Six facteurs de la pédogenèse
PDFLa formation des sols est la conséquence d’altérations de divers matériaux géologiques (les « matériaux parentaux » autrefois nommés « roches-mères ») sous l’action notamment des précipitations et des êtres vivants, sur une longue durée. Le présent article détaille les six facteurs qui déterminent leur formation, leur aspect, leurs propriétés et leurs fonctionnements. Sous nos climats, le facteur principal est la lithologie du matériau parental qui détermine initialement et pour longtemps la morphologie et les principales propriétés des sols. Mais d’autres facteurs jouent leur rôle : le climat local, la position au sein du relief, la végétation spontanée, sans oublier le facteur temps. En France, beaucoup de sols sont relativement « jeunes » (10 000 à 15 000 ans) mais d’autres correspondent à des altérations qui se sont prolongées durant plusieurs millions d’années. Depuis le néolithique et le développement de l’agriculture, les hommes sont devenus eux aussi des agents importants de la pédogenèse. Labours, drainages, irrigations, apports de fertilisants et de pesticides, chaulages… sont autant d’interventions qui modifient profondément les fonctionnements hydriques, physiques et biologiques des sols.
1. La pédogenèse : résultat d’interactions multiples
Un premier article (Lire La formation des sols sous climats tempérés) a défini ce que sont les sols et leurs principales spécificités, notamment leur organisation en agrégats et la présence d’une porosité multiforme favorable à l’activité des êtres vivants.
Classiquement on décompte six grands facteurs de la formation des sols, quel que soit le climat sous lequel ils se sont développés. La figure 1 présente ces différents facteurs de la pédogenèse mais également leurs interrelations. En effet, par exemple, l’existence des matériaux parentaux dépend étroitement de la combinaison de la nature des roches et de la position dans le relief ; les sols ont un impact important sur la végétation mais cette dernière a, en retour, une influence sur les sols via la forme d’humus. Dernier exemple : s’il est évident que le climat général détermine fortement la végétation, celle-ci, en retour, a une influence sur le climat local (mésoclimatClimat d’un secteur limité, un peu différent du climat général du fait d’une spécificité géographique. plus frais et humide dans une zone forestière).
Attention au mot « humus », terme ambigu aux significations variées. Le Comifer (Comité Français d’Étude et de Développement de la Fertilisation Raisonnée) en a donné cette définition : « ensemble des constituants organiques du sol qui n’ont plus d’organisation biologique (végétale, animale, bactérienne…) identifiable et qui sont issus de l’évolution biochimique lente des diverses matières organiques des sols ». Pour ce sens restreint, les scientifiques préfèrent désormais la formule « matières organiques des sols » (MOS).
Attention aux autres acceptions de ce mot :
- dans le langage courant, l’humus est la « terre noirâtre formée par la décomposition des végétaux » (Petit Robert) ;
- en pédologie, il désignait fautivement l’ensemble des horizons de surface entièrement organiques et organominéraux comportant beaucoup de matières organiques. On préférera désormais le terme d’« épisolum humifèreEnsemble des horizons supérieurs d’un sol qui contiennent des matières organiques et dont la succession et l’organisation sont sous la dépendance essentielle de l’activité biologique. ».
2. Nature et état des matériaux parentaux
Les matériaux parentaux sont les formations géologiques peu ou non altérées, effectivement observées sous le sol, au fond d’une fosse pédologique. (Lire La formation des sols sous climats tempérés)
Si ce matériau sous-jacent est bien celui qui a donné naissance au sol (et cela ne sera avéré qu’après une étude un peu détaillée) on doit l’appeler matériau parental du sol (autrefois on parlait de « roche-mère »). Les matériaux parentaux peuvent être des roches : granites, gneiss, basaltes, marnes, craies, grès, argilites, etc. ou, pour certaines, leurs altérites. Une altérite est une formation résultant de l’altération et de la fragmentation sur place d’une roche, sans acquisition d’une structure pédologique notable. L’arène granitique en est un bon exemple.
