Modèles de climat

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Que sont les modèles de climat ? Sur quelle base sont-ils construits ? Comment les évalue-t-on ? Sont-ils fiables ? Comment procède-t-on pour explorer le climat du futur ? Cet article tente de répondre à ces questions en mettant en avant les limites de ces modèles ainsi que les questions scientifiques qu’ils soulèvent. Les modèles de climat sont un outil précieux pour comprendre le climat et anticiper les changements futurs. Ils constituent avant tout un laboratoire numérique qui permet aux scientifiques d’explorer les processus complexes qui constituent le système climatique. Les projections réalisées avec ces modèles suivent des protocoles communs qui permettent de comparer les simulations produites par différents modèles de façon rigoureuse. Nous pouvons ainsi quantifier l’incertitude liée à la modélisation sur les projections climatiques.

1. Un modèle de climat est constitué de plusieurs composantes

Un modèle climatique est une représentation numérique du système climatique (Lire La machine climatique). Les modèles de climat décrits ici sont les modèles utilisés pour réaliser des projections climatiques sur le prochain siècle et sont construits pour représenter les processus en jeu à l’échelle de quelques siècles. Ces modèles représentent toutes les composantes du système climatique qui évoluent à ces échéances : atmosphère, océan, cryosphère et biosphère (Figure 1) [1]. Dans les modèles, les différentes composantes sont généralement développées séparément et peuvent être utilisées seules ou bien couplées ensemble.

1.1. Océan et atmosphère

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Figure 1. Schéma du système climatique présentant les différentes composantes du système : atmosphère, océans, cryosphère, biosphère et lithosphère, leurs constantes de temps et leurs interactions en termes d’échanges d’énergie, d’eau et de carbone. [Source : Joussaume, 1993. ref. [1], © CNRS éditions, 2011]
Les composantes océan et atmosphère sont basées sur les équations de la mécanique des fluides et de la thermodynamique ainsi que sur les principes de conservation de la masse [2] et de l’énergie. Pour transcrire ces équations sous forme numérique, le globe est découpé en petits cubes, les mailles (Figure 2) [3], et l’avancement temporel se fait par pas de temps successifs. Les méthodes numériques pour représenter les équations différentielles de la mécanique des fluides peuvent varier d’un modèle à l’autre selon que l’on mette l’accent sur la précision des calculs ou sur leur efficacité. Ces équations permettent de déterminer la moyenne des paramètres climatiques (température, humidité, etc) sur chaque maille à chaque pas de temps. Les modèles océaniques sont construits selon les mêmes principes en tenant compte des propriétés différentes de l’eau par rapport à l’air. En particulier, l’eau est plus visqueuse que l’air.

Dans les simulations climatiques, la taille d’une maille est de l’ordre d’une centaine de kilomètres, et le pas de temps de quelques dizaines de minutes. Les processus intra-maille, tels que la formation des nuages ou la formation des précipitations, ne peuvent donc pas être représentés directement par les équations de la mécanique des fluides. Pourtant, ces processus doivent être pris en compte : pour les représenter, on utilise des paramétrisations qui visent à reproduire de manière empirique les effets de ces processus sur les échelles résolues [4] par les équations de la dynamique.

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Figure 2. Schéma de découpage du système climatique en mailles. [Source : © H. Goose et al., réf. [3], licence CC-BY-NC]
Dans les modèles atmosphériques, on inclut des paramétrisations pour la pénétration du rayonnement dans l’air, pour la turbulence, la convection, la formation des nuages et des précipitations, les interactions des nuages avec le rayonnement, etc. Les modèles océaniques contiennent aussi des paramétrisations pour représenter la pénétration du rayonnement dans l’eau, le mélange lié aux tourbillons de plus petite échelle, au mélange induit par les marées et par la turbulence. On utilise aussi des paramétrisations pour représenter les transferts d’eau, d’énergie et de quantité de mouvement entre l’océan et l’atmosphère. Les paramétrisations sont des équations écrites de façon empirique à partir d’observations. Ces équations sont universelles dans un modèle donné, au sens où elles sont les mêmes en tout point du globe.

