L’importance des horizons profonds des sols

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Les sols ne se limitent pas aux horizons humifères de surface. Ils comprennent aussi des horizons dits profonds qui remplissent des fonctions essentielles, en particulier pour le développement de la végétation. Parfois absents dans les sols très minces, les horizons profonds sont les couches de sol situées entre la couche supérieure plus ou moins riche en matières organiques et la roche sous-jacente non altérée. Sous nos climats, ils débutent à une profondeur de 5 cm (certaines formes d’humus forestières) à 30-35 cm (sols profondément labourés) pour une épaisseur allant de 10 à 180 cm (parfois encore plus).

 

1. Rappel sur les horizons du sol

Rappelons que sont appelées horizons les couches superposées d’un sol, montrant des aspects et des propriétés différentes les unes des autres. Cette différenciation selon un axe vertical résulte de phénomènes naturels qui se sont succédé au cours du temps sur des milliers voire des centaines de milliers d’années (Lire La formation des sols sous climats tempérés & Six facteurs de la pédogenèse).

Par leur position (au-delà de 30 cm), les horizons profonds demeurent généralement à l’abri des perturbations liées aux outils agricoles et ils sont moins affectés par les phases de dessiccation estivales. Nous allons voir quels rôles ils jouent vis-à-vis de toutes les fonctions que nous attribuons aux sols. Schématiquement nous pouvons en dénombrer neuf :

  • Production agricole ;
  • Production forestière ;
  • Support de la végétation à des fins non directement productives ;
  • Équilibre des écosystèmes terrestres locaux et planétaires (biodiversité, stockage de carbone) ;
  • Fourniture de matériaux utiles ;
  • Fonction géotechnique (support de constructions diverses) ;
  • Rôle majeur dans le cycle de l’eau (qualité et quantité des eaux superficielles et souterraines) ;
  • Épandages d’eaux usées et de déchets ;
  • Conservation de la mémoire du passé (vestiges archéologiques).

Certains de ces rôles sont également joués par les horizons de surface, mais les horizons profonds, étant donné leur volume le plus souvent nettement supérieur, jouent un rôle quantitativement plus important.

2. Possibilités d’enracinement des plantes annuelles et pérennes, cultivées ou spontanées

2.1 L’enracinement profond

Les plantes annuelles comme le blé de printemps ou le maïs ont peu de temps pour implanter profondément leurs racines et elles s’enracinent principalement dans l’horizon labouré, car la plus grande part des nutriments (engrais) s’y trouve. Elles atteignent cependant facilement 60 cm voire un mètre de profondeur si le sol s’y prête. En certaines circonstances, comme une sécheresse exceptionnelle, elles développent leur système racinaire encore plus profondément, notamment pour y trouver de l’eau (voir Focus Bilan hydrique d’une culture de blé).

En revanche, il est bien connu qu’une plante cultivée pérenne comme la vigne peut s’enraciner jusqu’à deux mètres de profondeur, voire beaucoup plus. Il en va de même de certains arbres forestiers capables en outre d’exploiter des fissures dans des roches dures sur plusieurs dizaines de mètres. Mais l’enracinement des arbres se développe également latéralement, ce qui permet la prospection de volumes considérables (voir Focus Enracinement de chênes de 150 ans dans un sol profond ; lire Le système racinaire des plantes : de l’ombre à la lumière & La quête inlassable de l’eau par les plantes).

Dans le cas des essences forestières, une très faible quantité de racines fines présentes en profondeur peut assurer une prospection des réserves en eau primordiale en période de sécheresse, quand les horizons supérieurs sont secs. Hénin et coll. [1] précisent en outre qu’une racine (fine et saine) est capable d’utiliser de l’eau dans un rayon de 1 à 10 cm. Il convient donc de ne jamais négliger la description des enracinements en profondeur, même si les racines paraissent peu nombreuses.

2.2  Les obstacles à l’enracinement

Figure 1. Aspect de la structure macroscopique d’un sol argileux sur 75 cm de profondeur
Il est très difficile de dessiner la structure d’un sol vu en coupe. Cette figure très réaliste a certainement été réalisée à partir d’une photographie. [Source © David L. Rowell, publiée avec la permission de l’auteur]. Traductions (de haut en bas) : polyédrique anguleuse fine et grumeleuse ; polyédrique et prismatique ; prismatique se subdivisant en polyèdres.
La pénétration des racines est favorisée dans les horizons profonds par l’existence d’une « structure macroscopique » en agrégats [2], qui génère toutes sortes de vides connectés (Figure 1 ; voir aussi partie 3). Au contraire, l’existence d’obstacles naturels (d’origine pédologique) ou engendrés par des actions humaines est défavorable à tout enracinement. Ces obstacles constituent des contraintes d’autant plus préjudiciables pour les plantes (et donc pour les cultures) qu’ils apparaissent plus près de la surface.