Mais les matériaux parentaux sont aussi toutes sortes de formations superficielles qui sont très souvent les véritables matériaux dans lesquels les sols se sont développés :
- Les alluvions (caillouteuses ou fines) et les colluvionsDépôts de bas de versants, généralement fins, mis en place par ruissellement diffus et transportés perpendiculairement aux cours d’eau ou vallons secs sur de faibles distances. (fines) ;
- Les lœss et les dépôts qui leur ressemblent (formations calcaires redistribuées par le vent au cours du Quaternaire), les limons des terrasses de la Garonne ou des gaves pyrénéens ;
- Les moraines glaciaires ;
- Les formations de pentes grossières (éboulis, « grèzesDépôts de versants formés sous climat périglaciaire par l’action du gel, constitués de petits éclats anguleux de calcaires durs (parfois de craie) bien triés (5 à 10 mm), emballés dans une matrice limono-sableuse et très calcaire. Le plus souvent, une coupe perpendiculaire aux courbes de niveau montre une structure en lits centimétriques superposés, inclinés selon la pente, certains lits plus « maigres » alternant avec des lits contenant plus de matrice limoneuse (grèzes litées). Très fréquentes en Bourgogne et en Charentes calcaires, sur des versants exposés à l’est et au sud-est. Syn. : éboulis cryoclastiques.», «graveluchesTerme vernaculaire désignant en Champagne crayeuse une formation de pente formée uniquement de sables crayeux et de graviers de craie dont le diamètre n’excède pas un centimètre. Les sols développés sur graveluche sont différents et moins fertiles que ceux développés directement sur la craie en place. »), mais aussi les formations de pente fines ou à composantes fines importantes (formations gélifluées à blocs, formations argilo-caillouteuses de versants) ;
- Les paléosols et paléosols cryoturbés (Figure 2) ;
- Les argiles résiduelles de décarbonatation de roches calcaires dures (argiles à chailles, « terres d’Aubues » de Basse Bourgogne (Figure 3), « limons de l’Auxois ») ou de roches calcaires tendres (argiles à silex).
Beaucoup de ces formations sont volontairement négligées ou mal signalées par les cartes géologiques (surtout les plus anciennes qui ne présentent qu’un « écorché » et privilégient les roches intactes et situées plus en profondeur).
Sous les climats tempérés d’Europe occidentale, le matériau parental détermine de façon très stricte la plupart des propriétés du futur sol ; l’influence du climat et de la végétation reste longtemps très limitée. Les caractéristiques importantes du matériau parental, qui influenceront la composition et la structure du sol, sont :
- sa granulométrie (cailloutis, argile lourde, sédiment sableux, limon éolien) ;
- la granulométrie du résidu de décarbonatation dans le cas des matériaux parentaux carbonatés ;
- le caractère plus ou moins altérable des minéraux primaires (par exemple le quartz est inaltérable tandis que le mica noir, la biotite, est rapidement altérable) ;
- la nature minéralogique des minéraux argileux hérités ou néoformés (kaolinite, illite, smectites…) ;
- la nature pétrographique du matériau parental et les caractéristiques physico-chimiques qui en découlent. Par exemple, les sols de craie héritent d’une composition extrêmement calcaire qui perdure très longtemps ;
- sa géochimie fine : par exemple, les sols développés à partir de « roches vertes » (péridotites, serpentinites), très riches en chrome et nickel, sont eux-mêmes très riches en ces deux métaux.
En ce qui concerne le rôle de l’état d’un matériau sous-jacent, nous prendrons l’exemple des calcaires durs. Il est clair que les différents états de dislocation d’une même roche dure (Figure 4) ont une influence majeure sur les capacités d’enracinement des plantes pérennes [1] comme les arbres forestiers ou la vigne. Il en va de même en ce qui concerne les plantes annuelles (blé, colza) qui peuvent trouver un peu (ou beaucoup) de terre interstitielle entre les pierres, terre susceptible de fournir un peu d’eau en période sèche. Ainsi, une végétation pourra s’installer plus facilement sur un cailloutis dense que sur une roche non disloquée, et le sol s’y formera plus vite.