Les modèles atmosphériques utilisés pour les simulations climatiques sont ainsi construits de la même manière que les modèles de prévision météorologique. La différence provient de la durée d’intégration de ces modèles et de la façon d’interpréter leurs résultats (cf. Partie 3). En général les modèles globaux de prévision météorologique découpent l’atmosphère terrestre en mailles de quelques kilomètres de côté et quelques centaines de mètres sur la verticale. Pour diminuer le coût du calcul, les modèles de climat utilisent des mailles plus grandes (voir Figure 2) [3], en particulier sur la dimension horizontale, ce qui permet de les intégrer sur plusieurs décennies, voire des siècles. Même si les mailles sont plus grandes, les modèles de climat représentent bien des successions de phénomènes météorologiques comme la pluie, la sécheresse, le passage de dépressions, etc.

1.2. Surfaces continentales

Les modèles des surfaces continentales visent à représenter les échanges d’eau et d’énergie entre le sol, la biosphère et l’atmosphère. Ils sont basés sur des principes de conservation de l’énergie et de l’eau. Ainsi une région de forêt captera plus d’énergie solaire car elle est plus sombre (son albédo est plus faible) qu’une région couverte de pâturages. En revanche, en cas de sécheresse du sol superficiel, un arbre pourra, grâce à ses racines plus profondes, utiliser de l’eau dans le sol profond et produire un flux d’eau vers l’atmosphère par évapotranspiration, tandis que les herbes ne pourront pas le faire. Ces modèles représentent aussi la neige saisonnière sur le sol ainsi que le gel dans les sols. Comme dans les modèles atmosphériques, de nombreux processus ont lieu à des échelles plus petites que celles des mailles et doivent être paramétrisés.

1.3. Banquise et Glaciers

Les modèles de banquise représentent les échanges d’eau, de sel et d’énergie entre la banquise et l’océan mais aussi entre la banquise et l’atmosphère. Dans ces modèles, la banquise se déplace en fonction du vent près de la surface et des courants océaniques. Ces mouvements conduisent à de l’empilement de la glace de mer dans certaines régions et à sa divergence [5] dans d’autres.

Les modèles de glaciers continentaux inclus dans les modèles de climat sont généralement très simplifiés et visent principalement à représenter l’effet d’une couverture de glace sur le sol, mais leur extension ne varie pas. Il existe des modèles de glaciers continentaux avec une représentation plus détaillée, en particulier pour les calottes polaires arctiques et antarctiques, mais ils nécessitent de représenter les paramètres atmosphériques avec des mailles plus fines que celles des modèles de climat globaux actuels. Leur couplage avec des modèles de climat est un des enjeux actuels de la modélisation climatique et devient crucial pour des simulations climatiques de très long terme (plusieurs siècles).

1.4. Couplage des composantes

Dans les modèles climatiques, les différentes composantes sont couplées, c’est-à-dire qu’elles évoluent conjointement, les unes interagissant sur les autres. En général, les modèles de surface continentale et les modèles d’atmosphère interagissent à chaque pas de temps du modèle atmosphérique (quelques minutes). Les échanges entre les modèles d’océan et les modèles atmosphériques se font au moins une fois par jour voire toutes les heures selon les modèles.

2. Un niveau de complexité adaptable

2.1. Complexité

Pour réaliser des projections réalistes du climat, les modèles de climat doivent décrire les quatre composantes du système climatique : l’atmosphère, océan, biosphère et cryosphère. La complexité d’un modèle est ainsi définie comme le nombre de processus climatiques pris en compte. Les premiers modèles de climat développés dans les années 1970 ne représentaient que la composante atmosphérique. Les modèles ont rapidement évolué et sont parvenus à inclure les quatre composantes à la fin des années 1990. Depuis, les modèles se sont constamment améliorés en affinant les paramétrisations existantes et en ajoutant la représentation de nouveaux processus. Par exemple, la plupart des modèles actuels représentent le cycle de vie des particules en suspension dans l’atmosphère, appelées aérosols (Lire Les pollutions de l’air). Les modèles représentent ainsi leur transport par les vents, leur interaction avec les processus de formation des nuages et leur lessivage par les pluies.

Figure 3. Niveau de complexité des modèles en fonction des composantes représentées [Source : © GIEC, AR3]
Les modèles les plus complexes représentent le cycle du carbone dans son intégralité, et permettent d’estimer les échanges de carbone entre les différentes composantes. Ces échanges dépendent eux-mêmes du climat, des propriétés de l’eau de mer et de la capacité de la végétation et de la biosphère marine à convertir de carbone en matière organique.

