Stratification et instabilités dans les milieux fluides naturels

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Quel rapport existe-t-il entre une nappe de brouillard, un cocktail arc-en-ciel ou des empilements de couches géologiques ? Ces structures sont toutes des superpositions de couches distinctes, à l’image d’un millefeuille ! L’air de l’atmosphère, l’eau des lacs ou des océans et les cocktails colorés sont des milieux fluides soumis à la pesanteur. Lorsqu’ils sont en équilibre, les parties les plus lourdes sont situées en bas, les parties les plus légères en haut, cette séparation pouvant donner naissance à un phénomène de stratification. Mais les choses se compliquent lorsque des instabilités mettent ces fluides en mouvement. La météorologie, la climatologie, la dispersion des polluants trouvent là de sérieux défis.

1. Les fluides au repos, ou presque

C’est la loi de l’hydrostatique qui régit l’état d’équilibre d’une structure fluide au repos. Elle impose que la pression décroisse en fonction de l’altitude de telle sorte que, en bas d’une couche horizontale, la pression soit supérieure à ce qu’elle est en haut. La différence entre ces pressions conduit à une force verticale dirigée vers le haut, exactement opposée au poids de la couche fluide. On trouvera dans l’article Pression, température et chaleur un rappel sur cet équilibre d’un fluide au repos, sur l’origine des forces de pression capables de compenser le poids d’une couche de ce fluide et sur cette loi de l’hydrostatique.

Imaginons un petit domaine au sein du milieu fluide, de forme quelconque et de volume V. Il peut être occupé par le fluide lui-même, par un autre fluide, ou par un corps solide. La résultante des forces de pression exercées par le milieu extérieur sur la surface de ce domaine est une force verticale, dirigée vers le haut : la poussée d’Archimède. Sa valeur F est donnée par la formule F = ρgV, où ρ désigne la masse volumique du fluide et g la gravité. C’est exactement le poids P du « fluide déplacé », c’est-à-dire du fluide qui devrait occuper le volume V.

Le milieu qui se trouve dans le domaine D de la Figure 1 possède aussi son propre poids Pm, dirigé vers le bas. Ce domaine est donc soumis à la fois :

  • à la poussée d’Archimède F orientée vers le haut,
  • à son poids Pm orienté vers le bas.

poussee archimede
Figure 1. Poussée d’Archimède et poids d’un volume D dans un fluide au repos. À gauche Pa > 0, le domaine D a tendance à monter, à droite Pa < 0, le domaine D a tendance à descendre. La direction Z est celle de la verticale ascendante. [Source : Figure de l’auteur]
La résultante de ces deux forces est le poids apparent  du domaine D : Pa = F – Pm. Si ce poids apparent est négatif, donc dirigé vers le bas, c’est Pm qui l’emporte et D a tendance à descendre. Si la poussée d’Archimède est la plus forte ce poids apparent est dirigé vers le haut ; ceci impose l’ascension de D. Ainsi, toute masse fluide qui n’est pas soumise à d’autres contraintes évolue vers un état d’équilibre stable, où les parties les plus lourdes se situent en bas, les plus légères en haut. Mais on verra dans la section suivante qu’il existe des limites à cette sélection par la densité.

Diverses raisons imposent que la masse volumique  puisse varier au sein du fluide. La température peut entraîner une dilatation de certaines portions du domaine fluide. Par ailleurs, les fluides comme l’air et l’eau étant des mélanges, leur composition est rarement homogène. Ces variations entrainent systématiquement un allègement ou un alourdissement de certaines portions du domaine fluide et leur déplacement au sein du milieu environnant. On peut observer cette ascension au-dessus des radiateurs des appartements chauffés, mais aussi à l’extérieur quand des fumées sortent des cheminées. De même, dans certaines régions volcaniques méditerranéennes, où l’eau profonde est plus chaude que celle des couches de surface, des courants ascendants sont produits localement et souvent recherchés par les baigneurs et certains curistes. Réciproquement, ces mécanismes peuvent imposer des plongées vers les profondeurs pour des portions plus lourdes que le fluide environnant.

La présence de particules ou gouttelettes en suspension dans l’air, ce que l’on dénomme aérosol, est un autre exemple de variation locale de la masse volumique.

  • Dans l’air elle se traduit souvent par des nappes de brume ou de brouillard, apparemment posées sur des plans d’eau ou sur des champs (Figure 2).
  • Dans les étangs et les lacs, les boues en suspension ont tendance à descendre vers le fond où elles forment des couches de vase.
  • Dans les océans, soumis à une circulation globale tellement lente que la loi de l’hydrostatique peut s’appliquer, un phénomène comme la plongée du Gulf Stream au voisinage du Groenland s’explique par le fait que ses eaux deviennent plus lourdes que leur environnement parce qu’elles sont à la fois plus froides et plus salées (lire : La lente et puissante circulation océanique).