On distingue :

  • Des obstacles physiques : horizons naturellement très denses (fragipansHorizon non situé en surface, de texture moyenne et pauvre en matières organiques, très compact à l’état sec et présentant une densité apparente élevée.) ou imperméables (niveaux argileux non structurés ou gonflés), encroûtements calcaires ou accumulations ferrugineuses que les agriculteurs nomment localement « grison », « mâchefer » ou « alios ».
  • Des obstacles chimiques : le calcaire lorsqu’il est sous forme de particules très fines (calcaire « actif ») s’avère un obstacle absolu à l’enracinement des plantes strictement calcifuges. Il en va de même de l’aluminium dit « libre » (i.e. toutes les formes qui ne sont ni des oxydes bien cristallisés, ni incluses dans des silicates) lorsque le pH du sol est inférieur à 5,5 qui peut provoquer une forte réduction de la croissance des racines. Ces dernières deviennent épaisses et peu ramifiées et ne sont plus capables d’assurer l’alimentation minérale et hydrique des plantes. C’est la toxicité aluminique.
  • Des obstacles hydriques : des horizons engorgés même temporairement constituent une forte contrainte à l’enracinement à cause des conditions d’hypoxie qui y règnent (Figure 2). Cela explique l’emploi de techniques d’assainissement en agriculture (drainage par tuyaux enterrés, creusement de fossés). Seules certaines espèces végétales sont adaptées à ces hypoxies, par exemple les aulnes.
  • Enfin, il existe des obstacles générés par des pratiques agricoles, telles les « semelles de labour », minces niveaux tassés qui se forment parfois à la base de la couche labourée et que les jeunes racines auront du mal à traverser.

2.3 Ancrage mécanique des arbres

Figure 2. Ce chablis de douglas montre que sur un sol très engorgé, les racines verticales ne peuvent se développer correctement, rendant l’ancrage de l’arbre insuffisant pour résister à des vents violents. [© Marc Brillat-Savarin, publié avec l’autorisation de l’auteur]
Si son enracinement est trop superficiel et limité à l’horizon de surface humifère, un grand arbre risque d’être abattu dès la première tempête (Figure 2) ! Qu’on se souvienne des dégâts de celles qui se sont abattues sur la France en 1999 et 2000 sur certains peuplements.

3. Aération suffisante pour permettre une activité biologique et le développement racinaire

Dans tous les horizons, même les plus profonds, la présence de dioxygène est nécessaire à la respiration de tous les organismes aérobies et des racines. L’aération, tributaire de la structure macroscopique de chaque horizon, est nécessaire à la vie microbienne sans laquelle il n’y aurait pas de minéralisation des matières organiques, ni surtout d’absorption des nutriments par les racines. En particulier, les mycorhizes jouent un rôle fondamental dans la nutrition hydrominérale de la plupart des plantes.

Dans les horizons profonds engorgés par l’eau de façon temporaire ou quasi-permanente (donc mal aérés), le peu de dioxygène résiduel est rapidement consommé par la microflore et le milieu devient hypoxique puis anoxique. Seuls alors peuvent survivre et prospérer les microorganismes anaérobies. Les racines de la plupart des plantes ne peuvent pas s’y développer.

4. Stockage et circulation de l’eau

4.1. Réservoir et réserve d’eau dans le sol

Dans le sol, l’eau peut être stockée et rester accessible aux plantes dans une certaine fourchette de dimensions des vides. À travers les vides les plus gros, de plus de 10 micromètres (espaces entre les agrégats, chenaux de vers de terre, trous de racines), s’effectue un ressuyage rapide par gravité. Dans les très petits pores et interstices (< 0,2 micromètres) l’eau est retenue trop fortement et s’avère incessible aux racines. Les horizons profonds sont le lieu principal de stockage de l’eau utile aux plantes à la fois parce que leur volume est au moins égal et le plus souvent très supérieur au volume de l’horizon de surface et parce qu’ils sont à l’abri de l’évaporation directe.

