque les conditions environnementales sont difficiles ou particulières comme en haute montagne, les plantes doivent s’adapter afin d’assurer leur reproduction. Deux stratégies principales permettent aux plantes alpines de se maintenir génération après génération : le maintien d’une reproduction sexuée ou le recours à la reproduction végétative. Cette diversité sera illustrée à travers plusieurs exemples d’adaptation des plantes alpines à leur milieu.
Les milieux « alpins » correspondent à des environnements situés au-dessus de la limite naturelle de la forêt, en l’absence d’intervention humaine, quelle que soit la partie du globe envisagée : Alpes, Cordillère des Andes, Himalaya, Nouvelle Zélande… Ces milieux froids sont caractérisés par une période de végétation souvent très courte, avec peu de sites propices à l’installation des graines, une pollinisation difficile à cause de la rareté des insectes et des vents souvent violents ainsi qu’une grande variabilité interannuelle des conditions climatiques.
Deux stratégies principales permettent aux plantes alpines de persister, génération après génération : le maintien d’une reproduction sexuée ou le recours à la reproduction dite végétative.
1. La reproduction sexuée
La reproduction sexuée est source d’une diversité génétique qui permet aux populations animales et végétales de faire face aux fluctuations de leur environnement. Chez les plantes, elle implique la production de fleurs, leur pollinisation, l’arrivée à maturité des graines puis leur dissémination et leur germination, autant d’étapes souvent aléatoires dans les zones alpines. Plusieurs stratégies permettent de pallier aux contraintes environnementales.
1.1. Vivre longtemps
La flore des Alpes compte moins de 2% de plantes alpines annuellesPlantes qui effectuent leur cycle de vie sur une année. [1] (Figure 1). Ces espèces dépendent exclusivement du succès de la reproduction sexuée et donc de l’environnement. Même si les graines sont produites à temps, elles nécessitent de nouveaux sites propices à la germination, souvent réduits à cause du substratum (zones rocheuses, éboulis) et de l’occupation de l’espace par d’autres espèces. Au contraire, les espèces pérennes ou vivaces peuvent attendre des conditions favorables pour se reproduire (Figure 2). Par contraste, dans les biotopesLieux de vie ayant des caractéristiques physiques et chimiques déterminées relativement uniformes. Ce milieu héberge un ensemble de formes de vie composant la biocénose : flore, faune, micro-organismes. Un biotope et la biocénose qu’il accueille forment un écosystème. alpins arides et méditerranéens, les plantes annuelles sont plus répandues [2]. Les graines représentent alors une forme de résistance.
1.2. Étaler la reproduction sur plusieurs années
Certaines espèces préforment les fleurs l’année précédant la floraison ce qui leur permet de fleurir de manière très précoce, ou étalent la maturation des graines sur plusieurs années. Cela permet un épanouissement rapide des fleurs dès l’arrivée des conditions favorables. C’est le cas par exemple de la renoncule des glaciers (Figure 3), une espèce qui bat des records d’altitude dans les Alpes (jusqu’à plus de 4000 m en Suisse) et du rhododendron ferrugineux (Figure 3) dont les gros bourgeons de l’automne contiennent toutes les fleurs ce qui lui permet de fleurir dès la fonte des neiges.
1.3. Augmenter la durée de floraison
En montagne, la période de floraison des espèces et de la durée d’épanouissement des fleurs augmente avec l’altitude, ce qui compense la relative rareté des pollinisateurs. Ainsi, la plante annuelle Chaetanthera pusilla (Figure 4), qui pousse entre 2200 et 3500 m d’altitude dans les Andes, produit de nombreuses inflorescencesGroupement de fleurs sur un même pied. qui s’ouvrent les unes après les autres. De plus, chaque capitule est réceptifCaractérise l’état d’une fleur ou d’une inflorescence susceptible d’être fécondée par du pollen venant de l’extérieur. presque deux fois plus longtemps en haute qu’en basse altitude : de 7,7 jours à 2700 m à 13,4 jours à 3500 m [2].
1.4. Jouer sur la couleur ?
Les fleurs sont, dit-on, plus colorées en altitude qu’en plaine pour attirer plus efficacement les pollinisateurs (Figure 5). En fait, il n’y a pas d’augmentation significative ni de la couleur, ni de la taille, ni des autres caractéristiques associées à l’attraction des insectes [3]. Les montagnes de Nouvelle-Zélande sont un exemple remarquable : la très grande majorité des espèces sont à fleurs blanches (Figure 6).
2. Conquête du territoire : la reproduction végétative
Pour éviter les aléas de la reproduction sexuée, de nombreuses plantes alpines ont recours à la reproduction végétativeMode de multiplication permettant aux organismes végétaux de se multiplier sans reproduction sexuée. Elle génère de nouveaux individus possédant le même génome et qui sont donc par conséquent des clones, on parle aussi de reproduction clonale.. Il ne s’agit pas d’une spécificité des végétaux de montagne, toutefois la proportion de plantes alpines utilisant ce mode de reproduction augmente avec l’altitude [1]. Tous les modes de reproduction végétative sont rencontrés chez les plantes alpines : production de rhizomesTige souterraine qui porte des bourgeons de feuilles et de racines. Un rhizome peut être horizontal et plus ou moins proche de la surface, comme celui de l’iris, ou beaucoup plus profond, comme celui du liseron. ou de stolonsTige rampante partant de la base de la tige principale d’une plante portant des bourgeons de feuilles et de racines qui deviendront une nouvelle plante. C’est le cas du fraisier., formation de touffes denses, de drageonsFormé par le développement d’un bourgeon souterrain, le drageon permet une propagation naturelle de la plante qui sera ainsi reproduite à l’identique., reproduction par marcottageDéveloppement de racines sur une branche enterrée qui permet la production d’un nouvel individu., mais aussi viviparitéMode de reproduction où la germination des graines se produit alors qu’elles sont encore dans le fruit accroché à la plante-mère. et apomixieProduction de graines identiques à la plante mère sans fécondation. L’apomixie transmet des mutations somatiques (mutation survenant dans une cellule non germinale), permettant ainsi la création de diversité..