Il existe aussi des modèles très simplifiés, à une dimension, basés sur le bilan radiatif terrestre et qui ne simulent que la température moyenne globale, et pas les disparités régionales. Toutefois, si on veut représenter l’effet d’une augmentation de la concentration en dioxyde de carbone dans ces modèles simples, ils auront besoin d’informations provenant des modèles complets décrits précédemment. Entre ces modèles très simplifiés de bilan énergétique et les modèles complets, il existe toute une gamme de modèles de complexité croissante (Figure 3), développés pour des applications spécifiques.

2.2. Adaptation à l’usage

Les modèles les plus complexes sont aussi plus coûteux en temps de calcul. Toutefois, selon l’étude que l’on réalise, il n’est pas forcément nécessaire de prendre en compte tous ces processus. En particulier, l’inclusion de la représentation complète du cycle du carbone repose sur des paramétrisations encore incertaines et dont les rétroactions peuvent être importantes. Pour étudier quel serait l’impact d’une augmentation donnée de la concentration atmosphérique en dioxyde de carbone sur les processus climatiques tels que les phénomènes El Niño par exemple, il est préférable d’utiliser un modèle sans représentation du cycle du carbone, dont les résultats seront plus aisés à interpréter. Les résultats aideront ensuite à comprendre les projections du modèle avec cycle du carbone. Il est ainsi parfois nécessaire de découpler les questions.

Ainsi, le modèle le plus complexe n’est pas forcément le plus adapté à tous les usages. Avec le niveau de complexité, on introduit aussi plus de degrés de liberté dans le système. Cela complique sa calibration et sa validation, parfois aux dépens de la robustesse du modèle. L’interprétation des résultats est également plus délicate. Par ailleurs, plus le modèle est complexe, plus il va nécessiter des calculateurs puissants et plus le temps de calcul va être long. Or pour réaliser des études sur la machine climatique, il est souvent nécessaire de faire plusieurs essais avant de parvenir à élaborer des conclusions fiables. Il est donc important que le coût de calcul soit raisonnable pour parvenir à faire de nombreux essais.

2.3. Coûts de calcul

Le coût de calcul d’un modèle de climat augmente avec la complexité et avec sa résolution, c’est à dire la taille des mailles. Le coût de calcul dépend aussi des méthodes numériques utilisées pour représenter les équations du modèle. Ainsi, le coût d’un modèle actuel de climat varie de quelques dizaines de jours de calcul à un millier pour simuler une année si on utilisait un seul processeur. C’est pourquoi ces modèles sont implémentés sur des super-calculateurs, parmi les machines les plus puissantes au monde. En utilisant un grand nombre de processeurs simultanément, on parvient à disposer de la simulation d’une année en quelques heures. Il faut ainsi plusieurs semaines pour réaliser une simulation de projection du climat sur 100 ans. Les volumes de données produites sont eux aussi très importants, de l’ordre de quelques centaines de Giga-octets (Go) par année de simulation, soit quelques dizaines de Tera-octets (To) pour une simulation de 100 ans.

Un modèle de climat est un laboratoire numérique pour tester des hypothèses, comme on peut l’imaginer en biologie avec des éprouvettes. En biologie, on répète souvent le même traitement sur plusieurs individus pour vérifier son efficacité sur un panel de tests. De même en climat, il est souvent opportun de réaliser les simulations sous forme d’ensembles. Le système climatique étant chaotique, il est parfois difficile de séparer les évolutions du climat qui sont dues au forçage imposé, par exemple une augmentation des gaz à effet de serre, au regard de la variabilité interne du système climatique (lire La variabilité climatique : l’exemple de l’Oscillation nord-atlantique). On réalise alors des ensembles de simulations soumises aux mêmes forçages mais ayant des états de départ légèrement différents pour déterminer les impacts robustes des forçages appliqués. Moins le modèle est coûteux numériquement, plus la taille des ensembles pouvant être réalisés sera grande et plus les résultats pourront être interprétés avec confiance.