Le réservoir en eau est un volume de porosité qui peut contenir durablement de l’eau et est donc une caractéristique relativement permanente d’un horizon ou d’un sol. Mais une partie seulement de ce réservoir est accessible aux plantes, c’est le réservoir utilisable. En revanche, la réserve en eau utilisable est la quantité d’eau utilisable se trouvant effectivement dans le réservoir à un moment donné. L’analogie avec votre automobile est évidente : son réservoir d’essence a beau contenir jusqu’à 60 litres, il peut être à moitié ou totalement vide.

4.2. Circulation d’eau par remontées capillaires

L’eau présente dans les horizons profonds, en plus d’avoir une origine météorique, peut provenir de remontées capillaires. Celles-ci prennent naissance à partir d’une nappe phréatique profonde. Dans les cas les plus favorables (horizons à granulométrie fine) elles pourraient atteindre un mètre et, en année sèche, atteindre 100 mm ce qui constituerait un appoint non négligeable. Ces remontées se faisant par les pores les plus fins, le flux d’eau ne couvrirait cependant pas les besoins instantanés des plantes et ne parviendrait pas à les alimenter suffisamment. Ne pas confondre avec le cas particulier des sols crayeux, souvent fort minces, bénéficiant des remontées capillaires dans la masse des craies restées en place. C’est ce qui explique l’étonnante fertilité de ces sols pourtant minces et extrêmement calcaires.

4.3. Circulation d’eau par ascenseur hydraulique

La circulation de l’eau dans les horizons profonds, en plus des phénomènes déjà décrits, pourrait impliquer un phénomène d’ascenseur hydraulique (ou hydrique). Cette notion, développée en agroforesterie, mais non prouvée avec certitude pour le moment, correspond à une redistribution nocturne d’eau dans le sol, du bas vers le haut, par les racines des arbres. Les racines présentes dans les horizons supérieurs secs exsuderaient de l’eau en provenance des racines situées dans les horizons inférieurs encore humides [3].

4.4. Stagnations et engorgements

Figure 3. Fonctionnement hydrique d’un sol argileux. En fin de périodes sèches, les fentes inter-agrégats sont largement ouvertes et constituent autant de chemins pour le ressuyage rapide du sol. En périodes humides les argiles gonflent, l’infiltration de l’eau est très réduite et elle stagne à proximité de la surface. [Source Concaret, 1981, « Drainage agricole, Théorie de pratique », édité par la Chambre régionale d’Agriculture de Bourgogne, DR]
Si les horizons profonds montrent des agrégats argileux collés les uns aux autres, ne laissant plus d’espaces entre eux (structures dites « ajustées [4] ») ou bien s’ils présentent des structures continues (sans agrégats), les eaux de pluies ne s’évacuent que très lentement et stagnent dans les couches supérieures du sol (Figure 3). Les agriculteurs considèrent alors qu’il y a « excès d’eau » et cherchent à éliminer cet excès par des techniques d’assainissement.

5. Le cycle biogéochimique naturel (sol → plantes → sol)

Des éléments minéraux présents sous formes dissoutes dans la solution du sol, indispensables au développement des plantes (tels le phosphore, le potassium, le calcium, les oligo-éléments) ou inutiles voire potentiellement toxiques (comme le plomb, le cadmium, le mercure), sont absorbés par les racines des végétaux, et ce dans tous les horizons effectivement prospectés par lesdites racines. Une fois absorbés par les plantes, ces éléments sont transférés dans leurs différents organes (tiges, troncs, branches, feuilles, fruits, graines).

Après la mort du végétal, ces éléments retournent finalement au sol soit directement (décomposition in situ des racines mortes) soit en tombant à sa surface (débris des parties aériennes, litières forestières). C’est là que les matières organiques fraîches vont être décomposées plus ou moins rapidement par l’activité biologique (microarthropodes dont collemboles, nématodes, lombrics, filaments de champignons, algues, bactéries) jusqu’à, dans les formes d’humus les plus « actives », une minéralisation complète et donc la libération des éléments chimiques sous des formes assez mobiles et plus facilement biodisponibles.