3. Microclimat et pédoclimat
Le climat général (grandes zones climatiques du globe) est plus ou moins modifié par les conditions locales où chaque sol se situe (relief, position topographique, exposition) : c’est le microclimat. Ce dernier est modifié par certaines propriétés intrinsèques du sol lui-même (par exemple sa couleur de surface, la présence de niveaux imperméables générant un engorgement durable). On peut ainsi définir le climat interne du sol ou pédoclimatEnsemble des conditions de température et d’humidité régnant dans les horizons d’un sol, variables au cours de l’année. http://mots-agronomie.inra.fr/mots-agronomie.fr/index.php/Pédoclimat.
Les conditions pédoclimatiques régnant dans le lointain passé ont régi les processus pédogénétiques les plus anciens. Elles sont généralement très différentes des conditions actuelles qui régissent le fonctionnement présent des sols. Ainsi, certains sols présentent aujourd’hui des teintes rouges qui correspondent à des climats beaucoup plus chauds et secs que l’actuel.
3.1 Précipitations
Le flux potentiellement percolant (susceptible de percoler verticalement) est défini comme le flux d’entrée (précipitations) moins le flux évapotranspiré (évaporation directe du sol + transpiration de la végétation). En climat tempéré, le flux potentiellement percolant est positif car les précipitations sont très supérieures à l’évapotranspiration. Plus ces flux d’eau sont importants et plus il y a de transferts de matières (solutions, particules argileuses), verticaux ou latéraux. (Lire Besoins en eau des plantes : comment les satisfaire ?)
Le flux potentiellement percolant est plus ou moins modifié selon la position topographique. Par exemple, les bas de versants sont susceptibles de recevoir des eaux de ruissellement venant de plus haut.
La neige joue un rôle particulier :
- elle occasionne un retard à l’écoulement (la précipitation va s’écouler bien après sa chute) et elle provoque l’engorgement du sol par l’eau au moment de sa fonte ;
- elle constitue un manteau isolant protégeant le sol du gel à condition d’être tombée avant la baisse de la température.
3.2 Température moyenne annuelle et températures saisonnières
Plus la température est élevée, plus les réactions chimiques et biochimiques sont rapides (altération des minéraux primaires, activité biologique, minéralisation des matières organiques) ; en revanche ce sont les eaux froides qui dissolvent le mieux le calcaire car, toutes choses égales par ailleurs, les eaux froides dissolvent plus de CO2 que les eaux chaudes. (Lire Le karst, ressource en eau renouvelable dans les roches calcaires)
Inversement le gel prolongé ou permanent a des effets mécaniques (désagrégation, cryoturbation) mais ralentit ou stoppe toute activité biologique et toutes les altérations.
4. Position dans le relief
Le fonctionnement du sol (donc, à long terme, son évolution générale) dépend de sa position dans le relief. C’est le cas, notamment, de l’orientation plutôt verticale ou plutôt latérale des flux d’eau et de matières déplacées. La forme des versants est dépendante de la nature plus ou moins dure et de la succession des roches sous-jacentes. En conséquence, des sols différents se succèdent sur ces versants [2] en fonction uniquement de leur position (toposéquenceSuccession, le long d’un versant, de sols à morphologie différente, dans un certain ordre, en fonction de leur position sur ce versant. de sols ou chaine de sols – Figure 5) ou également en fonction de la variation des roches (topolithoséquenceToposéquence dont la cause principale de différenciation est la succession de roches ou de matériaux parentaux lithologiquement différents. de sols).
4.1 En positions de plateaux
Sur les plateaux, la dynamique de l’eau et des transferts est plutôt verticale. Il y a donc peu ou pas d’érosion. Cependant, rares sont les plateaux qui ne présentent pas du tout de relief et il n’y a pas besoin de beaucoup de pente pour que ruissellement et érosion se développent.