2. Stratification sous l’influence de la gravité

stratification - stratification atmosphere
Figure 2. Exemple de stratification de l’atmosphère, Vallée de l’Alsek, Yukon, Canada. [Source : photo de l’auteur]
La pesanteur a donc pour effet d’imposer dans les fluides au repos un état stable où la masse volumique décroit en fonction de l’altitude. Stricto sensu, on parle de stratification lorsqu’une réelle discontinuité apparait entre deux couches fluides, comme dans les cocktails de l’image d’introduction [1]. La masse volumique est la variable d’état [2] la plus directement impliquée puisque c’est elle dont la valeur peut subir un véritable saut imposé par la pesanteur. La concentration d’une espèce particulière, lorsqu’elle provoque cette discontinuité, subit aussi ce saut, clairement illustré par le changement de couleur dans les cocktails, lié à un changement de densité. Dans l’atmosphère, la présence d’une mer de nuages que les randonneurs en montagne peuvent observer d’en haut en est un autre exemple. Mais la pression et la température, autres variables caractéristiques de l’état du fluide, ne peuvent pas subir de saut ; seules leurs dérivées suivant la verticale peuvent connaître une telle discontinuité, elle aussi liée au changement de densité du fluide.

On remarquera cependant que l’influence de la pression sur la masse volumique de l’eau est pratiquement négligeable par rapport à l’influence de la température, ce qui justifie que l’eau soit souvent considérée comme incompressible, alors qu’elle est tout à fait dilatable. Les valeurs typiques de sa compressibilité et de sa dilatabilité sont respectivement de 4. 10-10 Pa-1 et de 2. 10-4 K-1. Plus concrètement, ces valeurs signifient que pour faire varier la masse volumique de l’eau de 0,1%, il suffit d’une différence de température de 5 °C alors qu’il faut une différence de pression égale à 20 fois la pression atmosphérique, soit une différence de profondeur de 200 m pour atteindre la même variation de 0,1%.

3. Quelques exemples

strates geologiques
Figure 3. Exemple de strates géologiques provenant d’une sédimentation.
[Source : Pixabay]
Mis à part ceux cités plus haut, les exemples de stratification de milieux liquides sont nombreux. En préparant une vinaigrette, si l’on verse assez lentement l’huile sur le vinaigre, on observe qu’il flotte en surface et qu’une agitation vigoureuse du mélange est nécessaire pour détruire cette stratification, qui, à la longue, finirait par se rétablir. La formation d’un café au lait assez homogène nécessite en général une agitation de ce mélange. Les mousses de la bière ou du champagne, même si ce ne sont pas de purs liquides, illustrent aussi le fait que cette stratification est le seul état stable possible de ces boissons, tant que dure la mousse.

pli faille sassenage - montagne sassenage
Figure 4. Le pli-faille de Sassenage dans des roches calcaires issues de la sédimentation. [Photo extraite de GEOL-ALP (http://www.geol-alp.com), par Maurice GIDON]
En mer, la décantation de particules solides est à l’origine de la formation des sédiments, dont la signature dans les roches calcaires est visible sur les Figures 3 et 4. Assez facile à dater en utilisant la radioactivité du Carbone 14, elle constitue un moyen essentiel à la disposition des géologues pour reconstruire l’histoire de la croûte terrestre et celle des espèces qui l’habitaient à l’époque de la sédimentation, aujourd’hui fossilisées. Le cas du pli-faille de Sassenage (Figure 4) est révélateur de la succession de phénomènes de sédimentation, aujourd’hui transformés en couches de roches calcaires dures, d’âges différents, séparées par des marnes plus tendres, moins escarpées, sur lesquelles la végétation se développe. La courbure de ces strates calcaires et leurs fractures témoignent de la puissance des contraintes qu’elles ont subies pendant la formation du massif alpin (Lire : L’origine de la vie vue par un géologue qui aime l’astronomie).