2.1. Rhizomes et stolons
Ils permettent d’explorer l’espace, par exemple pour s’installer entre les pierres des éboulis. La figure 7 présente ainsi l’exemple de la benoîte rampante qui utilise la reproduction clonale par des stolons aériens.Ces stolons vont explorer les éboulis schisteux et donner des rametsClone naturel ou artificiel d’un végétal multiplié par bouturage. (voir figure 7) qui s’installent entre les pierres et s’individualisent du pied mère après destruction du stolon.
2.2. Drageons, touffes et marcottage
Ces types de reproduction végétative permettent une occupation dense de l’espace qui a deux conséquences importantes sur les écosystèmes alpins : la stabilisation des sols pentus et la fabrication d’un microclimat favorable aussi bien en termes de température que d’humidité. Ainsi, la campanule du Mont Cenis, qui forme une touffe compacte à croissance lente, est un exemple de plante qui se reproduit par drageonnage (Figure 8).
La laîche courbée (Figure 8) est un exemple de plante formant des touffes (ou tussock). Elle domine dans de nombreuses pelouses des montagnes de l’Europe tempérée. Des études récentes utilisant des méthodes de typage moléculaireTechniques de laboratoire, telles que le séquençage du génome entier, qui permettent de classifier et de comparer des séquences. (lire « Code-barres ADN ») ont confirmé la similitude génétique des ramets présents au sein d’une même touffe. En se fondant sur un accroissement annuel moyen de 0,4 mm par an, l’âge d’un clone comprenant 7000 ramets a été estimé à environ 2000 ans [4] !
Dans le cas du marcottage, l’enracinement se produit au niveau des branches étalées lorsqu’elles entrent en contact avec sol comme la figure 9 le montre chez le saule à feuilles de serpolet. Les rhodoraies (landes à rhododendron) ou les saulaies peuvent abriter plusieurs genets, chacun constitué de dizaines de ramets, le tout formant une canopée parfois impénétrable. Seule une analyse génétique permet d’identifier les différents genets.
2.3. Viviparité
La viviparité, par exemple par production de bulbilles qui commencent à se développer sur le pied mère, et l’apomixie assurent une dispersion sur de plus grandes distances. La figure 10 montrant l’inflorescence de la renouée vivipare (Polygonum viviparum L. Polygonacées) illustre bien la combinaison sur une même hampeTige dépourvue de feuilles et supportant une fleur ou une inflorescence. florale de fleurs issues de la reproduction sexuée et de bulbilles issues de reproduction asexuée. La longueur de tige disponible pour les fleurs et les bulbilles étant constante, la proportion de bulbilles augmente avec l’altitude et avec la latitude. Autrement dit, la reproduction clonale est plus importante lorsque les conditions de vie deviennent plus difficiles [1].
3. Des plantes face aux modifications
de leur environnement
Avec leurs modes de reproduction multiples, les plantes alpines sont adaptées à leur environnement. Ces modes de reproduction sont très efficaces tant pour la stabilité des milieux que pour le maintien de la diversité génétique. Cette diversité génétique est peut-être une chance pour la flore alpine, qui se trouve confrontée aujourd’hui à un changement climatique majeur, avec une augmentation de température prévue au cours de ce siècle allant de 2 à 8 °C. Ce réchauffement, très rapide par rapport aux fluctuations de température au cours des alternances glaciaires, va entraîner une remontée des étages de végétation et réduire les sites favorables à la flore alpine.
Références et notes
Photo de couverture : Le massif de la Meige vu du Jardin Alpin du Lautaret © Photo Station Alpine Joseph Fourier/Serge Aubert
[1] Körner C (1999) Alpine plant life, Functional plant ecology of high mountain ecosystems. Éditions Springer-Verlag.
[2] Arroyo MTK et al. (1998) The flora of Llullaillaco National Park located in the transitional winter-summer rainfall area of the northern Chilean Andes. Gayana Botanica 55, 93-110.
[3] Totland Ø et al. (2005) Résumé N° 13.10.2. XVIIe International Botanical Congress, Vienna.
[4] Steinger T, Körner C & Schmid B (1996) Long-term persistence in a changing climate: DNA analysis suggests very old ages of clones of alpine Carex curvula. Oecologia 105, 307-324.
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Pour citer cet article : TILL-BOTTRAUD Irène, AUBERT† Serge, DOUZET Rolland (18 avril 2021), Stratégies de reproduction des plantes alpines, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 9 décembre 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/vivant/strategies-de-reproduction-plantes-alpines/.
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