2.4. Régionalisation

Le coût de calcul détermine aussi la taille des mailles des modèles de climat. Actuellement, ces mailles sont en moyenne de 100 km x 100 km, même si quelques modèles arrivent à atteindre quelques dizaines de km2. Cette résolution spatiale permet de représenter de nombreux phénomènes tels que les successions de perturbations des moyennes latitudes, ou les moussons tropicales. En revanche, ces modèles globaux ne permettent pas de représenter des phénomènes plus locaux, comme les cyclones et les circulations régionales directement liées au relief. Ainsi, dans un modèle de climat à 100 km de résolution, le relief est trop lissé pour que la vallée du Rhône soit représentée distinctement et cela empêche de représenter des épisodes de mistral dans le modèle.

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Figure 4. Orographie et bathymétrie d’un modèle de climat global à 100km de résolution et d’un modèle régional sur l’Europe à 12km de résolution. [© CNRM / Réalisation Pierre Nabat & Aurore Voldoire]
Pour réaliser des études sur des phénomènes à plus fine résolution, on peut utiliser un modèle de climat régional, comme cela se fait en prévision météorologique. Le modèle régional, à maille plus fine, devra être « guidé » aux limites de son domaine par un modèle de climat global (Figure 4). Les modèles régionaux sont construits sur les mêmes principes que les modèles globaux (algorithmes similaires, même processus). Ils peuvent eux-mêmes être plus ou moins complexes. Certains ne représentent que la composante atmosphérique, mais il existe aussi des modèles régionaux couplés océan-atmosphère. De tels modèles permettent ainsi de faire des études sur des phénomènes de plus petite échelle mais les résultats dépendent à la fois du modèle régional utilisé et du modèle global utilisé en limite de domaine. Il est donc préférable de tenir compte de cette incertitude en chaîne, par exemple en réalisant un ensemble de simulations régionales forcées par plusieurs modèles globaux.

3. Comment valide-t-on un modèle de climat ?

3.1. Validation par composantes

Un modèle de climat est validé par étapes successives. Chaque composante du modèle est développée indépendamment des autres en lui appliquant des observations en variables d’entrées. Dans ce cadre contraint, on vérifie que le modèle produit des résultats réalistes. Ainsi, un modèle de surfaces continentales sera utilisé seul en lui fournissant des observations météorologiques en entrée et l’on vérifiera que la température, l’humidité du sol et la végétation évoluent conformément aux observations.

Chaque composante est ainsi réglée et évaluée séparément des autres. Chacune des composantes est aussi utilisée pour des études spécifiques à son milieu. Lors de cette étape, quelques paramètres du modèle seront jugés peu contraints par les observations disponibles et on évaluera la gamme de valeurs acceptables de ces paramètres. Ceux-ci pourront éventuellement être ajustés dans cette gamme une fois le modèle complet assemblé. Lors des étapes contraintes par des observations, les résultats de simulation peuvent être directement comparés à des observations en termes d’évolution temporelle.

3.2. Données d’entrée

Lorsque l’on fait une simulation avec un modèle de climat, il y a deux types de données d’entrée : l’état initial et les forçages. Si en prévision météorologique, l’état initial est une information primordiale, en modélisation climatique, ce sont les forçages qui sont les éléments les plus importants. Les forçages principaux sont : les concentrations des gaz à effet de serre (excepté la vapeur d’eau, simulée par la composante atmosphérique), la charge en aérosols, mais aussi la répartition de la végétation, les éruptions volcaniques et l’énergie solaire reçue au sommet de l’atmosphère. Comme le système climatique est chaotique, l’information provenant de l’état initial est rapidement perdue. Les conditions initiales sont donc peu importantes pour des simulations climatiques sur plusieurs dizaines d’années.

Cependant, la mémoire du système climatique est plus longue que celle d’un modèle de prévision météorologique, car les océans évoluent moins rapidement que l’atmosphère et cette inertie allonge la mémoire du système. C’est cette propriété qui est utilisée pour faire de la prévision à l’échelle saisonnière. Les modèles de prévisions saisonnières sont des modèles de climat dont les composantes atmosphère et océan sont initialisées selon les observations. Ils tirent parti du fait que l’océan a une inertie importante pour prévoir les tendances sur les mois à venir. Ces systèmes sont nettement moins fiables que les modèles de prévision météorologique mais apportent des informations pertinentes sur l’évolution des phénomènes comme El Niño en particulier et sur la variabilité tropicale en général. La réalisation de prévisions a posteriori sur un grand nombre d’années passées permet de tester un système de prévision saisonnière et constitue une forme de validation d’un modèle. Ce type de validation est toutefois limité à des échéances de quelques mois ce qui reste court au regard des échéances climatiques.