Figure 5. Illustration schématique de la séparation entre la couche de surface, chauffée par l’ensoleillement estival et relativement légère, et les eaux profondes à une température inférieure et presque invariante. [Source : Figure de l’auteur]
Le voisinage de la surface des lacs, mers et océans, soumis à l’ensoleillement, voit sa température augmenter dès le printemps et jusqu’à la fin de l’été. Puisqu’il allège les parties hautes ce chauffage est stable. Cependant, cette couche de surface est sans cesse agitée par les vagues, par la turbulence associée, mais aussi par les marées dans le cas des océans. Cette agitation produit un bon mélange et une uniformisation de la température jusqu’à une profondeur du même ordre de grandeur que la longueur d’onde des vagues : quelques mètres dans les lacs, plusieurs dizaines de mètres dans les océans.

Au contraire, en profondeur, réduits à la conduction pure dans un milieu quasi-immobile, les échanges de chaleur sont très faibles de sorte que la température demeure presque invariable. Entre ces deux zones, existe une zone assez mince nommée la thermocline, où la température peut varier d’environ une dizaine de degrés (Figures 5 et 6). La température de l’eau située au-dessus de la thermocline connait des variations saisonnières significatives, dues aux variations de l’ensoleillement, sans que celle des couches profondes ne varie. Voir la figure 2 de l’article Le milieu marin.

4. La décantation et la stratification ont des limites

Figure 6. Distribution de température en fonction de la profondeur en présence d’une thermocline bien formée. [Source : Figure de l’auteur]
Certaines particules polluantes de l’air, notamment les particules fines (PM2,5) et ultrafines (PM0,1), demeurent en suspension très longtemps, à tel point qu’elles sont très difficiles à extraire (Lire : Les particules polluantes de l’air : de quoi s’agit-il ?). Dans les brumes et les brouillards les très petites gouttelettes demeurent en suspension jusqu’à leur évaporation. Au contraire, dans les nuages plus sombres que les cumulus d’été, les hydrométéores [3] plus volumineux précipitent et alimentent les chutes de pluie, de neige ou de grêle (Lire : Que se passe-t-il dans les nuages ?). Pourtant tous ces objets sont soumis à la même gravité. Quels sont donc les mécanismes qui s’opposent à la chute des plus petits ?

En premier lieu, lorsqu’une gouttelette d’eau ou un grain de poussière tombe dans l’air environnant, sous l’effet de son poids apparent, cet objet prend la place de l’air qui se trouvait au-dessous de lui et qui doit remonter au-dessus.

  • Cet objet, gouttelette ou grain, est alors soumis à une force de frottement dirigée vers le haut, qui s’exerce sur toute sa surface, laquelle est proportionnelle au carré de son rayon moyen (r2).
  • Au contraire son poids apparent est proportionnel au volume, c’est-à-dire au cube de son rayon moyen (r3).

Sur les objets assez gros, la compétition entre ces forces antagonistes est tranchée en faveur du poids, ce qui impose la chute de l’objet. Mais quand le rayon r devient très petit, la compétition entre ces forces est remportée par le frottement, ce qui empêche toute chute de l’objet. En pratique, pour les particules polluantes de l’air comme pour les gouttelettes des brouillards, le rayon critique au-dessous duquel les objets ne peuvent plus décanter est de l’ordre de la dizaine de microns.

Dans les boues, les particules solides en suspension sont soumises à la même compétition, mais la densité de ces particules est assez proche de celle de l’eau. En conséquence, le rayon critique est nettement plus grand, de l’ordre de la centaine de microns.

D’autres mécanismes contribuent aussi à empêcher la suspension stable des très petits objets. L’un d’eux est le mouvement brownien, analogue à l’agitation des molécules, bien qu’il soit beaucoup moins intense à l’échelle du micron qu’à celle du nanomètre (Lire : La diffusion, étape ultime d’un bon mélange). Ce mouvement a pour effet d’imposer à chaque objet de nombreuses collisions avec les particules et molécules environnantes, ce qui lui confère une section efficace très supérieure à son rayon et exige pour sa trajectoire des sections de passage plus grandes.

5. Quand des instabilités surviennent

Les domaines fluides chauffés par-dessous peuvent devenir instables quand la différence de température entre le fond et la surface dépasse un seuil critique. C’est l’instabilité de Rayleigh-Taylor [4]. Ce seuil critique est très faible dans le cas des basses couches de l’atmosphère terrestre. C’est cette instabilité qui, en période d’anticyclone très calme, après une nuit de repos complet et en l’absence de vent, crée systématiquement une agitation de l’air dès le lever du soleil, ce qui agite les feuilles et fait faseyer les drapeaux.

Figure 7. Formation de cellules convectives dans une couche fluide chauffée par-dessous. [Source : Figure de l’auteur]
Dans l’eau, cette instabilité est facile à observer dès qu’un récipient est placé sur le feu. Elle est alors influencée par la géométrie du récipient, le liquide montant le long de parois plus chaudes que le liquide intérieur, et redescendant dans la partie centrale.