Figure 4. Flux de matières dans un sol en milieu cultivé. 1. Héritage reçu du matériau parental (il ne s’agit pas d’un flux mais d’un héritage statique). 2. Cycle biogéochimique dans les sols et les plantes. 3. Transferts verticaux (lessivage, illuviation). 4. Transferts latéraux. 5. Apports gérés à l’échelon de la parcelle agricole (engrais, amendements, boues d’épuration, produits phytosanitaires). 6. Apports diffus aériens d’origine lointaine. 7. Apports massifs localisés d’origine proche (retombées industrielles). 8. Transferts latéraux par ruissellement ou érosion à la surface. 9. Exportations (récoltes, grumes, biomasse). [Source Denis Baize]
Finalement il s’agit bien d’un cycle fermé allant du sol au sol en passant par la végétation, mais la majorité des éléments absorbés sur toute l’épaisseur de sol prospectée par les racines retombe à la surface. Dans les premiers centimètres du sol, l’abondance de ces éléments et la bonne aération expliquent que l’activité biologique y soit la plus intense. En milieu naturel, même très pauvre chimiquement (forêt amazonienne, forêts tempérées sur sols acides), le cycle biogéochimique suffit au maintien de l’écosystème en équilibre.

Dans les agrosystèmes ou dans les forêts de production, le cycle est rompu (Figure 4, flèche 9) [5] : les humains prélèvent une partie ou la totalité des végétaux (épis de blé, salades, carottes, pommes de terre, fourrage, troncs d’arbres), qu’ils soient cultivés ou non, et les emportent ailleurs. Une part plus ou moins importante de la biomasse est donc exportée avec les éléments qu’elle contient. Très généralement, les produits alimentaires (farine, légumes, fruits), le bois et leurs déchets (balle de blé, épluchures, excréments humains ou animaux, sciure, cendres de foyers) ne sont pas restitués à l’endroit où ils ont été prélevés. Il en résulte un appauvrissement progressif du milieu au fur et à mesure des récoltes. En milieu forestier cela peut conduire à une acidification progressive du sol. Les écosystèmes les plus « pauvres » sont assez rapidement mis en déséquilibre et dépérissent. Sous agriculture (même biologique) il est donc indispensable de restituer aux sols tous les éléments (azote, phosphore, potassium, calcium, oligoéléments, matières organiques) qui leur ont été enlevés, c’est la raison de l’apport des fertilisants et des amendements (organiques, calcaires). Sous agriculture intensive, où les exportations sont massives, cette nécessité de restitution est encore plus impérative.

6. Filtration et épuration des eaux de pluie et de nos effluents liquides

Le sol est un milieu poreux qui exerce vis-à-vis des eaux qui le traversent et des substances qui y sont dissoutes ou en suspension un rôle de filtre mécanique et de réacteur chimique et biologique pour les nitrates, les phosphates et certains pesticides… Outre un filtrage purement mécanique bloquant des particules solides, interviennent des réactions de surface avec les minéraux argileux, les matières organiques, certains oxyhydroxydes et des réactions biochimiques par action des microorganismes.

C’est pourquoi, en milieu naturel, la qualité chimique et biologique des eaux profondes dépend des propriétés minéralogiques et du pH des sols qu’elles traversent. Elles se chargent en substances organiques ou en calcium, magnésium, etc.

Ce « pouvoir épurateur » est utilisé depuis longtemps par les humains pour purifier leurs eaux résiduaires. Mais cette capacité d’épuration n’est pas illimitée et de tels épandages risquent de polluer les sols récepteurs. Un exemple célèbre est celui des eaux non traitées de l’agglomération parisienne, épandues massivement sur la plaine de Pierrelaye et autres champs d’épandages (Triel-sur-Seine, Gennevilliers) pour y faire du maraîchage[6] !

Considérée à la fin du 19ème siècle comme une solution hygiéniste à l’élimination des eaux des égouts parisiens, cette pratique d’irrigation massive s’est avérée lourdement polluante. Il est vrai qu’au cours du vingtième siècle la qualité des eaux usées s’était complètement dégradée suite à l’industrialisation des banlieues. Aux matières organiques d’origine humaine, sont venues se surajouter de nombreux éléments en traces métalliques (ETM), notamment du plomb, du cadmium, du mercure, etc. à doses considérables, ce qui a amené les autorités à interdire l’agriculture.