L’utilisation des modèles de climat pour prévoir des échéances un peu plus longues, de quelques années, est un sujet de recherche à l’heure actuelle [6]. Certaines études envisagent une prévisibilité [7] possible jusqu’à une ou deux années. Au-delà de quelques années, les conditions initiales sont peu importantes et ce sont les forçages appliqués qui deviennent prépondérants.

3.3. Validation du système complet

rayonnement infrarouge atmosphere terrestre modele climat
Figure 5. Carte du rayonnement infra-rouge sortant au sommet de l’atmosphère terrestre moyenné sur 30 ans (1985-2014) simulé par un ensemble de modèles présents dans la base CMIP6 pour la simulation « historique ». La carte en bas à droite représente l’estimation de référence sur la même période obtenue par mesures satellitaires (Produit mensuel CDR « Outgoing Longwave Radiation »). [© CNRM / Réalisation Aurore Voldoire]
La nature chaotique du système climatique a des conséquences importantes sur la manière de valider un modèle de climat complet. Une simulation de plusieurs décennies, même forcée par des forçages observés ne suivra pas la chronologie des observations de par cette nature chaotique (et des imperfections du modèle). Même si le modèle était parfait, il ne pourrait suivre la suite des événements météorologiques tels qu‘ils surviennent. On ne pourra donc pas comparer l’évolution de la température sur un pays par rapport aux observations. En revanche, le modèle pourra représenter les caractéristiques climatologiques du climat (Figure 5) [8] : les cycles saisonniers de température et de précipitation moyennés sur 30 ans pourront être comparés à la climatologie (moyennes) des observations. De même, les tendances de long terme pourront être comparées à celles des observations. Dans les modèles, on retrouve par exemple la réduction de l’enneigement au printemps aux moyennes latitudes au cours du 20e siècle [9].

La validation ne concerne pas seulement les caractéristiques du climat sur le long terme. On pourra aussi évaluer la capacité du modèle à bien représenter la variabilité journalière des précipitations, c’est-à-dire sa capacité à représenter le nombre de jours secs et de jours très pluvieux à une saison donnée en un endroit donné du globe. On peut également évaluer sa capacité à représenter des événements extrêmes, tels que les tempêtes (Lire Événements météorologiques extrêmes et changement climatique).

Cette étape de validation permet de déterminer les limites de ces modèles. Ainsi, ils sont souvent capables de représenter la répartition des différents types de nuages sur le globe mais pour la plupart, ils échouent actuellement à bien représenter les nuages peu épais de type stratocumulus sur les bords Est des grands océans tropicaux, comme au large du Chili, de la Californie ou de l’Angola [10]. Lorsque des simulations du climat futur seront analysées, ces défauts devront être pris en compte comme une limitation de la fiabilité des modèles dans ces régions. L’étape de validation indique également les processus sur lesquels les modélisateurs doivent faire progresser les modèles pour les rendre plus fiables.

Les modèles de climat produisent ainsi des informations à toutes les échelles temporelles (Figure 1), du cycle diurne aux tendances à l’échelle du siècle. Les modèles sont donc évalués sur leur capacité à représenter de nombreux processus à toutes ces échelles temporelles et spatiales. C’est de la cohérence physique de l’ensemble qu’émerge notre confiance en ces modèles. En aval de l’activité de modélisation, le travail des chercheurs sur le climat consiste ainsi à traiter de grandes masses de données avec des méthodes statistiques adaptées.

4. Projections climatiques, quelles hypothèses sont faites ?

Pour réaliser des projections climatiques, les modélisateurs doivent prescrire, comme données d’entrée des modèles de climat, les forçages sur le siècle à venir.