C’est ce qui se passe quand les horizons de surface présentent des agrégats très fragiles en conséquence d’une granulométrie limoneuse et d’une faible teneur en matières organiques. La fermeture de la surface du sol peut intervenir sous l’impact des gouttes de pluie. Il se forme alors une mince croûte (0,5 à 5 mm) finement litée, plus ou moins continue. Cette croûte de battance fait obstacle à l’infiltration de l’eau dans le sol. Il en résulte la formation de flaques d’eau et, souvent, du ruissellement dans la parcelle, stade initial de l’érosion hydrique. C’est par exemple le cas des plateaux du bassin versant du Petit Morin en Seine-et-Marne ou de ceux du Pays de Caux.
4.2 Haut et milieu de versants
En haut de versants, il y a pertes d’eau et de matières dissoutes ou en suspension sans compensation. La tendance est à des sols secs et minces (car érodés). Au milieu des versants, les pertes d’eau et de matières dissoutes vers le bas sont compensées par des apports depuis le haut, d’où un bilan équilibré.
Les expositions sud (adrets) sont chaudes et plus sèches (la végétation y est plutôt thermophile, voire xérophile) ; les expositions nord (ubacs) sont plutôt froides. (Lire Comment les plantes supportent les stress alpins ?)
4.3 Bas de versants et fonds de vallons
En bas de versants et dans les fonds de vallons, les flux d’eaux sont très supérieurs aux précipitations, ce qui génère des engorgements plus ou moins prolongés voire permanents ou quasi permanents (tourbières). Il y a également accumulations de matières solides déplacées (colluvions) et formation ou présence de matériaux parentaux spécifiques (alluvions fluviatiles, alluvions lacustres). Dans ces situations, on observe donc généralement des sols épais, voire sur-épaissis (colluviaux).
Les bas de versants et les fonds de vallons correspondent à des zones d’accumulations de produits dissouts plus haut sur le versant qui précipitent (oxydes de fer et de manganèse, bicarbonate de calcium sous forme de calcaire) ou se fixent sur le complexe adsorbant (sols saturés en calcium – cas des brunisols de la figure 5).
La valeur de la pente d’un terrain, combinée à son exposition, déterminent la plus ou moins grande quantité de rayonnement solaire apportée au sol et à la végétation. C’est pour cette raison que les vignobles les plus réputés, tels le vignoble barséquanais de Champagne ou celui de Chablis, privilégient les expositions sud-est et sud et les pentes assez fortes ou fortes. C’est dans ces conditions que le rayonnement solaire est maximum [1] car parvenant perpendiculairement au terrain (Figure 6).
5. Végétation et activité biologique (au sens large)
La microflore pionnière est constituée de bactéries, d’algues, d’hyphes de champignons ou de lichens. Grâce à son adhérence aux surfaces des roches et des minéraux, et à des biofilms bactériens, elle initie les premières altérations dont les figures sont visibles au microscope électronique [3]. La pénétration des hyphes a comme premier effet une désagrégation ou une microdivision des minéraux, par exemple en se développant entre les paquets de feuillets des micas. Les phénomènes de dissolution apparaissent ensuite, localisés à des microsites au contact entre les êtres vivants et les minéraux (Figure 7).
L’altération du matériau parental se fait également sous l’action des racines. En effet, dans la rhizosphère (volume de sol directement sous l’influence des exsudats et des bactéries et ectomycorhizes associées), des acides organiques et le CO2 dégagés sont susceptibles d’altérer certains minéraux et de dissoudre le calcaire.
La faune (micro, méso et macrofaune) est également adaptée à la nature du sol. (Lire La Biodiversité des sols)
Elle joue elle aussi un rôle majeur dans la formation du sol :
- par la décomposition des débris végétaux en petites molécules ;
- par l’absorption des nutriments (P, K, Ca, Mg), ou d’éléments en traces potentiellement polluants au niveau des racines ;
- par la formation des agrégats à structure grumeleuse de certains horizons de surface humifères par la réorganisation des turricules de lombrics.