7. Traficabilité (possibilité de passage du matériel agricole et du gros bétail)

Figure 5.  Dégâts occasionnés en forêt par des engins lourds. Si un engin roule sur un sol trop humide, ce dernier se met à fluer, l’eau incompressible agissant comme fluidifiant vis-à-vis des particules solides. La réorganisation de ces particules se fait selon un plan horizontal diminuant drastiquement la capacité d’infiltration de l’eau. [Photo Noémie Pousse (ONF), reproduite avec la permission de l’auteure]
Si un sol est gorgé d’eau (pas seulement l’horizon de surface) il offre peu de résistance au passage du matériel agricole ou au piétinement du gros bétail. Il perd de sa portance. Il en résulte des risques d’embourbement des engins les plus lourds, l’apparition de tassements profonds et, en sols forestiers, des orniérages importants notamment lors des débardages, c’est-à-dire lors du transport des arbres abattus de la forêt jusqu’au lieu de chargement (Figure 5). Toutes ces dégradations structurales avec perte de porosité des horizons profonds sont souvent irréversibles, au moins à court et moyen terme. Elles ne sont pas toujours spectaculaires et peuvent s’installer insidieusement.

Il est donc important de conserver une macroporosité satisfaisante dans tous les horizons afin de maintenir la capacité naturelle du sol de se ressuyer verticalement. Si besoin, il faudra éliminer les excès d’eau par un assainissement adapté (drainage par tuyaux, fossés).

8. Habitat des vers de terre anéciques (lombrics)

Figure 6. Turricule de ver de terre en surface d’un sol cultivé. [Photo Antoine Delaunois (Chambre d’agriculture du Tarn), reproduite avec la permission de l’auteur]
Les horizons profonds servent d’habitat aux vers de terre dits « anéciques » (ou « verticaux »). De grandes tailles, ils montent ou descendent continuellement en creusant des galeries. Pendant la nuit, ils viennent à la surface du sol, prélèvent la litière et l’entraînent en profondeur dans leurs galeries verticales. Inversement, ils remontent des matières jusqu’à la surface et construisent des turricules (Figure 6). Le réseau de leurs galeries peut être très dense dans les milieux à forte activité biologique. Les lombrics jouent un rôle pédogénétique et fonctionnel majeur, en rejetant à la surface du sol des matériaux organominéraux provenant des horizons inférieurs et en facilitant la circulation verticale de l’air et de l’eau dans des conduits de grande taille (plusieurs millimètres de diamètre).

Sous forêts, ils sont essentiels dans la formation des formes d’humus de type mull car ils assurent l’association rapide et intime des matières organiques avec les matières minérales, notamment les argiles (complexe argilo-humique), et ce dans les horizons de surface. Au contraire, ils sont absents dans les sols forestiers acides.

9. Stockage de carbone

Figure 7.  Podzosol à proximité de la ville de Bad Segeberg (Allemagne). Présence d’un horizon d’accumulation de matières organiques vers 45 cm de profondeur (ici codé Bh) sous un horizon gris cendreux (codé E). [Source : © Alain Ruellan, reproduit avec l’autorisation de l’auteur]
En règle générale, les taux de matières organiques des trente premiers centimètres des sols sont importants (2 à 10 % en poids) mais très dépendants de la nature de la végétation (forêt, culture, prairie, friche) et de la forme d’humus. En profondeur, ce taux décroît très rapidement. Dans les horizons inférieurs, le carbone organique, essentiellement d’origine racinaire (rhizodépositionSécrétion de composés organiques par les racines des plantes vivantes. Ces composés riches en carbone sont une source d’énergie essentielle pour les micro-organismes de la rhizosphère + racines mortes + microflore bactérienne), présente généralement de faibles concentrations (0,1 à 0,4 %) mais sur des épaisseurs importantes, il ne doit donc pas être négligé. Il existe cependant des types de sols où l’on dose en profondeur des teneurs encore relativement élevées [7],[8] : par exemple les horizons BP des podzosolsSols très acides, caractérisés par un processus biochimique d’acido-complexolyse (altération des minéraux primaires par des solutions contenant des composés organiques acides et complexants) et par la migration d’humus et de fer vers la profondeur. Ils étaient autrefois nommés « podzols »  (Figure 7) ou des sols à caractère clinohumique (Figure 8) [8]. L’adjectif clinohumique désigne un sol qui présente des teneurs assez élevées en matières organiques, pas seulement dans l’horizon de surface, mais décroissantes avec la profondeur. Ce terme remplace désormais l’adjectif ancien « isohumique ».