Pour le rayonnement solaire et les volcans, il est difficile de prévoir leur niveau d’activité future. Ainsi des hypothèses simples sont faites. Pour le rayonnement solaire, le dernier cycle sur 11 ans observé est reproduit périodiquement sur le prochain siècle [11]. Pour les volcans, seul leur effet moyen est considéré pour le futur sans variations (mais des études plus spécifiques sont réalisées pour aborder cette question).

concentration C02 monde
Figure 6. a) Évolution de la concentration en CO2 observée et selon 4 scénarios pour le 21e siècle. b) Évolution des émissions d’aérosols sulfatés observés puis selon 4 scénarios pour le 21e siècle. [© CNRM / Réalisation Pierre Nabat]
Pour les autres forçages, les gaz à effet de serre, les aérosols et l’évolution de l’utilisation des sols, leur évolution dépend fortement de l’évolution des activités humaines. Ces forçages sont dits anthropiques. Les économistes fournissent différents scénarios (Figure 6) d’évolution de ces forçages selon des hypothèses sur l’évolution de la démographie et de l’économie. Les économistes utilisent pour cela des modèles spécifiques, dits « modèles d’impact intégré [12]».

Plusieurs types d’évolution sont envisagés, selon que la population prend ou non conscience du risque et adapte ses pratiques, selon l’évolution de la démographie et le repli ou non des régions sur elles-mêmes. Les économistes produisent ainsi plusieurs types de scénarios d’évolution des concentrations de gaz à effet de serre. Le scénario qui sera effectivement suivi reste incertain, et il est important de considérer plusieurs scénarios de forçages lorsque l’on s’intéresse aux projections climatiques.

Les modèles de climat sont ensuite intégrés sur le 21e siècle en faisant varier les forçages selon ces scénarios économiques. Les conditions initiales sont issues de simulation du 20e siècle et intègrent intrinsèquement l’effet des forçages sur les périodes passés.

Selon le niveau de complexité du modèle, le type de forçage est adapté. Ainsi pour les modèles ne représentant pas le cycle du carbone, on prescrira au modèle des concentrations de CO2. Inversement, si le modèle représente le cycle du carbone, on lui appliquera les forçages en émissions anthropiques de carbone, les émissions naturelles étant dynamiquement représentées dans le modèle. De même, pour les modèles n’incluant pas de représentation du cycle de vie des aérosols, on prescrira au modèle climatique des concentrations de ces particules, elles-mêmes dérivées de modèles spécifiques forcés par le scénario économique choisi.

5. GIEC et exercices d’intercomparaison des modèles

5.1. Le GIEC

Le Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC) produit régulièrement des rapports qui visent à résumer l’état des connaissances scientifiques sur le climat, son évolution, ses impacts et les moyens de s’adapter aux changements projetés. Afin de coordonner les travaux des diverses équipes qui mettent en œuvre des modèles de climat dans le monde, un exercice d’intercomparaison des modèles (Coupled model intercomparison project -CMIP) est réalisé en amont des rapports du GIEC. Ces exercices visent à proposer aux centres de modélisation des protocoles expérimentaux communs qui permettront d’étudier le changement climatique et de caractériser l’incertitude liée à la modélisation de façon rigoureuse.

Le projet CMIP met aussi à disposition des centres de modélisation des espaces de stockage et des outils afin de partager les données produites par les modèles. Ces bases de données sont publiques [13] et peuvent être utilisées par des chercheurs du monde entier pour réaliser des études sur le changement climatique. Pour le prochain rapport du GIEC prévu en 2021, 29 équipes ont publié des données issues de 54 modèles différents (à la date du 03/04/2020). Beaucoup de centres mettent en œuvre plusieurs modèles en jouant sur la complexité du modèle et/ou sur sa résolution spatiale.

5.2. Les scénarios de forçages du futur

Figure 7. Scénarios d’évolution de la température moyenne globale (en ºC) basés sur les 4 trajectoires de concentration en gaz à effet de serre (RCP). La référence zéro est la moyenne sur la fin du 20e siècle (1986-2005). L’incertitude autour de chaque courbe comprend le choix du modèle de climat et l’aléa météorologique. Le nombre de simulations utilisées sur chaque scénario et chaque période est indiqué. [Figure reproduite de Knutti & Sedláček [14] avec la permission de Springer Nature].
Pour ce sixième exercice (CMIP6), 4 scénarios d’évolution des gaz à effet de serre et aérosols principaux ont été utilisés pour forcer les modèles (Figure 7) : Un scénario avec concentrations très limitées, nommé ssp126, qui nécessite une réduction des émissions dès le milieu du siècle et des émissions négatives à partir de 2080 ; Un scénario avec une augmentation des émissions au rythme actuel, ssp585, qui prévoit des concentrations en CO2 de 1135 ppm en 2100 ; Entre ces 2 extrêmes, le scénario ssp245, qui représente un futur intermédiaire où les sociétés s’adaptent partiellement, et le scénario ssp370, un intermédiaire à plus forte concentration mais avec la particularité de prévoir une plus faible réduction des émissions d’aérosols.