En retour, le sol a une influence importante sur les êtres vivants qu’il héberge. En particulier, la végétation naturelle spontanée est étroitement dépendante de certaines propriétés de ce sol : acidité, engorgements, sécheresse relative, richesse en calcium échangeable, en azote, en calcaire fin dit « actif ». C’est pourquoi l’on observe, en fonction de la nature du sol, des espèces et associations végétales dites acidiphiles, hygrophiles, xérophiles, calcicoles, nitrophiles, calcaricoles ou calcarotolérantes.
Les parties aériennes des plantes qui retombent à la surface du sol peuvent être « acidifiantes » ou riches en azote (dites « améliorantes »). Au bout d’un temps long (siècles, millénaires) un équilibre se crée entre le sol, la végétation spontanée et le climat.
Le cycle biogéochimique naturel (sols-plantes-sols)
Des éléments présents dissouts dans la solution du sol, indispensables au développement des plantes (tels le phosphore, le potassium, le calcium, les oligoéléments) ou inutiles voire potentiellement toxiques (comme certains éléments en traces), sont absorbés par les racines des végétaux, et ce dans tous les horizons effectivement prospectés par lesdites racines (Figure 8).
Une fois absorbés par les plantes, ces éléments sont transférés dans leurs différents organes (tiges, feuilles, fruits, graines, branches, troncs).
Après la mort du végétal, ces éléments retournent finalement au sol soit directement dans le sol (décomposition in situ des racines mortes) soit en tombant à sa surface (débris des parties aériennes, litières forestières). C’est là que les matières organiques fraîches vont être décomposées plus ou moins rapidement par l’activité biologique (microarthropodes, nématodes, collemboles, lombrics, filaments de champignons, algues, bactéries) jusqu’à, dans les formes d’humus les plus « actives », une minéralisation complète et donc la libération des éléments chimiques sous des formes assez mobiles et plus facilement biodisponibles.
On assiste ainsi à un cycle de matières allant du sol au sol, en passant par la végétation. Cependant, il faut noter que la majorité des éléments absorbés sur toute l’épaisseur de sol prospectée par les racines retombe à la surface. Ceci explique, avec la bonne aération qui y règne, que l’activité biologique la plus intense s’observe dans les premiers centimètres. En milieu naturel, même très pauvre chimiquement (forêt amazonienne, forêts tempérées sur sols acides), le cycle biogéochimique suffit au maintien de l’écosystème en équilibre.
Que se passe-t-il quand le cycle est rompu, par exemple quand l’Homme prélève une partie ou la totalité des végétaux (épis de blé, salades, carottes, pommes de terre, fourrage, troncs d’arbres), qu’ils soient cultivés ou non, et les emporte ailleurs ? Une part plus ou moins importante de la biomasse est « exportée » avec les éléments qu’elle contient. Très généralement, les produits alimentaires (farine, légumes, fruits), le bois et leurs déchets (balle de blé, épluchures, excréments humains ou animaux, sciure, cendres de foyers) ne sont pas restitués à l’endroit où ils ont été prélevés. Il en résulte un appauvrissement progressif du milieu au fur et à mesure des récoltes. Les écosystèmes « pauvres » sont assez rapidement mis en déséquilibre et dépérissent. Sous agriculture intensive, où les exportations sont massives, il est donc indispensable de rapporter aux sols tous les éléments (N, P, K, Ca, oligoéléments, matières organiques) qui leur ont été enlevés, c’est la raison de l’apport des fertilisants et des amendements (organiques, calcaires). (Lire Nourrir les plantes en polluant moins ?)
6. Activités humaines
Depuis le Néolithique, avec le développement de l’agriculture, l’Homme a un impact sur la nature et le fonctionnement des sols. Cet impact va croissant sous l’influence de moyens techniques toujours plus puissants et perturbateurs et à cause de la nécessité de produire davantage pour nourrir une population toujours plus nombreuse.