Dans des conditions mieux contrôlées, comme certaines expériences de laboratoire où la profondeur de la couche liquide est beaucoup plus petite que son étendue horizontale, on observe la formation de cellules dont la dimension horizontale est voisine de la profondeur. Ces cellules, en général identiques, sont animées d’un mouvement de convection, bien organisé. Le liquide monte d’un côté, dans une sorte de cheminée, descend de l’autre dans une sorte de puits (Figure 7). Dans la cheminée le poids apparent Pa du liquide est dirigé vers le haut, alors qu’il est dirigé vers le bas dans le puits. Ensemble ces deux forces forment un couple qui peut être capable de mettre en mouvement la cellule entière, malgré le freinage assuré par la viscosité du liquide.

Vidéo 1 : Instabilité de Rayleigh-Taylor et ses « champignons » caractéristiques illustrée avec de l’eau colorée chaude injectée dans de l’eau froide. [Source : Jens Niemeyer]

L’organisation du réseau de cellules convectives dépend fortement des paramètres géométriques de l’expérience. Ce peut être un réseau hexagonal très régulier, notamment quand le plan supérieur est une surface libre. Entre deux parois solides formant une cavité parallélépipédique, on peut plutôt observer des rouleaux parallèles. Dans la nature des situations très variées peuvent être observées.

Vidéo 2 : Cellules convectives de Rayleigh-Bénard dans de l’huile chauffée mélangée à de petites particules d’aluminium.

6. Quelques exemples géophysiques de convection

6.1. Dégel de la toundra

stratification
Figure 8. Cellules convectives d’une dimension voisine de 30 m provoquées par le dégel du Pergélisol pendant l’été 2019 dans la toundra sibérienne, au nord de Taimyr Peninsula (coordonées approximatives : 76 20 41 N 102 15 3 E). [Source : Photographie de Vladimir Melnik. http://www.photoline.ru/photo/1571816322?rzd=au]
Dans les régions arctiques, le sol reste gelé en profondeur toute l’année, formant ce qu’on appelle le pergélisol, ou permafrost en anglais. Seule une mince couche superficielle dégèle en été sous l’effet de l’ensoleillement. Mais avec le réchauffement climatique, on commence à observer ici et là un dégel en profondeur qui peut s’accompagner de mouvements convectifs. La photographie de la Figure 8, prise en Sibérie pendant l’été 2019, montre un exemple typique : des cellules convectives sensiblement rectangulaires limitées par des bourrelets de terre.

Le phénomène semble pouvoir s’expliquer ainsi : un sol terreux qui dégèle devient une boue, certes épaisse, mais fluide, en particulier au-dessous de 4°C, température à laquelle la densité de l’eau atteint son maximum. La boue du fond, au contact avec le sol encore gelé à 0 ou 1°C, est donc plus légère que celle de la surface, du moins quand celle-ci ne dépasse pas 7°C (l’eau à 7°C possède la même masse volumique que l’eau à 1°C). Il peut donc se former un réseau de cheminées où la boue plus légère va monter du fond. Mais au voisinage des puits l’eau qu’elle contient tend à retomber vers le fond, abandonnant en surface ces bourrelets asséchés. On observe alors à l’échelle de chaque cellule une lame d’eau presque pure, recouvrant la boue qui retourne vers le fond. Ici, le brassage provoque une véritable séparation des phases liquide et solide dans un milieu initialement homogène.

6.2. Naviguer sur un volcan

Figure 9. Le cratère du Nyiragongo (R.D. Congo) ; au fond, le lac de lave. [Source : Photographie de l’auteur]
Il existe sur Terre un très petit nombre de volcans dont le cratère abrite un lac de lave permanent. Le plus grand est celui du Nyiragongo, en Afrique Centrale, avec près de 250 m de diamètre (Figure 9). Cette dimension permet d’observer un grand nombre de cellules convectives relativement stables, qui forment un réseau en toile d’araignée. Leur forme est irrégulière, mais approximativement polygonale. Les lignes rouges de la Figure 10 matérialisent les zones où la lave chaude monte du fond. Au contact de l’air, elle se refroidit et prend une teinte sombre. Les zones sombres correspondent aux puits par lesquels la lave retourne vers le fond.