Pour le précédent exercice (CMIP5, Figure 7) [14], en comparant les projections de l’ensemble des modèles selon un scénario donné, on peut évaluer l’incertitude de modélisation (distinguée de l’incertitude due au scénario). Celle-ci est d’environ 1,6°C pour le scénario le plus pessimiste qui prévoit un changement de température globale de 4°C en moyenne multi-modèles par rapport à la fin du 20e siècle. On comprend bien que l’incertitude totale résulte à la fois de l’incertitude sur le futur de la démographie et de l’économie (scénario) et de l’incertitude sur l’évolution du climat forcé par les émissions anthropiques.

Afin de mieux comparer les modèles entre eux, les modélisateurs du climat ont défini une métrique plus théorique, appelée sensibilité climatique, qui correspond à l’augmentation de la température de surface après un doublement de la concentration en CO2 par rapport à l’ère préindustrielle. Il s’agit du changement de température à l’équilibre, ce qui implique que le modèle soit intégré suffisamment longtemps pour que la température à la surface du globe se stabilise. Cette grandeur théorique permet de comparer l’ampleur des rétroactions qui apparaissent dans le système climatique suite à une augmentation de la concentration en CO2. En effet, le premier impact du CO2 est de réchauffer l’air localement mais ce réchauffement a de multiples conséquences, appelées rétroactions. Par exemple, si l’air se réchauffe, la relation de Clausius-Clapeyron indique qu’il va pouvoir contenir plus de vapeur d’eau. Cela peut avoir des impacts sur la formation des nuages, leur position, etc. C’est l’importance relative de ces différentes rétroactions qui est incertaine et l’étude de plusieurs modèles permet de mieux les comprendre.

Pour le dernier exercice (CMIP6), l’incertitude entre les modèles s’est plutôt accrue [15]; en particulier une dizaine de modèles simulent une sensibilité à l’équilibre qui excède la fourchette de 1,5°C-4,5°C établie par le précédent rapport du GIEC et qui avait déjà été envisagée par le rapport Charney en 1979 [16]. Ces premiers résultats reposent sur l’analyse d’un nombre réduit de modèles et devront être vérifiés lorsque les données de davantage de modèles auront été mises à disposition. Les raisons de cette augmentation de sensibilité pour certains modèles font l’objet de recherches intenses. Plusieurs études tentent également d’utiliser les observations récentes afin de contraindre les estimations de la sensibilité. Il est en effet primordial de déterminer si des valeurs aussi fortes sont plausibles.

Les modèles de climat sont ainsi des outils de laboratoire permettant de mieux comprendre des processus au sein du système climatique et de faire avancer les connaissances. Il ne faut cependant pas oublier que ces modèles sont imparfaits. Il est nécessaire de les confronter aux observations afin d’en comprendre les limites et de les améliorer continuellement.

6. Messages à retenir

  • Un modèle de climat est une représentation numérique du système climatique.
  • Les modèles de climat sont plus ou moins complexes, la complexité est choisie en fonction de l’objectif scientifique de l’étude.
  • Les modèles de climat permettent de faire des projections climatiques futures mais celles-ci reposent sur des scénarios d’évolution économique et démographique.
  • L’incertitude des projections résulte à la fois de l’incertitude de la modélisation climatique mais aussi de l’incertitude de l’évolution économique et démographique.
  • Un modèle de climat est un outil de laboratoire précieux pour faire avancer notre compréhension du système climatique.

 


Notes et références

Image de couverture. Schéma représentant l’atmosphère vue par une modèle numérique : un découpage en petits cubes. [Source : © CEA 2020 / Réalisation: P. Brockmann (LSCE)]

[1] Joussaume S. (2011) Le climat : un thème de recherche pluridisciplinaire ; dans « Le climat à découvert« , Jeandel C. & Mosseri R. (Eds.), CNRS Editions.