- Action sur la végétation : l’Homme perturbe directement la végétation, notamment sa diversité, en installant volontairement :
- des plantations forestières monospécifiques (douglas, sapins de Noël, peupliers) ;
- des monocultures (blé, orge, maïs, , pommiers, vigne – Figure 9) ;
- des prairies “naturelles” (où les animaux d’élevage broutent sélectivement) ;
- des prairies semées ;
- … ou bien il laisse se développer des friches…
- Dans les forêts qui nous semblent naturelles, il privilégie certaines espèces aux dépens d’autres, élimine certaines strates de végétation…
- Actions chimiques : apports volontaires de fertilisants, d’oligoéléments, d’amendements organiques (fumiers, lisiers, composts, boues d’épuration), de calcium (chaulage) d’où la remontée du pH et la re-saturation du sol principalement par des ions calcium ; apports involontaires de polluants minéraux ou organiques.
- Apports répétés de matières organiques ou minérales (sels contenus dans les eaux d’irrigation) qui s’accumulent.
- Actions « hydriques » : drainage, assainissement (tuyaux enterrés, réseaux de fossés), abaissement du niveau de la nappe (marais, tourbières), inondation de rizières, irrigations. Ces interventions humaines modifient totalement le régime hydrique naturel initial.
- Actions mécaniques agricoles:
- Labours ;
- Compactage superficiel ou profond (Figure 10) ;
- Sous-solages : travail du sol ayant pour objet de l’ameublir en profondeur sans remonter d’éléments en surface ;
- Défoncements : labours très profonds (40 cm à 1 m) réalisés exceptionnellement pour disloquer des horizons profonds indurés ou des roches dures situées en profondeur et améliorer ainsi l’enracinement de la vigne ou d’arbres fruitiers et forestiers.
- Création de planches et billons, c’est-à-dire de bandes de terrain allongées, surélevées pour éviter un excès d’eau superficiel. La planche diffère du billon, en ce que le centre de la planche n’est pas bombé et qu’elle est plus large.
- Ces actions mécaniques ont pour conséquences l’homogénéisation de l’horizon labouré et parfois le mélange d’horizons.
- Autres actions mécaniques (travaux publics) : restructuration de pentes fortes en terrasses ou terrassettes (ceci dès l’Antiquité), décapages, goudronnages.
- Déplacements de matériaux terreux pour la construction de sols urbains reconstitués, réaménagement d’anciennes carrières ou gravières.
7. Durée
Le temps est un acteur majeur, à ne pas oublier, de la formation des sols. Celle-ci est toujours lente et nécessite des milliers ou des dizaines de milliers d’années pour générer quelques décimètres de sol.
Certaines évolutions récentes sont plus rapides (sur certains matériaux favorables) et peuvent affecter la partie supérieure du sol sur quelques décimètres. Par exemple, à partir d’un sol déjà très acidifié, une néopodzolisationLa podzolisation est un processus de formation de certains sols dans lequel les matières organiques, formées en milieu acide et peu actif biologiquement jouent un rôle majeur. Il y a altération des minéraux argileux par acido-complexolyse et formation de complexes organo-minéraux mobiles qui vont précipiter en profondeur. peut seulement demander un siècle pour s’exprimer nettement sur une quinzaine de centimètres.
Dans le nord de l’Europe, beaucoup de pédogenèses ont débuté à la fin de la dernière déglaciation (10 000 – 12 000 ans). Soit les anciens sols ont été entièrement érodés (par exemple décapés par les glaciers), soit de nouveaux dépôts superficiels ont constitué de nouveau matériaux parentaux et une nouvelle pédogenèse a alors débuté (nouveau dépôt de lœss, mise en place de formations de pentes).
Mais il existe aussi des sols beaucoup plus anciens. Voici deux séries d’exemples, mais il y en a beaucoup d’autres.