Figure 10. Structures convectives dans le lac de lave du Nyiragongo (R.D. Congo).[Source : Photographie de l’auteur]
On peut être surpris de la finesse des lignes rouges sur la Figure 10 : leur surface est beaucoup plus faible que celle des zones descendantes. La raison en est la variation considérable de la viscosité de la lave au voisinage de son point de fusion : autour de 1400 °C, elle est très fluide ; dès qu’elle a perdu 50 ou 100 °, elle devient pâteuse et sa viscosité est multipliée par 100. De ce fait, son mouvement est beaucoup plus lent que celui de la lave montante. Le débit montant étant égal au débit descendant, si V est la vitesse du fluide, et S la section de passage, le débit est SV et sa conservation impose l’égalité SVascendant = SVdescendant. Les sections sont donc dans le rapport inverse des vitesses : à vitesse beaucoup plus faible, section beaucoup plus grande.

6.3. Le cas particulier de l’Erta Ale

Figure 11. Cellules convectives sur le lac de l’Erta Ale (Éthiopie, 2018) en présence du barrage naturel formé à l’extrémité gauche par un éboulement soudain des falaises qui entourent ce cratère. [Source : Photographie de l’auteur]
Un petit lac de lave est toujours présent dans le cratère de ce lac d’Éthiopie. À la suite de son éruption en 2017, un autre cratère s’est temporairement formé à quelques kilomètres du cratère principal, mais avec un comportement très différent, car il était traversé par un courant de lave qui s’échappait par un déversoir visible à l’extrémité gauche de la Figure 11. C’est un effondrement soudain d’une partie de la falaise entourant le lac qui a brutalement constitué un barrage naturel et fermé cet exutoire. La formation de cet obstacle a provoqué à la fois un train d’ondes stationnaires entre le barrage et le cratère sur toute la surface de ce lac et la formation de cellules convectives. Là aussi les zones claires sont constituées de lave chaude provenant du fond. Les cellules convectives sont à peu près rectangulaires.

Figure 12. Après effondrement du barrage naturel, l’écoulement de la lave issue du cratère (en haut et à droite) s’est rétabli. Des structures convectives allongées par l’écoulement demeurent visibles. [Source : Photographie de l’auteur]
Lorsque le barrage s’est effondré, les ondes ont disparu et l’écoulement vers l’exutoire s’est rétabli. Cet écoulement a eu pour effet d’allonger les cellules convectives vers la gauche, comme le montre la photographie de la Figure 12. Les lignes claires, qui correspondent à des remontées de lave, orientées dans la direction de l’écoulement sont devenues presque linéaires. Elles montrent que des mouvements de convection subsistent en présence de l’écoulement.

7. Messages à retenir

  • Dans tous les fluides géophysiques la gravité impose une variation de la masse volumique, décroissante en fonction de l’altitude.
  • La stratification se manifeste par des sauts de la masse volumique, donnant lieu à des strates de matériaux de densités différentes, comme les brouillards dans l’air ou les boues au fond des lacs ou des mers.
  • Dans les grands bassins d’eau, l’ensoleillement entraîne la formation saisonnière d’une thermocline, qui sépare une couche chaude et légère en surface des eaux profondes dont la température demeure presque invariante.
  • Les très petits objets en suspension dans l’air, gouttelettes liquides ou particules fines, ne peuvent pas décanter en raison du frottement du fluide environnant qui l’emporterait sur leur poids apparent.
  • Des instabilités hydrodynamiques, notamment dans les fluides chauffés par-dessous, peuvent détruire certains équilibres et s’opposer à une éventuelle stratification.
  • La lave présente dans certains cratères volcaniques est aussi un fluide naturel. Les variations de la température induisent de fortes variations de la viscosité qui donnent lieu à de remarquables structures convectives.

 


Notes et références

Image de couverture.

[1] Pedlosky J., Geophysical fluid Dynamics, Springer-Verlag, 2nd edition, 1987

[2] On désigne par « variable d’état » toute grandeur comme la masse volumique, la pression, la température et la concentration de chaque espèce au sein d’un mélange, qui caractérisent l’équilibre dans lequel se trouve le fluide. Ces grandeurs sont reliées par l’équation d’état du fluide.

[3] Les hydrométéores sont des objets en suspension dans l’air formés d’ensembles de gouttes d’eau ou de particules de glace en suspension dans l’air : la pluie, la bruine, la neige, la grêle, le brouillard.

[4] Drazin P. G. and Reid W. H., Hydrodynamic stability, Cambridge univ. Press, 1981


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Pour citer cet article : PADET Jacques (9 février 2021), Stratification et instabilités dans les milieux fluides naturels, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 24 avril 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/physique/stratification-instabilites-milieux-fluides-naturels/.

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