Figure 8. Distribution verticale du carbone organique dans deux sols épais. A : « Terre d’Aubue » profonde, sous forêt (Yonne, France). La forme d’humus est un mull à forte activité biologique. B : Sol argileux, cultivé, de la région de Suceava (Roumanie). Il y a encore plus de 0,6 % de carbone organique jusqu’à une profondeur de 120 cm. Selon le Référentiel pédologique 2008 ce caractère « clinohumique » est caractéristique d’un « Phaeosol Haplique ». [Schéma de l’auteur]
Selon Derrien et coll. [9], les apports souterrains d’origine végétale ont un rôle majeur sur le stockage du carbone dans les sols. Les matières organiques racinaires représenteraient environ un tiers de ces apports en milieu prairial et la moitié en milieu forestier. Contrairement aux litières aériennes qui sont plus ou moins rapidement minéralisées, les apports souterrains contribueraient très largement au stockage en profondeur de carbone sous des formes stables.

Les tourbières constituent un cas particulier d’accumulation constante de matières organiques végétales peu ou non décomposées dans un milieu gorgé d’eau. À partir du moment où le niveau de l’eau est abaissé pour permettre leur mise en culture, les matières organiques se minéralisent spontanément et on observe le déstockage du carbone et, à terme, la disparition de la tourbe. Les pédologues nomment histosols ces sols entièrement organiques. (Lire Tourbières et marais, des zones humides remarquables).

10. Messages à retenir

  • Les sols ne se limitent pas aux horizons de surface humifères. Ils comprennent aussi des horizons dits profonds qui remplissent des fonctions essentielles, en particulier pour le développement de la végétation.
  • La structure macroscopique de ces horizons (existence, tailles et formes des agrégats ; dimensions, connectivité et arrangement des vides) demeure fondamentale pour tout ce qui concerne la circulation et le stockage de l’eau, l’aération et donc l’activité biologique dont dépendent le développement et la vie des racines des végétaux.
  • L’intérêt primordial d’un système racinaire profond, bien réparti et sain réside non seulement dans un bon ancrage et une bonne nutrition du végétal, mais surtout dans l’utilisation de la réserve en eau du sol, proportionnelle au volume prospecté. Celui-ci dépend de la répartition latérale des racines et non pas seulement des profondeurs atteintes.
  • C’est pourquoi nombre d’auteurs insistent sur l’importance concrète de la structure macroscopique des sols : « Le développement et le maintien d’une structure du sol désirable et optimale pour la croissance des plantes sont des exigences éternelles en agriculture» [10].
  • Et cela est valable sur toute l’épaisseur du sol, pas seulement pour l’horizon de surface remanié par les outils agricoles.

Notes et références

Image de couverture. Source Photo Jacques Roque, reproduite avec l’autorisation de l’auteur.

[1] Hénin, S., Gras, R. et Monnier, G. (1969). Le profil cultural. Paris, Masson, 332 p.

[2] Rowell, D.L. (1994). Soil Science: methods and applications. Longman Scientific & Technical. 350 p.

[3] Dupraz, C. (2009). L’ascenseur hydraulique ou comment les arbres redistribueraient l’eau du sol. Agroforesteries, n° 02, pp. 13-18.

[4] Concaret, J. (coord.) (1981). Drainage agricole. Théorie et pratique. Chambre régionale d’agriculture de Bourgogne, Dijon. 509 p.

[5] Baize, D. (2007). Les Éléments Traces Métalliques (ETM) dans les sols. Cours à l’Université de Poitiers.

[6] Baize, D., Lamy, I., vanOort, F., Dère, C., Chaussod, R., Sappin-Didier, V., Bermond, A., Bourgeois, S., Schmitt, C., Schwartz, C. (2002). 100 years spreading of urban waste water on market-garden soils close to Paris (France) : subsequent impacts and hazards. 17th World Congress of Soil Science, Bangkok. Symposium 29, paper n° 204.

[7] Baize, D. (2012). Les « terres d’Aubues » de Basse Bourgogne : nouvelle synthèse et bilan de matières à très long terme. Étude et Gestion des Sols, 19, 3-4, pp. 139-161.

[8] AFES. (2009). Référentiel pédologique 2008. D. Baize et M.C. Girard (coord.). Quae éditions. Paris. 432 p.

[9] Derrien, D. et coll. (2016). Stocker du carbone dans les sols : quels mécanismes, quelles pratiques agricoles, quels indicateurs ? Étude et Gestion des Sols, Vol. 23, pp. 193 à 223.

[10] Hillel, D. (1988). L’eau et le sol. Principes et processus physiques. 2ᵉ édition. Pédasup 5, Academia, Louvain-la-Neuve, 294 p.


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Pour citer cet article : BAIZE Denis (26 mai 2024), L’importance des horizons profonds des sols, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 9 décembre 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/sol/limportance-horizons-profonds-sols/.

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