- Exemples 1 : Un certain nombre de sols sont développés dans des formations argileuses résiduelles accumulées suite à la décarbonatation totale de roches calcaires : les argiles à silex, les argiles à chailles, les sols argileux et ferrugineux de la plate-forme sinémurienne en Auxois[4], les « terres d’Aubues » des plateaux de Basse Bourgogne [5] (voir Figure 3). Tous ces sols sont âgés d’au moins un à deux millions d’années.
- Exemples 2 : Les sols des très hautes terrasses des cailloutis rhodaniens. Le matériau parental de ces dépôts est constitué de cailloutis fluvio-glaciaires originaires des Alpes, contenant des galets calcaires mais également des fragments de roches cristallines. Ces derniers sont la source principale de tous les produits d’altération résiduels, notamment des argiles. Bornand [6] (Figure 11) a décrit 5 stades d’évolution pédologique qu’il a étudiés sur les diverses terrasses de la vallée moyenne du Rhône, datées du Würm (pour les plus basses) jusqu’au Villafranchien (pour les plus hautes). La durée totale d’évolution des sols développés dans les dépôts les plus anciens a été estimée entre 1,8 et 2,3 millions d’années.
En matière d’âge des sols, il faut donc se poser la question suivante : de quel sol s’agit-il ?
Pour former un Fluviosol Brut, c’est à dire une alluvion vaguement imprégnée de matières organiques en surface (comme dans le lit majeur de la Loire), il faut 30 ans. Pour former un Luvisol Typique à partir d’un lœss déposé à la fin du Würm, il a fallu environ 12 000 ans. Mais pour former un sol rouge ferrallitique de 15 m d’épaisseur en Côte d’Ivoire, issu de l’altération de granites, il a fallu plusieurs millions d’années.
8. Messages à retenir
- Le croisement des 6 facteurs de pédogenèse, notamment la grande variété des matériaux parentaux en France, explique la très grande diversité des sols que l’on peut observer d’un point à un autre : épaisseur, couleurs, texture, contraste granulométrique, pH, composition minéralogique, richesse en matières organiques, etc. Cela explique aussi leur variabilité dans l’espace qui peut être très rapide (décamétrique).
- L‘homme est de plus en plus un facteur important de modification (aspects et fonctionnements = « artificialisation ») voire de destruction totale des sols.
- Les sols constituent un patrimoine non renouvelable à l’échelle de temps des humains. Tout sol détruit totalement ou partiellement est une perte irréversible de patrimoine.
Notes et références
Image de couverture. Paysage de Toscane [Source : © Denis Baize]
[1] Baize, D. (2021) Naissance et évolution des sols. La pédogenèse expliquée simplement. Versailles : Éditions Quae, 160 p.
[2] Jamagne, M. (2011) Grands paysages pédologiques de France. Versailles : Éditions Quae, 598 p
[3] Robert, M., Berrier, J., Evralde, J. (1983) Rôle des êtres vivants dans les premiers stades de l’altération des minéraux. Sciences Géologiques. Mémoire 73, pp. 95-103. https://www.persee.fr/doc/sgeol_0302-2684_1983_act_73_1_2033
[4] Baize, D. et Chrétien, J. (1994) Les couvertures pédologiques de la plate-forme sinémurienne en Bourgogne. Particularités morphologiques et pédogéochimiques. Étude et Gestion des Sols, 1, 2, pp. 7-27.
[5] Baize, D., (2012) Les « terres d’Aubues » de Basse Bourgogne : nouvelle synthèse et bilan de matières à très long terme. Étude et Gestion des Sols, 19, 3-4, pp. 139-161.
[6] Bornand, M. (1978) Altération des matériaux fluvioglaciaires, genèse et évolution des sols sur terrasses quaternaires dans la moyenne vallée du Rhône. Thèse, Université de Montpellier 2, 329 p.
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Pour citer cet article : BAIZE Denis (26 mai 2024), Six facteurs de la pédogenèse, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 4 octobre 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/sol/facteurs-pedogenese/.
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