[2] Masse d’air sec pour l’atmosphère, de sel pour l’océan et d’eau pour tous les milieux.

[3] Goosse H., P.Y. Barriat, W. Lefebvre, M.F. Loutre & V. Zunz, (06/06/2020). Introduction to climate dynamics and climate modeling. Online textbook available at http://www.climate.be/textbook.

[4] Échelle résolue : échelle de temps et d’espace représentée par les équations de la dynamique des fluides qui est par nature plus grande que la maille des modèles.

[5] Divergence : elle indique que le transport tend à exporter de la glace vers d’autres régions. Par exemple, le long d’une côte si la glace de mer est transportée au large par les vents locaux, la glace aura tendance à disparaître ou à être plus fine à la côte.

[6] Boer, G. J., Smith, D. M., Cassou, C., Doblas-Reyes, F., Danabasoglu, G., Kirtman, B., Kushnir, Y., Kimoto, M., Meehl, G. A., Msadek, R., Mueller, W. A., Taylor, K. E., Zwiers, F., Rixen, M., Ruprich-Robert, Y., & Eade, R. (2016). The Decadal Climate Prediction Project (DCPP) contribution to CMIP6, Geosci. Model Dev., 9, 3751–3777, doi: 10.5194/gmd-9-3751-2016.

[7] Prévisibilité : La prévisibilité mesure la capacité à prévoir en fonction des échéances temporelles visées en faisant l’hypothèse que l’état initial est bien connu.

[8] Hai-Tien Lee & NOAA CDR Program (2018): NOAA Climate Data Record (CDR) of Monthly Outgoing Longwave Radiation (OLR), Version 2.7. NOAA National Centers for Environmental Information. https://doi.org/10.7289/V5W37TKD [2020-05-29]

[9] Brown, R. D. & Robinson, D. A. (2011) Northern Hemisphere spring snow cover variability and change over 1922–2010 including an assessment of uncertainty, The Cryosphere, 5, 219–229, doi : 10.5194/tc-5-219-2011.

[10] Zuidema, P., et al. (2016) Challenges and Prospects for Reducing Coupled Climate Model SST Biases in the eastern tropical Atlantic and Pacific Oceans: The US CLIVAR Eastern Tropical Oceans Synthesis Working Group, B. Am. Meterol. Soc., doi: 10.1175/BAMS-D-15-00274.1.

[11] Cyclicité simulée à partir de reconstitutions sur 9400 ans pour CMIP6 (Matthes K. et al., 2017, Solar Forcing for CMIP6 (v3.2). Geosci. Model Dev., 10, doi:10.5194/gmd-10-2247-2017), disponible sur https://solarisheppa.geomar.de/cmip6

[12] O’Neill, B. C., Tebaldi, C., van Vuuren, D. P., Eyring, V., Friedlingstein, P., Hurtt, G., Knutti, R., Kriegler, E., Lamarque, J.-F., Lowe, J., Meehl, G. A., Moss, R., Riahi, K., & Sanderson, B. M. (2016) The Scenario Model Intercomparison Project (ScenarioMIP) for CMIP6, Geosci. Model Dev., 9, 3461–3482, doi : 10.5194/gmd-9-3461-2016.

[13] Earth System Grid Federation

[14] Knutti, R., & J. Sedláček (2012) Robustness and uncertainties in the new CMIP5 climate model projections. Nat. Climate Change 3, 369–373, doi:10.1038/nclimate1716

[15] Zelinka, M. D., Myers, T. A., McCoy, D. T., Po‐Chedley, S., Caldwell, P. M., Ceppi, P., et al. ( 2020). Causes of higher climate sensitivity in CMIP6 models. Geophysical Research Letters, 47, e2019GL085782. doi : 10.1029/2019GL085782.

[16] National Research Council. 1979. Carbon Dioxide and Climate: A Scientific Assessment. Washington, DC: The National Academies Press. doi : 10.17226/12181.


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Pour citer cet article : VOLDOIRE Aurore, SAINT-MARTIN David (15 juillet 2020), Modèles de climat, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 9 décembre 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/climat/modeles-climat/.

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